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Date : 20040922

Dossier : T-2101-03

Référence : 2004 CF 1294

Ottawa (Ontario), le mercredi 22 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

                                   

ENTRE :

                                                 LE MAJOR GORDON D. DOYLE

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                     LE CHEF DTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans le cadre de la présente demande, le chef d'état-major de la défense a statué dans une décision datée du 22 septembre 2003 sur la demande de redressement présentée par le demandeur par voie de grief conformément à l'article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (la Loi). Dans son grief, le demandeur s'est opposé au fait qu'on lui a demandé de prendre des jours de congé annuel pour le temps pendant lequel il s'est absenté de son travail pour mener à bien son déménagement. De plus, il a demandé un congé spécial pour le temps qu'il a consacré à la préparation de son grief ainsi que pour le préjudice et les souffrances qu'il aurait subis avant et pendant la procédure de grief.

[2]                Pour les motifs qui suivent, je conclus que le chef d'état-major de la défense a commis une erreur susceptible de contrôle relativement à un seul des éléments de sa décision.

A. Historique des faits

[3]                Le grief du demandeur a été déposé il y a six ans et il a fallu de nombreux efforts de part et d'autre pour en arriver à une décision. Pour bien situer ma décision dans son contexte, je crois utile d'exposer les faits suivant leur ordre chronologique.

[4]                Le demandeur est un officier des Forces armées canadiennes (Forces canadiennes) ayant le grade de major. En avril 1998, les Forces canadiennes l'ont muté du poste qu'il occupait à Trenton (Ontario) à celui de travailleur social principal à l'Unité de soutien des Forces canadiennes à Ottawa. Comme la nouvelle résidence d'Ottawa ne pouvait pas être occupée avant juillet, la famille du demandeur est restée à Trenton jusqu'à ce qu'elle puisse emménager dans son nouveau domicile.

[5]                Le demandeur a reçu l'autorisation de son employeur de déménager ses articles ménagers de Trenton à Ottawa. Il s'est absenté du travail pendant onze jours (du 16 au 30 juillet inclusivement) pour s'occuper du déménagement, compte tenu du temps passé à attendre un électricien et à assister l'inspection avant vente de sa nouvelle demeure.


[6]                 En août 1998, l'agent d'administration de l'unité du demandeur a mis en doute le motif pour lequel le demandeur s'était absenté pendant onze jours et a exigé que ce dernier demande une autorisation de congé pour la période non visée par le congé spécial de cinq jours prévu dans l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36. L'agent d'administration a informé le demandeur qu'il serait accusé d'absence sans permission s'il ne pouvait pas en présentant une demande de congé justifier toute la période pendant laquelle il stait absenté.

[7]                 Le demandeur a affirmé que l'agent d'administration avait tenté de l'intimider et de le harceler en menaçant de l'accuser d'absence sans permission pour un retard dans le déménagement qui ne dépendait pas de lui. Le 10 août 1998, le demandeur a déposé un mémoire dans lequel il se plaignait du harcèlement de l'agent d'administration et décrivait les circonstances de son absence du travail pendant onze jours.

[8]                Le lendemain, le commandant du détachement a répondu à la note du demandeur; il lui a indiqué que les membres des Forces canadiennes ont droit à un congé spécial de cinq jours pour aider leur famille à déménager et qu'il lui accorderait deux jours additionnels de permission; il a exigé que le demandeur présente une demande de quatre jours de congé annuel pour couvrir les autres journées pendant lesquelles il avait dû s'absenter du travail. Enfin, le commandant du détachement a souligné que si le demandeur souhaitait déposer une plainte de harcèlement contre l'agent d'administration, il ordonnerait la tenue d'une enquête.

[9]                L'officier supérieur du demandeur a approuvé la demande de quatre jours de congé annuel le 1er septembre 1998.

[10]            Le 29 septembre 1998, le demandeur a déposé une demande officielle de redressement par voie de grief dans laquelle il demandait aux Forces canadiennes de rétablir ses quatre jours de congé annuel.


[11]            Une enquête sommaire sur les circonstances de l'absence du demandeur de son travail a pris fin le 9 octobre 1998 avec le dépôt d'un rapport recommandant des améliorations dans l'établissement et le maintien des relations de travail au lieu de travail du demandeur. Le rapport ne contenait aucune recommandation au sujet du demandeur lui-même.

[12]            Le 23 octobre 1998, le commandant du demandeur a transmis sa demande de redressement ainsi que le résultat de l'enquête sommaire au commandant du Groupe médical des Forces canadiennes.

[13]            Dans une note datée du 19 février 1998, le commandant du Groupe médical des Forces canadiennes a rejeté la demande de redressement présentée par le demandeur. Il a appliqué l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36 qui prévoit expressément qu'un congé spécial de cinq jours est accordé aux membres des Forces canadiennes pour leur permettre de déménager leur famille et que « lorsque, pour des raisons personnelles [...] il faut plus de temps, le militaire doit prendre des jours de congé annuel en sus du congé spécial de cinq jours » . Le commandant a rejeté les affirmations du demandeur qui prétendait qu'il ignorait ce à quoi il avait droit ou qu'il était tenu d'informer ses supérieurs du lieu où il se trouvait. Il a souligné que, en théorie, le demandeur était absent sans permission et pouvait faire l'objet de mesures administratives ou disciplinaires. Il a dit que l'octroi de deux jours de permission au demandeur et l'exigence qu'il prenne quatre jours de congé annuel étaient une solution de compromis généreuse dans les circonstances. Le commandant a ajouté que le demandeur n'avait pas donné suite à la volonté exprimée par son commandant de tenir une enquête sur toute plainte de harcèlement déposée contre l'agent d'administration.


[14]            Le 28 mai 1999, le demandeur a exigé qu'une autorité supérieure examine une demande de redressement plus large. Outre qu'il demandait que les Forces canadiennes rétablissent ses quatre jours de congé annuel, le demandeur a exigé le remboursement d'autres frais de déplacement ainsi que la permission de s'absenter de son travail pour le temps qu'il a dû consacrer à la préparation de sa demande. Il a également demandé que les personnes chargées d'interpréter et d'appliquer les règles et politiques pertinentes lui présentent des excuses par écrit et que les Forces canadiennes donnent une formation suffisante aux membres quant à l'interprétation et à l'application des congés auxquels les militaires ont droit en cas de réinstallation.

[15]            Le 9 août 1999, le commandant de l'Unité de soutien des Forces canadiennes à Ottawa a répondu à la demande de redressement présentée par le demandeur. Il a appuyé l'octroi de deux jours additionnels pour permettre la surveillance du chargement et du déchargement des biens du demandeur; toutefois, elle n'a pas considéré que la journée passée à attendre l'électricien ou celle consacrée à l'inspection avant vente de la nouvelle maison du demandeur faisaient partie de son déménagement officiel et elle a jugé que le demandeur devait utiliser un congé annuel pour ces deux jours. Le commandant était convaincue que le demandeur avait reçu une indemnité adéquate pour ses frais de déplacement et de déménagement et elle n'était pas d'accord avec le paiement des réclamations additionnelles. Elle a conclu qu'aucun congé compensatoire n'est prévu pour la préparation d'un grief, mais elle a ajouté qu'elle autoriserait une permission de deux jours. Elle a également demandé au demandeur s'il souhaitait soumettre son différend avec l'agent d'administration à la médiation ou encore déposer une plainte pour harcèlement.

[16]            Le 9 novembre 1999, le demandeur a déposé son grief pour arbitrage devant le chef d'état-major de la défense, demandant le rétablissement des quatre jours de congé annuel, vingt-et-un jours de congé spécial pour compenser le temps qu'il avait consacré à la préparation de son grief et trois mois de congé spécial pour les douleurs et souffrances qu'il aurait subies pendant la procédure de grief.

[17]            Après avoir reçu le grief du demandeur, la Direction générale de l'administration des griefs des Forces canadiennes a obtenu l'avis du directeur, Pension et programmes sociaux, relativement à l'application de la politique des congés dans le cas du demandeur. Cet avis a confirmé que, suivant l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36, le demandeur avait droit à cinq jours de congé spécial, ce qu'il a obtenu, et que les membres qui ont besoin de plus de temps doivent prendre des jours de congé annuel. Le directeur a conclu que même si la demande de congé compensatoire présentée par le demandeur [Traduction] « échappait » à sa compétence, il n'y avait aucune politique prévoyant un congé compensatoire pour le temps consacré à répondre à une demande de grief et que, de toute façon, le chef d'état-major de la défense ne pouvait accorder plus de trente jours de congé compensatoire.

[18]            Lorsque le mécanisme rationalisé de règlement des griefs au sein des Forces canadiennes est entré en vigueur le 15 juin 2000, le chef d'état-major de la défense a envoyé la demande de redressement du demandeur au Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC) nouvellement constitué.

[19]            Le 1er novembre 2000, le demandeur a présenté des observations écrites au CGFC afin d'obtenir la production d'un avis juridique ainsi que les noms des membres des Forces canadiennes qui l'auraient conseillé au sujet de ses droits en cas de déménagement. Il a également contesté l'interprétation de l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36 et son application dans son cas.


[20]            Le 31 octobre 2002, le CGFC a produit un rapport contenant ses conclusions et ses recommandations au sujet du grief du demandeur. Il a conclu que les Forces canadiennes avaient correctement appliqué l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36 en ce qui a trait aux droits du demandeur en matière de congés et qu'il était raisonnable pour le demandeur de passer huit jours à charger et à décharger ses articles ménagers. Il a également conclu que le temps passé à attendre un électricien et à effectuer une inspection avant vente de sa nouvelle maison à Ottawa ne faisait pas nécessairement partie de sa réinstallation et que l'offre par le commandant de l'unité à laquelle appartenait le demandeur de lui accorder deux jours de congé spécial était raisonnable. Enfin, il a conclu en ce qui a trait au grief de harcèlement que celui-ci [Traduction] « ... n'avait pas fait l'objet d'une enquête au cours de laquelle les intimés auraient eu la possibilité de se défendre » .

[21]            S'appuyant sur ses conclusions, le CGFC a recommandé que le chef d'état-major de la défense accorde deux jours de congé spécial pour le temps additionnel nécessaire pour charger et décharger les articles ménagers du demandeur. Le Comité a également recommandé que le chef d'état-major de la défense détermine si le demandeur avait reçu les deux jours de permission pour les raisons médicales exposées dans l'arbitrage du grief par le commandant. Pour ce qui est de tous les autres éléments, le CGFC a recommandé que le chef d'état-major de la défense rejette le grief. Le demandeur a reçu une copie du rapport et des recommandations du CGFC le 21 novembre 2002. (Affidavit du demandeur souscrit le 8 décembre 2003, dossier du demandeur, p. 35, par. 56)

[22]            Le 19 septembre 2003, un officier d'état-major a soumis le dossier de grief concernant le demandeur à l'arbitrage du chef dtat-major de la défense. Les documents présentés au chef dtat-major de la défense comprenaient les recommandations du CGFC ainsi que des copies des observations faites par le demandeur à chacune des étapes de la procédure de grief.

B. La décision en cause

[23]            Dans une lettre datée du 22 septembre 2003, le chef d'état-major de la défense a répondu à la demande de redressement présentée par le demandeur par voie de grief :

[Traduction] Je souscris aux conclusions du Comité des griefs ainsi qu'à leurs recommandations que je vous accorde un congé spécial de deux jours pour compenser le temps additionnel qu'il vous a fallu pour charger et décharger vos meubles et vos effets. Je souscris en outre à la recommandation du Comité de rétablir les deux jours de congé annuel dans votre solde de congé. Le Comité n'a pas considéré que la journée passée à attendre l'électricien (17 juillet 1999) ou la journée de l'inspection avant vente de votre nouvelle maison d'Ottawa (19 juillet 1999) constituaient des périodes de service. Je suis d'accord avec cette conclusion. J'ai aussi ordonné au commandant (cmdt) USFC(O) d'examiner votre dossier pour confirmer qu'on vous a accordé les deux jours de permission pour raisons médicales que le cmdt USFC(O) était disposé à vous accorder en août 1999 et, s'ils ne vous ont pas été accordés, de s'assurer que vous les receviez maintenant.

En ce qui concerne votre demande d'un congé spécial de 21 jours pour la préparation de votre dossier de grief, je conviens avec le Comité des griefs qu'il n'y a aucune disposition réglementaire permettant de vous indemniser pour avoir volontairement choisi une telle façon de procéder et je ne suis pas disposé à faire droit à votre demande.

J'ai également constaté, à la lecture de la correspondance versée au dossier, que vous aviez exprimé votre frustration au sujet de la manière dont l'état-major administratif avait traité votre cas. En réponse à vos doléances, on vous a offert à deux reprises la possibilité de faire valoir vos allégations conformément aux lignes directrices des FC en matière de harcèlement, mais rien n'indique que vous l'avez fait. Comme aucun élément ne corrobore vos allégations, je ne vous accorde pas le congé spécial de trois mois que vous avez demandé pour douleurs et souffrances résultant du harcèlement allégué.

(Lettre adressée par le chef d'état-major de la défense au demandeur le 22 septembre 2003, dossier du demandeur, p. 159)

[24]            Le chef d'état-major de la défense a ordonné aux autorités concernées de prendre les mesures correctives indiquées dans sa réponse au grief du demandeur. (Note de service pour diffusion en date du 22 septembre 2003, dossier du défendeur, p. 9.)

[25]            Dans la demande de contrôle judiciaire qu'il a déposée, le demandeur conteste chacune des conclusions du chef d'état-major de la défense. Toutefois, comme on peut le voir plus loin dans la section F, un seul des arguments qu'il a soulevés ne repose en fin de compte sur un fondement solide.


C. Dispositions législatives et ordonnance administrative pertinentes

[26]            Le chef d'état-major de la défense est l'officier supérieur détenant le plus haut grade dans les Forces canadiennes. Tous les ordres et directives adressés aux Forces canadiennes pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre émanent, directement ou indirectement, du chef d'état-major de la défense. Suivant l'article 18 de la Loi, le chef d'état-major de la défense rend les Ordonnances administratives des Forces canadiennes. En l'espèce, c'est l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36 qui s'applique; en voici les dispositions pertinentes :

DROITS DE TRANSPORT SUPPLÉMENTAIRES LORS D'AFFECTATION RESTREINTE

BUT

1.              La présente ordonnance complète l'article 209.831 des ORFC.

GÉNÉRALITÉS

2.              Un militaire qui sert à un lieu de service sur le territoire

continental nord-américain, où il se rend non accompagnélors d'une

affectation restreinte, a droit aux indemnités prescrites dans la présente

ordonnance lorsque le déplacement des personnes à charge est autorisé

ultérieurement, sauf s'il s'est prévalu d'un voyage de recherche de

logement (VRL) complet (voyage aller-retour pour lui-même et son conjoint),

aux termes de l'OAFC 209-45.

TEMPS DE SERVICE

3.              Un militaire peut se voir accorder un congéspécial de cinq jours afin

de se rendre à l'endroit oùdemeurent les personnes à sa charge afin de les

aider et de les accompagner pendant le voyage à son lieu de service.

Lorsque, pour des raisons personnelles telles que le mode de transport, il

faut plus de temps, le militaire doit prendre des jours de congéannuel en

sus du congéspécial de cinq jours.

4.              Dans les cas oùle voyage se fait en compagnie des personnes à charge:

a.          si le militaire effectue le voyage par automobile particulière, on peut lui accorder le temps prévu au paragraphe 4 de l'OAFC 209-26 seulement lorsqu'aucun temps n'a étéaccordépour le voyage non accompagnéen automobile particulière lors de l'affectation au nouveau lieu de service, c'est-à -dire, on ne peut lui accorder le temps requis pour le trajet qu'une seule fois par affectation; et


b.          si le militaire effectue le voyage par un autre moyen de transport, on lui accordera tout le temps requis pour faire le trajet.

[...]

(Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36, dossier du demandeur, p. 146)

[Non soulignédans l'original.]

[27]            Le demandeur a présenté sa plainte conformément à l'article 29 de la Loi qui permet que les griefs soient soumis aux autorités supérieures des Forces canadiennes. Comme le prévoit l'article 29.11, le chef d'état-major de la défense est l'autorité de dernière instance en matière de griefs. Il est habilité, dans les limites prescrites par la Loi et par les Ordonnances et règlements royaux, à corriger les erreurs découvertes à la suite d'une enquête sur un grief. Il peut également accorder certaines formes de congé, par exemple un congé spécial d'au plus 30 jours conformément aux Ordonnances et règlements royaux 16.20(a). Suivant l'article 29.15 de la Loi, la décision du chef d'état-major de la défense est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur la Cour fédérale, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

[28]            L'article 29.12 prévoit qu'avant d'étudier certains griefs, le chef d'état-major de la défense les soumet au CGFC pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations. Le chef d'état-major de la défense n'est pas lié par les conclusions et recommandations du CGFC, mais s'il choisit de s'en écarter, il doit motiver son choix dans sa décision.

D. La norme de contrôle

[29]            Le demandeur, qui n'est pas représenté par un avocat, n'a pas abordé la question de la norme de contrôle dans ses observations écrites.


[30]            Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable à une décision rendue par le chef d'état-major de la défense conformément à l'article 29 de la Loi relativement à un grief visant à obtenir un congé est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il prétend qu'une telle décision est discrétionnaire et, par conséquent, mérite un degré élevé de retenue. Le défendeur soutient qu'une cour de révision ne peut pas intervenir lorsque le chef d'état-major de la défense a agi de bonne foi, conformément à la loi et en s'appuyant sur les critères pertinents de la preuve.

[31]            Comme l'a exigé la Cour suprême dans les arrêts Pushpanathan c. Canada (M.C.I), [1998] 1 R.C.S. 982, et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of B.C., [2003] 1 R.C.S. 226, il est nécessaire d'effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable. Les facteurs dont il convient de tenir compte dans le cadre d'une analyse pragmatique et fonctionnelle sont les suivants : premièrement, la présence ou l'absence d'une clause privative protégeant, dans une certaine mesure, la décision contre un contrôle judiciaire; deuxièmement, l'expertise du tribunal par rapport à celle de la Cour; troisièmement, l'objet de la loi à l'origine de la décision faisant l'objet du contrôle et des dispositions particulières de cette loi; et, quatrièmement, la nature des questions dont est saisie la Cour.

[32]            Compte tenu de la nature générale, qui a été décrite ci-dessus, de l'expertise du chef d'état-major de la défense et de son pouvoir et compte tenu des possibilités limitées de révision des décisions rendues, je souscris à l'argument suivant du défendeur concernant la norme de contrôle de la décision du chef d'état-major de la défense :


[Traduction] 54. Si on applique l'approche fonctionnelle, les décisions du CEMD méritent un degré élevé de retenue lorsque celui-ci doit examiner si un congé devrait être accordé au plaignant. Dans de tels cas, les principes généraux restreignant l'exercice du pouvoir discrétionnaire s'appliquent. Le CEMD doit exercer ses pouvoirs discrétionnaires de bonne foi, conformément à la loi et en s'appuyant sur les critères pertinents de la preuve. Si le CEMD se conforme à ces exigences, aucune cour de révision ne peut intervenir ni substituer son point de vue à celui du CEMD, même si elle estime que la décision est peu judicieuse ou erronée. En d'autres mots, ces décisions ne seront pas infirmées à moins qu'elles ne soient « manifestement déraisonnables » . (Mémoire des faits et du droit du procureur général du Canada, p. 17 - 20)

E. Conclusions tirées à l'audience

[33]            Comme cela a été mentionné précédemment, le demandeur conteste en l'espèce chacune des conclusions du chef d'état-major de la défense. Le demandeur et l'avocat du défendeur ont tous les deux produit des observations écrites très détaillées. Chacune des questions soulevées dans la décision faisant l'objet du contrôle ont été analysées en profondeur à l'audience, dont une transcription est disponible. En soulevant ce point, je veux indiquer qu'à l'audience, je me suis prononcé sur chacune des questions, à l'exception seulement de l'exercice par le chef d'état-major de la défense de son pouvoir discrétionnaire. En fait, pour chacune des questions sauf celle-ci, les personnes intéressées peuvent consulter la transcription pour obtenir des détails. Comme les parties au contrôle judiciaire sont déjà au courant de ma décision sur toutes les questions sauf sur une, je vais me contenter d'une analyse sommaire dans les présents motifs.

1. Congés accordés


[34]            Comme cela joue certes en sa faveur et comme cela ressort en bout de ligne des échanges à l'audience, le demandeur ne conteste pas l'octroi du congé spécial de cinq jours prévu par l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 209-36, sauf en ce qui concerne sa pertinence eu égard à l'omission du chef d'état-major de la défense d'accorder une réparation discrétionnaire en ce qui a trait aux [Traduction] « éléments non essentiels de la réinstallation » dont il est question plus loin. Pour les mêmes motifs, le demandeur ne conteste pas l'octroi d'un congé spécial de deux jours pour compenser le temps additionnel qu'il lui a fallu pour charger et décharger ses meubles et ses effets ni le rétablissement des deux jours de congé annuel dans son solde de congés.

2. La plainte de harcèlement

[35]            Le demandeur reconnaît qu'il ne s'est pas conformé aux exigences de la politique des Forces canadiennes en matière de harcèlement (OAFC 19-39) soit en ce qui concerne la procédure exigée par l'article 13 de l'ordonnance soit en ce qui concerne la procédure parallèle prévue par l'article 43. En conséquence, j'estime que la décision du chef d'état-major de la défense ne comporte aucune erreur en ce qui concerne la question du harcèlement. C'est pourquoi je conclus que l'argument du demandeur visant à obtenir une décision discrétionnaire favorable pour les douleurs et souffrances subies n'est pas fondé et est donc rejeté.

[36]            Comme le demandeur est incapable de trouver une disposition réglementaire qui permettrait au chef d'état-major de la défense de lui accorder 21 jours de congé spécial pour la préparation de son grief, je considère que le chef d'état-major de la défense n'a pas commis d'erreur en concluant qu'une telle disposition n'existe pas. En conséquence, je rejette cet élément de l'argumentation du demandeur.

F. Le chef d'état-major de la défense a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[37]            Cette question n'a pas été tranchée à l'audience.


[38]            Dès le début, le grief portait pour l'essentiel que le demandeur avait été obligé de prendre quatre jours de congé pour satisfaire à l'obligation de justifier les onze jours de service qu'il a ratés en raison du déménagement. Avant que le chef d'état-major de la défense rende sa décision, le demandeur a obtenu des décisions favorables sur son grief concernant sept des onze jours en cause. Bien qu'il reconnaisse avoir obtenu que le chef d'état-major de la défense lui accorde deux jours de congé compensatoire et rétablisse deux jours de congé annuel dans son solde de congés, de sorte que deux jours de congé seulement sont en litige, le demandeur soutient que la décision du chef d'état-major de la défense est manifestement déraisonnable parce qu'il ne lui a pas accordé les deux autres jours de congé à titre d'éléments essentiels de sa réinstallation.

1. La question des « éléments essentiels de la réinstallation »

[39]            En fin de compte, la présente demande porte uniquement sur ce point. La conclusion suivante du CGFC est à l'origine de l'argument du demandeur voulant que sa décision soit manifestement déraisonnable :

[Traduction] Le Comité conclut, suivant la prépondérance de la preuve, que la preuve disponible ne corrobore pas l'argument du plaignant suivant lequel les deux jours concernant l'attente de l'électricien (17 juillet 1998) et l'inspection avant vente de sa nouvelle maison à Ottawa (22 juillet 1998) étaient des éléments essentiels de la réinstallation. Ces deux jours ont été utilisés « pour des raisons personnelles » (OAFC paragraphe 209-36(3)).

(Dossier du défendeur, volume 1, p. 36)

Le demandeur soutient que la conclusion du CGFC est erronée et qu'étant donné qu'elle a été acceptée sans hésitation par le chef d'état-major de la défense, cette acceptation est manifestement déraisonnable. Je suis d'accord avec cet argument.


a. Attendre l'électricien

[40]            Dans la trousse de renseignements préalables au déménagement remise aux personnes qui étaient dans la même situation que le demandeur en 1998, on trouve ce qui suit :

[Traduction] Pour rester couvert par la responsabilité de l'entrepreneur, veillez à ce que l'entrepreneur originaire prenne des dispositions pour la préparation et la certification de vos appareils ménagers, électriques, électroniques et mécaniques par des professionnels reconnus dans les domaines pertinents, comme il est mentionné dans le formulaire de préparation et de certification. L'estimateur remplira ce formulaire avec vous au moment du sondage avant le déménagement. (Dossier du défendeur, volume 1, p. 157)

Le demandeur a déclaré à l'audience qu'il s'était senti obligé de s'assurer que la certification en électricité soit effectuée parce qu'il s'agissait d'un élément essentiel de sa réinstallation. À cet égard, il s'est reporté à un guide qui comporte l'explication de ses « droits et responsabilités » en ce qui a trait à l'emballage des effets avant le déménagement : [Traduction] « Le membre doit lire attentivement le formulaire avant de le signer et porter une attention particulière aux procédures relatives à l'obtention des documents » (Dossier du défendeur, p. 152).

[41]            Le demandeur soutient qu'étant donné qu'il croyait être tenu de superviser la certification en électricité, le chef d'état-major de la défense aurait dû en tenir compte et lui accorder un jour de congé discrétionnaire.

b. Présence à l'inspection avant vente

[42]            Le demandeur s'est reporté à un document qu'il avait reçu au moment de sa réinstallation :

[Traduction] Le MDN s'attend à ce que tous les membres des FC soient présents au moment de la conclusion de leur transaction immobilière (achat ou vente). C'est pourquoi les frais de présence ou de préparation d'une procuration ne sont normalement pas remboursés.


Dans des circonstances exceptionnelles où le membre de FC ne peut pas être présent à la conclusion de la transaction pour des motifs indépendants de sa volonté, des frais de présence d'au plus 50 $ peuvent être accordés pour qu'un autre avocat assiste à la signature des documents à l'endroit où se trouve le membre. (Dossier du défendeur, p. 153)

En ce qui concerne ce document, le demandeur a également mentionné un autre document intitulé « Helpful hints for People on the Move » ([TRADUCTION] Conseils pratiques pour les personnes qui doivent déménager) qui contient ce qui suit :

[Traduction] Votre entrepreneur vous remettra une trousse de renseignements préalables au déménagement. LISEZ-LA EN ENTIER ET LISEZ-LA ATTENTIVEMENT!!! Si vous avez encore des questions, demandez des explications àvotre entrepreneur. (Dossier du défendeur, p. 153)

[43]            Tant en ce qui concerne le temps passé à attendre l'électricien que la présence à l'inspection avant vente, le demandeur a souligné à l'audience que, en tant que militaire, il s'était senti obligé à l'époque de sa réinstallation de se conformer aux attentes indiquées. L'avocat du défendeur ne s'oppose pas à ce que je considère que cette affirmation est avérée. En conséquence, je conclus que le demandeur croyait qu'il était tenu de se conformer aux attentes indiquées parce qu'il s'agissait d'éléments essentiels de sa réinstallation. Il n'y a aucun doute d'après le dossier que le demandeur a tenté de faire valoir ce point au cours de l'instruction du grief.

[44]            À mon avis, compte tenu de la preuve versée au dossier, il est impossible de conclure selon la prépondérance de la preuve que les attentes en ce qui concernait la certification électrique et l'inspection avant vente n'étaient pas des éléments essentiels de la réinstallation. Je conviens avec le demandeur qu'il est erroné de conclure, comme l'a fait le CGFC, qu'il a satisfait à ces attentes pour « des raisons personnelles » .


[45]            En conséquence, comme le chef d'état-major de la défense a accepté la conclusion erronée du CGFC, je conviens avec le demandeur que cette simple acceptation, qui constitue la décision du chef d'état-major de la défense en ce qui a trait au grief, est manifestement déraisonnable. C'est pourquoi je conclus que, dans cette mesure limitée, la décision du chef d'état-major de la défense constituait une erreur susceptible de contrôle.

[46]            Lors des plaidoiries, tant le demandeur que l'avocat du défendeur ont admis que, si je rendais une décision favorable au demandeur en ce qui concernait la question des « éléments essentiels de la réinstallation » , seule cette question devrait être renvoyée au chef d'état-major de la défense pour réexamen.

                                        ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision du chef d'état-major de la défense d'accepter la conclusion du CGFC en ce qui a trait à l'électricien et à l'inspection avant vente (dossier du défendeur, volume 1, p. 36) et je renvoie la question des « éléments essentiels de la réinstallation » au chef d'état-major de la défense pour qu'il procède à un nouvel examen et accorde éventuellement deux jours additionnels de congé compensatoire discrétionnaire.

Bien que le demandeur n'ait avancé aucun argument en ce qui a trait à la question des dépens advenant le cas où il aurait gain de cause sur les questions en litige dans la demande, j'estime qu'il est tout simplement juste que ses débours lui soient remboursés en ce qui a trait à la seule question pour laquelle il a obtenu gain de cause.

Par conséquent, j'accorde les dépens au demandeur et je les fixe à 500 $.

« Douglas R. Campbell »

juge               

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.



                             COUR FÉDÉRALE

               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                         T-2101-03

INTITULÉ :                       LE MAJOR GORDON D. DOYLE c. LE CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

LIEU DE L'AUDIENCE :    OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 20 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :        LE 22 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Le major Gordon D. Doyle                             POUR LE DEMANDEUR

Brian R. Evernden                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le major Gordon D. Doyle                             DEMANDEUR EN SON PROPRE NOM

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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