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Date : 20010525

Dossier : T-2004-99

Référence neutre: 2001 CFPI 531

ENTRE:

                                                          YVON GIROUX

                                                                                                    Demandeur-requérant

                                                                    - et -

                                        SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

                                                                                                      Défenderesse-intimée

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une requête du demandeur visant l'annulation de l'ordonnance rendue le 4 décembre 2000 par le protonotaire Morneau rejetant l'action simplifiée intentée par le demandeur ("requérant").


FAITS

[2]                Le 17 novembre 1999, le requérant a intenté une action simplifiée contre l'intimée aux motifs que les membres de jurys de sélection, en deux occasions distinctes, auraient intentionnellement, soit abusé de leur pouvoir, soit prononcé des propos diffamatoires à l'égard du requérant. Le requérant réclamait pour ces délits, 50 000 $ en dommages intérêts et exemplaires.

[3]                Le requérant est employé à l'Agence des Douanes et du Revenu du Canada. Le requérant a échoué un concours de sélection en 1995 en vue de combler des postes de gestionnaires de dossiers importants de groupe et niveau AU-04.

[4]                Ce concours a cependant été annulé par décision d'un comité d'appel en date du 6 janvier 1997, suite à l'appel d'un collègue du requérant, M. Raymond Lamarche, candidat également non reçu pour les mêmes motifs que le requérant, soit que le requérant et M. Lamarche, contrairement à la vaste majorité des 80 candidats ayant participé au concours, n'avaient pas détaillé leur expérience pertinente.


[5]                Le comité d'appel qui a accueilli l'appel de M. Lamarche, a jugé que le jury de sélection avait erré à l'égard de M. Lamarche en exigeant un nombre fixe d'années pour satisfaire au facteur expérience et que la complexité de l'expérience n'avait pas été évaluée correctement, ayant été jugée en fonction de l'énumération d'une liste de tâches ou d'articles de loi, alors que l'avis de concours ne demandait pas un tel degré de précision.

[6]                À la suite de cette décision, des mesures correctrices furent émises par Madame Courchesne-Renaud, une dirigeante régionale de la Commission de la fonction publique ("Commission"), en vue de la reprise de l'évaluation de tous les candidats.

[7]                Ces mesures se résument ainsi: 1) ne pas considérer comme nécessaire un nombre de deux années d'expérience; 2) ne pas évaluer l'expérience en se basant sur une description détaillée de l'expérience, ce qui avait été jugé contraire aux exigences de l'énoncé de qualités; 3) réduire les disparités entre les diverses sources d'information au sujet des candidats; et 4) ne pas changer, en cours de route, les règles établies pour l'évaluation des candidats. L'expérience des candidats devait également être évaluée en actualisant l'information à la date même de la nouvelle évaluation qui devait alors être effectuée.


[8]                Le requérant reproche à un membre du jury de sélection, M. Pierre Nadeau, d'avoir abusé de son pouvoir en ne procédant pas, de façon intentionnelle et par mauvaise foi, à la réévaluation ordonnée par les mesures correctrices. Le requérant reproche également à Mme Courchesne-Renaud d'avoir été négligente en n'assurant pas un suivi approprié à l'égard des mesures qu'elle avait émises et confiées à Revenu Canada.

[9]                Quant aux reproches qu'il formule à l'égard de la conduite du jury de sélection, le requérant s'appuie sur certains motifs formulés par le président du comité d'appel ayant émis la décision du 6 janvier 1997, qui par suite de nouveaux appels du requérant et de M. Lamarche, a accueilli les appels le 28 mai 1997 et, vu l'écoulement du temps depuis le début du processus de sélection, a annulé de façon complète le processus de sélection.

[10]            Relativement au premier jeu de délits que le requérant reproche à l'intimée, le requérant s'en reporte de façon spécifique aux passages suivants de la décision du 28 mai 1997 du comité d'appel:

L'on ne peut plus soutenir maintenant que le premier comité d'appel s'est trompé et passer outre à la décision qui lie les parties en pareille matière ... Il est donc foncièrement injustifiable de la part de ce jury de sélection d'avoir accordé la même note à l'appelant Lamarche en matière de complexité d'expérience car cela fait fi carrément de la décision rendue.


De plus, j'estime, après avoir entendu les déclarations des membres du jury, que ceux-ci ne possédaient pas une connaissance suffisante de l'expérience récente des candidats... Ce n'est pas ce qui était requis du jury d'après les mesures correctrices demandées par la CFP et la mesure prise l'a été d'une manière évidente pour contourner la décision rendue ... Le changement apporté n'est pas celui auquel on aurait dû s'attendre suite à la première décision d'appel et le jury s'est contenté d'un changement de forme et non d'un changement de fond comme cela était pourtant manifestement nécessaire ici.

[11]            Suite à l'annulation du premier processus de sélection en raison de la décision de mai 1997, Revenu Canada a entrepris, en janvier 1998, un deuxième processus de sélection afin de combler à toutes fins pratiques les mêmes postes.

[12]            Le requérant a posé sa candidature et a subi deux épreuves, soit un examen écrit qu'il a réussi et une entrevue qu'il a échouée. Cet échec a eu pour effet de le disqualifier du concours.

[13]            Le requérant a alors interjeté appel des nominations proposées par le comité de sélection.

[14]            À l'audition de l'appel du requérant devant le comité d'appel, les représentants du ministère auraient fait plusieurs affirmations fausses ou fallacieuses dans les deux réponses fournies au comité d'appel.


[15]            Le requérant allègue que dans le cadre de ces deux réponses fournies au comité d'appel, les membres du jury auraient fait, sciemment et avec l'intention de nuire au requérant devant le comité d'appel, une série d'affirmations fausses et fallacieuses et tenu des propos diffamatoires.

[16]            En résumé donc, deux séries de délits auraient été commises. Une première série de délits serait survenue dans le cadre du premier processus de sélection relativement à l'exécution par le jury de sélection des mesures correctrices décrétées par la Commission. L'autre série serait survenue dans le cadre des représentations soumises par le jury de sélection lors du deuxième processus de sélection.

[17]            Les deux processus de sélection visaient à combler le même type de poste. Les membres des jurys de sélection n'étaient cependant pas les mêmes pour les deux processus et aucun des fonctionnaires impliqués dans les jurys de sélection ou auprès de la Commission ne connaissait personnellement le requérant.

QUESTIONS EN LITIGE

[18]            1.        Le protonotaire a-t-il erré dans son appréciation de la preuve relative à la négligence de l'intimée?

2.        Le protonotaire a-t-il erré en concluant que les fausses déclarations imputées au jury de sélection étaient des faux témoignages au sens de l'alinéa 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale?


3.        Le protonotaire a-t-il erré en décidant qu'une partie de l'action du requérant n'était pas recevable?

ANALYSE

Critère de contrôle en appel d'une décision d'un protonotaire

[19]            Les pouvoirs d'un protonotaire sont indiqués ainsi à la règle 50 des Règles de la Cour fédérale, 1998:



50. (1) Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles -- à l'exception des requêtes suivantes -- et rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant :

a) une requête pour laquelle un juge a compétence expresse en vertu des présentes règles ou d'une loi fédérale;

b) une requête devant la Cour d'appel;

c) une requête pour obtenir un jugement sommaire dans une instance autre que celle visée au paragraphe (2);

d) une requête pour obtenir une condamnation pour outrage au tribunal à la suite d'une citation pour comparaître ordonnée en vertu de l'alinéa 467(1)a);

e) une requête pour obtenir une injonction;

f) une requête concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne;

g) une requête pour annuler ou modifier l'ordonnance d'un juge ou pour y surseoir, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c);

h) une requête pour surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'un juge;

i) une requête visant la nomination d'un séquestre judiciaire;

j) une requête pour obtenir des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 de la Loi;

k) une requête pour en appeler des conclusions du rapport d'un arbitre visée à la règle 163.

(2) Le protonotaire peut entendre toute action visant exclusivement une réparation pécuniaire ou toute action réelle visant en outre une réparation pécuniaire dans lesquelles chaque réclamation s'élève à au plus 50 000 $, à l'exclusion des intérêts et des dépens.

50. (1) A prothonotary may hear, and make any necessary orders relating to, any motion under these Rules other than a motion

(a) in respect of which these Rules or an Act of Parliament has expressly conferred jurisdiction on a judge;

(b) in the Court of Appeal;

(c) for summary judgment in a proceeding other than an action referred to in subsection (2);

(d) to hold a person in contempt at a hearing referred to in paragraph 467(1)(a);

(e) for an injunction;

(f) relating to the liberty of a person;

(g) to stay, set aside or vary an order of a judge, other than an order made under paragraph 385(a), (b) or (c);

(h) to stay execution of an order of a judge;

(i) to appoint a receiver;

(j) for an interim order under section 18.2 of the Act; or

(k) to appeal the findings of a referee under rule 163.

Actions not over $50,000

50(2)

(2) A prothonotary may hear an action exclusively for monetary relief, or an action in rem claiming monetary relief, in which no amount claimed by a party exceeds $50,000 exclusive of interest and costs.


[20]            L'appel de la décision d'un protonotaire est prévu à la règle 51:


51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.


[21]            Le requérant soutient que la décision rendue par le protonotaire relativement au premier processus de sélection n'était pas discrétionnaire au sens de la décision rendue dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 424 (C.A.). Cependant, le requérant souligne qu'une mauvaise appréciation de la preuve ou autre erreur de droit nécessitent l'intervention du juge siégeant en appel.

[22]            Le requérant prétend toutefois que lorsque le protonotaire a jugé que la partie de l'action en rapport avec les fausses déclarations imputées au jury de sélection n'était pas recevable, le protonotaire a rendu une décision discrétionnaire. Il s'agit, selon le requérant, d'une décision par laquelle le protonotaire Morneau a accueilli une requête en radiation partielle faite par l'intimée à l'instruction.


[23]            L'intimée soutient pour sa part que les principes qui s'appliquent aux appels entendus par la Cour d'appel fédérale s'appliquent également lorsque la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada entend un appel d'une décision d'un protonotaire rejetant une action simplifiée. Ainsi, en ce qui a trait à l'appréciation de la preuve faite lors du procès, l'intimée soutient que le juge d'appel doit faire preuve d'une très grande retenue.

[24]            La question de la déférence accordée lors d'un appel d'une décision d'un protonotaire rejetant une action simplifiée n'a pas encore été tranchée par cette Cour.

[25]            Cependant, la question de la déférence accordée lors d'un appel d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire a été établie. En effet, dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 424 (C.A.), la majorité de la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge MacGuigan, a indiqué ce qui suit au sujet de la norme de révision d'une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire:

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:


a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Dans Canada c. "Jala Godavari" (Le) (1991), 40 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.), notre Cour, dans une observation incidente, a énoncé la règle contraire, en mettant l'accent sur la nécessité pour le juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire par instruction de novo, par contraste avec la vue qui avait cours à l'époque à la Section de première instance, savoir qu'il ne fallait pas toucher à la décision discrétionnaire du protonotaire sauf le cas d'erreur de droit. Il ne faut pas, à mon avis, interpréter l'arrêt Jala Godavari comme signifiant que la décision discrétionnaire du protonotaire ne doit jamais être respectée, mais qu'elle est subordonnée à l'appréciation discrétionnaire d'un juge si la question visée a une influence déterminante sur l'issue de la cause principale. (L'erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d'intervention du juge, et ne prête pas à controverse).

[26]            Dans l'arrêt Canada c. Jala Godavari (Le), (1991), 40 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F), la Cour d'appel fédérale avait indiqué:

À ce sujet, nous ajouterions que, contrairement à ce que la Section de première instance a exprimé à quelques reprises [voir notamment : Hirsh Co. v. Spackemaker Ltd. et al. [1988] 14 F.T.R. 301, le juge McNair; 746278 Ontario Ltd. v. Courtot et al (No. 5), [1989] 25 F.T.R. 281, le juge Strayer; McAllister Towing & Salvage Inc. c. Noca Marine Ltd. et autres (4 avril 1991), no du greffe T-2014-86 (1re inst.), le juge Martin, [non publié], le juge saisi d'un appel d'une décision du protonotaire sur une question mettant en cause l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire et n'est pas lié par l'opinion du protonotaire. Il peut, évidemment, choisir d'accorder une importance considérable à l'opinion exprimée par ce dernier, mais les parties ont droit, en dernière analyse, à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge et non d'un fonctionnaire judiciaire subalterne. La situation est de toute évidence différente lorsque l'arbitre (qui peut être un protonotaire), a entendu les témoins et tiré des conclusions de fait fondées sur son évaluation de leur crédibilité [Voir Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd. [1988] 2 C.F. 305.].


[27]            Dans l'affaire Scott Steel Ltd. c. Alarissa (Le), [1997] A.C.F. no 139 (C.F. 1ère Inst.), le juge Richard, maintenant juge en chef, a été saisi d'un appel contre l'ordonnance du protonotaire Hargrave établissant la collocation à l'égard du produit de la vente d'un bateau. Le juge Richard a indiqué ce qui suit relativement aux normes d'un contrôle par voie d'appel:

La Cour suprême a établi que, en ce qui concerne la détermination des faits, le contrôle par voie d'appel devrait se limiter aux cas où il est démontré qu'une erreur manifeste ou dominante a été commise. L'erreur de droit justifie toujours l'intervention d'un juge.

Depuis l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, il est établi qu'un juge, statuant sur un appel formé contre l'ordonnance d'un protonotaire, doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début lorsqu'une ordonnance discrétionnaire du protonotaire porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Cela ne veut pas dire que l'on ne doit jamais déférer au pouvoir discrétionnaire du protonotaire, mais plutôt que le pouvoir discrétionnaire d'un juge l'emporte sur le sien lorsque la question soulevée à une influence déterminante sur l'issue du principal. Dans un tel cas, les parties ont droit au pouvoir discrétionnaire d'un juge plutôt qu'à celui d'un protonotaire.

En conséquence, lorsqu'un juge examine en appel l'ordonnance du protonotaire, il doit se demander s'il s'agit d'une ordonnance discrétionnaire et, dans l'affirmative, si la question posée a une influence déterminante sur l'issue du principal. On veut dire par là "influence déterminante sur le résultat de l'affaire". Lorsqu'on se demande si l'ordonnance contre laquelle un appel est formé se rapporte à l'issue du principal, le point à décider doit être examiné avant que la question ne soit résolue par le protonotaire, c'est-à-dire avant que le résultat ne soit connu.

Lorsqu'une ordonnance discrétionnaire du protonotaire ne soulève pas une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, mais qu'elle est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a commis une erreur de droit, notion qui englobe un pouvoir discrétionnaire exercé en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, alors le juge doit également exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Même si cette affaire [Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. [1995] 1 C.F. 483 (C.A.)] concernait un protonotaire agissant comme arbitre aux termes de la règle 506, j'arrive à la conclusion que la portée de l'examen telle que l'a définie le juge Létourneau est applicable à l'appel formé contre une ordonnance d'un protonotaire devant la Cour fédérale.


Il ressort des décisions de mon collègue le juge Hugessen dans l'espèce Canada c. le "Jala Godavari" et l'espèce Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd. qu'un juge qui examine des conclusions factuelles fondées sur une évaluation de la crédibilité et tirées par un arbitre qui a entendu des témoins doit s'abstenir d'infirmer ces conclusions et de substituer ses vues à celles de l'arbitre. Je crois que, saisi d'un appel formé contre la décision d'un arbitre aux termes de la règle 506, le juge appelé à exercer un contrôle ne doit pas intervenir dans des conclusions de droit et des conclusions de fait sauf si les conclusions de droit de l'arbitre sont entachées d'une erreur de droit et sauf si ses conclusions de fait sont erronées parce qu'elles sont tirées de façon abusive ou arbitraire ou qu'elles sont le résultat d'une erreur fatale et dominante. En d'autres termes, un juge qui examine les conclusions d'un arbitre agissant selon la règle 506 est, pour les questions de droit et les questions de fait, dans une position très semblable à celle qu'occuperait la Cour d'appel fédérale dans un appel formé contre une décision de la Section de première instance.

Un juge jouit d'une plus grande latitude lorsqu'il s'agit d'examiner la manière dont un protonotaire a exercé un pouvoir discrétionnaire. Dans un tel cas, selon le précédent Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., l'exercice d'un tel pouvoir ne doit pas être modifié à moins qu'il ne soit entaché d'une erreur flagrante, c'est-à-dire fondé sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits, ou à moins qu'il ne soulève des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Lorsque l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire donne lieu à révision, un juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Cette conclusion a été tirée dans le contexte où le protonotaire statue sur des requêtes, mais je crois que le principe est applicable également lorsqu'il siège comme arbitre conformément à la règle 500. Dans l'affaire "Jala Godavari", supra, mon collègue le juge Hugessen, énonçant le droit applicable à l'examen de conclusions de fait tirées par un arbitre, reconnaît que l'arbitre pourrait être un protonotaire. En conséquence, le champ du contrôle du pouvoir discrétionnaire d'un protonotaire doit être le même, qu'il siège en qualité de protonotaire ou en qualité d'arbitre (des considérations différentes pourraient s'appliquer lorsque l'arbitre est un juge) [Voir Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. [1995] 1 C.F. 483 (C.A.), aux pp 492-493].

Le protonotaire a examiné de nombreux documents établis sous serment ainsi que les contre-interrogatoires s'y rapportant. Dans l'affaire Geffen, Mme le juge Wilson affirme que, même dans les cas où une conclusion de fait n'est pas inextricablement liée à la crédibilité du témoin qui dépose, ni fondée sur une mauvaise appréciation de la preuve, la règle demeure la même : le contrôle par voie d'appel doit se limiter au cas où une erreur manifeste a été commise.


[Notes omises]

[28]            Ainsi, une certaine déférence est accordée au protonotaire lors d'appel d'une décision discrétionnaire. Un juge en appel n'interviendra que si la décision est entachée d'erreur flagrante, c'est-à-dire que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits ou lorsque l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Cependant, lorsque le juge d'appel conclut qu'il y a eu erreur flagrante ou lorsque l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge d'appel exercera sa discrétion de novo.

[29]            En l'espèce, le protonotaire Morneau devait décider de la question à savoir si l'intimée était responsable d'avoir abusé de son pouvoir ou prononcé des propos diffamatoires envers le requérant. Le protonotaire Morneau devait donc examiner si les éléments constitutifs de responsabilité, soit une faute, un dommage et un lien de causalité entre le deux étaient établis par le requérant.


[30]            Ainsi, la question que le protonotaire Morneau devait trancher ne faisait pas appel à des conclusions discrétionnaires mais elle avait évidement une influence déterminante sur l'issue du principal.

[31]            Dans l'affaire Scott Steel Ltd, supra, le juge Richard a examiné les critères applicables lorsque une décision du protonotaire n'exigeait pas l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire mais avait une influence déterminante sur l'issue du principal:

L'avocat de Scott Steel a fait valoir que les critères habituels d'appel devraient s'appliquer. Il n'a pas prétendu que l'ordonnance du protonotaire ne soulevait pas des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, mais il a prétendu qu'en l'espèce cette ordonnance n'était pas discrétionnaire.

Durant l'audience tenue devant moi, l'avocat des Treasury Branches a reconnu avec l'avocat de Scott Steel que, si l'ordonnance n'était pas discrétionnaire, le juge appelé à exercer un contrôle ne devrait pas intervenir à moins que le protonotaire n'ait commis une erreur de droit ou n'ait tiré des conclusions de fait erronées en ce sens qu'elles sont le résultat d'une erreur dominante et manifeste. Cependant, l'avocat des Treasury Branches s'est fondé sur le deuxième volet du critère Aqua-Gem, c'est-à-dire que, lorsque l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, un juge doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. Selon l'avocat, cela signifie un procès de novo, et il a contesté de nombreuses conclusions tirées par le protonotaire, tant sur les aspects de la preuve que sur les questions de droit.

Une distinction s'impose entre la conclusion du protonotaire se rapportant à l'ordre habituel des priorités, conclusion qui à mon avis ne suppose absolument pas l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, et la conclusion du protonotaire se rapportant à la modification de l'ordre habituel des priorités, qui, elle, fait intervenir des principes d'equity. En ce qui concerne la deuxième conclusion, il ressort nettement de la décision du juge Hugessen dans l'affaire Jala Godavari, et de la décision du juge MacGuigan dans l'affaire Aqua-Gem, que la procédure est un contrôle par voie d'appel et que c'est le pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de novo dans le cas qui le justifie. Autrement, l'audience tenue devant le protonotaire ne serait rien de plus qu'un relais coûteux sur le chemin des procédures conduisant à un juge des requêtes.


Je suis arrivé à la conclusion que la décision du protonotaire se rapportant à la modification de l'ordre habituel des priorités est une décision discrétionnaire parce qu'elle suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire fondé sur des principes d'equity visant à empêcher une injustice flagrante. Je suis aussi arrivé à la conclusion que la question a une influence déterminante sur l'issue du principal parce qu'elle établit définitivement le rang des réclamations, même si le quantum des réclamations reste à établir.

Cependant, je suis d'avis que la conclusion du protonotaire se rapportant à l'existence d'un droit valide de rétention, droit qui n'avait pas été abandonné ou que Scott Steel n'était pas empêchée de revendiquer, n'est pas discrétionnaire. En ce qui concerne cette partie de la décision du protonotaire, les critères habituels d'appel s'appliquent, tels qu'ils sont énoncés par M. le juge Létourneau dans l'affaire Baker Energy. Le juge appelé à exercer un contrôle ne devrait pas intervenir dans des conclusions de droit et de fait à moins que, en ce qui concerne les premières, le protonotaire n'ait commis une erreur de droit ou à moins que les secondes ne soient tirées de façon abusive ou arbitraire ou ne soient le résultat d'une erreur dominante et fatale.

[Notes omises]

[32]            Je suis d'accord avec la conclusion du juge Richard à l'effet que les critères habituels d'appel s'appliquent aux conclusions non discrétionnaires d'un protonotaire.

[33]            En effet, appliquer des critères différents des critères habituels d'appel aurait comme conséquence de ralentir le processus judiciaire et d'augmenter les coûts rattachés à une telle action. De plus, il a été maintes fois reconnu que le juge qui entend les témoins est dans une situation plus avantageuse que le juge qui entend l'appel.


[34]            Dans l'affaire Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, la Cour suprême du Canada a expliqué ainsi les principes qui sous-tendent la retenue dont les cours d'appel font preuve à l'égard des conclusions de fait d'un juge en première instance:

Il est établi depuis longtemps que les cours d'appel doivent faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait d'un juge de première instance. La règle se justifie principalement par la situation avantageuse dont bénéficie le juge des faits pour ce qui est d'évaluer la crédibilité des témoignages entendus au procès. Lord Shaw explique ainsi les principes qui sous-tendent la règle, dans Clarke c. Edinburgh and District Tramways Co., [1919] S.C. (H.L.) 35, aux pp. 36 et 37:

[Traduction] Lorsqu'un juge entend et voit les témoins et qu'il tire une conclusion ou fait une déduction basée sur la force probante qu'il attribue à ces témoignages, ce jugement doit être traité avec le plus grand respect, même si le juge n'a fait aucune observation à l'égard de la crédibilité. Naturellement, je comprends très bien une cour d'appel qui décide de ne pas intervenir dans le cas où le juge dit dans ses motifs qu'il croit certains témoins plutôt que d'autres, après les avoir vus et entendus. Mais ce n'est pas ce qui se produit ordinairement. Ordinairement, devant une cour de justice, les choses sont partagées beaucoup plus également; des témoins sans parti pris conscient peuvent, par leur attitude, leur tenue, leur hésitation, la nuance de leurs expressions, voire par leurs cillements, avoir fait sur celui qui les a vus et entendus une impression ne pouvant être rendue sur papier.

Voir aussi, notamment, Dorval c. Bouvier, [1968] R.C.S. 288, à la p. 293; Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, aux pp. 8 et 9; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, à la p. 794; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351, à la p. 358, et mes observations dans Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la p. 426. D'autres préoccupations liées à la politique judiciaire ont par ailleurs été invoquées pour justifier la règle. Une intervention illimitée des cours d'appel ferait augmenter considérablement le nombre et la durée des appels en général. D'importantes ressources sont mises à la disposition des tribunaux de première instance pour qu'ils puissent évaluer les faits. Il faut préserver l'autonomie et l'intégrité du procès en faisant preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait des tribunaux de première instance; voir R. D. Gibbens, "Appellate Review of Findings of Fact" (1992), 13 Adv. Q. 445, aux pp. 445 à 448; Fletcher c. Société d'assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191, à la p. 204. Cela explique pourquoi la règle s'applique non seulement lorsque la crédibilité des témoins est en cause, quoiqu'elle puisse alors s'appliquer plus strictement, mais également à toutes les conclusions de fait tirées par le juge de première instance; voir Hodgkinson, à la p. 425.


Les tribunaux ont donc adopté une règle générale applicable aux cas où une cour d'appel est fondée à modifier les conclusions de fait d'un juge de première instance et d'y substituer sa propre appréciation de la preuve offerte au procès. C'est au juge Ritchie, dans l'arrêt Le navire "Kathy K", précité, que l'on doit la formulation généralement acceptée de la norme applicable à cet égard. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, il écrit ceci, à la p. 808:

On ne doit pas considérer que ces arrêts signifient que les conclusions sur les faits tirées en première instance sont intangibles, mais plutôt qu'elles ne doivent pas être modifiées à moins qu'il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Bien que la Cour d'appel ait l'obligation de réexaminer la preuve afin de s'assurer qu'aucune erreur de ce genre n'a été commise, j'estime qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès.

[Je souligne.]

Dans l'arrêt Beaudoin-Daigneault, précité, aux pp. 8 et 9, notre Cour a également statué qu'une cour d'appel n'est fondée à modifier les conclusions de fait du juge de première instance que si elle est convaincue, en raison d'une erreur précise et discernable de la part de ce dernier, que la conclusion de fait tirée est déraisonnable et qu'il ne s'agit pas simplement d'une divergence d'opinions quant à l'appréciation de la prépondérance des probabilités. De plus, notre Cour a conclu qu'une seconde cour d'appel ne devrait modifier la décision de la première cour d'appel d'écarter les conclusions de fait tirées en première instance que si elle est convaincue que l'intervention de la première cour d'appel n'était pas justifiée. [souligné dans le texte]

[35]            Il est à noter toutefois qu'en l'espèce, puisque l'action était simplifiée, une grande partie de la preuve fut faite par affidavits, cependant une partie de la preuve fut établie par témoignage devant le protonotaire.

[36]            Par conséquent, déférence sera accordée en appel des conclusions non discrétionnaires du protonotaire et je n'interviendrai que si le protonotaire a commis une erreur de droit ou à moins que les conclusions de fait ne soient tirées de façon abusive ou arbitraire ou ne soient le résultat d'une erreur dominante et fatale.


[37]            Quant à la question de la recevabilité de l'action du requérant, à mon avis, cette question ne relevait pas de la discrétion du protonotaire. Le protonotaire a plutôt procédé à une analyse légale de la question à savoir si le requérant devait soulever le fait des fausses allégations devant le comité d'appel et la Cour en révision judiciaire. Par conséquent, je n'interviendrai que si le protonotaire à commis une erreur dans son analyse.

1.        Le protonotaire a-t-il erré dans son appréciation de la preuve relative à la négligence de l'intimée?

Preuve non contredite

[38]            Selon le requérant, la décision du comité d'appel du 28 mai 1997 est une preuve non contredite démontrant que les mesures correctrices n'avaient pas été appliquées.

[39]            J'ai examiné attentivement la preuve qui était devant le protonotaire et je ne peux conclure qu'il a fait erreur dans son évaluation de la preuve au dossier.


[40]            Le requérant semble considérer suffisante, comme preuve de l'abus de pouvoir et de la négligence de l'intimée, la décision du comité d'appel du 28 mai 1997 qui indique qu'il y a bel et bien eu des erreurs dans l'évaluation des candidats.

[41]            Il ne suffit pas de démontrer des irrégularités dans la tenue du concours pour établir la preuve d'un abus de pouvoir et d'une négligence de la part de l'intimée (Voir l'affaire Kibale c. Canada, [1994] A.C.F. no. 161 (C.A.F.) à laquelle s'est référé le protonotaire). Je suis d'accord avec le protonotaire que la preuve démontre que le jury de sélection a tenté, de bonne foi, d'agir selon les directives reçues et qu'il s'est retrouvé coincé entre la décision du 6 janvier 1997 et les mesures correctrices émises par la suite. La preuve ne permet pas d'établir quelque abus de pouvoir ou négligence de la part de l'intimée.

Refus de Madame Courchesne-Renaud de témoigner

[42]            Selon le requérant, Madame Courchesne-Renaud a été négligente en ne s'assurant pas que les mesures correctrices édictées soient appliquées correctement. Ainsi, le fait qu'elle ait choisi de ne pas témoigner pour expliquer pourquoi les mesures correctrices n'ont pas été appliquées suffit à ce que la Cour conclue à la présence de négligence.


[43]            L'intimée souligne que Mme Courchesne-Renaud n'a pas été appelée à témoigner par aucune des parties. Par conséquent, celle-ci n'a pas choisi de ne pas témoigner, tel qu'allégué par le requérant.

[44]            Le requérant s'appuie sur la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Sommers v. Minister of National Revenue, [1991] 91 D.T.C. 656. Dans cette affaire, l'appelant contestait les pénalités imposées par l'intimé parce qu'il avait omis d'inclure des commissions dans son revenu. Bien que le fardeau de la preuve était à l'intimé sur une balance des probabilités, le juge Sarchuk a conclu que l'intimé avait établi sa cause de façon prima facie et que par conséquent, l'appelant avait maintenant un certain fardeau à rencontrer. Puisque l'appelant n'avait pas témoigné, le juge Sarchuk a tiré une conclusion négative et inféré que puisqu'il n'avait pas témoigné, il était raisonnable et justifiable d'inférer que le témoignage de l'appelant n'aurait pas été en sa faveur. Le juge Sarchuk a conclu:

The evidence adduced on behalf of the Respondent established a prima facie case and raised an evidentiary burden for the Appellant to meet. This he failed to do. In such circumstances Mr. Sommers' failure to testify and to offer any explanation leads to a reasonable and justifiable inference that he refrained from so doing because his evidence would have been unfavourable. This fact coupled with the facts established by the Minister lead me to conclude that the assessment of penalty was correct. Accordingly the appeal is dismissed.


[45]            Cependant, dans cette affaire, le juge Sarchuk a étudié la question à savoir quand il était approprié de tirer une inférence à l'égard d'un appelant qui a choisi de ne pas témoigner. Le juge Sarchuk s'est référé à la cause Mudrazia v. Holjevac, [1970] 1 O.R. 275 (Ont. H.C.), qui se rapportait à une question d'accident d'automobile et où il fut établi:

Secondly, I wish to comment on the failure of the defendant to testify. He was in Court. As the case developed it appeared that the defendant ignored several highway signs and finally the stop sign with its flashing light; nevertheless the defendant did not see fit to testify. Under these circumstances, the state of mind of the operator of the vehicle, his judgment, skill and ability become important matters on the issue of gross negligence. His counsel, who is very experienced in these cases, did not call Holjevac as a witness. Now failure of a defendant to testify does not constitute evidence where no case has been made out against him, but where a prima facie case has been made out the defendant's failure to testify may be the subject of an inference that his testimony if given, would not support the defence raised. It depends upon the circumstances and the evidence as it has developed up to the time of failure to call the witness in question.

[Je souligne]

[46]            En l'espèce, le protonotaire a conclu que le requérant n'avait pu établir d'élément pour appuyer ses allégations d'abus de pouvoir et de négligence de l'intimée. Le fait que l'intimée n'ait pas appelé Mme Courchesne-Renaud à témoigner ne peut donc être retenu contre elle puisque le requérant avait toujours l'obligation de décharger son fardeau de preuve, ce qu'il n'a pas réussi à faire.


[47]            Tel qu'indiqué dans Mudrazia, supra, la possibilité de tirer une conclusion négative du fait qu'une partie choisit de ne pas témoigner dépend des circonstances et de la preuve soumise jusqu'à la décision de ne pas appeler un témoin. En l'espèce, la preuve ne justifiait pas que l'intimée appelle Mme Courchesne-Renaud comme témoin et le fait que l'intimée ne l'ait pas appelée ne peut me permettre d'inférer la négligence et l'abus de pouvoir allégués par le requérant.

Témoignage contradictoire du témoin Nadeau

[48]            Selon le requérant, en 1997, le jury de sélection a reconnu que l'expérience acquise de 1994 à 1997 était significative et que la note accordée au requérant ne reflétait pas la valeur de cette expérience. Il a alors concédé que le mérite du requérant avait été mal évalué et qu'il devait reprendre l'évaluation. Le requérant s'appuie sur le passage suivant de la décision du comité d'appel du 28 mai 1997 aux pages 6 à 8 de la décision:

Pour sa part, l'appelant Giroux vint préciser qu'il avait été vérificateur aux dossiers de base à Longueuil et que pour lui, les dossiers traités à ce niveau étaient des dossiers complexes. Suite à la réévaluation, il avait vu sa note augmentée faiblement (passant de 40 à 50/125), mais cela ne reflétait pas le mérite de son expérience réelle. Monsieur Nadeau s'était bien souvenu d'une expérience assez ancienne pour lui attribuer finalement 10 points de plus et il lui avait dit que s'il avait appliqué et mentionné le FAPI (qui se retrouvait dans la liste détaillée de la première grille), il aurait eu des points. Ensuite, l'appelant énuméra une à une les expériences pertinentes qu'il avait eues entre octobre 1995 et février 1997. Le jury avait ignoré ces expériences, car il travaillait dans une autre localité. (Note: le ministère a finalement concédé l'appel de monsieur Giroux en reconnaissant, comme on le verra dans les réponses du ministère, que le jury ignorait l'expérience récente de ce candidat).

[En caractère gras dans le texte].


[49]            Je dois souligner tout d'abord que le passage ci-dessus sur lequel le requérant s'appuie ne fait pas partie des analyses et conclusions du comité d'appel mais fait partie du résumé des allégations présentées au comité d'appel ainsi qu'un résumé des divers témoignages. Le comité d'appel ne tire aucune conclusion à ce moment quant à savoir si les allégations sont vraies.

[50]            Ainsi, je ne peux être d'accord avec le requérant que ce passage démontre que "le jury de sélection a reconnu que l'expérience acquise de 1994 à 1997 était significative et que la note accordée au requérant ne reflétait pas la valeur de cette expérience." Il a alors concédé que le mérite du requérant avait été mal évalué et qu'il devait reprendre l'évaluation. Ce que je retiens de ce passage est que le jury de sélection a reconnu une expérience du requérant qui lui a valu 10 points supplémentaires. Également, le ministère a reconnu que le jury ignorait l'expérience récente du requérant. Je ne vois pas que le ministère a reconnu que le requérant avait une expérience significative.

[51]            Le comité d'appel, aux pages 13 et 14 de sa décision, indique d'ailleurs:

[...] Le jury avait une connaissance suffisante des candidats sauf de l'appelant Giroux qui est le seul à avoir changé de bureau. Il est prêt à reprendre l'évaluation de ce candidat seulement.

[En caractère gras dans le texte]

[...]

[...] Le jury détenait une information suffisante et raisonnable sur chaque candidat en ce qui a trait à l'expérience et la note accordée reflétait bien la valeur de cette expérience sauf pour monsieur Giroux, comme indiqué plus haut.


[52]            D'après le requérant, l'intimée est arrivée à l'audience devant le protonotaire avec une version contradictoire des aveux faits en 1997 en déposant un affidavit de M. Pierre Nadeau. M. Nadeau indiquait dans son affidavit que le jury de sélection savait que le requérant avait travaillé lors des deux dernières années au bureau de Longueuil et que les membres du jury de sélection n'auraient pu reconnaître, tel que le requérant l'allègue, que l'expérience acquise par le requérant était significative.

[53]            Au paragraphe 25 de son affidavit, M. Pierre Nadeau indique:

25.          Le comité de sélection savait que le demandeur Yvon Giroux avait travaillé lors des deux dernières années en litige au bureau de Longueuil soit entre novembre 1994 et février 1997 et que ce dernier n'avait pas fait à cet endroit de la vérification de dossiers complexes, c'est-à-dire des dossiers du programme des dossiers considérables parce que ce programme n'existait pas à Longueuil.

[54]            Aux paragraphes 34 à 41 de son affidavit, M. Nadeau indique:

34.          À mon avis, ainsi que de l'avis des autres membres du comité de sélection, ni le candidat Lamarche ni le demandeur Yvon Giroux ne pouvaient se qualifier aux concours parce que ces deux candidats ne possédaient tout simplement pas un éventail d'expérience pertinente suffisant pour se qualifier.

35.          L'expérience recherchée était une expérience dans des domaines de vérification de dossiers qui généraient des problèmes fiscaux et comptables complexes que l'on retrouve généralement dans les dossiers du programme des dossiers considérables.

36.          En raison de la nature même des [sic] ces dossiers, cette expérience ne s'acquière que très lentement, si bien qu'une période de travail de deux ou trois ans supplémentaires n'est pas suffisante pour acquérir une expérience pertinente significative.


[...]

38.          Quant au demandeur Giroux, son expérience au bureau de Longueuil n'était pas de la nature de celle qui pouvait lui permettre d'obtenir les 51 points qui lui manquaient pour se qualifier.

39.          Incidemment, je n'ai vu aucune mention dans la déclaration du demandeur Yvon Giroux ou dans son affidavit d'une quelconque expérience pertinente qui n'aurait pas été prise en compte par le comité de sélection et qui lui aurait permis d'obtenir les 51 points qui lui manquaient ou les 41 points après la seconde évaluation.

40.          De plus, ce dernier ne [sic] jamais fait part d'une telle expérience.

41.          Je suis donc en total désaccord avec l'affirmation du demandeur Yvon Giroux qu'il serait qualifié si le comité de sélection avait évalué son expérience cotée adéquatement.

[55]            Le requérant allègue que M. Nadeau, lors de l'audience devant le protonotaire, a contredit les déclarations qu'il avait faites dans son affidavit lorsqu'il a admis en contre-interrogatoire qu'il ne connaissait pas l'éventail de l'expérience du requérant dans la vérification des transactions internationales, des réorganisations et des stratagèmes d'évitement fiscal.

[56]            Le requérant s'appui sur le passage suivant du contre-interrogatoire de M. Nadeau:

Q:             Monsieur Nadeau, est-ce que dans ce document-là [document d'une page et demie soumis par le requérant avec le dépôt de sa candidature] quelque part je parle de mon expérience des transactions internationales et de mon expérience de l'évitement fiscal?

R.           Internationales, vous parlez de la vérification du dossier de Pratt & Witney; on sait que c'est une filiale de compagnie multinationale. Ensuite de ça...

Q.             D'accord. Ensuite?

R.           Vous avez parlé de internationales, évitement et?


Q.           Réorganisation de corporation.

R.           Réorganisation de corporation. Bien j'imagine qu'il peut y avoir dans le dossier de Pratt & Witney de ces trois (3) catégories de transactions-là.

Q.           Est-ce que j'en parle dans le document?

R.           De façon spécifique en nommant les expériences dans la même façon que vous le faites là?

Q.           Oui, hum.

R.           Non.

Q.           Vous rappelez-vous m'avoir accordé des points pour des transactions internationales ou de l'évitement fiscal que j'aurais rencontrés dans Pratt & Witney?

R.           Pas de souvenir, non.

Q.           Vous rappelez-vous m'avoir accordé des points pour la recherche scientifique dans Pratt & Witney?

R.           Il me semble que oui.

Q.           Effectivement, vous m'avez accordé dix (10) points pour la recherche scientifique, et pour rien d'autre. Alors, sur la base de ce document-là, est-ce que vous reconnaissez que pour la période qui finit en novembre mil neuf cent quatre-vingt quatorze (1994), donc toute la période initiale du concours où vous évaluiez l'expérience, est-ce que vous reconnaissez que vous n'aviez pas d'information sur mon expérience en réorganisation de corporation, évitement fiscal et transactions internationales, sur la base de ce document-là?

R.           C'est vrai.

Q.           Sur la période novembre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze (1994) à février mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept (1997), est-ce que vous aviez l'information pour les mêmes genres d'expériences?

R.           Pas plus.

Q.           Donc, vous reconnaissez que pour toute ma carrière au complet, en tout cas pour très loin en arrière, vous n'aviez pas d'informations sur ces trois (3) sujets-là?

R.           Pas de façon précise, non, pas de façon précise.


[57]            Sur la base de ces contradictions, le requérant soutient que le protonotaire Morneau a mal apprécié la preuve en concluant que M. Nadeau avait agit sans négligence et sans mauvaise foi lors de la nouvelle évaluation de 1997.

[58]            Je ne peux retenir l'interprétation du requérant quant aux supposées contradictions faites par M. Nadeau. Ce que je retiens des différents passages ci-haut mentionnés est qu'en premier lieu, M. Nadeau ou le jury de sélection n'a jamais reconnu que le requérant avait acquis une expérience significative.

[59]            La décision du comité d'appel démontre que le jury de sélection ignorait l'expérience récente du requérant. Le contre-interrogatoire de M. Nadeau démontre également que le document déposé par le requérant avec sa candidature ne permettait pas au jury de sélection de connaître l'expérience du requérant relativement à certains domaines et que le jury de sélection n'avait pas une connaissance de l'expérience du requérant de façon précise.


[60]            Dans son affidavit, M. Nadeau indique cependant, que le jury de sélection avait une connaissance du genre de dossiers traités au bureau de Longueuil où le requérant travaillait. L'affidavit de M. Nadeau établit également que le comité de sélection savait que le requérant avait travaillé lors des deux dernières années en litige au bureau de Longueuil, soit entre novembre 1994 et février 1997 et que ce dernier n'avait pas fait à cet endroit de la vérification de dossiers complexes, c'est-à-dire des dossiers du programme des dossiers considérables parce que ce programme n'existait pas à Longueuil.

[61]            Je ne vois pas en quoi ceci permet d'établir que M. Nadeau s'est contredit lors de son contre-interrogatoire devant le protonotaire. M. Nadeau a reconnu que le jury de sélection n'avait pas une connaissance précise de l'expérience du requérant. Cependant, je retiens de l'affidavit de M. Nadeau que le jury de sélection avait quand même une connaissance générale du genre de dossiers traités au bureau de Longueuil et que le jury de sélection savait également que le programme des dossiers considérables n'existait pas à Longueuil. À mon avis, ces différents témoignages ne sont pas contradictoires et le fait qu'un jury de sélection n'ait pas de connaissance précise de l'expérience d'un individu ne signifie pas nécessairement que le jury de sélection n'a aucune connaissance du genre de travail qu'un individu effectue à un certain bureau. Ainsi, je ne peux donner raison au requérant sur ce point.


2.        Le protonotaire a-t-il erré en concluant que les fausses déclarations imputées au jury de sélection étaient des faux témoignages au sens de l'alinéa 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale?

[62]            Le requérant soutient que le protonotaire Morneau a erré en concluant que les fausses déclarations imputées au jury de sélection par le requérant constituaient de faux témoignages au sens de l'alinéa 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale.

[63]            Le requérant allègue qu'aucune preuve n'a été déposée à l'effet que M. Claude Miller, avait témoigné sous serment devant le comité d'appel. Ainsi, il n'y avait aucune possibilité pour le requérant, d'un point de vue légal, d'invoquer l'alinéa 18.1(4)e) dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[64]            Les alinéas 18.1(3) et 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale prévoient:



(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or


[65]            Le requérant s'appuie sur la décision du juge Collier dans l'affaire Duquette c. Bélanger, [1973] C.F. 868, où il fut indiqué:

L'audition de l'appel (appelé [sic] enquête dans la loi) a été menée de façon habituelle. Le représentant du ministère a expliqué la nature des concours, la procédure suivie et les résultats. Gratton a exposé la démarche suivie par le jury d'examen et a expliqué pourquoi, de l'avis du jury, le demandeur ne méritait pas d'avancement. Il a été fait mention de l'absentéisme, des inscriptions au journal et du défaut du demandeur de téléphoner lorsqu'il s'absentait. Mlle Henry avait le droit de contre-interroger quiconque "témoignait" pour le ministère; elle s'est prévalue de ce droit à l'égard de Gratton. J'ai mis le mot témoignait entre guillemets parce que les déclarations orales devant le comité d'appel ne sont pas faites sous serment. Mlle Henry n'a produit aucun témoin pour le compte du demandeur, mais elle a plaidé devant le comité d'appel.

[66]            L'intimée soutient que les dispositions de l'alinéa 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale s'appliquent à toute situation où une décision rendue par un office fédéral l'a été sur la base d'une fraude ou d'un faux témoignage.

[67]            Selon l'intimée, un témoignage qui est faux et fallacieux, même s'il n'est pas assermenté, n'en demeure pas moins faux et fallacieux.


[68]            L'intimée fait valoir que ce ne serait pas servir les intérêts supérieurs de la justice que d'affirmer que seules les décisions des offices fédéraux qui assermentent les témoins peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire si la décision a été rendue suite à un faux témoignage.

[69]            Je ne peux qu'être d'accord avec l'intimée puisque le simple fait qu'un témoignage ne soit pas sous serment ne fait pas en sorte qu'il ne constitue pas un témoignage selon l'alinéa 18.1(4)e), surtout lorsqu'on considère que cet alinéa s'applique aux offices fédéraux et que par conséquent, la preuve devant ces offices n'est pas toujours sous serment.

[70]            De toute façon, tel que mentionné par l'intimée, un tel témoignage constitue à tout le moins une fraude au sens de l'alinéa 18.1(4)e) parce qu'il s'agit d'un témoignage qui est fait de mauvaise foi dans le but de tromper.[1]

3.        Le protonotaire a-t-il erré en décidant qu'une partie de l'action du requérant n'était pas recevable?

[71]            Le requérant soutient que le protonotaire Morneau ne pouvait revenir sur la question de la recevabilité d'une partie de l'action du requérant en vertu de la doctrine de l'autorité de la chose jugée.


[72]            En effet, selon le requérant, l'intimée a eu l'occasion, en déposant une requête en radiation en décembre 1999, de convaincre la Cour que l'action du requérant n'était pas recevable, étant donné le recours possible en contrôle judiciaire pour le requérant.

[73]            Cette requête fut rejetée par le juge Pinard. Le requérant ajoute que, si celui-ci avait été d'avis que la partie de la déclaration portant sur les fausses déclarations imputées au jury de sélection n'était pas recevable, il l'aurait radiée.

[74]            Le protonotaire Morneau a conclu à la non recevabilité en s'appuyant sur le fait que la question de la mauvaise foi n'a pas été soulevée devant le comité d'appel et qu'elle aurait dû l'être. Le requérant soutient cependant que le juge Pinard était au courant que la question de la mauvaise foi n'avait pas fait l'objet d'un débat compte tenu de la preuve devant le comité d'appel.

[75]            Le requérant souligne qu'en vertu de la règle 298 des Règles de la Cour fédérale (1998), les requêtes en non recevabilité doivent être présentées dans les 30 jours du dépôt de la déclaration. Ainsi, l'intimée ne pouvait revenir sur cette question à l'instruction.


[76]            Le requérant soutient qu'il est anormal que la décision de non recevabilité n'ait pas été prise préalablement au procès.

[77]            Pour sa part, l'intimée soutient que le juge Pinard ne s'est jamais prononcé sur la question de savoir si le requérant avait véritablement une cause d'action justifiant l'octroi de dommages-intérêts. Il ne saurait donc être question ici d'une décision qui était opposable au protonotaire sur la base du principe de l'autorité de la chose jugée.

[78]            À mon avis, le protonotaire Morneau n'a pas commis d'erreur en concluant que la décision du juge Pinard ne l'empêchait pas de conclure qu'une partie de l'action n'était pas recevable et que la décision du juge Pinard ne liait en rien l'appréciation de la Cour quant au mérite de l'affaire au terme d'un procès. Le juge Pinard entendait une requête visant la radiation de l'action du requérant. La décision du juge Pinard ne touche pas le fond de l'action du requérant. Le juge Pinard devait considérer si, tenant pour véridiques les faits allégués par le requérant, il y avait une cause suffisante qui permettait la poursuite de l'action.


[79]            Lors d'une requête en radiation, le juge qui entend les requêtes se limite à une question, celle à savoir s'il y a une cause d'action et ne statue pas sur le fond de l'action. Ainsi, je conclus que c'est à bon droit que le protonotaire Morneau n'a pas donné l'autorité de la chose jugée à la décision du juge Pinard, sur cette question.

[80]            Alternativement, le requérant soutient que la question des fausses déclarations est recevable, dans le cadre de l'action, même s'il y a eu demande de contrôle judiciaire sur la décision du comité d'appel.

[81]            L'intimée allègue que lorsque la décision continue d'être opérante et que ses effets perdurent, il est nécessaire de passer par le contrôle judiciaire avant d'intenter une action en responsabilité civile délictuelle. L'intimée s'appuie sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no. 2070 (C.A.F.), où la Cour d'appel fédérale s'est exprimée ainsi:

Il faut en la matière, je crois prendre une approche utilitaire et privilégier la procédure qui permet d'éliminer ou de réparer le préjudice, découlant de la décision rendue. Il est inutile, par exemple, d'exiger d'un détenu qui a déjà purgé sa période d'isolement de 15 jours qu'il demande par voie de contrôle judiciaire l'annulation de la décision qui l'y a contraint. Par contre, lorsqu'une décision est toujours opérante, comme en l'espèce celle de la Commission imposant comme condition de libération une interdiction de contact, il est non seulement utile, mais nécessaire de procéder par contrôle judiciaire pour la faire annuler. Sinon, tant la décision que ses effets perdurent et il y a même aggravation du préjudice pendant la période ou l'action en dommage suit son cours.


[82]            L'intimée rappelle qu'en l'instance, tant le comité d'appel que cette Cour ont confirmé la légalité de la liste d'admissibilité qui a été établie suite au concours qui a fait l'objet d'un appel par le requérant.

[83]            En conséquence, les personnes dont les noms apparaissent sur la liste d'admissibilité ont été nommées ou vont être nommées dans un poste de la fonction publique fédérale.

[84]            L'intimée soutient qu'il serait dès lors tout à fait illogique pour cette Cour d'octroyer des dommages-intérêts au requérant sur la seule base que les membres du comité de sélection ont menti lors de leur témoignage devant le comité d'appel parce qu'un tel octroi aurait pour effet de jeter un discrédit intenable sur la validité de la liste d'admissibilité et sur la validité des décisions prises par le comité d'appel et par cette Cour lors du contrôle judiciaire ainsi que sur la légitimité des nominations qui auront été faites.

[85]            Selon l'intimée, le requérant ne pouvait demander à cette Cour de lui permettre de faire indirectement ce qu'il n'a pas voulu faire directement.


[86]            Sgayias, dans Federal Court Practice 2001, Toronto, Carswell, 2000, à la page 27, examine la distinction entre une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'un office fédéral et une action contre la Couronne et indique:

A fresh debate has arisen, this time involving section 18 and section 17. At issue is the boundary between an application for judicial review against a federal board and an action against the Crown. The boundary blurs where declaratory relief is involved: that form of relief is available under both section 18 and section 17. However, the boundary is real. Judicial review is obtained by way of an application under section 18.1 and is only exceptionally pursued by way of action (section 18.4(2)). Relief against the Crown is obtained by way of an action under section 17, in which claims for declaratory relief may be combined with claims for other relief such as damages.

An application for judicial review must be taken where the relief sought is prerogative, injunctive or declaratory and that relief is sought against the decision or actions of a body or person exercising statutory powers. However, an application for judicial review cannot include a claim for damages: De-Nobile v. Canada(A.G.) (October 22, 1999), Doc. T-2238-98 (Fed. T.D.). Nor can it include a claim against the Crown itself: M.N.R. v. Creative Shoes Ltd., [1972] F.C. 993 (C.A.). Such claims must be pursued by action. Declaratory relief can be sought in the action: Ward v. Samson Cree Nation No. 444 (1999), 247 N.R. 254 (Fed. C.A.). Judicial review cannot be obtained in the action: Lake Babine Indian Band v. Williams (1996), 194 N.R. 44 (Fed. C.A.). The result may be a series of proceedings, one seeking judicial review of a decision, another seeking consequential damages: Sweet v. Canada (1999), 249 N.R. 17 (Fed. C.A.). The result may also be that the validity of legislation may be challenged by action, but decisions taken under the impugned legislation cannot: McKay v. Canada (Min. of Fisheries & Oceans) (1998), 160 F.T.R. 301 (T.D.).

[87]            En l'espèce, le requérant a allégué qu'il avait subi des dommages en raison des fausses déclarations supposées des membres du jury devant le comité d'appel. Le requérant affirme dans sa déclaration que ces affirmations ont été avancées avec une intention planifiée et délibérée d'agir malicieusement dans le but d'obtenir gain de cause à tout prix devant le comité d'appel. Ainsi, le requérant allègue qu'il a subi des dommages moraux et des dommages à sa carrière professionnelle.


[88]            L'effet des fausses déclarations supposées serait que le comité d'appel a été induit en erreur et que la décision du comité d'appel était par conséquent faussée. Les dommages subis par le requérant seraient dûs au fait qu'il n'aurait pas été évalué correctement pour les postes et donc que la chance d'obtenir les postes convoités a été réduite.

[89]            Dans Zarzour, supra, la Cour d'appel fédérale a indiqué qu'il fallait "privilégier la procédure qui permet d'éliminer ou de réparer le préjudice, découlant de la décision rendue".

[90]            À mon avis, la procédure permettant d'éliminer le préjudice subi par le requérant était devant le comité d'appel et certainement en contrôle judiciaire puisque s'il s'était avéré vrai que de fausses déclarations avaient été faites, le processus aurait été probablement annulé et ainsi le requérant aurait eu la chance d'être évalué correctement.


[91]            Le requérant réclame maintenant des dommages-intérêts. Cependant, si dommage il y a eu, le requérant a contribué à ce dommage parce qu'il n'a pas soulevé la question devant le comité d'appel et en contrôle judiciaire. Ainsi, je ne peux pas dire que l'action est la procédure appropriée lorsque le dommage allégué aurait pu être réduit à néant si le demandeur avait soulevé ses prétentions en temps opportun. Je ne peux permettre qu'un requérant soit dédommagé pour des dommages que sa propre "omission" a créé. Par conséquent, je considère que le protonotaire n'a pas erré en concluant que le requérant se devait de soulever ses prétentions devant le comité d'appel et en révision judiciaire, compte tenu également de l'alinéa 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale.

[92]            De plus, le protonotaire Morneau a conclu que même si l'action était recevable, elle n'aurait pas grand chance d'aller bien loin parce que le comité d'appel n'avait pas retenu l'inexactitude alléguée des propos du jury de sélection aux fins de sa décision. Relativement à cette conclusion, le requérant soutient que la Cour pourrait conclure différemment du comité d'appel car la preuve déposée par le requérant n'a pas été contredite par l'intimée.

[93]            À cet égard, la preuve du requérant n'établit pas qu'il y a eu fausses déclarations. Je ne peux conclure que le protonotaire Morneau a erré en concluant que l'action du demandeur ne saurait aller bien loin.


[94]            Par conséquent, la présente requête est rejetée avec dépens.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 25 mai 2001



[1]            Le Petit Robert, page 825: Fraude: Action faite de mauvaise foi dans le but de tromper.

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