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     Date : 19981221

     Dossier : T-176-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 DÉCEMBRE 1998

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE

     GARRY MIHALICZ,

     demandeur,

     et

     LA BANQUE ROYALE DU CANADA,

     défenderesse.

     ORDONNANCE

     Le demandeur ayant présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision provisoire que l'arbitre Anne M. Wallace a rendue conformément à l'article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, le 24 novembre 1997;

     Les avocats de chaque partie ayant été entendus;

     CETTE COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, le demandeur devant verser à la défenderesse les dépens entre parties sur taxation ou sur entente entre les parties.

     F.C. Muldoon

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     Date : 19981221

     Dossier : T-176-98

ENTRE

     GARRY MIHALICZ,

     demandeur,

     et

     LA BANQUE ROYALE DU CANADA,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Le demandeur conteste, au moyen d'une demande de contrôle judiciaire, la décision provisoire que l'arbitre Anne M. Wallace a rendue conformément à l'article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 [ci-après le Code] le 24 novembre 1997; dans cette décision, l'arbitre a refusé d'accorder un non-lieu à l'encontre de la défenderesse à la suite du congédiement justifié du demandeur. L'employé ayant décidé de ne pas présenter d'autres éléments de preuve, l'arbitre a rendu une décision en faveur de la banque défenderesse le 31 décembre 1997 (transcription, aux pp. 4 à 6). Le demandeur a eu raison de ne pas demander le contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire, quoique importante, avant d'obtenir la décision définitive de l'arbitre.

LES FAITS

[2]      Le demandeur, Garry Mihalicz, travaillait pour la Banque Royale du Canada depuis environ 28 ans lorsqu'il a été licencié le 25 novembre 1996. Pendant cette période, il a occupé divers postes, qui l'on finalement amené à s'occuper des prêts et de la gestion des relations commerciales. Le 14 janvier 1991, il est devenu directeur des comptes au Centre indépendant des affaires de la banque, à Saskatoon. Lorqu'il a été licencié le 25 novembre 1996, la banque a offert au demandeur un règlement global, qui comprenait le paiement à titre gracieux de la somme de 26 050 $, représentant six mois de salaire, et l'accès à un service de counselling en placement et en réinstallation. J'énoncerai ci-dessous la suite des événements qui ont mené au licenciement. Les avocats de chaque partie ont convenu, sur proposition de la Cour, d'une description documentaire des événements qui posaient un problème à l'arbitre, sur le plan de la chronologie (pièce A).

[3]      Le 22 septembre 1992, le demandeur a reçu ce qu'on a appelé un " avertissement écrit final " pour avoir omis de se conformer aux lignes directrices et aux procédures appropriées : il avait délivré une lettre de crédit qui a donné lieu à un excédent de crédit non autorisé. Cet avertissement devait être joint au dossier du demandeur pour une période de cinq ans, jusqu'au 21 septembre 1997, et devait être enlevé du dossier si le rendement du demandeur était satisfaisant pendant cette période. La politique interne de la banque prévoit une mesure corrective prise par la banque sous la forme d'un avertissement oral officiel, suivi d'un avertissement écrit et, au besoin, d'un avertissement écrit final. Une procédure particulière s'applique à l'égard de l'avertissement écrit final. Le superviseur rencontre l'employé pour examiner le problème et pour énoncer les préoccupations et les attentes de la banque. L'employé retourne alors chez lui ou du moins quitte les locaux de la banque pour réfléchir au problème et envisager les solutions possibles, qui pourraient être consignées par écrit dans un plan d'action personnel. L'avertissement, dans ce cas-ci, était en partie ainsi libellé :

         [TRADUCTION]                 
         Cet avertissement écrit final vous est donné conformément aux circulaires JO-61-15, alinéa 3c), et JO-61-11, article 12, Observation des instructions, par suite des pratiques inacceptables en matière de gestion des prêts que vous avez récemment adoptées à l'égard des affaires d'un des clients du Centre.                 
         Plus précisément, nous vous référons à l'excédent de crédit non autorisé découlant du fait que vous n'avez pas observé la procédure appropriée à l'égard de la délivrance d'une lettre de crédit. Il est essentiel que pareilles opérations soient conformes aux lignes directrices et procédures nécessaires et que les approbations nécessaires soient obtenues de façon à empêcher des situations irrégulières qui peuvent présenter un risque indu pour les actifs de la Banque.                 
         Compte tenu des conversations que nous avons eues, vous êtes parfaitement au courant de la gravité de la situation, qui nous a amenés à décider de passer outre aux étapes initiales habituelles du processus de prise de mesures correctives, et à donner cet avertissement écrit final. Nous reconnaissons que vous avez attiré notre attention sur la situation irrégulière, mais nous ne pouvons tolérer des actions de cette nature. À la suite de la discussion que nous avons eue le 21 septembre 1992, on vous a accordé un congé payé pour le reste de la journée, en vue de vous permettre d'examiner votre situation à la banque. À votre retour, vous vous êtes engagé à effectuer les améliorations nécessaires. Nous avons approuvé votre plan d'action, qui fait partie de cet avertissement écrit final, et qui y est joint.                 
         Nous sommes prêts à vous donner le soutien et les conseils nécessaires, mais il vous incombe clairement de veiller à ce que la chose ne se reproduise pas. Si nous nous voyons de nouveau obligés de vous réprimander à cet égard, vous ferez l'objet de mesures correctives additionnelles dans le cadre desquelles il pourrait être recommandé au siège social de vous congédier.                 

     (copie certifiée des pièces, pièce E-4, dossier personnel, aux pp. 43-44)

[4]      Le demandeur a reçu un deuxième avertissement de ce genre le 6 mars 1995 à l'égard d'un autre dossier dont il était chargé. Il avait avancé 90 000    $ à un client le 6 octobre 1994 sans obtenir la garantie appropriée. La lettre dans laquelle l'avertissement est donné, laquelle est signée par le directeur principal des comptes, Les Lindberg, se lit en partie comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Il faut absolument que la procédure appropriée soit suivie lorsqu'un prêt est accordé et qu'une garantie est obtenue. Votre rendement insatisfaisant, en ce qui concerne l'administration des dettes, nous déçoit et il ne peut continuer. Nous sommes prêts à vous donner le soutien et les conseils nécessaires, mais il vous incombe clairement de veiller à ce que la chose ne se reproduise pas. Si nous nous voyons obligés de vous réprimander de nouveau à cet égard, vous ferez l'objet de mesures correctives additionnelles dans le cadre desquelles il pourrait être recommandé au siège social de vous congédier.                 

     (pièce E-4, à la p. 115)

[5]      En 1996, la banque a constaté que le demandeur avait commis plusieurs erreurs ou que son travail était " insatisfaisant " en ce qui concerne l'administration d'un groupe de sociétés connues sous le nom de " California Fitness ". Il a été découvert que trois tranches de prêts commerciaux accordés à une société à numéro particulière (57169 Saskatchewan Ltd.) comportaient des conditions irrégulières et que la garantie était insuffisante. La première tranche, d'un montant de 70 000 $, a été accordée le 29 décembre 1995 sans être enregistrée de la façon appropriée auprès de l'Administration des prêts aux petites entreprises. De fait, les documents pertinents ont été envoyés aux fins de l'enregistrement le 30 octobre 1996 seulement. En outre, plusieurs documents versés au dossier n'avaient pas été correctement signés. La deuxième tranche, d'un montant de 30 000 $, a été accordée le 20 mars 1995 après avoir été approuvée le 1er décembre 1994. La propriété louée comportait plusieurs accessoires fixes, de sorte qu'il était essentiel que la garantie de la banque soit protégée au moyen de l'enregistrement auprès du bureau d'enregistrement des biens personnels et des titres fonciers. L'enregistrement n'a été effectué que le 1er septembre 1995. La troisième tranche, d'un montant de 100 000 $, a été approuvée le 4 décembre 1994, et elle a été accordée le 20 mars 1995; le dossier ne renfermait pas tous les reçus et tous les chèques.

[6]      Le demandeur avait également eu des problèmes d'administration en ce qui concerne KTB Lifestyles Ltd., une autre société du groupe California Fitness. Il n'avait pas obtenu la garantie appropriée à l'égard d'un prêt de 207 000 $ à une petite entreprise qui avait été accordé en trois versements au cours des mois de juillet et août 1996.

[7]      Plusieurs rencontres ont eu lieu avec le demandeur en vue d'examiner la situation et de donner à celui-ci la possibilité de donner des explications. Le directeur principal des comptes, M. Lindberg, a rencontré le demandeur les 7 et 19 novembre 1996; le 22 novembre, le directeur de la banque, Doug Finnie, a rencontré le demandeur; le 27 novembre, après le congédiement, le demandeur et son avocat ont rencontré M. Finnie. La banque n'a pas accepté l'excuse que le demandeur avait donnée, à savoir qu'il était surchargé de travail au moment où les erreurs avaient été commises, et le 25 novembre 1996, le demandeur a reçu cette brève lettre de congédiement, signée par M. Finnie :

         [TRADUCTION]                 
         Étant donné que vous ne vous êtes pas conformé aux lignes directrices établies à l'égard des prêts, nous estimons que vous n'êtes plus en mesure d'exercer vos fonctions; vous avez donc fait l'objet d'un congédiement justifié, devant prendre effet le 25 novembre 1996.                 

     (pièce E-4, à la p. 161)

[8]      Dans une note de service interne datée du 22 novembre 1996, on expliquait les problèmes que le demandeur avait eus avec les dossiers du groupe California Fitness et l'on faisait état des discussions en découlant. La note disait que le demandeur ne pouvait pas justifier la façon dont il s'était occupé des prêts et de la garantie accessoire; compte tenu de l'avertissement écrit final du 6 mars 1995 qui avait été donné à l'égard d'un événement similaire, M. Finnie recommandait de congédier le demandeur (pièce E-4, aux pp. 155-156). Le document même se rapportant au congédiement du demandeur a été signé trois jours plus tard par M. Finnie (qui avait recommandé le congédiement), le conseiller principal, Ressources Humaines, Denis Conway, souscrivant à son avis, et Anne Lockie, directrice générale adjointe, approuvant le congédiement (pièce E-4, à la p. 157).

Les dispositions législatives pertinentes

[9]      Conformément à l'article 240 de la section XIV du Code canadien du travail, le demandeur a déposé une plainte de congédiement injuste. Cette disposition est ainsi libellée :

         240.(1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :                 
         a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;                 
         b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.                 
         (2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.                 
         (3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.                 

[10]      Un arbitre a été désigné en vertu de l'article 242 pour entendre la plainte. Cette disposition prévoit ce qui suit :

         242.(1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.                 
         (2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :                 
         a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;                 
         b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;                 
         c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).                 

[11]      Il importe également de noter que l'article 243 renferme une clause privative, protégeant la décision de l'arbitre contre le contrôle :

         243.(1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.                 
         (2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari , de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.                 

La décision provisoire

[12]      Un arbitre a dûment été désigné par le ministre du Travail et une décision provisoire a été rendue le 24 novembre 1997 à la suite d'une demande de non-lieu présentée par le demandeur. À l'audience, MM. Lindberg et Finnie ont témoigné pour le compte de la défenderesse au sujet des événements qui ont abouti au congédiement. L'arbitre a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle le fait que la défenderesse n'avait pas appelé Mme Lockie, directrice générale adjointe, à témoigner au sujet des raisons pour lesquelles il avait été licencié doit nécessairement avoir un effet fatal. L'arbitre a conclu que si la preuve présentée par la banque défenderesse était retenue au pied de la lettre, les faits nécessaires aux fins d'une preuve prima facie avaient été établis. Dans sa décision, voici ce que l'arbitre a dit :

         [TRADUCTION]                 
         L'employé soutient que parce que la directrice générale adjointe de la banque, Anne Lockie, n'a pas témoigné pour le compte de la banque, la preuve n'a pas été établie parce que seule Mme Lockie peut témoigner au sujet des motifs du licenciement, et ce, apparemment parce que la politique de la banque exigeait que Mme Lockie approuve par écrit le licenciement. L'employé affirme qu'étant donné que Mme Lockie n'a pas témoigné, je ne dispose d'aucun élément de preuve au sujet du motif ou des motifs du licenciement.                 
         Je ne puis retenir cette prétention. Selon la preuve dont je dispose, il existe une preuve prima facie montrant que la banque a licencié M. Mihalicz parce qu'il avait omis plus d'une fois de se conformer aux lignes directrices établies à l'égard des prêts. Les dépositions de MM. Lindberg et Finnie sont fondées sur leur connaissance personnelle des faits. La preuve qu'ils ont présentée, y compris les documents qui ont à juste titre été produits en preuve, établissent à première vue que la Banque a licencié M. Mihalicz pour les raisons énoncées dans la lettre de licenciement que Doug Finnie a signée, soit les raisons énoncées dans le sommaire auquel M. Conway a souscrit et qui a été approuvé par Mme Lockie. Cela étant, il n'était pas essentiel, aux fins de la preuve de la Banque, d'assigner Mme Lockie. Si Mme Lockie n'avait pas signé le document en question, la situation aurait peut-être été différente, mais dans ce cas-ci, la documentation de la Banque semble à première vue régulière et elle est conforme aux dépositions des témoins qui ont établi les motifs du licenciement.                 
         En somme, l'omission d'assigner Anne Lockie sera peut-être bien une considération pertinente une fois que toute la preuve aura été présentée, et je ne veux pas laisser entendre que l'employé ne pourra pas soulever la question à ce moment-là. Toutefois, le témoignage de Mme Lockie n'était pas essentiel à la présentation de la preuve de la Banque en ce qui concerne la demande de non-lieu.                 

     (Dossier de la demande du demandeur, motifs de l'arbitre, onglet 4, aux pp. 7-8)

La preuve démontrait que le demandeur avait été licencié parce qu'il ne s'était pas conformé aux lignes directrices établies à l'égard des prêts, et que la documentation de la Banque relative au licenciement était conforme aux dépositions que les témoins avaient faites au sujet des motifs de congédiement. La preuve montrait également que la Banque s'était conformée à la procédure applicable en matière de licenciement. Quoi qu'il en soit, rien n'empêchait le demandeur de demander que Mme Lockie soit assignée s'il voulait vraiment entendre son témoignage. Le demandeur a souligné que Mme Lockie n'avait pas été citée comme témoin, ce qui justifiait la requête visant au non-lieu qu'il avait présentée.

La décision définitive

[13]      L'audience a repris le 17 décembre 1997; l'arbitre a fait connaître sa décision définitive le 31 décembre 1997. L'arbitre a essentiellement retenu la preuve prima facie que la Banque avait présentée à l'appui du congédiement justifié du demandeur.

Position du demandeur

[14]      La demande de contrôle judiciaire est fondée sur les moyens suivants :

         [TRADUCTION]                 
         1. L'arbitre a outrepassé la compétence qui lui était conférée en vertu du Code et sa décision devrait être annulée, compte tenu de la norme de la décision correcte;                 
         2. Subsidiairement, s'il est conclu que l'arbitre n'a pas outrepassé sa compétence, sa décision devrait être annulée parce qu'elle est manifestement déraisonnable;                 
         3. En rendant sa décision, l'arbitre a commis une erreur de droit :                 
         -      en omettant de conclure que la banque ne s'était pas acquittée de l'obligation minimale qui lui incombait de prouver que le congédiement était justifié étant donné que la décideure, soit la personne qui a congédié le demandeur et qui pouvait faire connaître les motifs du congédiement, n'a pas témoigné;                 
         -      en omettant de conclure qu'étant donné que la décideure n'avait pas témoigné, le demandeur n'avait pas à réfuter la preuve parce qu'on ne lui avait pas accordé l'accès à l'enquête interne menée par la banque et par la décideure en ce qui concerne la décision de le licencier;                 
         -      en imposant au demandeur l'obligation d'assigner la décideure afin d'expliquer les motifs du congédiement, alors que l'arbitre avait reconnu dans sa décision provisoire qu'il n'incombait pas au demandeur de le faire;                 
         -      en omettant de conclure que le demandeur n'avait pas à réfuter la preuve même si l'arbitre avait reconnu qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve au sujet de la question de savoir si la banque avait suivi la procédure nécessaire en infligeant des mesures disciplinaires au demandeur.                 
         4. L'arbitre n'a pas observé les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale et les autres procédures qu'elle était légalement tenue de respecter selon les motifs susmentionnés.                 

[15]      Le demandeur sollicite la réparation suivante :

         [TRADUCTION]                 
         1. Une ordonnance infirmant la décision provisoire et la décision définitive de l'arbitre Wallace et donnant des directives au sujet d'une décision provisoire portant :                 
         -      que l'omission de la décideure de témoigner dont en droit vouloir dire que le demandeur n'a pas à réfuter la preuve;                 
         -      que l'omission de la banque et de la décideure de présenter une preuve au sujet de l'enquête interne menée par la décideure à l'égard des motifs du licenciement doit en droit vouloir dire que le demandeur n'a pas à réfuter la preuve;                 
         -      que la charge de la preuve incombe à la défenderesse, et ne passe pas au demandeur, lorsqu'il s'agit d'assigner la décideure, c'est-à-dire la personne qui connaît les motifs du congédiement;                 
         -      que l'omission de la décideure de témoigner doit vouloir dire en droit qu'une inférence défavorable doit être faite en ce sens que la banque n'a pas suivi sa propre procédure en congédiant le demandeur et qu'il n'y a donc pas de preuve à réfuter;                 
         2. Subsidiairement, une ordonnance portant que la plainte déposée par le demandeur doit être renvoyée à un arbitre différent.                 

[16]      Le demandeur soutient que l'arbitre ne disposait d'aucun élément de preuve directe établissant les motifs du congédiement parce que la présumée décideure, Mme Lockie, n'a pas témoigné dans l'instance. Le demandeur affirme que Mme Lockie était la décideure finale et que la défenderesse devait donc l'assigner afin d'établir la preuve contre le demandeur. Le demandeur dit qu'étant donné que Mme Lockie n'a pas comparu, il n'a pas à réfuter de preuve et que l'omission de la défenderesse d'assigner Mme Lockie à l'audience violait le principe fondamental de justice naturelle voulant que l'accusé se voie conférer le droit de confronter son accusateur.

[17]      Le demandeur se fonde sur la décision Saskatchewan Government Employees' Union c. Wascana Hospital (1988), 66 Sask. R. (C/A) à l'appui de cette allégation. Dans cette affaire-là, la personne qui avait décidé de congédier l'employé avait été appelée à témoigner pour le compte de l'employeur; elle était chargée de prendre la décision et elle l'avait prise. En l'espèce, le demandeur soutient que Mme Lockie, dont l'approbation était nécessaire, était la véritable décideure, plutôt que MM. Finnie et Conway, qui avaient simplement recommandé qu'une décision soit prise en ce sens et qui avaient respectivement souscrit à la décision.

[18]      Le demandeur souligne également que la note de service que Mme Lockie a signée renferme une erreur : il y est énoncé que le demandeur était directeur des comptes depuis 1981, alors qu'en fait il n'occupait ce poste que depuis 1991. Il y est également énoncé d'une façon incorrecte que le demandeur devrait se voir accorder un paiement à titre gracieux de 24 000 $ représentant six mois de salaire. Or, le chiffre exact est de 26 050 $, ce qui, comme il importe de le noter, est le montant réel que le demandeur a en fait reçu. Le demandeur soutient qu'à cause de ces inexactitudes et de ces erreurs, il était essentiel que Mme Lockie témoigne sous serment.

Position de la défenderesse

[19]      La défenderesse signale que le demandeur était parfaitement au courant du fait qu'un directeur de comptes qui accordait des prêts excédant le plafond autorisé ou qui n'obtenait pas de garantie risquait de faire l'objet d'un avertissement écrit final ou d'être congédié, et qu'il avait en fait été congédié pour avoir omis d'observer les lignes directrices établies par la banque à l'égard des prêts. Le congédiement final du demandeur était fondé sur la recommandation conjointe de son superviseur immédiat, M. Lindberg, et de M. Finnie, après que des discussions eurent eu lieu avec le personnel des ressources humaines.

[20]      Selon la défenderesse, il s'agit uniquement de savoir si la décision que l'arbitre a prise de rejeter la requête visant au non-lieu présentée par le demandeur, c'est-à-dire la décision provisoire, comportait une erreur de droit manifestement déraisonnable. La principale question de droit qui avait été soulevée devant l'arbitre relativement à la demande de non-lieu était de savoir si la banque avait présenté suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi à l'appui de la prétention selon laquelle le demandeur avait fait l'objet d'un congédiement justifié.

[21]      Étant donné la présence de la clause privative figurant à l'article 243 du Code, la norme de contrôle appropriée, selon la défenderesse, est déterminée au moyen d'une approche " fonctionnelle et pragmatique ". La défenderesse se fonde à cet égard sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Union des employés de service c. Bibeault , [1988] 2 R.C.S. 1048. Si l'on utilise pareille approche dans le contexte des relations de travail, la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable : Conseil de l'éducation de Toronto c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487. Dans l'arrêt Canada (P.G.) c. A.F.P.C., [1993] 1 R.C.S. 941, la décision manifestement déraisonnable a été définie comme étant " clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison ".

[22]      La défenderesse soutient que pour savoir si l'arbitre a commis une erreur de droit, il faut se demander si les conclusions de fait qu'elle a tirées étaient raisonnables compte tenu de la norme relative au caractère manifestement déraisonnable. Il s'agit de savoir si une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le décideur pouvait prendre pareille décision : National Corn Growers Association v. Tribunal canadien des importations, (1990), 74 D.L.R. (4th) 449 (C.S.C.).

[23]      Enfin, en ce qui concerne l'argument du demandeur selon lequel l'arbitre n'a pas observé les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en décidant que la banque n'était pas tenue d'assigner Mme Lockie, la défenderesse soutient que les dépositions des autres témoins de la banque étaient de fait suffisantes pour établir les motifs du licenciement. Mme Lockie devait apposer sa signature sur les documents relatifs au congédiement en sa qualité de personne approuvant le congédiement, ce qui constituait une condition sine qua non, mais, cela étant, la connaissance que Mme Lockie avait des faits de l'affaire aurait fort probablement été beaucoup moindre et de toute évidence plus indirecte que celle de M. Finnie ou de fait de M. Lindberg.

Les questions en litige

[24]      1.      Quel est l'effet de la clause privative figurant à l'article 243 du Code?
     2.      Quelle est la norme de contrôle appropriée à l'égard de la décision de l'arbitre?

Analyse

La clause privative - Section XIV

[25]      En l'espèce, le litige semble à première vue plutôt étrange étant donné la présence de la clause privative absolue, à l'article 243 du Code, ainsi que de l'article 244, qui prévoit qu'une copie de l'ordonnance de l'arbitre peut être déposée devant cette cour et être enregistrée de façon à avoir valeur de jugement de ce tribunal. Quoi qu'il en soit, il a été statué dans les décisions Air Canada v. Davis (1994), 72 F.T.R. 283 (1re inst.) et Bande indienne de Norway House c. Canada (Arbitre, Code du travail) [1994] 3 C.F. 376 (1re inst.) que la Cour ne passera outre aux dispositions protectrices de l'article 243 que s'il peut être démontré que l'arbitre a outrepassé la compétence que le législateur lui avait conférée d'une façon si manifestement déraisonnable qu'il peut clairement être considéré qu'il a faussé, esquivé ou contredit la volonté du législateur. Le législateur entend fournir jusqu'à un certain point une protection, au moyen de l'article 243, contre les erreurs courantes commises par l'arbitre dans la mesure où les modalités d'arbitrage et le résultat ne sont pas manifestement déraisonnables. Les dispositions de l'article 244 n'ont jamais posé de problèmes. On peut se demander comment il pourrait être ordonné à un ministre qui est clairement dessaisi de l'affaire, compte tenu de la section XIV, de désigner un nouvel arbitre à la place de celui que la Cour entend destituer de ses fonctions.

[26]      Les arrêts suivants sont également pertinents : Toronto Newspaper Guild v. Globe Publishing Co., [1953] 2 S.C.R. 18; Jarvis v. Associated Medical Services Inc. et al., [1964] S.C.R. 497; Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 R.C.S. 382; Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte et al., [1982] 1 R.C.S. 710; et Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983.

La norme de contrôle

[27]      Le contrôle judiciaire vise à permettre de déterminer s'il était loisible au tribunal, ou à l'arbitre, de rendre la décision qui a été rendue compte tenu de la preuve mise à sa disposition. La Cour doit se demander si le législateur voulait, expressément ou implicitement, que la question en litige relève de la compétence du tribunal ou de l'arbitre. Dans l'affirmative, la Cour doit hésiter à intervenir à moins que l'arbitre n'ait commis une erreur manifestement déraisonnable. De fait, le critère relatif au caractère manifestement déraisonnable exige que la Cour fasse preuve de retenue à l'égard de la décision de l'arbitre, étant donné que cette décision relève de ses compétences en matière de relations de travail.

[28]      En ce qui concerne la norme de contrôle appropriée, il est opportun de se reporter à la décision que la Cour suprême du Canada a récemment rendue dans l'affaire Conseil de l'éducation de Toronto c. F.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, où il a été statué que dans le contexte des relations de travail, la norme relative au caractère manifestement déraisonnable est celle qu'il convient d'appliquer, compte tenu de l'analyse fonctionnelle et pragmatique qui doit être faite, selon les arrêts Bibeault (supra) et A.F.P.C. no 2, dans lequel le juge Cory, au nom de la majorité, a reconnu que le législateur a décidé dans sa sagesse que les différends en matière de relations de travail devraient être réglés par les membres d'un conseil d'arbitrage, étant donné leur expérience et leurs connaissances spéciales. Le même raisonnement s'applique à l'arbitre désigné en vertu de l'article 242 du Code.

[29]      En l'espèce, l'arbitre a rejeté la requête visant à l'obtention d'un non-lieu que le demandeur avait présentée en se fondant sur le fait que la banque défenderesse avait présenté une preuve prima facie. L'arbitre a fondé sa décision sur la preuve dont elle disposait. Il était établi que le demandeur avait violé la politique de la banque à plusieurs reprises, ce qui a donné lieu aux avertissements écrits finaux, en septembre 1992 et en mars 1995. La procédure disciplinaire de la banque a été suivie. M. Lindberg, qui a témoigné, était le superviseur immédiat du demandeur; il a recommandé à M. Finnie, qui a également témoigné, de congédier le demandeur. Il a également identifié les signatures figurant sur la note de service relative au congédiement comme étant celles de M. Conway, qui a souscrit à la décision, et de Mme Lockie, qui a approuvé la décision. L'arbitre a expressément rejeté la prétention du demandeur selon laquelle Mme Lockie est la seule personne qui peut témoigner au sujet des motifs du congédiement. Les dépositions de MM. Lindberg et Finnie étaient fondées sur leur connaissance personnelle des événements ayant mené au congédiement. L'arbitre a retenu ces dépositions comme établissant prima facie que le licenciement était justifié, parce que le demandeur avait omis de se conformer aux instructions, ce qui est essentiellement une question de discipline.

La charge qui incombe à l'employeur

[30]      Le demandeur soutient qu'en concluant à l'existence d'une preuve prima facie de la part de l'employeur, sans entendre le témoignage de Mme Lockie, l'arbitre a commis une erreur de droit, qu'elle a agi d'une façon inéquitable envers lui et que sa décision était manifestement déraisonnable. Son avocat estimait que Mme Lockie était " la décideure "; il a affirmé avec véhémence à maintes reprises qu'il était inconcevable de conclure que l'employeur avait présenté une preuve prima facie en l'absence du témoignage oral de la " décideure ". L'avocat se trompait. Mme Lockie n'était pas la décideure. MM. Lindberg et Finnie, qui connaissaient le demandeur personnellement et qui ont été témoins du fait qu'il avait manqué de jugement dans l'exercice de ses fonctions, étaient conjointement " les décideurs ". La décision qu'ils ont recommandée à Mme Lockie n'aurait pas pu toucher le demandeur, ni entraîner son congédiement, sans l'approbation de cette dernière, étant donné le système hiérarchique existant chez l'employeur. Mme Lockie a examiné les mesures prises par MM. Lindberg et Finnie, et la recommandation qu'ils avaient faite, soit de congédier le demandeur, et elle a approuvé cette recommandation, d'où le congédiement. Mme Lockie n'a pas pris ou formulé cette décision. Il faut veiller à ne pas permettre aux grosses entreprises ou à l'État, en leur qualité d'employeur, de partager la responsabilité à l'égard des congédiements au sein de leurs bureaucraties au point où l'employé concerné ne peut pas savoir qui est responsable du congédiement. Tel n'est pas ici le cas. La direction locale a pris la décision et a recommandé le congédiement à la directrice générale adjointe, Mme Lockie, qui l'a approuvé. Le simple bon sens permet de se rendre compte de la réalité.

[31]      Pourquoi la banque n'a-t-elle pas congédié sommairement le demandeur après sa première erreur, en 1992, ou encore en octobre 1994? L'avocat du demandeur a lui-même posé cette question à la Cour. Une bonne pratique n'exige pas que l'employeur se montre impitoyable ou insensible. De fait, un tribunal d'équité se prononcerait contre la " peine capitale " (comme l'avocat l'a appelée) pour une première infraction. Étant donné que " l'erreur est humaine ", une bonne pratique en matière d'emploi doit viser à réhabiliter l'employé bien intentionné après une première ou même une seconde erreur ou " infraction ". L'arbitre a eu raison de refuser de blâmer l'employeur pour avoir essayé de réhabiliter le demandeur en 1992 et en particulier pendant la dernière période où il y a eu inconduite, entre le mois d'octobre 1994 et le mois de novembre 1996. La Cour refuse de blâmer l'arbitre pour avoir adopté cet avis raisonnable, que ce soit spontanément ou en réponse aux assertions de l'avocat. Les avocats et la Cour n'avaient pas l'avantage d'avoir une transcription à leur disposition.

[32]      Enfin, cette cour conclut que loin de s'être montrée manifestement déraisonnable en exerçant ses fonctions ou en rendant sa décision ou l'ordonnance, l'arbitre a agi d'une façon tout à fait équitable et raisonnable. Les erreurs de fait qu'elle a commises étaient loin d'être énormes et n'étaient pas suffisantes pour permettre à cette cour de statuer que l'arbitre avait outrepassé la compétence que le législateur lui avait conférée à un point tel que sa décision devrait être annulée.

[33]      Par conséquent, la demande que l'ancien employé a présentée est rejetée; le demandeur devra verser les dépens entre parties à la défenderesse, sur taxation ou sur entente entre les parties.

     F.C. Muldoon

     ________________________________

     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 21 décembre 1998.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-176-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          GARRY MIHALICZ c. BANQUE ROYALE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :              Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 29 octobre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 21 décembre 1998

ONT COMPARU :

Walter Matkowski                  pour le demandeur

Gordon Kuski, c.r.                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Matkowski

Saskatoon (Saskatchewan)              pour le demandeur

McDougall, Ready

Regina (Saskatchewan)              pour la défenderesse


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