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Date : 20031010

Dossier : IMM-5945-02

Référence : 2003 CF 1184

ENTRE :

                                                             QUOC HUNG LY

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE von FINCKENSTEIN

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l'appel que le demandeur avait interjeté contre la décision d'un agent des visas de refuser d'accorder à sa conjointe, Mme Thi Kim Trang Huynh, la résidence permanente au Canada. La Commission a rejeté l'appel pour le motif que Mme Huynh était un membre exclu de la catégorie des parents, conformément au paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration.


HISTORIQUE

[2]                 Le demandeur est un citoyen canadien d'origine vietnamienne âgé de 26 ans. Au mois de décembre 1999, il a été présenté à Mme Huynh par téléphone par sa tante, qui vit au Canada. Le couple a communiqué par téléphone pendant plusieurs mois, au cours desquels il a été question de mariage. Ils se sont rencontrés au mois de mai 2000 et ils ont formé des projets de mariage. Ils se sont mariés dans la province de Camau, au Vietnam, le 5 juillet 2000.

[3]                 Après le mariage, le demandeur est revenu au Canada et il a demandé à parrainer sa conjointe en tant que résidente permanente. Pendant leur séparation, les conjoints ont échangé des lettres; des copies de ces lettres ont été fournies à la Cour. De plus, le demandeur a témoigné avoir régulièrement appelé Mme Huynh en utilisant le téléphone de sa tante. Le demandeur envoyait de l'argent à sa conjointe pour subvenir à ses besoins.

[4]                 Le 11 octobre 2002, un agent des visas a refusé la demande que le demandeur avait présentée en vue de parrainer Mme Huynh pour le motif que celle-ci avait contracté le mariage principalement afin d'être admise au Canada et qu'elle n'avait pas l'intention de résider en permanence avec le demandeur.


DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[5]                 Dans ses motifs, la Commission a conclu :

-            qu'il y avait des incohérences dans les déclarations écrites de Mme Huynh et dans les témoignages de la tante et du demandeur;

-            que la preuve documentaire fournie par le couple au sujet de la relation continue n'était pas digne de foi;

-            que le couple n'avait formé « aucun projet majeur » pour l'avenir.

-            que Mme Huynh « connaissait très peu » la vie du demandeur au Canada; et

-            que « personne n'a[vait] expliqué » pourquoi le mariage avait apparemment été arrangé à la hâte.

[6]                 À la lumière de ces conclusions, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas fourni d' « éléments de preuve crédibles et fiables » suffisants au sujet d'un mariage véritable. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le couple avait contracté un mariage de convenance.

DISPOSITION LÉGISLATIVE PERTINENTE

[7]                 Le paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-172, est rédigé comme suit :


(3) La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

POINT LITIGIEUX

[8]                 La question cruciale que le demandeur a soulevée est de savoir si la Commission a interprété ou apprécié d'une façon erronée la preuve dont elle disposait, de sorte qu'elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

ANALYSE

[9]                 Le défendeur soulève deux questions procédurales préliminaires fondées sur le fait que le seul affidavit qui a été déposé à l'appui de la demande était celui de l'ancien avocat du demandeur : en premier lieu, quelle importance, le cas échéant, faut-il accorder au fait que le demandeur n'a pas déposé son propre affidavit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire et, en second lieu, l'affidavit de l'ancien avocat devrait-il être radié du dossier? Une copie de l'affidavit est jointe à l'annexe A de ces motifs.


[10]            À l'exception des requêtes, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle : paragraphe 81(1) des Règles de la Cour fédérale (1998). L'affidavit ne doit pas contenir d'arguments et le déclarant ne doit pas interpréter la preuve qui a déjà été examinée par un tribunal ou tirer des conclusions juridiques (Deigan c. Canada (P.G.) (1996), 206 N.R. 195 (C.A.F.); West Region Tribal Council c. Booth (1992), 55 F.T.R. 28; First Green Park Pty. Ltd. c. Canada (P.G.), [1997] 2 C.F. 845). Lorsqu'un affidavit ne satisfait pas à ces exigences, la demande peut uniquement être accueillie si une erreur est manifeste au vu du dossier (Turcinovica c. Canada (MCI), 2002 CFPI 164).

[11]            Seul le premier paragraphe et la première moitié du deuxième paragraphe relevaient de la connaissance personnelle du déclarant, le reste étant fondé sur des renseignements et sur ce que le déclarant croyait être les faits ou étant de la nature d'une argumentation. Par conséquent, seuls les passages suivants ne seront pas radiés du dossier :

[TRADUCTION]

1.              Mes services ont été retenus pour que je représente le demandeur Quoc Hung Ly - le mari, et sa conjointe, l'appelante - Thi Kim Trang.

2.              Il ne m'a pas été difficile de représenter l'appelant et la demanderesse puisque je les estimais sincères.

[12]            Le paragraphe 10 de l'affidavit dans lequel l'ancien avocat du demandeur a allégué que le commissaire dont la décision est ici examinée était responsable du suicide d'un autre appelant est particulièrement troublant. Ce paragraphe est libellé comme suit :

[TRADUCTION]

10.            La décision défavorable rendue par le même membre du tribunal dans l'affaire Khac Lo Dinh (Imm-5742-02) a contribué au suicide de l'appelant à la fin de l'année 2002 et cette affaire est maintenant poursuivie auprès du ministre.


Ce genre d'accusation cavalière n'a pas sa place dans un affidavit, et encore moins dans l'affidavit d'un membre de longue date du Barreau. La Cour s'oppose avec véhémence à des allégations non fondées et non pertinentes de ce genre. S'il existe une préoccupation véritable, il faudrait la soulever par les voies régulières.

[13]            Puisque les questions procédurales ont été réglées, il convient maintenant d'examiner les arguments du demandeur. La décision relative à la question de savoir si un mariage est véritable est une conclusion de fait qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Grewal c. Canada (MCI) [2003] A.C.F. no 1223). Le rôle de la Cour consiste à s'assurer que la conclusion n'a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte de la preuve (Aguebor c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.)).


[14]            Dans ses motifs, la Commission a accordé un poids important à la conclusion selon laquelle « personne n'a[vait] expliqué » pourquoi les fiançailles du couple n'avaient duré que quelques semaines. Le demandeur m'a demandé avec instance de conclure que cela constitue une erreur susceptible de contrôle pour deux motifs. En premier lieu, il a soutenu qu'il avait demandé Mme Huynh en mariage plusieurs mois avant le mariage. Il a témoigné qu'elle avait répondu qu'elle devait demander la permission de ses parents, et il a soutenu que, dans son milieu culturel, cela constituait une acceptation officieuse de la proposition. Il affirme que les fiançailles ont donc duré plusieurs mois plutôt que plusieurs semaines. En second lieu, le demandeur a soutenu qu'en concluant que le mariage avait été organisé à la hâte, la Commission avait omis de tenir compte de son témoignage selon lequel d'autres membres de la famille avaient décidé de la date du mariage, de façon qu'il soit conforme aux croyances culturelles et religieuses de la famille.

[15]            La Commission n'était pas obligée de considérer le témoignage du demandeur comme dépeignant d'une façon exacte le contexte culturel de ses fiançailles et de son mariage. Toutefois, étant donné que dans ses motifs, la Commission ne donne pas à entendre qu'elle a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible, l'explication que celui-ci a donnée constituait un élément de preuve pertinent dont elle devait tenir compte. Si cet élément de preuve devait être rejeté, la Commission est tenue d'indiquer pourquoi elle le fait en termes clairs et non équivoques (Hilo c. Canada (MEI) (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

[16]            Rien ne montrait, dans les motifs, que la Commission avait tenu compte du témoignage du demandeur relatif aux circonstances culturelles dans lesquelles s'inscrivaient les fiançailles et le mariage, et il n'a pas été expliqué pourquoi ce témoignage avait été rejeté. Cela étant, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.

[17]            Compte tenu de la conclusion que j'ai tirée, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres conclusions de la Commission qui ont été contestées dans la demande ou d'examiner la demande de certification que l'avocat du demandeur a faite.

[18]            La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

« K. von Finckenstein »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 10 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                  ANNEXE « A »

Dossier :

                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

ENTRE :

QUOC HUNG LY

demandeur

et

­LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

AFFIDAVIT DE CECIL L. ROTENBERG

            Je, Cecil L. Rotenberg, de Toronto (Ontario), DÉCLARE SOUS SERMENT QUE :

1.         Mes services ont été retenus pour que je présente le demandeur Quoc Hugn Ly - le mari, et sa conjointe, l'appelante - Thi Kim Trang.

2.          Il ne m'a pas été difficile de représenter l'appelant et la demanderesse puisque je les estimais sincères et qu'ils avaient à mon avis contracté un mariage véritable.

3.          Je conteste quant à la substance l'énoncé figurant au paragraphe 5 de la décision; en effet, la demanderesse n'a pas été citée comme témoin étant donné que la journée tirait à sa fin - la demanderesse était disponible et elle était prête à témoigner, mais puisque la journée tirait à sa fin, elle n'a pas témoigné, et ce, sans que ce soit sa faute.

4.         Je conteste quant à la substance le paragraphe 8 de la décision du membre en ce sens qu'il n'y a pas d'incohérence entre la déclaration de la conjointe selon laquelle la tante l'avait présentée à son mari - avant l'appel initial de la tante, le mari avait vu sa photo dans un album et avait demandé à la tante de l'appeler. La conjointe a répondu correctement que c'était la tante qui l'avait appelée pour lui présenter son futur mari.


5.          Je conteste quant à la substance le paragraphe 9 de la décision du membre du tribunal pour ce qui est de la présumée hâte à contracter le mariage - en ce sens que les conjoints vivaient séparément - et puisque les conjoints communiquaient uniquement par téléphone ou par lettre, ni l'un ni l'autre ne gagnait à prolonger les fiançailles. En fait, la proposition de mariage a été faite au mois d'avril 2002, le demandeur était au Vietnam au mois de mai 2002 et le mariage n'a eu lieu que le 5 juillet 2002.

6.          Je conteste l'idée exprimée au paragraphe 10 de la décision du membre du tribunal en ce sens que celui-ci a exigé une seule photographie de tous les membres de la famille qui avaient assisté à la cérémonie de mariage.

7.          Je conteste quant à la substance le paragraphe 12 de la décision du membre du tribunal lorsqu'il considère d'une façon désinvolte et catégorique le fait que le mari avait envoyé de l'argent à sa femme comme un simple échange d'argent entre des gens. C'était là une preuve de partialité étant donné en particulier que le membre n'a pas remis la crédibilité du demandeur en question.

8.          Je crois que l'attitude du membre du tribunal ici en cause donne lieu à une crainte raisonnable de partialité envers les appelants d'origine vietnamienne et impose une norme occidentale à l'égard de la façon dont une relation devrait être établie pour déterminer si un mariage est un mariage véritable.

9.          Je conteste quant à la substance le paragraphe 14 de la décision du membre du tribunal en ce sens que j'ai présenté une preuve au sujet des projets d'établissement futur du demandeur, de sorte que le membre a tiré une conclusion erronée.

10.         La décision défavorable rendue par le même membre du tribunal dans l'affaire Khac Lo Dinh (Imm-5742-02) a contribué au suicide de cet appelant à la fin de l'année 2002 et cette affaire est maintenant poursuivie auprès du ministre.

11.         Il y a d'autres exemples de partialité manifestée par ce membre qui seront révélés dans la transcription.

12.         J'ai lu la décision du membre du tribunal, M. Neron, et je crois qu'il a commis l'erreur de compter le nombre d'incohérences, au lieu d'examiner la preuve dans son ensemble à l'égard des deux volets énoncés dans la décision Horbas, [1985] 2 C.F. 359.

13.         J'établis le présent affidavit pour aider les parties parce qu'à mon avis, le tribunal a commis une erreur technique en ce qui concerne la façon dont il a examiné la preuve.


14.         Je me fonde sur la décision rendue par Monsieur le juge Campbell dans l'affaire Trinh, [2002] A.C.F. no 728, où il semble que le membre du tribunal ait commis la même erreur en comptant le nombre d'incohérences au lieu de tenir compte de la preuve dans son ensemble et d'examiner les inférences en découlant. Je produis sous la cote « A » la décision rendue par le juge Campbell dans l'affaire Trinh. Je produis sous la cote « B » la décision du tribunal de la Section d'appel dans l'affaire Trinh, [2001] DSAI no 524.

FAIT SOUS SERMENT devant moi                     )

à Toronto (Ontario)                                               )                              « Original signé par »

le      janvier 2003.                                                   )                        _____________________

)                         CECIL L. ROTENBERG

Commissaire

ligne


                                                                            

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-5945-02

INTITULÉ :                                                        QUOC HUNG LY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 7 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

MARY LAM                                                        POUR LE DEMANDEUR

MARIANNE ZORIC                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam                                                             POUR LE DEMANDEUR

74, rue Victoria, bureau 303

Toronto (Ontario)

M5C 2A5

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                    

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