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Date : 19991018


Dossier : T-292-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 OCTOBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     VAGN LARSEN,

     demandeur,

     - et -


     COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES,

     défenderesse,

     - et -


     PÉNITENCIER DE COWANSVILLE,

     défendeur.


ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l"encontre de la décision de l"agente de liaison communautaire de la Commission nationale des libérations conditionnelles datée du 21 janvier 1999;

     APRÈS avoir examiné les arguments soumis par écrit par les parties;

     APRÈS avoir tenu une audition le 13 septembre 1999 à Montréal (Québec);

     APRÈS avoir tenu une conférence téléphonique le 28 septembre 1999;

     LA COUR STATUE QUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  1. .      La décision de l"agente de liaison de la Commission nationale des libérations conditionnelles datée du 21 janvier 1999 est annulée.

                

  1. .      Le demande formulée par le demandeur sollicitant l"examen de sa demande de semi-liberté est renvoyée à l"établissement de Cowansville, qui fait partie du Service correctionnel du Canada, et à la Commission nationale des libérations correctionnelles pour le prononcé d"une nouvelle décision compatible avec les motifs de l"ordonnance prononcés aujourd"hui.

" Allan Lutfy "

                                         J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.




Date : 19991018


Dossier : T-292-99

ENTRE :

     VAGN LARSEN,

     demandeur,

     - et -


     COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES,

     défenderesse,

     - et -


     PÉNITENCIER DE COWANSVILLE,

     défendeur.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY :


[1]          Le demandeur, Vagn Larsen, un ressortissant étranger qui n"est ni citoyen ni résident permanent du Canada, purge présentement une peine de neuf ans et demi de prison à l"établissement de Cowansville pour avoir été déclaré coupable d"infractions reliées au trafic de stupéfiants. M. Larsen a reconnu sa culpabilité à ces accusations le 26 mars 1997.

[2]          M. Larsen est devenu admissible à la semi-liberté le 25 octobre 1998, après avoir purgé un sixième de sa peine. L"avocat des défendeurs a reconnu que cette date correspond à la date d"admissibilité de M. Larsen à la procédure d"examen expéditif en vertu de l"article 119.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition1, car c"est la première fois qu"il est détenu dans un pénitencier fédéral, et il est un délinquant "    non violent présentant un faible risque de récidive ". Il sera admissible à la libération conditionnelle totale le 26 mai 20002.

[3]          Le 21 janvier 1999, une agente de liaison communautaire de la Commission nationale des libérations conditionnelles, défenderesse, a rejeté la demande présentée par M. Larsen sollicitant l"examen de sa demande de semi-liberté. L"agente a justifié le rejet de cette demande par le fait que M. Larsen faisait l"objet d"un ordre de mise sous garde délivré en application de l"article 105 de la Loi sur l"immigration3.

[4]          Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. La question en litige est simple : M. Larsen a-t-il droit à l"examen, sur le fond, de sa demande de semi-liberté, une fois que les agents du service correctionnel ont établi qu"il est un ressortissant étranger faisant l"objet d"un ordre de mise sous garde en application de l"article 105?

LE STATUT DU DEMANDEUR SOUS LE RÉGIME DE LA LOI SUR L"IMMIGRATION

[5]          Pour comprendre le statut d"immigrant de M. Larsen, il est utile de relire les dispositions législatives concernant un mandat d"arrêt ou un ordre de mise sous garde délivré en application des paragraphes 103(1) et 105(1) de la Loi sur l"immigration :

103. (1) The Deputy Minister or a senior immigration officer may issue a warrant for the arrest and detention of any person where

(a) an examination or inquiry is to be held, a decision is to be made pursuant to subsection 27(4) or a removal order or conditional removal order has been made with respect to the person; and

(b) in the opinion of the Deputy Minister or that officer, there are reasonable grounds to believe that the person poses a danger to the public or would not appear for the examination, inquiry or proceeding in relation to the decision or for removal from Canada.

...

103. (1) Le sous-ministre ou l'agent principal peut lancer un mandat d'arrestation contre toute personne qui doit faire l'objet d'un interrogatoire, d'une enquête ou d'une décision de l'agent principal aux termes du paragraphe 27(4), ou qui est frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, lorsqu'il croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'elle ne comparaîtra pas, ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi.






...

105. (1) Notwithstanding the Corrections and Conditional Release Act, the Prisons and Reformatories Act or any Act of a provincial legislature, where a warrant has been issued or an order has been made pursuant to subsection 103(1) or (3) with respect to any person who is incarcerated in any place of confinement pursuant to the order of any court or other body, the Deputy Minister may issue an order to the person in charge of the place directing that

105. (1) Par dérogation à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et à la Loi sur les prisons et maisons de correction et à toute loi provinciale, si le mandat ou l'ordre prévus aux paragraphes 103(1) ou (3) visent une personne incarcérée dans un lieu de détention en application de l'ordonnance d'un tribunal ou d'un autre organisme, le sous-ministre peut ordonner au gardien, directeur ou responsable de ce lieu :

(a) the person continue to be detained until the expiration of the sentence to which the person is subject or until the expiration of the sentence or term of confinement as reduced by the operation of any statute or other law or by an act of clemency; and

(b) the person be delivered, at the expiration of the sentence or term of confinement referred to in paragraph (a), to an immigration officer to be taken into custody.

a) d'une part, de continuer à la détenir jusqu'à l'expiration de sa peine ou de la durée de sa détention, compte tenu des éventuelles réductions légales de peine ou des mesures de clémence;


b) d'autre part, de la remettre par la suite à un agent d'immigration en vue de son placement sous garde.


[6]          Le 14 avril 1997, une personne représentant le sous-ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration a ordonné la tenue d"une enquête, en application de l"alinéa 27(3)b ) de la Loi sur l"immigration, afin de déterminer si le demandeur appartenait à une catégorie non admissible parce qu"il avait été déclaré coupable au Canada d"une infraction punissable d"un emprisonnement égal ou supérieur à dix ans4.

[7]          Le même jour, le même agent d"immigration a lancé un mandat d"arrestation5 en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l"immigration ordonnant que le demandeur, qui devait faire l"objet d"une enquête, soit détenu en vertu de cette Loi. Il a en outre ordonné au gardien de l"établissement de Cowansville, conformément à l"article 105 de la Loi, de continuer à détenir le demandeur jusqu"à l"expiration de sa peine, et de le remettre alors à un agent d"immigration en vue de son placement sous garde6.

[8]          Le 10 mars 1998, une mesure d"interdiction de séjour a été prise contre le demandeur en application du paragraphe 32(6) de la Loi sur l"immigration, à la suite de la décision de l"arbitre selon laquelle le demandeur, qui avait fait l"objet d"une enquête, appartenait à une catégorie non admissible en raison de sa déclaration de culpabilité7.

[9]          Le 18 mars 1998, un nouvel ordre qui tenait compte de la mesure d"expulsion prise le 10 mars 1998 a été donné en application de l"article 105 de la Loi sur l"immigration8.

[10]          Le 10 septembre 1999, trois jours avant l"audition de la demande de contrôle judiciaire, un agent principal a lancé un nouveau mandat d"arrestation contre le demandeur [Traduction] "    frappé par une mesure de renvoi ". Le même jour, un autre représentant du sous-ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration a donné un ordre de mise sous garde en application de l"article 105 de la Loi sur l"immigration, dont le libellé était identique, pour l"essentiel, à celui de l"ordre donné le 18 mars 19989.

ANALYSE

(i)      La validité du mandat d"arrestation et de l"ordre de mise sous garde

[11]          À l"appui de sa demande, le demandeur conteste d"abord la validité du mandat d"arrestation lancé en application de l"article 103, puis l"ordre de mise sous garde donné en application de l"article 105, qui découle du mandat. Conformément à l"opinion exprimée par le juge Evans dans la décision Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)10, un ordre donné en application de l"article 105 ne peut viser qu"une personne qui fait l"objet d"un mandat d"arrestation en vertu du paragraphe 103(1) ou d"un ordre de mise sous garde en vertu de l"alinéa 103(3)b ). La Cour d"appel a confirmé récemment la décision rendue dans l"affaire Chaudhry dans un arrêt auquel je me reporterai plus loin dans les présents motifs.

[12]          Le demandeur soutient que le mandat d"arrestation est vicié principalement parce qu"il ne renvoie pas au libellé du paragraphe 103(1), selon lequel l"opinion du sous-ministre doit s"appuyer sur l"existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur constitue une menace pour la sécurité publique. La défenderesse plaide qu"il n"est pas nécessaire d"adopter ce libellé dans le mandat d"arrestation. Il ne convient toutefois pas de traiter cette question dans la présente instance. Je retiens la prétention de la défenderesse qu"aucun des mandats et des ordres délivrés en application des articles 103 ou 105 de la Loi sur l"immigration n"ont été contestés par le demandeur au moment de leur délivrance. Il est irrégulier d"en contester la validité dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision d"une fonctionnaire de la Commission nationale des libérations conditionnelles11.

(ii)      L"examen de la demande de semi-liberté du demandeur

[13]          La seule question en litige que la Cour doit trancher en l"espèce est celle de savoir si l"agente de liaison communautaire de la Commission nationale des libérations conditionnelles a commis une erreur de droit en décidant que la demande de semi-liberté du demandeur ne pouvait pas être examinée par la Commission nationale des libérations conditionnelles, si ce n"est dans la mesure où elle a noté qu"il faisait l"objet d"un ordre de mise sous garde en vertu du paragraphe 105(1).

[14]          Il s"avère utile de se reporter aux opinions exprimées par le Service correctionnel du Canada et par la Commission nationale des libérations conditionnelles avant le prononcé des décisions contestées.

[15]          Le 15 septembre 1997, en présence d"une situation semblable à celle du demandeur, le secrétaire général du Service correctionnel du Canada a écrit à un autre détenu de l"établissement de Cowansville que les personnes faisant l"objet d"un ordre de mise sous garde en vertu de l"article 105 ne pouvaient être placées sous la garde de Citoyenneté et Immigration Canada qu"en étant libérées sous condition ou d"office :

     [Traduction] Seuls les ressortissants étrangers qui constituent une menace pour le public ou qui risquent de s"échapper, de l"avis de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), font l"objet d"un ordre de mise sous garde (article 105 de la Loi sur l"immigration) et ne peuvent être libérés qu"en étant mis en liberté sous condition ou d"office et uniquement pour être placés sous la garde de CIC qui doit les garder en détention. La seule forme de mise en liberté sous condition dont peuvent bénéficier ces délinquants est une permission de sortir sous surveillance.

[16]          Le 10 décembre 1998, un gardien de l"établissement de Cowansville a répondu à la demande de semi-liberté présentée par l"avocat du demandeur. Voici ce qu"il a dit :

     [Traduction] Seuls les ressortissants étrangers qui constituent une menace pour le public ou qui risquent de s"échapper, de l"avis de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), font l"objet d"un ordre de mise sous garde. M. Larsen est frappé d"une mesure d"expulsion prise par CIC le 18 mars 1998.

     ...

     ... En vertu des dispositions législatives en vigueur [Loi sur le système correctionnel et sur la mise en liberté sous condition], les délinquants qui sont des ressortissants étrangers ne peuvent pas être libérés pour être expulsés avant leur mise en liberté totale.

            

[17]          L"avocat du demandeur a alors écrit au vice-président régional de la Commission nationale des libérations conditionnelles, Région, pour demander à nouveau l"examen de la demande de semi-liberté de son client. Sa demande a été transmise à l"agente de liaison communautaire de la Commission nationale des libérations conditionnelles pour qu"elle y réponde. Dans sa réponse du 21 janvier 1999, elle a déclaré que la demande de semi-liberté de M. Larsen ne serait pas examinée en raison de l"ordre de mise sous garde donné en application de l"article 105 :

     [Traduction] À titre d"information, sachez que les délinquants faisant l"objet d"un ordre de mise sous garde délivré en application de l"article 105 de la Loi sur l"immigration, le 10 juillet 1995 ou après cette date, ne peuvent faire examiner leur demande de semi-liberté par la Commission parce que l"article 105 de la Loi sur l"immigration interdit désormais leur mise en semi-liberté.
     Dans le cas de M. Larsen, Citoyenneté et Immigration Canada a délivré un ordre de mise sous garde en application de l"article 105 de la Loi sur l"immigration le 14 avril 1997; la Commission n"examinera donc pas sa demande de semi-liberté.

[18]          Selon moi, les réponses adressées au demandeur et à son avocat par les fonctionnaires du Service correctionnel du Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles, et notamment la décision visée par la demande de contrôle judiciaire, n"interprètent pas correctement les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition concernant la semi-liberté. L"examen d"une demande de semi-liberté ne doit pas se limiter à la simple constatation que le délinquant fait l"objet d"un ordre de mise sous garde en vertu de l"article 105 de la Loi sur l"immigration. Je suis parvenu à cette conclusion après avoir examiné les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de certains de ses règlements d"application12.

[19]          La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit des processus d"examen différents pour les délinquants qui ne sont pas admissibles à la procédure d"examen expéditif et pour ceux qui, comme M. Larsen, y sont admissibles.

[20]          En ce qui concerne les délinquants qui ne sont pas admissibles à la procédure d"examen expéditif, le paragraphe 122(1) de la Loi prévoit que la Commission nationale des libérations conditionnelles "    examine " sur demande les demandes de semi-liberté :

122. (1) Subject to subsection 119(2), the Board shall, on application, at the time prescribed by the regulations, review, for the purpose of day parole, the case of every offender other than an offender referred to in subsection (2).

122. (1) Sur demande des intéressés, la Commission examine, au cours de la période prévue par règlement, les demandes de semi-liberté.

    

[21]          En application de l"alinéa 140(1)a ) de la Loi, la Commission "    tient " une audience pour examiner la demande de semi-liberté en vertu du paragraphe 122(1) :

140. (1) The Board shall conduct the review of the case of an offender by way of a hearing, conducted in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, unless the offender waives the right to a hearing in writing or refuses to attend the hearing, in the following classes of cases:

140. (1) La Commission tient une audience, dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant, dans les cas suivants, sauf si le délinquant a renoncé par écrit à son droit à une audience ou refuse d'être présent :

(a) the first review for day parole pursuant to subsection 122(1), except in respect of an offender serving a sentence of less than two years; ...

a) le premier examen du cas qui suit la demande de semi-liberté présentée en vertu du paragraphe 122(1), sauf dans le cas d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans; ...


Cet examen est effectué par un ou plusieurs membres de la Commission en conformité avec le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition13.

[22]          Les articles 125 et 126 de la Loi prévoient une procédure légèrement différente pour les délinquants, comme M. Larsen, auxquels s"applique la procédure d"examen expéditif. Selon l"article 126.1, la procédure établie par les articles 125 et 126 s"applique, avec les adaptations nécessaires, à la procédure visant à déterminer si la semi-liberté sera accordée au délinquant qui bénéficie de la procédure d"examen expéditif.

[23]          Dans ce contexte, le Service correctionnel du Canada "    procède " à la transmission du dossier à la Commission nationale des libérations conditionnelles après avoir d"abord cerné les renseignements pertinents concernant les antécédents sociaux et criminels du délinquant, sa conduite pendant la détention et sa propension à la violence. Voici les paragraphes 125(2) à (4) de la Loi14 :

125. (2) The Service shall, at the time prescribed by the regulations, review the case of an offender to whom this section applies for the purpose of referral of the case to the Board for a determination under section 126.

     (3) A review made pursuant to subsection (2) shall be based on all reasonably available information that is relevant, including

(a) the social and criminal history of the offender obtained pursuant to section 23;

(b) information relating to the performance and behaviour of the offender while under sentence; and

(c) any information that discloses a potential for violent behaviour by the offender.

125. (2) Le Service procède, au cours de la période prévue par règlement, à l'étude des dossiers des délinquants visés par le

présent article en vue de leur transmission à la Commission pour décision conformément à l'article 126.

     (3) L'étude du dossier se fonde sur tous les renseignements pertinents qui sont normalement disponibles, notamment :


a) les antécédents sociaux et criminels du délinquant obtenus en vertu de l'article 23;

b) l'information portant sur sa conduite pendant la détention;


c) tout autre renseignement révélant une propension à la violence de sa part.

(4) On completion of a review pursuant to subsection (2), the Service shall, within such period as is prescribed by the regulations preceding the offender's eligibility date for full parole, refer the case to the Board together with all information that, in its opinion, is relevant to the case.

(4) Au terme de l'étude, le Service transmet à la Commission, dans les délais réglementaires impartis mais avant la date d'admissibilité du délinquant à la libération conditionnelle totale, les renseignements qu'il juge utiles.

Pour que cette étude soit effectuée, il ne semble pas nécessaire que le délinquant en fasse la demande15.

[24]          La Commission nationale des libérations conditionnelles examine alors le dossier du délinquant, sans audience, pour déterminer si la semi-liberté lui sera accordée. Si la Commission est convaincue qu"il n"existe pas de motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence avant l"expiration de sa peine, elle ordonne sa mise en semi-liberté. Elle agit ainsi par dérogation au critère habituellement applicable à une demande de libération sous condition prévu par l"article 102 de la Loi. C"est ce que prévoient les paragraphes 126(1) et (2) de la Loi, qui utilisent aussi le présent de l"indicatif établissant une obligation impérative :

126. (1) The Board shall review without a hearing, at or before the time prescribed by the regulations, the case of an offender referred to it pursuant to section 125.

126. (1) La Commission procède sans audience, au cours de la période prévue par règlement ou antérieurement, à l'examen des dossiers transmis par le Service ou les autorités correctionnelles d'une province.

(2) Notwithstanding section 102, if the Board is satisfied that there are no reasonable grounds to believe that the offender, if released, is likely to commit an offence involving violence before the expiration of the offender's sentence according to law, it

shall direct that the offender be released on full parole.

(2) Par dérogation à l'article 102, quand elle est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, la Commission

ordonne sa libération conditionnelle totale.


[25]          Lorsque la Commission n"ordonne pas la mise en semi-liberté du délinquant, elle lui communique ses motifs et les transmet à un comité différemment constitué chargé de réexaminer son dossier. Voici ce que prévoient les paragraphes 126(3) et (4) de la Loi :

126. (3) If the Board does not direct, pursuant to subsection (2), that the offender be released on full parole, it shall report its refusal to so direct, and its reasons, to the offender.

(4) The Board shall refer any refusal and reasons reported to the offender pursuant to subsection (3) to a panel of members other than those who reviewed the case under subsection (1), and the panel shall review the case at the time prescribed by the regulations.

126. (3) Si elle est convaincue du contraire, la Commission communique au délinquant ses conclusions et motifs.




(4) La Commission transmet ses conclusions et motifs à un comité constitué de commissaires n'ayant pas déjà examiné le cas et chargé, au cours de la période prévue par règlement, du réexamen du dossier.

À cette étape, le dossier du délinquant, en ce qui concerne la semi-liberté, est examiné dans le cadre d"une audience, comme pour les autres délinquants, en vertu de l"article 122 et de l"alinéa 140(1)a ). Le lien entre le paragraphe 126(4) et l"article 122 et l"alinéa 140(1)a ) a été invoqué par l"avocat des défendeurs, dont je partage l"opinion.

[26]          En résumé, selon la procédure d"examen expéditif, la Commission ordonne la mise en semi-liberté du délinquant sans tenir une audience ou examine son dossier lors d"une audience. Ces dispositions sont claires et impératives16.

[27]          La semi-liberté est définie comme un régime de libération conditionnelle limitée accordé au délinquant pendant qu"il purge sa peine, sous l"autorité de la Commission nationale des libérations conditionnelles17. Ni la semi-liberté ni la liberté totale n"interrompent la peine. L"article 105 de la Loi sur l"immigration prévoit que, "    [p]ar dérogation à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition " un délinquant demeure en détention jusqu"à l"expiration de sa peine. L"ordre de mise en semi-liberté du délinquant donné par la Commission nationale des libérations conditionnelles peut très bien entrer en conflit, du moins à l"origine, avec l"ordre de l"immigration de continuer à détenir le délinquant dans son lieu d"incarcération jusqu"à l"expiration de sa peine.

[28]          Je suis néanmoins d"avis que l"ordre de mise sous garde délivré en application de l"article 105 ne prive pas le délinquant du droit à un examen et à une audience relativement à sa demande de semi-liberté, lorsque la Commission n"ordonne pas autrement sa mise en semi-liberté. Ni les termes de l"article 105, ni ceux de l"ordre de mise sous garde ne dérogent ni ne portent atteinte de quelque façon que ce soit au droit à la procédure d"examen expéditif et à une audience, le cas échéant, conféré par la loi à M. Larsen. La Commission nationale des libérations conditionnelles a commis une erreur de droit en refusant d"accorder au demandeur un examen de sa demande de semi-liberté et la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire doit être annulée.

[29]          Il n"est pas nécessaire de résoudre, dans le cadre de la présente instance, le conflit entre une décision ordonnant la mise en semi-liberté du délinquant et un ordre de mise sous garde donné en application de l"article 105 de la Loi sur l"immigration. À tout le moins, une décision favorable concernant la demande de semi-liberté garantira qu"un arbitre examinera, en conformité avec 103(6) de la Loi sur l"immigration, la détention du délinquant en vertu d"un ordre donné en application de l"article 105 de cette Loi :

103. (6) Where any person is detained pursuant to this Act for an examination, inquiry or removal and the examination, inquiry or removal does not take place within forty-eight hours after that person is first placed in detention, or where a decision has not been made pursuant to subsection 27(4) within that period, that person shall be brought before an adjudicator forthwith and the reasons for the continued detention shall be reviewed, and thereafter that person shall be brought before an adjudicator at least once during the seven days immediately following the expiration of the forty-eight hour period and thereafter at least once during each thirty day period following each previous review, at which times the reasons for continued detention shall be reviewed.

103. (6) Si l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n'est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l'intéressé est amené, dès l'expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois :

a) dans la période de sept jours qui suit l'expiration de ce délai;

b) tous les trente jours après l'examen effectué pendant cette période.


Le véritable effet du respect du droit conféré par la loi à M. Larsen de faire examiner sa demande de semi-liberté tient à cette interaction entre les paragraphes 103(6) et 105(1) et à l"incidence que peut avoir l"examen effectué par l"arbitre sur le maintien du mandat d"arrestation et de l"ordre de mise sous garde.

[30]          La possibilité qu"un ordre de mise sous garde d"un délinquant délivré en application du paragraphe 105(1) fasse l"objet d"un examen par l"arbitre sous le régime du paragraphe 103(6) a été mise en relief par la Cour d"appel dans l"affaire Chaudhry. Dans l"opinion qu"il a rédigée au nom de la Cour, à l"unanimité, le juge Rothstein a souligné que la question de savoir si une personne frappée d"un ordre délivré en application de l"article 105 pouvait présenter une demande de semi-liberté n"était pas en litige. Toutefois, il a ajouté :

     ... nous notons que si la Commission nationale des libérations conditionnelles accordait la semi-liberté à une personne faisant l'objet d'un ordre prévu au paragraphe 105(1), cet ordre deviendrait alors applicable et aurait pour effet de prolonger sa garde et les motifs de celle-ci pourraient être examinés conformément au paragraphe 103(6).18

Ces propos font écho aux remarques formulées par le juge Evans en première instance :

     Selon l"interprétation de la Loi que je retiens, l"examen de l"ordre prévu au paragraphe 105(1) ne serait effectué qu"au moment où l"individu devient admissible à la semi-liberté ou à des sorties sans surveillance, parce qu"avant ce moment-là, l"ordre n"aurait pas nui aux conditions d"incarcération de l"individu en question.19

[31]          Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision communiquée par la Commission nationale des libérations conditionnelles dans sa lettre du 21 janvier 1999 est annulée. La demande présentée par le demandeur sollicitant l"examen de sa demande de semi-liberté sera transmise à l"établissement de Cowansville, qui fait partie du Service correctionnel du Canada, et à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour le prononcé d"une nouvelle décision compatible avec les présents motifs.

     "    Allan Lutfy "

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

18 octobre 1999

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NUMÉRO DU GREFFE :              T-292-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Vagn Larsen c. Commission nationale des libérations conditionnelles et autre
LIEU DE L"AUDIENCE :              Montréal (Québec)
DATE DE L"AUDIENCE :              13 septembre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY

DATE DES MOTIFS :              18 octobre 1999

ONT COMPARU :

Me Jack Waissman                  POUR LE DEMANDEUR

Me Isabella Teolis

Me David Lucas                  POUR LA DÉFENDERESSE

Me Sébastien Dasylva

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurin, Frigon, Waissman, Cliche          POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Montréal (Québec)

Me Morris Rosenberg              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

__________________

1      L.C. 1992, ch. 20, modifiée par L.C. 1995, ch. 42 et L.C. 1997, ch. 17. Le sommaire des modifications apportées en 1997 précisait qu"elles visaient à "    avancer la date de l'examen des dossiers de semi-liberté des délinquants non violents présentant un faible risque de récidive ".

2      Paragraphe 120(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , ibid.

3      L.R.C. (1985), ch. I-2.

4      Voir les alinéas 27(2)a ), 19(1)c) et 19(2)a) de la Loi sur l"immigration. Voir aussi le dossier de demande du demandeur, à la p. 26.

5      Ce document a été produit sur consentement au cours de l"audition de la demande de contrôle judiciaire.

6      Dossier de demande de la défenderesse, à la p. 4.

7      Dossier de demande du demandeur, à la p. 24.

8      Ce document a également été produit sur consentement au cours de l"audition. L"ordre de mise sous garde donné en application de l"article 105 le 14 avril 1998, supra note 5, visait le demandeur [Traduction] "    devant faire l"objet d"une enquête ". L"ordre donné en application de l"article 105 le 18 mars 1998 visait le demandeur [Traduction] "    frappé par une mesure d"interdiction de séjour ".

9      Le mandat d"arrestation et l"ordre de mise sous garde du 10 septembre 1999 ont été déposés sur consentement à l"audition. L"avocat de la défenderesse a indiqué qu"ils ont été délivrés en réaction à sa demande d"instructions adressée aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada concernant la poursuite de l"instance.

10      [1999] 3 C.F. 3 (1re inst.), au paragraphe 33, conf. par [1999] A.C.F. no 1335 (C.A.) (QL).

11      Je ne suis pas tenu de me prononcer sur les droits éventuels du demandeur relativement au mandat lancé en application de l"article 103 et à l"ordre donné en application de l"article 105 le 10 septembre 1999.

12      Les parties n"ont pas vraiment traité de ces dispositions dans leurs observations écrites ni à l"audition. Cette question a été scrutée dans une certaine mesure lors d"une conférence téléphonique au moment où l"affaire était en délibéré.

13      DORS/92-620, articles 149 et suivants. Voir en particulier l"article 153.

14      L"article 126.1 de la Loi prévoit que les articles 125 et 126 s"appliquent à la semi-liberté.

15      L"article 159 du Règlement n"a pas été modifié pour tenir compte de l"édiction des articles 119.1 et 126.1 de la Loi en 1997.

16      Voir l"article 11 de la Loi d"interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

17      Article 99 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

18      Précité, note 10, (C.A.), paragraphe 10.     

19      Précité, note 10, (1re inst.), paragraphe 27.

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