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Date : 20040706

Dossier : T-90-01

Référence : 2004 CF 959

Montréal (Québec), le 6 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Harrington

ENTRE :

                                                MERCK FROSST CANADA & Co.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                       LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

APERÇU

[1]                Quel droit ou quelle obligation a le gouvernement du Canada de communiquer au public des renseignements qu'il a reçus à titre confidentiel?


[2]                Le SINGULAIR® est une drogue prescrite à l'échelle mondiale dans le traitement de l'asthme. Elle a été développée au Canada par Merck Frosst, au coût de nombreux millions de dollars. Avant que le SINGULAIR® puisse être commercialisé ici, Merck Frosst a dû convaincre Santé Canada de son innocuité et de son efficacité. Il s'agit là d'une fonction de réglementation très importante jouée par l'administration.

[3]                L'approbation réglementaire prend la forme d'un avis de conformité, qui atteste que la présentation de drogue nouvelle est conforme aux dispositions appropriées du Règlement sur les aliments et drogues. Pour qu'un tel avis soit délivré, le fabricant doit fournir des renseignements d'ordre chimique et sur la fabrication ainsi que pratiquement tous les renseignements connus au sujet de la drogue, notamment les résultats des essais précliniques et cliniques. La présentation est examinée minutieusement par des équipes multidisciplinaires de Santé Canada, qui peuvent également faire appel à des experts externes. Une correspondante abondante est produite au cours de cette analyse critique, qui peut entraîner des modifications de la présentation déposée à l'origine.

[4]                Au coeur de la présentation de drogue nouvelle se trouve le sommaire général, établi par la société pharmaceutique. Bref, pour obtenir l'approbation, Merck Frosst a été obligée de fournir une communication complète et franche de toutes ses connaissances et tous ses renseignements, contenant des secrets industriels et des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques et techniques de nature confidentielle, ainsi que des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes financières ou de nuire à sa compétitivité.   


[5]                Après que le SINGULAIR® a été approuvé et mis en marché, Santé Canada a reçu une demande fondée sur la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, modifiée, et portant sur les documents relatifs à l'examen de la présentation de drogue nouvelle. Plus précisément, la demande visait :

-           l'avis de conformité;

-           le sommaire général;

-           les notes de l'examinateur;

-           la correspondance entre Santé Canada et Merck Frosst.

[6]                Santé Canada a informé Merck Frosst qu'il avait l'intention de communiquer une partie des documents demandés. Le ministère a dit qu'il avait déjà prélevé dans les documents certains renseignements constituant des renseignements confidentiels provenant de tiers, protégés en vertu de la Loi, et que d'autres parties pourraient également être confidentielles, mais qu'il n'était pas en mesure de prendre cette décision. Merck Frosst a été invitée à expliquer le caractère confidentiel des autres renseignements ou la nature et l'étendue du préjudice qui résulterait de la communication de ces renseignements.

[7]                Il a été révélé par la suite que Santé Canada avait communiqué une partie des renseignements à l'auteur de la demande, l'un des concurrents de Merck Frosst, sans consultation préalable.


[8]                Pratiquement, Merck Frosst a pris la position que Santé Canada n'avait pas le droit en vertu de la Loi de communiquer une partie quelconque des documents demandés. Cela a entraîné une abondante correspondance et une demande de Merck Frosst à la Cour en vue d'obtenir la révision de la position de Santé Canada. Les deux parties ont présenté une série d'affidavits, certains publics et d'autres protégés par des ordonnances de confidentialité.

[9]                Ce processus de consultation ou, devrais-je plutôt dire, de dispute n'a pas conduit à un accord, de sorte qu'il incombe à la Cour de décider si les renseignements demandés sont ou non protégés.

[10]            Je vais rappeler brièvement la procédure selon laquelle le SINGULAIR® a été approuvé de façon que l'on puisse apprécier l'importance des documents en cause. J'exposerai ensuite le régime établi par la Loi sur l'accès à l'information, puis je présenterai la position de chacune des parties et enfin j'appliquerai la Loi, en fonction de la jurisprudence, aux documents en question.

LA PRÉSENTATION DE DROGUE NOUVELLE

[11]       Comme je l'ai déjà indiqué, avant qu'une drogue nouvelle soit mise sur le marché par une société pharmaceutique, souvent appelée l' « innovateur » , il faut qu'une présentation de drogue nouvelle soit examinée par Santé Canada. La présentation de drogue nouvelle doit contenir presque tous les renseignements connus au sujet de la drogue, notamment les résultats des essais précliniques et cliniques pour les doses prévues. Tous les aspects de la présentation font l'objet d'un examen critique par des équipes multidisciplinaires. Santé Canada peut avoir recours aux services d'experts externes. Naturellement, cette procédure engendre une correspondance abondante et entraîne la production et l'échange d'autres documents. Elle peut conduire à des modifications de la présentation initiale.


[12]            La présentation de drogue nouvelle comprend une monographie de produit, qui, dans sa forme définitive, est mise à la disposition des professionnels de la santé et constitue donc un document public. Au cours de la procédure d'examen, des révisions peuvent également être apportées à la monographie présentée à l'origine. Une fois que le médicament est jugé satisfaisant, un avis de conformité est délivré, qui permet au fabricant de vendre le produit conformément à la monographie de produit approuvée.

[13]            Une fois que la drogue de l'innovateur est sur le marché canadien, le promoteur d'une drogue similaire, ou reformulée (souvent appelée médicament « générique » ), peut présenter une présentation abrégée de drogue nouvelle. Alors que le promoteur d'une présentation de drogue nouvelle doit établir l'innocuité et l'efficacité, la présentation abrégée de drogue nouvelle doit seulement établir que, comparée au produit innovateur, la drogue nouvelle est si semblable que les deux peuvent être utilisées de manière interchangeable.

[14]            Le sommaire général est une partie de la présentation de drogue nouvelle qui est fondamentale dans la procédure d'examen. Il contient une description de la méthode suivie dans les études expérimentales et cliniques, ainsi que des évaluations et des résultats de ces études.


[15]            La société pharmaceutique innovatrice souhaite évidemment rentrer dans ses frais de recherche et développement et, avec un peu de chance, réaliser un bénéfice. Le développement de nouveaux médicaments est extrêmement coûteux. Pour rentrer dans son investissement, la société pharmaceutique dépend de la protection accordée aux brevets et de la protection des données présentées aux autorités publiques. Toutefois, il faut établir un équilibre, du fait que les fabricants de produits génériques contribuent à maintenir le coût peu élevé pour le patient. Étant donné qu'ils ne partent pas de zéro, les fabricants de produits génériques peuvent abaisser le prix du médicament sans se préoccuper de rentrer dans des frais de travaux poussés de recherche et développement.

L'ACCÈS À L'INFORMATION

[16]       On peut s'imaginer la réaction qu'aurait eue Merck Frosst si son concurrent lui avait demandé directement les renseignements! Toutefois, les renseignements demandés se trouvent dans les dossiers de l'administration fédérale. Selon la philosophie politique actuelle, le public peut obtenir communication des dossiers de l'administration à moins qu'ils ne soient précisément et expressément protégés.

[17]            Les dispositions centrales de la Loi sur l'accès à l'information sont les paragraphes 2(1) et 4(1), ainsi conçus :


2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande_:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

4. (1) Subject to this Act, but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is

(a) a Canadian citizen, or

(b) a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act,

has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution.

[18]            Sous réserve des autres dispositions de la Loi, l'auteur de la demande a le droit d'obtenir la communication des renseignements qu'il cherche à obtenir.

[19]            Les exceptions au droit d'accès général sont exposées aux articles 13 à 24 de la Loi. Elles se divisent en plusieurs groupes selon qu'elles se rapportent aux responsabilités de l'État, aux activités du gouvernement, aux interdictions fondées sur d'autres lois, aux renseignements personnels et aux renseignements de tiers.

[20]            La seule exception qui puisse trouver application en l'espèce est celle qui se rapporte aux renseignements de tiers. Les paragraphes 20(1), (5) et (6) disposent :


20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant_:

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

(a) trade secrets of a third party;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

(5) Le responsable d'une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

(5) The head of a government institution may disclose any record that contains information described in subsection (1) with the consent of the third party to whom the information relates.

(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communiquer, en tout ou en partie, tout document contenant les renseignements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers_: pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négociations qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins.

(6) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act, or any part thereof, that contains information described in paragraph (1)(b), (c) or (d) if that disclosure would be in the public interest as it relates to public health, public safety or protection of the environment and, if the public interest in disclosure clearly outweighs in importance any financial loss or gain to, prejudice to the competitive position of or interference with contractual or other negotiations of a third party.

[21]            Le paragraphe (5) est sans application parce que Merck Frosst, en qualité de tiers, n'a consenti à la communication d'aucun document. Le paragraphe (6) n'a pas été invoqué par Santé Canada et est aussi sans application.

[22]            Certaines des exceptions prévues dans la Loi sont obligatoires, alors que d'autres sont facultatives. Le paragraphe 20(1) est obligatoire ou impératif dans le sens où Santé Canada « est tenu ... de refuser » ( « shall refuse to disclose » ) la communication.

[23]            La Loi traite les secrets industriels et les renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques que l'administration reçoit de tiers d'une manière différente des renseignements similaires qui appartiennent à l'administration. L'alinéa 18a) dispose :

18. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant_:

a) des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques appartenant au gouvernement du Canada ou à une institution fédérale et ayant une valeur importante ou pouvant vraisemblablement en avoir une;

(non souligné dans l'original)

18. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains

(a) trade secrets or financial, commercial, scientific or technical information that belongs to the Government of Canada or a government institution and has substantial value or is reasonably likely to have substantial value;

(emphasis added)

[24]            Il faut considérer ces exceptions à la lumière de l'article 25, qui dispose :

25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.                                                 


[25]            Les articles 27 à 29 prévoient ensuite que le responsable d'une institution fédérale qui a l'intention de donner communication totale ou partielle d'un document protégé par l'article 20 est tenu de donner au tiers intéressé la possibilité de présenter ses observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle. Si cette démarche échoue, le tiers a le droit d'exercer un recours en révision devant la Cour fédérale en vertu du paragraphe 44(1).

44. (1) Le tiers que le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d'aviser de la communication totale ou partielle d'un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l'avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44. (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a decision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

[26]            Ce bref résumé ne vise que les litiges entre les institutions fédérales et les tiers. Je n'ai pas mentionné l'autre type de litiges visé par la Loi, ceux qui interviennent entre l'administration et la personne à qui on a refusé de communiquer un document demandé. Dans le cas où il s'agit de renseignements de tiers, la personne qui a présenté la demande est informée que le tiers a contesté la demande et est invitée à participer à la procédure de contrôle judiciaire. En l'occurrence, elle a choisi de ne pas participer.

LA POSITION DE SANTÉ CANADA

[27]       La preuve de Santé Canada est constituée d'un certain nombre d'affidavits déposés par les fonctionnaires responsables du ministère, Serge Durand, Margery Snider et Merry Joy Bujaki, qui ont tous été contre-interrogés. Ils ont une expérience considérable des demandes de communication de documents et une connaissance très détaillée du dossier SINGULAIR®.

[28]            La position de Santé Canada a été exposée de manière éloquente, et avec franchise. Bien qu'elle soit en désaccord avec la façon dont Santé Canada compte appliquer la Loi dans le dossier SINGULAIR®, Merck Frosst a pris grand soin de faire ressortir qu'elle reconnaissait sans réserve que Santé Canada agissait de bonne foi. Santé Canada considère qu'il est obligé de communiquer le plus de renseignements possible, tout en sachant parfaitement que la majorité des demandes de communication de renseignements, et notamment la demande en cause dans la présente affaire, proviennent de concurrents.

[29]            Lorsqu'il a reçu la demande de communication de renseignements, le ministère a collecté les documents s'y rapportant, 549 pages au total.


[30]            Le ministère a décidé que l'avis de conformité au sujet de SINGULAIR® et 14 autres pages ne contenaient pas de renseignements confidentiels et pouvaient donc être communiqués sans consulter Merck Frosst. En fait, il a supprimé une partie de l'une des pages au motif que les renseignements tombent sous les exceptions prévues aux alinéas 20(1)b) et c) de la Loi. On a procédé à un examen du reste des pages et les renseignements considérés par Santé Canada comme tombant sous les exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi ont été prélevés. Il a été concédé dès le départ que les documents demandés contenaient des renseignements relatifs au processus d'approbation de la drogue en question. Ces renseignements ont été supprimés à moins qu'ils soient contenus dans des études publiées ou dans d'autres documents qui étaient devenus publics au moment où la drogue a été commercialisée, ou aient été rendus publics par d'autres sources. Par exemple, une quantité considérable de renseignements se trouve dans la monographie de produit établie par Merck Frosst, et finalement approuvée en tant qu'élément de la présentation de drogue nouvelle et transmise aux professionnels de la santé. Par conséquent, les renseignements qui s'y trouvent ne peuvent plus être considérés comme confidentiels. À titre d'exemple de renseignements qui sont devenus publics d'une autre manière, on peut mentionner le jeu de documents d'approbation de drogue nouvelle présenté à la Food and Drug Administration des États-Unis pour le SINGULAIR®, que l'on peut consulter sur Internet.

[31]            Dans son examen des 534 autres pages (15 ayant déjà été communiquées à l'auteur de la demande) Santé Canada a décidé qu'il y avait des renseignements confidentiels dans 32 pages, mais qu'il pourrait aussi y avoir d'autres renseignements de nature confidentielle.

[32]            C'est pourquoi, dans sa lettre du 16 août 2000, le ministère disait :

...

[traduction] Certaines parties ont été prélevées en vertu du paragraphe 20(1) de la LAI [renseignements confidentiels provenant de tiers]. D'autres parties peuvent également tomber sous les exceptions prévues au paragraphe 20(1), toutefois nous ne sommes pas en mesure d'en décider à l'heure actuelle.

Conformément à l'article 27 de la Loi, vous disposez d'un délai de 20 jours à compter de la réception du présent avis pour présenter des observations écrites au soussigné expliquant la nature confidentielle des renseignements ou la nature et l'étendue du préjudice qu'entraînerait la communication des renseignements contenus dans les documents demandés.

Vous devez indiquer clairement quelles parties, le cas échéant, des documents vous considérez comme confidentielles et renvoyer à l'alinéa approprié du paragraphe 20(1) de la LAI.

...

[souligné dans l'original]

[33]            Après avoir examiné les observations de Merck Frosst, qui ont été présentées en plusieurs étapes, tant avant qu'après l'introduction de la procédure judiciaire, Santé Canada considère maintenant qu'il faut supprimer des renseignements dans 425 pages, au moins!

LA POSITION DE MERCK FROSST


[34]       Comme la présente affaire a été introduite par la voie d'une demande, plutôt que par la voie d'une action, la preuve de Merck Frosst a également été présentée sous forme d'affidavits, avec certains contre-interrogatoires à leur sujet. Des affidavits ont été déposés par Annie Tougas, chef des Affaires gouvernementales, Anne Mayrand, avocate interne responsable de la coordination du contentieux en matière d'accès à l'information, et Cynthia Frendo, directrice de la Planification des marchés. Des affidavits additionnels ont été déposés par Joanne Guarda, spécialiste externe de recherche en marketing, et Robert Sarrazin, consultant externe, qui a été cité comme témoin expert. Pendant de nombreuses années, il a été directeur des affaires réglementaires d'une autre société pharmaceutique. Plus récemment, il a été président de son propre cabinet de consultants auquel se sont adressées des sociétés pharmaceutiques pour obtenir des conseils concernant l'approbation réglementaire de drogues nouvelles. Bien que Santé Canada ait reconnu que M. Sarrazin pouvait être considéré comme un expert, il s'est opposé à son témoignage au motif qu'il n'était pas utile à la Cour. Comme les témoins cités par les deux parties étaient soit des experts eux-mêmes soit des non-spécialistes possédant une expérience considérable en matière de présentations de drogues nouvelles et d'accès à l'information, j'ai trouvé utile le témoignage de M. Sarrazin, du fait qu'il était à l'écart de la mêlée.

[35]            Des deux côtés, les témoignages étaient un mélange de fait et de philosophie. Heureusement, les deux parties ont apprécié la preuve à sa juste valeur et ont abandonné la philosophie, sauf que Santé Canada s'est opposé à des parties de l'un des affidavits d'Anne Mayrand au motif qu'elles étaient de nature argumentative plutôt que factuelle. Bien que les parties en question aient été argumentatives, puisque Maître Mayrand combine la formation juridique et l'expérience de la réglementation, il peut être difficile d'établir une distinction nette entre le fait et le droit. Quoi qu'il en soit, l'avocat de Merck Frosst pouvait répéter, et a effectivement répété, les mêmes points dans son argumentation, et j'ai donc décidé de laisser l'affidavit intact.

[36]            Bien qu'elle ait été affinée, à mesure que les affidavits étaient échangés l'un après l'autre entre les parties, la position de Merck Frosst est bien exposée dans l'affidavit d'Annie Tougas, chef des Affaires gouvernementales de sa division médicale, datée du 19 février 2001 et dans son affidavit supplémentaire, souscrit le 1er juin 2001, après que la Cour a accordé des ordonnances de confidentialité.


[37]            À la suite de l'avis initial que Merck Frosst a reçu de Santé Canada sous la forme d'une lettre de Margery Snider datée du16 août 2000, Santé Canada lui a fourni, le 11 septembre 2000, les pages qu'elle avait déjà communiquées à l'auteur de la demande de communication. Merck Frosst a exposé sa position générale dans une lettre que Mme Tougas a envoyée à Mme Snider le 25 septembre 2000. Elle disait, et cela n'est pas contesté, que le développement de médicaments est extrêmement coûteux et que, pour rentrer dans leur investissement, les sociétés pharmaceutiques dépendent de la protection des brevets et de la protection des données confidentielles présentées à l'administration. Les fabricants de produits génériques tentent de copier le produit de l'innovateur lorsque c'est possible et de lancer le produit à un prix moindre. Ils peuvent se le permettre parce qu'ils n'ont pas à supporter les frais de travaux poussés de recherche et développement. Outre la Loi sur l'accès à l'information, il était allégué que les renseignements fournis à Santé Canada étaient protégés par l'Accord de libre-échange nord-américain conclu le 17 décembre 1992. Merck Frosst a pris la position que la « confidentialité » est une pierre angulaire du régime de réglementation exposé dans le Règlement sur les aliments et drogues et dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), ainsi que dans l'Accord de l'ALÉNA. Elle fait valoir qu'il faut établir un équilibre entre la communication et la non-communication (Santé Canada souscrit à cette position, mais elle a une idée différente au sujet du point où se situe le juste équilibre). Elle considère que l'examen initial de Santé Canada a été très superficiel et que le ministère s'est déchargé de sa responsabilité sur Merck Frosst.


[38]            Merck Frosst ne s'est pas opposée à la communication de renseignements déjà dans le domaine public, comme la monographie de produit, ainsi que des études publiées. Sauf ces exceptions, elle s'est opposée à la communication des autres renseignements. De façon plus particulière, Merck Frosst a contesté la communication des documents qui avaient déjà été communiqués au motif que des renseignements comme les numéros de contrôle et de dossier fournissent une information de valeur et concurrentielle qui est utile pour le dépistage et permettent à l'auteur de la demande d'établir les diverses étapes de la procédure d'examen et la vitesse à laquelle l'examen a progressé. Ce type de renseignements peut servir à l' « étalonnage » et à l'évaluation de la performance et peut indiquer si une société est sur la bonne voie ou non.

[39]            Le sommaire général expose le développement du SINGULAIR® et la méthode qui a été employée. Les conclusions mettent en relief les résultats importants. La communication de ces renseignements, selon Merck Frosst, révélerait sa stratégie, son savoir-faire et son plan d'affaires. Il en va de même pour les rapports d'évaluation préclinique et clinique. On peut prévoir que la divulgation des renseignements d'ordre chimique et sur la fabrication cause des pertes financières importantes et nuit à sa compétitivité. Plus un concurrent obtient rapidement l'approbation d'un produit similaire ou générique, moins longtemps le SINGULAIR® bénéficiera de l'exclusivité sur le marché.

[40]            Sur une note philosophique, la lettre dit que la fourniture de renseignements à un concurrent réduit l'incitation à développer et à mettre en marché de nouveaux produits au Canada.


ANALYSE - Partie I

[41]       Il faut établir un distinction entre les renseignements que l'administration produit elle-même et les renseignements qu'elle reçoit de tiers. Je considère que tous les renseignements demandés, y compris les notes des examinateurs employés par Santé Canada ou engagés comme experts externes, constituent des renseignements de tiers. N'était de la présentation de drogue nouvelle de Merck Frosst, ces notes n'existeraient simplement pas.

[42]            J'estime que l'objectif principal de la Loi sur l'accès à l'information est celui qu'a défini le juge LaForest dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 61 :

La loi en matière d'accès à l'information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu'elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population...

[43]            Rappelons, même si elle a été formulée dans le contexte d'une ordonnance de confidentialité, l'observation du juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] 3 C.F. 360, à la page 367 :

Ne soyons pas naïfs. L'intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s'il existe, et personne ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d'ordonnances de non-divulgation comme celles qui sont en litige dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice...

[44]            En gardant à l'esprit cette observation, je passe maintenant, comme la Loi exige que je le fasse, aux 549 pages qui font l'objet du litige (Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 F.T.R. 194). D'ailleurs, l'article 2 de la Loi dispose que « les décisions quant à la communication [sont] susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif » .

L'avis de conformité

[45]       Chacun, qu'il soit concurrent ou non, a le droit de savoir si une drogue qui est sur le marché a été approuvée. L'avis de conformité n'est pas un document confidentiel. D'ailleurs, il n'y a pas eu d'opposition particulière à sa production. Je le considère comme un document autonome et j'estime que Santé Canada avait le droit de le communiquer à l'auteur de la demande, sans consulter Merck Frosst.

Le sommaire général

[46]       Santé Canada reconnaît que ce document comprend des renseignements qui sont protégés par les alinéas 20(1)a), b), c) et d) de la Loi. Toutefois, le motif principal de protection est l'alinéa b), « des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques ... qui sont de nature confidentielle » . Je renvoie encore une fois à l'opinion du juge Décary dans l'arrêt AB Hassle, précité, à la page 366 :

En premier lieu, qu'on examine la question du point de vue du fabricant du médicament de marque ou de celui du fabricant du médicament générique, la confidentialité perçue des renseignements constitue la pierre angulaire du régime de réglementation prévu par le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001 [mod. par DORS/95-172 , art. 4] ainsi que par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) :


La confidentialité perçue de l'information communiquée par un fabricant de médicaments au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social est la pierre angulaire du régime applicable au traitement des présentations de nouvelles drogues et à la délivrance d'avis de conformité. Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible. [Non souligné dans l'original.] [Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 48 C.P.R. (3d) 296 (C.F. 1re inst.), à la p. 305, le juge McGillis.]

[47]            À mon avis, le sommaire général comporte fondamentalement des renseignements confidentiels provenant de tiers. Les renseignements ne sont pas groupés en une section confidentielle et une section non confidentielle. Par conséquent, je suis d'avis que le « responsable de l'institution fédérale » en question, Santé Canada, était tenu au départ de refuser de communiquer une partie quelconque du dossier.

[48]            Selon la Loi, la présomption initiale veut que les renseignements dans les mains de l'administration soit communiqués. Toutefois, une fois qu'une exception obligatoire a été établie, des considérations différentes entrent en jeu. On peut se demander qui a la charge d'établir une exception à une exception (voir l'arrêt Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498 (CAF) aux pages 501 à 503). On se reportera également à la décision du juge suppléant Heald Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 268, aux paragraphes 19, 28, 61 et 69.


[49]            La charge de la preuve ne devrait avoir qu'une application très limitée dans des cas comme ceux-ci. Ou bien les renseignements sont confidentiels ou bien ils ne le sont pas. Ainsi que l'a fait observer le juge Forget dans la décision Aluminerie Alouette Inc. c. Commission d'accès à l'information du Québec, [1991] R.J.Q. 417 (C.S.) à la page 427 :

La Commission exerce une fonction délicate puisque la confidentialité ne vit qu'une fois. Si la confidence est révélée sans droit, le dommage ne peut être réparé. La Commission doit donc se révéler prudente lorsque des droits de tiers peuvent être affectés par ces décisions.

Personne ne l'a mieux dit que le juge Devlin (tel était alors son titre) dans la décision Waddle c. Wallsend Shipping Company Ltd., [1952] 1 Lloyd's Rep. 105 à la page 139 :

[traduction] Dans une affaire où l'essentiel des faits a été mis au jour, il est sans aucun doute légitime de plaider qu'il faut trouver une cause quelconque, et que donc la cause qui paraît la mieux établie devrait être choisie. Lorsqu'on peut dire à juste titre que toutes les causes possibles ont été examinées à fond, c'est la plus forte qui doit l'emporter. Mais dans un cas où il n'existe aucune preuve directe, il n'y a pas de raison de dire que la conjecture la plus plausible doit nécessairement être la bonne explication. Il se peut bien qu'on doive constater qu'on n'en connaît pas assez au sujet des circonstances du sinistre pour permettre à celui qui enquête de dire comment c'est arrivé. Tout ce qu'il peut dire c'est qu'aucune théorie proposée n'a pu trouver suffisamment d'appui dans les faits pour rendre plus probable que cela est arrivé de cette façon et non d'une autre...

Plus loin dans les présents motifs, je renvoie à l'arrêt N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corp. de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, 2004 CAF 210 et je conviens qu'il devrait être assez facile d'établir si les renseignements sont dans le domaine public ou non, et donc s'ils sont confidentiels.


NOTES DES EXAMINATEURS ET CORRESPONDANCE

[50]       Comme je l'ai déjà dit, ces documents, même s'ils peuvent être traités séparément, n'existeraient pas n'était de la présentation de drogue nouvelle. Selon l'article 27, le responsable d'une institution fédérale est tenu, dans le cas où un document est, selon lui, susceptible de contenir des renseignements de tiers, de donner un avis préalable au tiers intéressé. L'avis doit donner « la désignation du contenu total ou partiel du document qui, selon le cas, appartient au tiers, a été fourni par lui ou le concerne... » . Donc, l'article 20 de la Loi s'applique aux notes des examinateurs et à la correspondance, tout autant qu'au sommaire général.

ANALYSE - Partie II

[51]       La demande qui m'a été présentée n'est pas épuisée du fait que je conclus que les documents au cours de leur genèse ont été fournis par le tiers ou le concernent et qu'ils étaient de nature confidentielle. Deux questions restent à trancher : 1) les renseignements ont-ils perdu, pour tout ou partie, le caractère confidentiel qu'ils avaient à l'origine? 2) est-il possible de prélever les renseignements non confidentiels de manière raisonnable pour les communiquer à l'auteur de la demande?

La confidentialité


[52]       L'une des décisions de principe traitant de la confidentialité des documents en vertu de l'article 20 de la Loi est la décision Air Atonabee, précitée. Le juge MacKay a statué que la confidentialité des documents dépendait de leur contenu, de leur objet et des circonstances dans lesquelles ils ont été compilés ou communiqués. Bien que Santé Canada ait renvoyé aux quatre alinéas du paragraphe 20(1) pour justifier sa décision de supprimer certains renseignements visés par la demande, dans presque tous les cas, seuls les alinéas 20(1)b) et c) s'appliquaient. Selon l'alinéa b), s'il s'agit de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui sont de nature confidentielle au sens défini, les renseignements sont protégés. À la différence de l'alinéa c), il n'est pas nécessaire d'examiner si la communication pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou nuire à sa compétitivité. En me fondant sur l'arrêt AB Hassle, précité, je n'hésite pas à conclure que les renseignements étaient confidentiels au moment de leur présentation, ont toujours été traités comme tels par Merck Frosst et que Merck Frosst pouvait légitimement s'attendre à ce que les renseignements soient tenus confidentiels par Santé Canada.


[53]            Certains de ces renseignements semblent être actuellement dans le domaine public. Toutefois, pour faire appel au témoignage de M. Sarrazin, la question n'est pas vraiment de savoir s'il y a ou non des renseignements dans le domaine public au sujet du SINGULAIR®, mais bien si les renseignements tels qu'ils sont présentés par Merck Frosst sont dans le domaine public. Si ces renseignements dans la forme présentée « comme telle » [en français, dans l'original] ne sont pas dans le domaine public, la confidentialité n'a pas, à mon avis, été perdue. Que l'on pense à l'exception pour le secret professionnel de l'avocat. Certes, l'analogie n'est pas parfaite, puisque les documents protégés par le secret professionnel de l'avocat font l'objet d'une exception discrétionnaire prévue à l'article 23 de la Loi, tandis que les renseignements confidentiels provenant de tiers bénéficient d'une exception obligatoire. Un mémoire bien conçu sur une affaire dans laquelle se posent des questions complexes de fait et de droit renvoie nécessairement à la jurisprudence. Rien n'est plus public que les décisions de nos tribunaux. Imaginons que le responsable d'une institution fédérale a tout supprimé dans le mémoire, sauf les renvois à la jurisprudence. Le simple fait que certaines affaires sont invoquées permettrait à un adversaire de voir dans le jeu de la partie en cause. Par exemple, une affaire traitant de la règle de la meilleure preuve indiquerait que la partie peut avoir de la difficulté à prouver son point. Ajoutons à cela des affaires traitant du ouï-dire et l'adversaire bénéficierait d'un avantage énorme. Voici ce qu'en a dit le juge suppléant Heald dans la décision Conseil juif canadien, précitée, au paragraphe 63 :

Pour en venir au principe applicable au « dossier de l'avocat » , sa raison d'être tient évidemment à ce que, dans notre système judiciaire fondé sur le principe du débat contradictoire, l'avocat ne doit pas être gêné dans la préparation du dossier de son client par la possibilité que des documents qu'il rédige soient retirés de son dossier et déposés devant le tribunal à des fins autres que celles qu'il envisage. Les documents qui aideraient à mettre à jour la vérité s'ils étaient préparés de la façon prévue par l'avocat qui en a dirigé la préparation pourraient fort bien servir à fausser la vérité s'ils étaient soumis par une partie adverse qui ne comprend pas ce qui a donné lieu à leur rédaction. Si les avocats pouvaient fouiller dans les dossiers les uns des autres au moyen du processus de la communication préalable, la simple préparation des dossiers pour l'instruction se transformerait en une regrettable parodie de notre système actuel.

[Susan Hosiery Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1969] 2 R.C.É. 27]

Ces observations m'ont guidé dans l'examen des 549 pages.


[54]            On ne saurait exagérer l'importance de la confidentialité. Le concurrent de Merck Frosst est tout aussi capable que Santé Canada de chercher sur Internet des mentions du SINGULAIR®. Ce qu'il demande, c'est « l'accès aux documents de l'administration fédérale » (paragraphe 2(2)). À quoi servirait de lui fournir des renseignements qui sont à la disposition du public ailleurs?

[55]            Ce qui importe ici, c'est le contexte dans lequel les renseignements sont situés parmi les documents conservés par l'administration.

[56]            Il est bien établi que les documents produits au stade de l'enquête préalable sont assujettis à une règle de confidentialité, jusqu'à ce qu'ils soient déposés ou lus dans le dossier en séance publique. Dans l'arrêt Home Office c. Harmon, [1982] 1 All E.R. 532 (HL), lord Diplock a dit, à la page 534 :

[traduction] La présente affaire porte sur un aspect du droit de la communication des documents dans les actions civiles devant la Haute Cour. La pratique de forcer les parties en litige, dans le cours de la préparation de l'instruction d'une action civile, à se communiquer l'une à l'autre, pour les consulter et en prendre copie, tous les documents dont elles ont la possession ou le contrôle qui contiennent des renseignements qui peuvent, directement ou indirectement, permettre à l'autre partie de faire avancer sa cause ou de nuire à la cause de son adversaire ou qui peuvent probablement conduire à une chaîne d'enquêtepouvant aboutir à l'une ou l'autre de ces deux conséquences, est propre aux pays dont la procédure judiciaire remonte aux tribunaux anglais de common law et à la Cour de chancellerie (où la communication des pièces trouve son origine) ...

(non souligné dans l'original)


[57]            Dans l'arrêt N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corp. de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, précité, la Cour était saisie d'une requête pour outrage au tribunal intentée contre un avocat qui avait fourni à un journal des renseignements reçus au stade de l'interrogatoire préalable. On opposait comme moyen de défense que les renseignements étaient à la disposition du public par d'autres moyens au moment où ils ont été divulgués, de sorte que l'obligation implicite de confidentialité ne s'appliquait plus. On avait également plaidé que le document en question était central dans cette affaire et serait inévitablement lu lors de l'instruction. Malgré le fait que l'incident ayant donné lieu au litige avait eu une notoriété considérable (un pont levant avait été abaissé sur le navire de la demanderesse au moment où il passait dans le canal Welland), les documents réels en question, dans leur forme particulière, n'étaient pas publics. La Cour a retenu l'accusation d'outrage au tribunal.

[58]            Le juge Sexton, s'exprimant au nom de la Cour, a formulé les observations suivantes sur le fardeau de prouver que les renseignements étaient à la disposition du public par d'autres moyens (au paragraphe 12) :

Je constate également que l'argument invoqué par Me Marler imposerait un fardeau excessif à la partie qui tenterait d'établir qu'il y a eu violation de l'obligation implicite de confidentialité. La partie serait tenue de prouver un élément négatif, savoir que le document n'était pas accessible au public par quelque moyen que ce soit. Par conséquent, lorsque les éléments essentiels d'une accusation ont été établis, il incombe à la personne dont on allègue qu'elle a manqué à l'obligation implicite de confidentialité de présenter un moyen de défense, savoir que les renseignements étaient accessibles au public par d'autres moyens. À mon avis, ce fardeau n'est pas excessif. Après tout pour qu'une personne soit justifiée de divulguer à une tierce partie des renseignements qu'elle a obtenus pendant l'interrogatoire préalable, cette personne doit savoir que les renseignements sont accessibles au public par d'autres moyens. Il devrait être relativement facile pour cette personne de préciser la source dont le public pouvait obtenir les renseignements.

Il est évident que le sommaire général, en tant que tel, n'est pas à la disposition du public.


[59]            On a dit que la Loi sur l'accès à l'information favorise l'espionnage industriel. Et que dire de l'espionnage véritable? Que l'on pense à l'affaire Boyer c. Le Roi (1948), 94 C.C.C. 195; 7 C.R. 165; [1948] B.R. Que. 829 (C.A. Que.). Boyer a été jugé coupable de conspiration en vue de violer la Loi sur les secrets officiels de 1939 (maintenant appelée la Loi sur la protection de l'information, L.R.C. (1985), ch. O-5). Il avait été accusé de communiquer des renseignements propres ou destinés à aider, ou susceptibles d'aider, directement ou indirectement, une puissance étrangère (non souligné dans l'original). Boyer effectuait de la recherche en chimie inorganique relative à des projets de guerre et à la chimie des explosifs. Il travaillait sur un explosif appelé R.D.X., connu comme un explosif possible depuis 1899 et dont la préparation était restée un procédé de laboratoire. En 1930, un procédé de fabrication industrielle a été établi et publié. L'accusé a cherché et trouvé d'autres procédés plus commodes de fabrication industrielle, qui comprenaient la combinaison du R.D.X. avec d'autres substances bien connues à l'époque. Son argument selon lequel il n'ait pas commis de crime en raison de la publicité qui avait été faite au R.D.X. a été rejeté.

LES 549 PAGES

[60]       Bien que les documents, à l'exception de l'avis de conformité, contiennent tous des renseignements confidentiels provenant de tiers et soient donc, à première vue, protégés en vertu de l'article 20 de la Loi (Congrès juif canadien, précité, au paragraphe 69), nous devons maintenant examiner si les renseignements non confidentiels peuvent être prélevés, que ce soit de la manière dont Santé Canada pense pouvoir le faire ou, si je devais ne pas accepter l'argument principal de Merck Frosst selon lequel aucune partie de ces renseignements ne peut raisonnablement être supprimée, conformément aux exceptions plus larges qu'elle fait valoir comme position de repli. Toutefois, au bout du compte, il faut considérer l'examen que je dois faire comme un examen de novo (décision Air Atonabee, précitée).


[61]            L'article 25 dispose que les renseignements doivent être communiqués « à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problème sérieux » . C'est là une application de la philosophie globale de la Loi. Les exceptions au droit de communication doivent être « précises et limitées » aux termes de l'article 2. Ainsi que l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt Dagg, précité, au paragraphe 80 :

... Bien qu'il soit vrai que la Loi parle d'accès à un « document » , je ne crois pas que cela devrait s'entendre uniquement d'un document matériel en entier. Dans n'importe quelle définition pratique et contextuelle, « document » s'entendrait d'un renseignement donné qui relève d'une institution fédérale, peu importe qu'il figure dans un « document » plus gros. Si la nature matérielle du document est telle que des renseignements non personnels y côtoient des renseignements personnels, il devrait être généralement possible de n'en divulguer que les éléments non personnels. Comme le montrent les actes du Ministre, il était possible, en l'espèce, de simplement supprimer des feuilles de présences les numéros d'identification et les signatures. En fait, l'art. 25 de la Loi sur l'accès à l'information oblige le Ministre à communiquer toute partie d'un document, qui ne renferme pas des renseignements qu'il peut refuser de communiquer, dans la mesure où il est raisonnablement possible de la séparer de toute autre partie qui renferme de tels renseignements.

[62]            J'arrive à la conclusion que le sommaire général, les notes de l'examinateur et la correspondance sont protégés dans leur totalité. Je m'appuie encore ici sur la décision Congrès juif canadien, précitée. Le juge suppléant Heald y dit au paragraphe 61 :

... Dans le jugement Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Solliciteur général), le juge en chef adjoint Jerome a souligné l'importance de la condition suivant laquelle les renseignements ne peuvent être communiqués que si leur prélèvement ne pose pas de problèmes sérieux. Voici en quels termes il s'est exprimé :

En effet, le Parlement semble avoir eu l'intention de ne procéder au prélèvement d'extraits protégés et non protégés que si le résultat s'avère raisonnablement conforme aux objets de ces lois.

...

Des bribes de renseignements pouvant être divulgués, extraites de passages par ailleurs protégés ne peuvent être prélevées sans poser de problèmes sérieux.


[Souligné dans l'original du juge suppléant Heald]                       

[63]            Bien que le sommaire général soit présenté dans une forme qui a été établie par Santé Canada et que l'index soit dans un format imposé, Merck Frosst a ajouté quelques sous-titres qui permettraient à un concurrent de se faire une meilleure idée des études qui ont été effectuées. Le rapport comprend des tableaux provenant de diverses études. Santé Canada a retranché des parties de chaque page de ces études en vertu des alinéas 20(1)b) et c). Dans quelques cas, tout ce qui reste est le numéro du tableau. Même la nature de l'étude a été enlevée. Toutefois, il n'y a pas de règle uniforme. De grandes parties des notes de l'examinateur sur une étude retranchée restent intactes. Si l'étude a été supprimée, les notes de l'examinateur doivent l'être aussi. Il y eu diverses études sur l'homme et sur les animaux. Parfois, le nom de l'animal est masqué. Pourquoi? Cela mettrait-il la puce à l'oreille d'un concurrent? Pour paraphraser lord Diplock, « la suppression pourrait-elle probablement conduire à une chaîne d'enquête » ? Dans une étude, les groupes d'âge sont donnés, mais le chiffre supérieur des groupes a été supprimé de certains tableaux.

[64]            On se retrouve avec des bouts de phrases qui sont incompréhensibles à mes yeux. S'ils sont compréhensibles pour l'auteur de la demande, c'est parce qu'il est capable de relier les points et de comprendre non seulement à partir ce qui a été communiqué, mais aussi de ce qui a été supprimé.

[65]            Cet examen fait penser à ce que dit Lord Denning dans l'affaire The Putpus, [1969] 2 All E.R. 676 à la page 678 :

[traduction] Je ne vais pas lire l'article. Ce n'est pas un texte en anglais. C'est seulement une suite de symboles-mots...

[66]            Après avoir lu le document, la question reste : à quoi cela sert-il?

CONCLUSION

[67]       L'examen des documents que Santé Canada n'a pas communiqués à l'auteur de la demande est traité aux articles 28 et 44 de la Loi. Selon le défendeur, l'article 44 entre en jeu après l'avis donné par le responsable d'une institution fédérale invitant un tiers à présenter les raisons justifiant le refus de communication, totale ou partielle, du document. Qu'en est-il de 14 des 15 pages communiquées sans avis, malgré le fait qu'à mon avis, un avis aurait dû être donné? Santé Canada a soulevé deux objections à la demande en révision de cette décision présentée à la Cour par Merck Frosst.


[68]            La première objection était de nature procédurale. Les Règles disposent que, sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée (article 302). Au cours de l'audience, j'ai ordonné que, dans la mesure où la communication de Santé Canada à Merck Frosst du 11 septembre 2000 portant que 15 pages avaient été communiquées constituait une décision distincte, la demande de Merck Frosst l'embrasserait également. Dans la mesure où la demande pourrait être tardive, une prorogation de délai a été accordée en vertu de l'article 8 des Règles.

[69]            La question la plus importante porte sur le fait que Santé Canada n'a pas vraiment donné un avis de sa décision de communiquer une partie des documents. Il a plutôt informé Merck Frosst par courtoisie, puisqu'il prenait la position, à tort, qu'il pouvait communiquer 15 pages du document pour la raison qu'elles ne contenaient pas de renseignements confidentiels. Se pourrait-il que le responsable d'une institution fédérale puisse prendre une décision qui ne soit pas susceptible de recours indépendants du pouvoir exécutif (article 2) simplement en ne donnant pas au tiers l'avis prévu par la Loi? J'insiste sur le fait que la bonne foi de Santé Canada n'est pas en cause, de sorte que l'article 74 de la Loi est sans application. Cet article est ainsi conçu :

Nonobstant toute autre loi fédérale, le responsable d'une institution fédérale et les personnes qui agissent en son nom ou sous son autorité bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale, et la Couronne ainsi que les institutions fédérales bénéficient de l'immunité devant toute juridiction, pour la communication totale ou partielle d'un document faite de bonne foi dans le cadre de la présente loi ainsi que pour les conséquences qui en découlent; ils bénéficient également de l'immunité dans les cas où, ayant fait preuve de la diligence nécessaire, ils n'ont pu donner les avis prévus par la présente loi.

Notwithstanding any other Act of Parliament, no civil or criminal proceedings lie against the head of any government institution, or against any person acting on behalf or under the direction of the head of a government institution, and no proceedings lie against the Crown or any government institution, for the disclosure in good faith of any record or any part of a record pursuant to this Act, for any consequences that flow from that disclosure, or for the failure to give any notice required under this Act if reasonable care is taken to give the required notice.


[70]            Il faut se rappeler que la procédure est la servante du droit. L'article 44 ne peut être neutralisé parce qu'un avis qui n'a pas été donné aurait dû l'être. D'ailleurs, la jurisprudence veut que les tiers puissent exercer un recours en révision en vertu de l'article 44 même si leur plainte se fonde sur un article de la Loi autre que l'article 20 (Siemens Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2002 CAF 414, 21 C.P.R. 4th (575); H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 171).

[71]            Bien que la question soit théorique dans la mesure où le préjudice a été effectivement causé, je déclare, étant donné que le prélèvement de renseignements dans des synthèses globales et des documents connexes se présentera inévitablement à nouveau, que ce qui a été fait n'aurait pas dû être fait.

[72]            Bien que les renseignements confidentiels provenant de tiers ne soient pas des renseignements personnels au sens de la Loi, ces renseignements sont des renseignements personnels dans un sens plus large. Les parties ont beaucoup parlé de l'équilibre à établir entre le besoin de communication et le droit à la protection des renseignements personnels. Toutefois, l'équilibre a été établi par le législateur lui-même. Pour reprendre encore une fois les observations du juge La Forest dans l'arrêt Dagg, précité :

Il est question, en l'espèce, d'un conflit entre deux principes opposés consacrés par la loi -- l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Pour des raisons manifestes, l'appelant et l'intimé ont des opinions divergentes sur la question de savoir lequel de ces principes devrait l'emporter dans la présente affaire. On ne devrait pas non plus s'étonner que les parties aient des perceptions sensiblement différentes des lois qui renferment ces principes. Reconnaissant la nature contradictoire de la communication par l'État et du droit de l'individu à la vie privée, le législateur s'est efforcé de remédier à ce problème en fondant en un code homogène la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. J'estime qu'il y est parvenu de façon élégante. Bien que les deux lois n'éliminent pas la contradiction entre les deux droits opposés -- aucune loi ne pourrait y parvenir -- elles établissent un moyen cohérent et rationnel de déterminer laquelle des deux valeurs devrait l'emporter dans un cas donné.

[73]            La « protection des renseignements personnels » fait l'objet d'une autre loi, qui établit des exceptions à la règle de la non-communication. L'article 20 comporte ses propres exceptions, intégrées dans la disposition. Pour cette raison, il n'a pas été nécessaire d'examiner les observations relatives à l'ALÉNA.

[74]            Tous ces débats au sujet de l'équilibre à établir font penser au cours de philosophie 101 et à la définition aristotélicienne de la vertu comme juste milieu. Peut-être faudrait-il penser davantage à Thomas Hobbes qui a dit que la vie était « dégoûtante, animale et brève » . La vie n'est pas si dégoûtante, animale et brève pour d'innombrables Canadiens et pour les êtres humains dans le monde entier grâce aux médicaments-miracles modernes.

[75]            En guise de conclusion :           

Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible.

(AB Hassle, précité)

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il est déclaré que, sauf à l'égard de l'avis de conformité, la décision du ministre de la Santé de fournir à l'auteur de la demande une partie quelconque des documents était invalide.


Le ministre ne doit communiquer aucune partie des documents demandés parce que ces documents tout entiers sont protégés par le paragraphe 20(1) de la Loi sur l'accès à l'information.

La demanderesse aura droit aux dépens.

                  « Sean Harrington »                     

    Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-90-01

INTITULÉ :                                                    MERCK FROSST CANADA & Co.

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Les 17, 18, 19 et 20 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :             LE 6 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Karl Delwaide

Karine Joizil                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Sébastien Gagné                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin                                         

Montréal (Québec)                                            POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                   

Montréal (Québec)                                           POUR LE DÉFENDEUR


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