Décisions de la Cour fédérale

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     Dossier : T-1270-97

ENTRE :

     ABITIBI-PRICE SALES CORPORATION

                         et

     CORPORACION LA PRENSA S.A.,

     demanderesses,

ET :

     C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG "Sambeek",

     CARPULP N.V. & SHIPPING CO. TRANSPULP,

     SPLIETHOFF'S BEVRACHTINGSKANTOOR B.V.,

     LES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS

     DU NAVIRE " BONTEGRACHT ",

     LES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS

     DU NAVIRE " KIELGRACHT ",

     LE NAVIRE " BONTEGRACHT "

                         et

     LE NAVIRE " KIELGRACHT ",

     défendeurs.

ENTRE :

     C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG " Sambeek "

                         et

     SPLIETHOFF'S BEVRACHTINGSKANTOOR B.V.,

     demandeurs reconventionnels,

ET :

     ABITIBI-PRICE SALES CORPORATION,

     défenderesse reconventionnelle.

ENTRE :

     C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG " Sambeek "

                         et

     SPLIETHOFF'S BEVRACHTINGSKANTOOR B.V.,

     demandeurs reconventionnels,

ET :

     ABITIBI-CONSOLIDATED INC.,

     défenderesse reconventionnelle.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[I.]      Le 3 septembre 1998, le protonotaire a rendu une ordonnance que toutes les parties concernées contestent aujourd'hui pour différents motifs. Le protonotaire a d'abord accordé aux demanderesses un délai supplémentaire de six mois pour signifier leur déclaration au navire défendeur Bontegracht (" le Bontegracht "). En deuxième lieu, il a annulé le mandat de saisie délivré à l'encontre du Bontegracht le 14 août 1998. En troisième lieu, il a ordonné aux demanderesses de retourner aux défendeurs une lettre d'engagement que ceux-ci avaient envoyée afin d'empêcher la saisie du navire. En quatrième lieu, il a condamné les demanderesses à payer les frais de la requête au taux maximal prévu sous la colonne IV du Tarif B. En cinquième lieu, il a par ailleurs rejeté la requête des défendeurs.

I.      Faits constituant le fondement de l'ordonnance du protonotaire

[2]      La déclaration in rem relative à la présente demande d'indemnité pour perte de marchandises a été déposée le 11 juillet 1997, mais n'a pas été signifiée au navire Bontegracht. Le 14 août 1998, les demanderesses ont menacé de saisir le Bontegracht alors que celui-ci se trouvait à Baie Comeau (Québec) pour le chargement d'une cargaison. À cette date, le délai d'un an fixé pour la signification de la déclaration avait expiré. Les demanderesses ont fait délivrer un mandat de saisie ce jour-là. Afin de ne pas nuire à l'exploitation commerciale du navire, les défendeurs ont été contraints par les demanderesses de délivrer une lettre d'engagement pour en empêcher la saisie.

[3]      Les demanderesses ont demandé une prorogation de délai aux termes de la Règle 8 des Règles de la Cour fédérale de 1998 afin de signifier la déclaration in rem au navire et ont obtenu une prorogation de six mois du protonotaire. Celui-ci n'a pas accepté les arguments des défendeurs selon lesquels les demanderesses n'avaient pas pris les moyens raisonnables dont elles disposaient pour tenter de signifier leur action in rem au navire Bontegracht pendant l'année. Il n'a pas tenu compte du fait que la prorogation de délai aurait pour effet de remettre en vigueur une action prescrite contre le navire Bontegracht, ce qui causerait un préjudice aux défendeurs.

[4]      D'autre part, le protonotaire a convenu avec les défendeurs que la saisie fondée sur une déclaration prescrite était illégale et a donc annulé le mandat de saisie. Il a ordonné aux demanderesses de retourner la lettre d'engagement aux défendeurs, parce que celle-ci avait été obtenue sous la contrainte. Invoquant la Règle 410(2) des Règles de la Cour fédérale de 1998, qui concerne les frais des requêtes visant à obtenir une prorogation de délai, il a condamné les demanderesses à payer les frais, puisque que ce sont elles qui avaient déposé la requête. Il a dénoncé l'utilisation de menaces de saisie de la part des demanderesses pour obtenir la lettre d'engagement et les a condamnées à verser le montant maximal prescrit au titre des frais. Les demanderesses ont donc obtenu une prorogation de délai de six mois pour signifier leur déclaration in rem, mais ont vu leur mandat de saisie annulé et ont dû retourner leur lettre d'engagement; de plus, elles doivent payer des frais élevés. Dans le cas des défendeurs, leur navire n'est pas saisi, mais pourrait l'être s'il se trouve dans des eaux canadiennes au cours des six prochains mois.

2.      Validité du mandat de saisie

[5]      Les demanderesses font valoir qu'un mandat de saisie visant un navire peut être délivré en tout temps avant le jugement et après le dépôt d'une déclaration in rem, compte tenu de la Règle 481(1). Cette règle énonce qu'un fonctionnaire désigné peut délivrer un mandat de saisie de biens dans une action in rem à tout moment après le dépôt de la déclaration, mais que celle-ci doit être encore valable à la date de la saisie. Selon la Règle 482(1), le mandat délivré en application du paragraphe 481(1) ainsi que l'affidavit portant demande de mandat et la déclaration doivent être signifiés ensemble au navire. De toute évidence, cette procédure ne peut être suivie lorsque la déclaration n'est plus valable. Il s'ensuit que le protonotaire n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a annulé le mandat de saisie.

3.      La lettre d'engagement

[6]      Les demanderesses soutiennent que, compte tenu des conditions énoncées dans la lettre d'engagement, elles ont le droit de conserver la possession de ladite lettre, étant donné qu'elles ont obtenu dans l'ordonnance un délai supplémentaire pour signifier leur déclaration. Toutefois, la lettre d'engagement permet aux défendeurs de contester le droit des demanderesses de saisir leur navire. Elle prévoit également que l'engagement expirera si le droit des demanderesses de saisir le navire Bontegracht leur est refusé. Le protonotaire a donc eu raison d'enjoindre aux demanderesses de retourner la lettre d'engagement aux défendeurs.

4.      Frais spéciaux adjugés contre les demanderesses

[7]      Il est bien reconnu que la décision d'un protonotaire ne peut être révisée, sauf si elle est fondée sur un principe de droit ou sur une conception des faits erroné ou qu'elle soulève des questions ayant une importance vitale pour le sort du litige1. La décision du protonotaire ne peut être révisée lorsqu'elle est fondée sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire et qu'aucune erreur de fait ou de droit n'a été établie. Le protonotaire pouvait, au cours de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, adjuger des frais aux défendeurs selon le montant maximal prévu sous la colonne IV du Tarif B. Ces frais spéciaux ont été accordés parce que la lettre d'engagement avait été obtenue sous la menace alors que la déclaration avait expiré.

5.      Prorogation du délai relatif à la signification de la déclaration

[8]      Les défendeurs contestent la décision par laquelle le protonotaire a accordé aux demanderesses un délai supplémentaire pour signifier la déclaration in rem. Selon eux, lorsqu'il est prouvé que le navire est resté dans le territoire visé par la compétence de la Cour assez longtemps pour faire l'objet d'une signification, le critère à appliquer est la question de savoir si les demanderesses ont pris toutes les mesures raisonnables pour vérifier la présence du navire Bontegracht dans le territoire2. Les demanderesses doivent avoir utilisé tous les moyens raisonnables dont elles disposaient pour se conformer à l'obligation qu'elles avaient de signifier la déclaration dans le délai initial imparti. Elles doivent convaincre la Cour que la méthode qu'elles ont employée pour vérifier la présence du navire Bontegracht respectait le critère relatif à l'octroi d'une prorogation de délai3.

[9]      À ce sujet, le protonotaire a mentionné dans ses motifs d'ordonnance qu'il avait examiné les arguments invoqués par les défendeurs, mais qu'il avait conclu que les demanderesses avaient utilisé tous les moyens raisonnables au cours de la période pertinente pour signifier leur déclaration au navire.

[10]      Le protonotaire avait en mains l'affidavit de l'un des avocats des demanderesses, Me J. Kenrick Sproule, qui a déclaré notamment que, le 19 juin 1997, les avocats des défendeurs étaient disposés à accepter la signification de la déclaration in personam, mais qu'ils ont refusé de fournir aux demanderesses un cautionnement à l'égard de la réclamation. Dès lors, sa cliente a repris ses activités de surveillance pour vérifier si le navire Bontegracht entrerait dans les eaux canadiennes. Il a utilisé le service Seadata de Lloyds [TRADUCTION] " qui est un service informatisé donnant des renseignements sur l'heure estimative d'arrivée des bateaux aux ports de déchargement, lesquels renseignements sont communiqués à Lloyds par les représentants des navires concernés ".

[11]      Le déposant a également déclaré que, tout au long de l'instance, sa cliente a surveillé le navire de façon à pouvoir le saisir au besoin dès qu'il entrerait dans les eaux canadiennes. Le navire Bontegracht est entré dans les eaux canadiennes à deux occasions. Le 6 août 1997, il a fait escale au port de Dalhousie (Nouveau-Brunswick), mais le représentant local des demanderesses (la cliente) n'était pas à son bureau. Le 13 août 1998, il a fait escale au port de Baie Comeau, au quai no 5 de Reynolds. Cependant, à cette date, la déclaration avait expiré.

[12]      Les défendeurs soutiennent que les demanderesses auraient pu agir de façon plus diligente au cours de leur vérification en utilisant un service de recherche compétent ou en s'informant régulièrement auprès des exploitants du système " ECAREG " (le système de la zone de services de trafic maritime de l'Est du Canada à Halifax (N.-É.)).

[13]      Le protonotaire a conclu que les demanderesses avaient pris des mesures raisonnables pour assurer le suivi du navire. Il s'agit d'une question de fait et le protonotaire pouvait en arriver à cette décision. Il a conclu à bon droit que les demanderesses devaient payer les frais de la requête portant prorogation de délai.

6.      Décision

[14]      Compte tenu de ce qui précède, tous les appels interjetés à l'égard de l'ordonnance que le protonotaire a rendue le 3 septembre 1998 sont rejetés. Chaque partie paiera ses propres frais.

OTTAWA (Ontario)

Le 14 octobre 1998

                             J.E. DUBÉ

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     Dossier : T-1270-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 OCTOBRE 1998

EN PRÉSENCE DU JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     ABITIBI-PRICE SALES CORPORATION

     et

     CORPORACION LA PRENSA S.A.,

     demanderesses,

ET :

     C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG "Sambeek",

     CARPULP N.V. & SHIPPING CO. TRANSPULP,

     SPLIETHOFF'S BEVRACHTINGSKANTOOR B.V.,

     LES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS

     DU NAVIRE " BONTEGRACHT ",

     LES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS

     DU NAVIRE " KIELGRACHT ",

     LE NAVIRE " BONTEGRACHT " et

     LE NAVIRE " KIELGRACHT ",

     défendeurs.

ENTRE :

     C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG " Sambeek "

                         et

     SPLIETHOFF'S BEVRACHTINGSKANTOOR B.V.,

     demandeurs reconventionnels,

ET :

     ABITIBI-PRICE SALES CORPORATION,

     défenderesse reconventionnelle.

ENTRE :

     C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG " Sambeek "

                         et

     SPLIETHOFF'S BEVRACHTINGSKANTOOR B.V.,

     demandeurs reconventionnels,

ET :

     ABITIBI-CONSOLIDATED INC.,

     défenderesse reconventionnelle.

     ORDONNANCE

     Les appels interjetés à l'égard de l'ordonnance que le protonotaire a rendue le 3 septembre 1998 sont rejetés. Chaque partie paiera ses propres frais.

                             J.E. DUBÉ

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1270-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ABITIBI-PRICE SALES CORPORATION ET AL c. C.V. SCHEEPV.ONDERNEMINEG " SAMBEEK "

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :          28 SEPTEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DUBÉ

EN DATE DU :              14 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :

Me FRANCIS ROULEAU                  POUR LES DEMANDERESSES

Me JEAN-CHARLES RENÉ et

Me LAURA FISH                      POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

SPROULE, CASTONGUAY, POLLACK          POUR LES DEMANDERESSES

MONTRÉAL (QUÉBEC)

OGILVY, RENAULT                  POUR LES DÉFENDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

__________________

1 Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. , [1993] 2 C.F. 425, p. 462-463.

2 Atlantic Gypsum Ltd. c. The Frines et al. (1982), 30 C.P.C. 86 (C.F. 1re inst.) [Atlantic Gypsum]; Skagway Terminal Co. c. Gayong, [1983] A.C.F. no 430 (C.F. 1re inst.) et The Berney, [1979] 1 Q.B. 80.

3 Voest Alpine Canada Corp. et al. c. Pan Ocean Shipping Co. et al. (1992), 55 F.T.R. 113 (C.F. 1re inst.).

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