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     Date : 19980401

     Dossier : T-245-86

ENTRE :

     SHIRLEY LARDEN,

     DemanderesseAppelante,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

     DU NORD CANADIEN, MARVIN ANDREW JOE,

     DAVID JAMES JOE, EDITH BAIRD, NORMA JACOBS,

     LEILEAN KOLLER, BRIAN CARDINAL, RENE CARDINAL,

     JEANNE CARDINAL, CINDY WATSON ET H. ERVIN,

     Défendeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

     ET DU NORD CANADIEN ET H. ERVIN,

     Intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      Dans la présente action, la demanderesse, Mme Shirley Larden, réclame la totalité ou une part supplémentaire de la succession de son père, Simon Joe. Les défendeurs encore parties en l'instance sont les frères et soeurs et les héritiers des frères et soeurs de la demanderesse.

[2]      Les défendeurs affirment que l'action, introduite il y a plus de douze ans, devrait être rejetée pour défaut de poursuivre. Subsidiairement, ils soutiennent que la succession a été réglée par une entente écrite entre les héritiers en 1990, de sorte que l'action devrait être suspendue dans l'intérêt de la justice, ou radiée parce qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, parce qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire ou parce qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. Depuis 1990, environ, la demanderesse a agi comme si l'action n'existait pas pendant environ six ans puis, plus récemment, elle n'a pas réussi à la faire progresser efficacement jusqu'à l'instruction, s'attirant ainsi une conclusion appliquée sommairement. J'ai maintenant mis fin à l'action en la radiant, sans accorder l'autorisation de la modifier. Pour comprendre toute l'affaire, il faut remonter au moins à 1966.

CONTEXTE

[3]      La demanderesse est l'un des nombreux enfants de Simon et de Felicia Joe, qui étaient membres de la Bande indienne de Tsawwassen. Simon Joe est décédé sans testament en 1966, son épouse étant alors toujours en vie. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a négocié une entente, à la fin de l'année 1966 ou au début de l'année 1967, par laquelle les héritiers ont convenu que Felicia Joe devait avoir un intérêt viager sur la succession de Simon Joe. Felicia Joe est décédée en 1981. D'où une instance introduite devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[4]      L'administrateur de la succession de Simon Joe, Harold Ervin, un employé du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC), a obtenu l'approbation de tous les héritiers, le 15 février 1983, relativement au partage des terres constituant la succession de Simon Joe. L'entente a mis fin à l'instance en cours devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Shirley Larden, la demanderesse, et les autres héritiers ont convenu entre eux de la façon dont serait partagée la succession. La demanderesse devait recevoir un intérêt de 654e sur les terres constituant la succession. En retour, tous les héritiers convenaient de renoncer à toute réclamation ultérieure contre la Couronne, ses administrateurs et employés. Il semble qu'à l'époque, les actifs de la succession étaient entièrement constitués de terres.

[5]      La demanderesse affirme qu'en mars 1984, l'administrateur de la succession a proposé un partage qui ne correspondait pas à l'entente conclue entre les héritiers le 5 février 1983. Après des négociations qui ont échoué, la demanderesse a intenté la présente action le 30 janvier 1986, en vue d'obtenir la totalité des terres constituant la succession ou, subsidiairement, un intérêt partiel indéterminé sur ces terres. La demanderesse réclame en outre dans sa déclaration un intérêt quantum meruit sur les terres composant la succession. La déclaration est apparemment antérieure à la vente d'une partie des terres de la succession aux fins de la construction d'une route.

[6]      En janvier 1988, peu de mesures ayant été prises pour faire progresser l'action, quatre des défendeurs ont tenté sans succès d'obtenir le rejet de l'action pour défaut de poursuivre. En 1988, le défendeur Marvin Joe a été interrogé au préalable. Par la suite, les avocats représentant les héritiers, dont l'avocat de la demanderesse, sont parvenus à un compromis documenté par une lettre échangée par les avocats le 8 mars 1989, concernant une entente de règlement. La demanderesse et les autres héritiers ont signé une copie de cette lettre comme exprimant l'entente [Traduction] " convenue et acceptée " (appelée la lettre d'entente de 1989). Il y a tout lieu de croire que la demanderesse a reçu des conseils juridiques adéquats au moment où elle a signé la lettre d'entente de 1989. L'entente prévoyait que la demanderesse recevrait 15 000 $ pour quitter sa résidence, de la part du ministère de la Voirie qui réclamait un droit de passage, un autre montant de 30 000 $, en sus des parts attribuées à tous les héritiers, prélevé sur l'indemnité versée à la succession en échange de la construction de la route et trois des quinze acres de la réserve indienne de Tsawwassen que possédait auparavant Simon Joe. En contrepartie, la demanderesse convenait de signer un désistement sur consentement de la présente action intentée devant la Cour fédérale.

[7]      Le 23 mai 1989, la demanderesse a déposé un avis de changement de procureur, indiquant qu'elle agirait désormais en son propre nom. Cet avis est le dernier élément apparaissant au dossier de la Cour jusqu'au 12 avril 1996, date à laquelle le juge en chef adjoint a donné à la demanderesse un avis en vertu de la Règle 327.2, lui enjoignant de mettre au rôle une demande de directives, à défaut de quoi la Cour rejetterait l'action. Au cours des années 1990 et 1991, d'autres événements dont je traiterai maintenant sont toutefois survenus à l'extérieur du cadre de l'action.

[8]      La lettre d'entente de 1989 a été reformulée sous forme d'entente formelle le 31 juillet 1990 (l'entente de 1990). L'entente de 1990, qui a été signée par la demanderesse et tous les héritiers, correspond de façon générale à la lettre d'entente. La demanderesse devait recevoir un intérêt absolu sur trois acres de terrain, y compris tout intérêt sur le lot 3-3 auquel la succession pourrait avoir droit, un montant de 30 000 $ représentant un règlement initial prélevé sur l'indemnité pour la construction de la route et un intérêt de 654e sur le solde du fonds d'indemnisation relatif à la route. L'entente de 1990 ne mentionne pas la somme de 15 000 $ versée par le ministère de la Voirie à Mme Larden pour qu'elle quitte sa résidence, ni le logement de remplacement que devait lui fournir la Bande de Tsawwassen, mais ces éléments ne faisaient pas partie de la succession.

[9]      Le préambule de l'entente de 1990 atteste que la demanderesse et les autres héritiers de la succession désirent régler [Traduction] " ... toutes les questions en suspens entre eux quant à leurs droits respectifs sur les biens de la succession; ... ". L'entente de 1990 contient une quittance habituelle en faveur de l'administrateur et des exécuteurs de la succession. Plus particulièrement, en ce qui concerne la demanderesse, l'entente de 1990 contient les dispositions qui suivent :

     [Traduction]         
      Quittance, règlement définitif et désistement par Larden         
     4.      Sous réserve du transfert de la propriété sud et de la réception d'un montant de 30 000 $ et d'une part équivalant à 654e du solde de l'indemnité, Larden renonce par les présentes à faire valoir quelque réclamation, intérêt ou droit que ce soit, passé, présent ou futur, relativement à la succession et aux biens meubles et immeubles composant la succession, y compris tout intérêt, même accessoire, sur la succession et tout revenu ou paiement relatif à un bien de la succession, déterminé ou non.         
     5.      Larden accepte le partage prévu au paragraphe 1 de la présente entente en règlement complet et définitif de la totalité des sommes d'argent, legs et avantages qui lui sont dus par la succession ou l'une des parties aux présentes.         
     6.      Larden s'engage à signer un désistement sur consentement, sans dépens, relativement à l'action no T-245-86 introduite devant la Cour fédérale du Canada.         

En résumé, en contrepartie d'une part importante de la succession, en règlement complet et définitif de sa réclamation contre la succession et toutes les parties à l'entente de 1990, la demanderesse a convenu de se désister de son action, sans dépens.

[10]      Au moment de la signature de l'entente de 1990, la demanderesse n'était plus représentée par un avocat aux fins de la présente action. Toutefois, elle a signé l'entente de 1990 devant un avocat. L'avocat des défendeurs affirme que l'avocat en cause était versé dans ces questions et que je dois tenir pour acquis qu'il n'a pas agi en qualité de simple témoin, mais qu'il a conseillé la demanderesse. L'avocate de la demanderesse affirme que sa cliente a signé l'entente sous l'effet de la contrainte et que l'avocat devant lequel elle l'a signée a agi simplement comme témoin.

[11]      La demanderesse affirme, dans son affidavit du 13 février 1998, qu'elle a signé la lettre d'entente de 1989 et l'entente de 1990 [Traduction] " sous l'effet de la contrainte, au sujet de laquelle j'ai l'intention de donner des précisions dans une modification de ma déclaration. " (paragraphe 8). La demanderesse explique, dans un affidavit signé le 18 octobre 1996, qu'elle souffrait de dépression et de maux de dos chroniques depuis 25 ans, qu'elle avait été traitée à l'occasion pour ces deux problèmes et qu'elle subissait des pressions pour conclure un règlement. La demanderesse soumet en outre une lettre signée par son médecin, datée du 26 avril 1989, faisant état de divers problèmes de santé, mais cette lettre est loin d'indiquer que la demanderesse était inapte à s'occuper de ses propres affaires. Bien qu'elle en ait eu amplement l'occasion, la demanderesse n'a pas traité d'une question cruciale, soit celle de savoir si elle avait ou non reçu des conseils de l'avocat devant lequel elle a signé l'entente de 1990.

[12]      La demanderesse a reçu la terre convenue et une part de la succession, fait constaté par M. le juge Denault dans son ordonnance par laquelle il a rejeté, le 10 mars 1997, la demande formulée contre les entités de la Couronne défenderesses parce qu'elles avaient partagé correctement la succession et que l'action intentée contre elle constituait donc un abus des procédures. Plus particulièrement, la demanderesse a reçu une partie importante de la succession, c'est-à-dire non seulement la terre visée par l'entente de 1990, mais également un paiement de 52 794,44 $ vers le mois de décembre 1991, comme le mentionne une résolution du conseil de la Bande du 3 décembre 1991 et une lettre de son avocat datée du 9 décembre 1991. Cette lettre porte que ce montant est accepté sous toutes réserves et à titre de paiement partiel des montants réclamés par la demanderesse au chef et au conseil de la Bande de Tsawwassen, ainsi qu'aux autres parties, concernant [Traduction] " l'opération relative à la route et les questions touchant la succession Joe ". Il semble plutôt tard pour rattacher des conditions à ce paiement, en ce qui concerne la succession, et la présente action a en fait stagné entre le mois de mai 1989 et le mois d'avril 1996, c'est-à-dire jusqu'à ce que la Cour tire la demanderesse de sa torpeur en lui délivrant un avis en vertu de la Règle 327.2. Cet avis a donné lieu à la demande de directives présentée le 27 mai 1996 par la demanderesse. Cette demande a été suivie de peu par une requête présentée au nom de la Couronne, du ministre du MAINC et de Harold Ervin en vue d'obtenir la suspension de l'instance dirigée contre eux, ou son rejet au motif qu'elle est futile et vexatoire et qu'elle constitue un abus des procédures.

[13]      L'ordonnance de M. le juge Denault comporte de brèves dispositions, après un court préambule résumant l'entente de 1990 :

     [Traduction]         
      LA COUR ÉTANT CONVAINCUE DES ÉLÉMENTS SUIVANTS :         
     1.      a)      La demanderesse a reçu des terres et des sommes d'argent des successions de Simon et Felicia Joe conformément à l'entente;         
         b)      Le ministre des Affaires indiennes intimé a partagé la succession de Simon Joe conformément à l'entente;         
         c)      La demanderesse réclame des dommages-intérêts à Sa Majesté la Reine dans une autre action (T-643-92) en se fondant sur l'obligation fiduciaire créée par l'entente ou à laquelle elle renvoie.         
     2.      La demanderesse abuse des procédures et agit de façon vexatoire en poursuivant l'action contre les défendeursintimés suivants : Sa Majesté la Reine, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien du Canada et H. Ervin.         

Le juge Denault a donc rejeté l'action dirigée contre les trois entités de la Couronne défenderesses. Je ne considère pas l'ordonnance rendue par le juge Denault le 10 mars 1997 comme concluante relativement à la question de savoir si la demanderesse a une cause d'action contre les défendeurs encore parties à l'action. Cette ordonnance tranche plutôt la question de savoir si les entités de la Couronne défenderesses ont partagé correctement la succession comme l'exigeait l'entente de 1990. Mon interprétation de cette ordonnance s'appuie sur une deuxième ordonnance rendue par le juge Denault le 12 mars 1997 dans les termes suivants :

     [Traduction] Sous réserve de l'ordonnance délivrée aujourd'hui par la Cour pour rejeter l'action dirigée contre Sa Majesté la Reine, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien du Canada et H. Ervin, à défaut par toutes les parties intéressées de déposer leurs listes et leurs affidavits de documents dans un délai de trente (30) jours, et par la demanderesse de terminer les interrogatoires préalables des parties défenderesses dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours suivant la date de la présente ordonnance, les défendeurs encore parties à l'instance pourront demander le rejet de l'action pour défaut de poursuivre.         

Cette deuxième ordonnance établit un échéancier conformément auquel la demanderesse doit terminer la production des documents et les interrogatoires préalables, à défaut de quoi les défendeurs encore parties à l'instance peuvent demander le rejet de l'action pour défaut de poursuivre. L'ordonnance ne tranche pas la question de savoir si la demanderesse a une cause d'action valable, ni ne limite les recours des défendeurs encore parties à l'instance, mais elle impose à la fois à la demanderesse et aux défendeurs un échéancier pour terminer le processus d'enquête préalable.

[14]      La demanderesse a déposé un long affidavit de documents dans le délai prescrit et elle a tenté de terminer les interrogatoires préalables. Elle a réussi à terminer trois interrogatoires préalables symboliques dans le délai prescrit. La question de savoir si les autres défendeurs ont reçu signification du moment fixé pour leur interrogatoire préalable demeure litigieuse. Les parties semblent de part et d'autre reconnaître que Cindy Watson n'a pas reçu signification. Elles ne s'entendent pas sur la question de savoir si un groupe de défendeurs représentés par Davis & Company a reçu signification. Je retiens la preuve par affidavit de Paul Johal, secrétaire juridique de Stan H. Ashcroft qui représente maintenant la demanderesse, selon lequel il a pris des arrangements pour les interrogatoires préalables et préparé une lettre datée du 16 août 1997 adressée à Davis & Company, comprenant des directives relativement à l'interrogatoire préalable, et le montant de leurs frais de déplacement. Je retiens la preuve par affidavit de la demanderesse, signée le 5 janvier 1998, selon laquelle elle a signifié cette lettre à Davis & Company vers le 19 mai 1997. D'après ce que je comprends, les défendeurs, qui ont été représentés par Davis & Company, affirment que Davis & Company ne les représentait plus en mai 1997 en se reportant, peut-être, à l'affidavit signé par James Reynolds, de Davis & Company, déposé le 8 juillet 1997, auquel est joint une lettre du 22 avril 1997 avisant ces défendeurs que Davis & Company ne pourrait plus les représenter en raison d'un conflit. Cette question peut être tranchée rapidement : le cabinet Davis & Company est demeuré inscrit au dossier en qualité de procureur de ces défendeurs jusqu'à une date ultérieure au 28 juillet 1997. L'adresse des défendeurs aux fins de signification est demeurée celle du cabinet Davis & Company jusqu'au 22 octobre 1997.

[15]      Si j'avais à trancher la question du respect de l'ordonnance rendue par M. le juge Denault, les questions qui me préoccuperaient, sérieusement, incluraient la nature superficielle des interrogatoires préalables entrepris par la demanderesse et le fait que celle-ci a réservé trop peu de temps aux procédures nécessaires, de sorte qu'elle n'a pas été en mesure de demander, au moyen d'une ordonnance judiciaire, au besoin, que les autres défendeurs se présentent pour être interrogés au préalable. Aucun élément ne tient vraiment à la question de savoir si la demanderesse a contrevenu à l'ordonnance rendue par M. le juge Denault le 10 mars 1997, pour ce qui est de terminer les interrogatoires préalables, ni ne tient au droit des défendeurs de présenter une requête pour défaut de poursuivre si la demanderesse est effectivement en défaut car, bien que j'aie examiné la question du rejet pour défaut de poursuivre, j'ai tranché la requête en m'appuyant sur un autre motif.

ANALYSE

[16]      La suspension d'une affaire comme celle dont la Cour est saisie, dans l'intérêt de la justice, constitue une réparation qui n'est d'aucun secours pour qui que ce soit, car l'action doit soit prendre fin complètement maintenant, soit avancer rapidement. Cette constatation nous mène à deux facteurs qui ont toujours été à l'arrière-plan d'une requête en rejet pour défaut de poursuivre ou d'une requête en radiation fondée sur la Règle 419. Premièrement, le fait de mettre fin prématurément à une action, qui empêche une partie demanderesse de se faire entendre, constitue une réparation radicale à laquelle il ne faut recourir que dans les cas les plus clairs. Deuxièmement, pour que les parties défenderesses ne subissent pas d'injustice, tout litige doit être mené à terme dans un délai raisonnable pour résoudre l'incertitude et permettre aux parties de poursuivre leur vie normalement.

Défaut de poursuivre

[17]      En ce qui a trait premièrement au défaut de poursuivre, le raisonnement à appliquer est celui énoncé dans l'arrêt Birkett v. James, [1978] A.C. 297, dans lequel la Chambre des lords a approuvé le critère élaboré par la Cour d'appel dans l'arrêt Allen v. Sir Alfred McAlpine & Sons Ltd., [1968] 2 Q.B. 229. La règle applicable au rejet pour défaut de poursuivre consiste en un critère qui comporte trois volets, selon lequel le défendeur doit démontrer qu'il y a eu retard excessif, que ce retard excessif est inexcusable et qu'il causera vraisemblablement un préjudice sérieux au défendeur, comme le précise le jugement du Lord juge Salmon, à la page 268 de l'arrêt Sir Alfred McAlpine.

[18]      En ce qui a trait au premier volet de ce critère, il est clair qu'il y a eu retard excessif en l'espèce.

[19]      La demanderesse n'a pas offert d'explication acceptable pour ce retard, plus particulièrement en ce qui concerne le délai écoulé entre le mois de janvier 1988, lorsque les différents défendeurs n'ont pas réussi à faire radier l'action pour défaut de poursuivre, et le mois d'avril 1996, lorsque la Cour a demandé à la demanderesse de présenter un avis en vue d'obtenir des directives. Il n'est pas raisonnable d'affirmer, comme le fait valoir la demanderesse, que les défendeurs ont toléré ce retard : en signant l'entente de 1990 et le partage de la succession, les défendeurs ont plutôt cru que le désistement convenu de l'action mettait fin à l'instance. Le fait que la demanderesse, qui a agi en son propre nom pendant la plus grande partie de ce délai, n'ait pas été en mesure de retenir les services d'un avocat, sauf de façon sporadique, et qu'elle ait pu être malade, à l'occasion, ne justifie pas qu'elle ait laissé l'action en suspens et les défendeurs en attente. La demanderesse affirme que les questions irrésolues concernant le partage de la succession devaient être tranchées par voie d'arbitrage. Toutefois, aucune disposition prévoyant une procédure d'arbitrage ne figure dans la lettre d'entente de 1989 ni dans l'entente de 1990. La seule mention d'une procédure d'arbitrage se trouve dans la lettre du 9 mars 1989 rédigée par l'avocat qui représentait alors Mme Larden. Non seulement la procédure d'arbitrage mentionnée dans cette lettre n'a-t-elle pas survécu à l'entente de 1990, mais encore l'arbitrage suggéré semble-t-il viser la forme du lot et une servitude d'accès. Madame Larden ne peut prétendre raisonnablement, ni invoquer pour justifier son retard, qu'elle croyait que sa réclamation relative à une plus grande part de la succession pourrait être tranchée par voie d'arbitrage.

[20]      Le rejet pour défaut de poursuivre demandé par les défendeurs ne peut leur être accordé parce qu'ils ne m'ont pas convaincu qu'ils ont subi un préjudice sérieux. En l'espèce, le fait que les souvenirs s'estompent ne cause pas de préjudice manifeste. D'autant plus que la preuve documentaire jouera un rôle important et qu'au moins un interrogatoire préalable a été effectué en 1988. L'une des parties défenderesses initiales, Leilean Koller, est décédée en 1986, environ deux mois après l'introduction de l'action. Le décès d'un témoin important peut causer un préjudice sérieux : Nichols c. Canada (1990), 36 F.T.R. 77, à la page 78 (1re inst.), et Genious Maritime Inc. c. Federal Atlantic (Le) (1995), 85 F.T.R. 230, aux pages 232 et 233 (1re inst.), affaires dans lesquelles des témoins importants étaient décédés neuf ans et cinq ans après l'introduction de l'action. Le décès d'un témoin important peut causer un préjudice lorsqu'il est combiné à un retard : Rodgers c. La Reine, décision non publiée rendue le 8 septembre 1994 par M. le juge Wetston dans l'action T-837-71. Subsidiairement, le décès d'un témoin peut être malheureux, mais ne pas causer nécessairement de préjudice car " les parties devant n'importe quel tribunal doivent s'attendre qu'il se produise de temps à autre ce genre d'événements malheureux ". McGregor et McGregor c. Canada (1988), 20 F.T.R. 122, à la page 124 (1re inst.), affaire dans laquelle une preuve documentaire volumineuse avait été versée au dossier et une certaine enquête préalable avait eu lieu. En l'espèce, je ne suis pas convaincu que Mme Koller était un témoin important.

En effet, l'avocat des défendeurs la mentionne simplement, dans sa plaidoirie écrite, comme un témoin possible. Compte tenu de toutes les circonstances, je ne crois pas que les défendeurs ont subi un préjudice au sens où l'entend l'arrêt Sir Alfred McAlpine.

[21]      J'ai envisagé brièvement, au cours de l'audition, mais rejeté l'idée de demander aux avocats de me présenter des observations fondées sur l'arrêt Grovit v. Doctor, [1997] 1 W.L.R. 640, une décision dans laquelle la Chambre des Lords a mis en doute le principe voulant qu'un tribunal n'ait pas le pouvoir d'accorder une réparation aux défendeurs que les demandeurs ont longtemps négligés, à moins que les défendeurs puissent démontrer qu'ils ont subi un préjudice. Dans l'arrêt Grovit v. Doctor, le juge qui a entendu la requête à l'origine a conclu qu'il y avait eu retard excessif et inexcusable et que, la demanderesse n'ayant aucun intérêt à poursuivre activement l'instance, son action aurait dû être rejetée pour défaut de poursuivre. La Cour d'appel a confirmé cette décision initiale en concluant qu'une demanderesse était fautive lorsqu'elle intentait et poursuivait une procédure qu'elle n'avait pas l'intention de mener à terme sans retard et que cette manière de procéder constituait un abus des procédures. La partie qui a interjeté appel dans l'affaire Grovit v. Doctor a énergiquement contesté l'ordonnance de rejet, mais la Chambre des Lords était convaincue que le juge et la Cour d'appel avaient tiré une conclusion juste. Lord Woolf, qui a rédigé le jugement au nom de la Chambre des Lords, a souligné qu'en présence d'un abus des procédures causé par un retard, en l'occurrence l'absence de toute intention véritable de faire avancer le dossier jusqu'à l'instruction, le juge des requêtes et la Cour d'appel étaient autorisés à rejeter la procédure. En l'espèce, il n'est pas certain et il est même douteux que la demanderesse ait eu la moindre intention de procéder à l'instruction avant que la Cour la tire d'une torpeur qui durait depuis sept ans en lui envoyant un avis lui enjoignant de demander des directives, sans quoi l'action serait radiée.

[22]      Le raisonnement retenu dans l'affaire Grovit v. Doctor est semblable au concept voulant que, lorsqu'une partie au litige ne se préoccupe nullement des délais fixés par les Règles, son manquement soit considéré non seulement sous l'angle du préjudice causé à certaines parties en particulier, mais encore sous l'angle d'un préjudice causé à l'administration de la justice. Un tel préjudice pourrait ainsi fonder la suspension ou le rejet de l'instance, indépendamment de la règle posée dans l'arrêt Birkett v. James, précité, et je me reporte ici à la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Arbuthnot Latham Bank Ltd. v. Trafalgar Holdings Ltd., publiée dans The Times, le 29 décembre 1997, dans laquelle la Cour a souligné que le facteur du retard excessif gagnerait de l'importance à l'avenir, avec l'introduction de la gestion des dossiers par la Cour. Comme je l'ai déjà dit, j'ai décidé de ne pas soulever ces questions lors de l'audition de la requête. Je la soulève toutefois dans les présents motifs à titre de mise en garde adressée aux avocats, celle-ci pouvant très bien devenir pertinente lorsque les dossiers seront gérés conformément aux nouvelles Règles de 1998 qui établissent des délais précis en matière de procédure.

[23]      Plutôt que de rejeter l'action pour défaut de poursuivre, en raison de l'absence de toute intention véritable de procéder, ou pour manquement aux Règles de la Cour fédérale, il est nettement plus simple de trancher la requête dans le contexte de la Règle 419, qui régit la radiation d'un acte de procédure dans différentes circonstances.

La radiation sous le régime de la Règle 419

[24]      Je m'intéresserai maintenant à une dernière possibilité, soit la radiation de l'action par application de la Règle 419 parce qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, parce qu'elle est futile ou vexatoire, ou parce qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. Selon cette règle, un acte de procédure peut être radié lorsqu'il ne révèle aucune cause raisonnable d'action uniquement s'il est manifeste et s'il ne fait aucun doute que l'action ne peut être accueillie. Si l'acte de procédure n'est pas futile, et s'il a la moindre chance de succès, il ne sera pas radié. Lorsque je suis saisi d'une demande de radiation d'un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucune cause raisonnable d'action, je dois accepter la déclaration comme si les faits qui y sont allégués étaient avérés, à moins qu'ils ne soient manifestement déraisonnables. Dans le cadre de l'examen de l'existence d'une cause raisonnable d'action, aucune preuve par affidavit n'est autorisée (sauf dans le cas où une question de compétence est en cause et où il convient de déposer une requête pour soulever la question de la compétence en vertu de la Règle 401).

[25]      Subsidiairement, lorsque l'action est censément scandaleuse, futile ou vexatoire ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, au sens des alinéas 419(1)c) et f), le critère applicable est aussi, sinon plus exigeant que celui établi relativement à l'alinéa 419(1)a) : Waterside Ocean Navigation Co. Inc. c. The Laurentian Forest, [1977] 2 C.F. 257, à la page 259, une décision du juge en chef adjoint Thurlow.

[26]      Dans les cas où il est possible qu'une demande soit accueillie si l'acte de procédure est modifié, l'autorisation de le modifier doit être accordée. La Cour ne peut refuser l'autorisation de le modifier que dans les cas où il n'existe pas l'ombre d'une cause d'action. En résumé, un tribunal n'empêchera pas une partie de se faire entendre s'il existe la moindre chance que sa demande soit accueillie.

[27]      En l'espèce, en tenant pour acquis que les allégations de la déclaration sont prouvées et en reconnaissant que je pourrais donc ne pas tenir compte de la lettre d'entente de 1989 et de l'entente de 1990, la demanderesse pourrait bien avoir une cause raisonnable d'action.

[28]      Pour déterminer si la déclaration qui établit en quoi consiste l'action est scandaleuse, futile ou vexatoire ou si elle constitue un abus des procédures de la Cour, je peux prendre en considération la preuve par affidavit.

[29]      Par une plaidoirie futile, on entend celle qui est si manifestement mal fondée qu'aucun débat véritable n'est nécessaire pour convaincre la Cour; en fait, c'est une plaidoirie qui dénote de la mauvaise foi. Une action futile et vexatoire s'entend notamment d'une procédure engagée ou maintenue par une partie demanderesse qui n'agit pas de bonne foi : c'est une procédure qui ne mènera à aucun résultat pratique. Les termes " futile " et " vexatoire " définissent une demande qui est manifestement insoutenable : Attorney General of the Duchy of Lancaster v. London and North Western Railway Company, [1892] 3 Ch. 274, à la page 277 (C.A.). L'expression futile et vexatoire s'applique entre autres à une instance qui constitue un abus des procédures : Ashmore v. British Coal Corporation [1990] 2 Q.B. 338, à la page 347 (C.A.). Une action est abusive lorsqu'elle constitue un usage à mauvais escient ou détourné de la procédure de la Cour. On la définit comme une action qui ne peut donner aucun résultat valable, une action dans laquelle les parties défenderesses seront entraînées dans un litige long et coûteux qui ne peut donner aucun résultat positif : voir l'opinion du lord juge Bowen dans Willis v. Earl Beauchamp (1886), 11 P.D. 59, à la page 63 (C.A.).

[30]      En l'espèce, la demanderesse réclame la totalité ou, subsidiairement, une partie de la succession. Les défendeurs se reportent à la fois à la lettre d'entente de 1989 et à l'entente de 1990 qui comportent non seulement une mainlevée claire et complète, mais encore un engagement de la demanderesse à se désister de l'action sur consentement, sans frais. La demanderesse a reçu des terres et de l'argent de la succession. Aucune preuve n'établit que la demanderesse a reçu une part inférieure à celle qu'elle avait négociée et, de fait, son inertie entre 1989 et 1996 semble révéler qu'elle a été satisfaite de la liquidation de la succession pendant quelque sept ans1. L'entente de 1990 constitue une réponse complète à l'action présentée dans la déclaration. Pour cette raison, l'action, telle qu'elle est présentée, est nettement futile et vexatoire et elle constitue un abus des procédures de la Cour car elle ne peut mener à aucun résultat pratique; elle a plutôt entraîné et continue d'entraîner les défendeurs dans un litige long et coûteux qui ne peut donner aucun résultat positif. J'examinerai maintenant la possibilité de corriger la situation au moyen d'une modification.

Modification de la déclaration

[31]      En réponse à la prétention des défendeurs portant que le maintien de l'action constituerait une injustice à leur égard, la demanderesse soutient que tout inconvénient causé aux défendeurs pourrait être compensé par les dépens. Il en est ainsi dans de nombreux cas de simples inconvénients pouvant prendre différentes formes. Toutefois, lorsque la vie des défendeurs est perturbée par le spectre de la résurgence d'un litige portant sur des terres et des sommes d'argent, censément réglé et oublié, on ne peut parler de simple inconvénient. Cette situation menace inutilement les défendeurs du retour à l'incertitude et de nouvelles perturbations importantes après la conclusion d'une transaction contractuelle valable en vertu de laquelle la demanderesse a reçu une part importante de la succession et elle a, semble-t-il, accepté ce partage de la succession pendant plusieurs années. Ces éléments nous amènent à concevoir l'entente de 1990 comme un contrat qui était vraisemblablement annulable à un certain moment, mais qui ne peut plus être écarté simplement en modifiant la déclaration, compte tenu du délai écoulé et de son acceptation.

[32]      La demanderesse affirme, sans donner beaucoup de précisions, qu'elle souhaite modifier la déclaration pour plaider qu'elle a signé la lettre d'entente de 1989 et l'entente de 1990 sous l'effet de la contrainte. Le bien-fondé de cet argument serait difficile à établir étant donné que l'entente de 1990 a été précédée de la lettre d'entente de 1989. La lettre d'entente de 1989 n'est pas différente, sous un aspect important, du résultat de l'entente de 1990. La demanderesse a certainement obtenu des conseils juridiques relativement à la lettre d'entente de 1989. Toutefois, en faisant abstraction de cet obstacle majeur à toute modification, on constate qu'il existe un autre obstacle insurmontable en raison duquel la demanderesse n'aurait même pas l'ombre d'une cause d'action soutenable si elle procédait à une modification pour invoquer la contrainte.

[33]      Selon le concept traditionnel de la contrainte en common law, il faut qu'une partie au contrat subisse des actes réels ou des menaces de violence (ou d'emprisonnement illégal) de la part d'une autre partie au contrat; or, ces éléments ne font pas partie des éléments au dossier dans la présente instance. La contrainte en equity englobe la pression et la coercition qui n'équivaudraient pas à de la contrainte en common law. De plus, la notion de contrainte a été étendue, au cours des récentes années, pour inclure les troubles émotifs causés à quelqu'un : voir, par exemple, Mundinger v. Mundinger (1969), 3 D.L.R. (3d) 338, une décision de la Cour d'appel de l'Ontario. Dans cette affaire, Mme Mundinger, qui était maltraitée par son mari, a souffert pour cette raison de dépression nerveuse, est devenue dépressive et elle a été hospitalisée pendant qu'un médecin de famille la traitait en lui administrant des tranquillisants. Pendant son séjour à l'hôpital, son mari a tenté de lui faire signer un accord de séparation injuste : Mme Mundinger a demandé des conseils juridiques.

Monsieur Mundinger a adopté une attitude menaçante, lui a fait boire du brandy à profusion, [Traduction] " pour des raisons que lui seul connaît ", et il a réussi à lui faire consentir à un accord de séparation quelque peu modifié, mais toujours injuste. La preuve médicale a établi que l'état mental de Mme Mundinger ne lui permettait pas d'exercer son jugement correctement sur des questions touchant ses biens, ses droits et son bien-être temporel. La Cour a résumé ainsi le résultat de cet accord, à la page 341 :

     [Traduction] Elle a été influencée par son mari à un moment où elle souffrait des effets d'une grave dépression nerveuse, où elle était sous l'influence des tranquillisants et d'autres formes de sédatifs qui lui ont été prescrits en raison de son état et où elle ressentait, sans aucun doute, l'effet du brandy qui lui a été servi à profusion par son mari pour des raisons que lui seul connaît, et elle a renoncé à tous ses droits à des aliments futurs et s'est départie d'un intérêt de valeur sur deux terrains pour la somme dérisoire de 10 000 $. Elle était dans un tel état qu'on peut affirmer clairement que son mari était dans une situation qui lui permettait de la dominer et de la contrôler et dont il a tiré parti en exerçant une influence indue sur elle pour conclure cet accord injuste et abominable.         

La Cour d'appel s'est ensuite reportée au critère applicable en pareils cas, établi dans l'arrêt Vanzant v. Coates (1917), 39 D.L.R. 485 (C.A. Ont.), portant que, dans les cas où une personne est dans une situation où elle n'est pas libre de ses actes et n'est pas en mesure de se protéger, la Cour of Equity la protègera, non pas contre sa propre sottise ou négligence, mais contre les personnes qui sont dans une situation qui leur permettrait d'en abuser (Mundinger, à la page 341). C'est à la partie qui fait valoir la validité du contrat que revient le fardeau de démontrer qu'elle a toujours, par sa conduite, tenu scrupuleusement compte des intérêts de l'autre partie (id., page 342). La Cour d'appel a conclu, dans l'affaire Mundinger, qu'il [Traduction] " ...existait une combinaison d'inégalité et d'injustice qui permet à la Cour d'affirmer que la partie défenderesse ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait, dans les circonstances " (loc. cit. ). Toutefois, une partie demanderesse doit établir certains éléments minimaux pour évoquer la contrainte.

[34]      Il n'est pas facile de bénéficier du critère énoncé par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Mundinger. Compte tenu de l'importance de la présente requête pour la demanderesse, je me serais attendu à ce qu'elle produise une meilleure preuve des faits constitutifs de la contrainte alléguée, alors que ceux-ci sont assez vagues. La partie qui a l'intention de modifier un acte de procédure pour le rendre valable, tout comme celle qui a l'intention de se fonder sur un acte de procédure, doit se conformer à un simple minimum de caractère adéquat : voir, par exemple, Ceminchuk c. IBM Canada Ltd. (1995), 62 C.P.R. (3d) 546, à la page 551, et Coca-Cola Ltée c. Pardhan et Universal Exporters, décision non publiée rendue le 27 novembre 1997 par M. le juge Wetston dans l'action T-2685-95. Je doute, en l'espèce, que la demanderesse puisse satisfaire au critère énoncé dans l'arrêt Mundinger, mais ce doute n'est pas tout à fait assez grand pour priver la demanderesse de la possibilité de faire des modifications et d'établir qu'elle a l'ombre d'une cause d'action. On peut imaginer que la demanderesse pourrait, si ce n'était de son retard, établir qu'il y a eu contrainte.

[35]      L'élément qui empêche la demanderesse d'invoquer la contrainte, et c'est là une proposition de droit relativement simple, c'est son retard à prendre quelque mesure que ce soit relativement à l'entente de 1990, sauf pour ce qui est d'accepter sa part convenue de la succession, en décembre 1991, en formulant une réserve générale portant qu'elle acceptait les fonds sous toutes réserves à titre de paiement partiel de ses réclamations contre le chef et le conseil de la Bande indienne de Tsawwassen et les autres parties concernant [Traduction] " l'opération relative à la route et les questions touchant la succession Joe ".

[36]      Un contrat conclu sous la contrainte n'est pas nul dès le départ, mais annulable. En conséquence, lorsqu'il y a contrainte, la signature du contrat n'est pas un obstacle en soi, mais s'il s'est écoulé un long délai inexpliqué avant que la contrainte soit soulevée et qu'une poursuite soit intentée à cet égard, ce délai peut être pertinent et fatal. J'ai ici à l'esprit le concept de la nécessité de maintenir la certitude en ce qui a trait aux contrats et aux biens. Ou encore, pour paraphraser le Lord chancelier Thurlow, dans l'affaire Fox v. Mackreth (1788), 2 Bro. C.C. 400, à la page 427, 29 E.R. 224, à la page 238, il faut appliquer une règle qui

     [Traduction] permet aux hommes d'avoir l'esprit tranquille relativement à leurs biens, portant que, lorsqu'ils observent une opération de vente d'un domaine annulée pour cause d'insuffisance de la valeur, après avoir été confirmée par un acte de transfert et acceptée pendant trois ans et demi...         

[37]      En l'espèce, la demanderesse a reçu une part importante des fonds de la succession, ainsi que des terres, en 1991. Certes, son avocat a un peu protesté, mais de façon plutôt générale. Toutefois, la demanderesse n'a pas donné suite à cette protestation, n'a émis aucun commentaire supplémentaire ni pris quelque mesure que ce soit pendant environ cinq ans. Aucun élément de preuve ne démontre que la demanderesse était trop faible et incapable de s'occuper de ses propres affaires et de prendre des décisions au cours de ces années. Elle n'a agi que lorsque la Cour l'a tirée de sa torpeur en avril 1996. J'ai mentionné que les parties défenderesses doivent s'acquitter d'un certain fardeau pour faire reconnaître la validité de l'entente de 1990; toutefois, compte tenu du long retard de la demanderesse, elle n'obtiendrait sûrement pas aujourd'hui l'annulation de l'entente de 1990. En raison de son retard, même si elle modifiait sa plaidoirie pour invoquer la contrainte, la demande de la demanderesse est mal fondée en droit et n'a pas l'ombre d'une chance de succès. Elle est futile et vexatoire et elle constitue pour cette raison un abus des procédures de la Cour.

CONCLUSION

[38]      Le fait qu'il soit mis fin prématurément à une action et qu'une demanderesse ne puisse se faire entendre peut être un grand malheur. La demanderesse, après avoir reçu une part importante de la succession en 1991, a mené l'action de façon intermittente et désinvolte, attitude qui lui a attiré le malheur de voir son action prendre fin prématurément avant l'instruction. Elle subit ce revers car elle ne peut replacer les parties à une opération dans l'attente et l'incertitude, après avoir confirmé cette opération et l'avoir apparemment acceptée pendant de nombreuses années.

[39]      Comme je l'ai souligné, pour que les parties défenderesses ne subissent pas d'injustice, elles ne doivent pas être entraînées dans un litige long et coûteux, inutilement, et toute instance doit plutôt aboutir pour qu'elles puissent un jour savoir à quoi s'en tenir. Le droit tend à établir un certain degré de certitude dans un délai raisonnable de façon que les parties à un litige puissent poursuivre leur vie. En l'espèce, la demanderesse a beaucoup trop tardé et elle a laissé clairement entendre qu'elle acceptait le partage de la succession qui avait été convenu et qui a bel et bien été effectué pendant tellement longtemps que l'entente de 1990 n'est certainement plus annulable. La déclaration de la demanderesse est radiée parce qu'elle est futile et vexatoire et qu'elle constitue un abus des procédures de la Cour, et l'autorisation de la modifier ne lui est pas accordée.

[40]      Les défendeurs ont droit aux dépens de la présente requête. Les parties peuvent débattre de l'ensemble des dépens de l'action si elles le désirent.

[41]      Je remercie les avocats des parties de leur argumentation bien étoffée.

                                     (Signature) " John A. Hargrave "

                                     Protonotaire

1er avril 1998

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDITION :                  16 février 1998
NUMÉRO DU GREFFE :                  T-245-86
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Shirley Larden
                             c.
                             La Reine et autres
LIEU DE L'AUDITION :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

en date du 1er avril 1998

ONT COMPARU :

     Me Alisa Noda                  pour la demanderesseappelante
     Me Darvin Hanna                  pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Alisa Noda
     Burnaby (C.-B.)                  pour la demanderesseappelante
     Callison & Hanna
     Vancouver (C.-B.)                  pour les défendeurs
__________________

     1      L'avocate de la demanderesse soutient qu'une partie de la terre qu'elle a reçue de la succession comprend des lieux de sépulture et qu'elle n'est donc d'aucune utilité. L'avocat des demandeurs fait valoir que la demanderesse a choisi cette terre et connaissait l'existence des vestiges de sépultures. D'un point de vue pratique, je note que cette objection concernant la terre n'a apparemment pas été soulevée dès le début.

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