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Date : 20010725

Dossier : IMM-4824-00

Référence neutre : 2001 CFPI 827

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 25 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

OI HA BECKY LEUNG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]         Mme Oi Ha Becky Leung (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision que la conseillère en immigration A. Kawamoto (la conseillère en immigration), de Citoyenneté et Immigration Canada, a prise le 22 août 2000. Dans sa décision, la conseillère en immigration a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de conclure que la demanderesse peut être dispensée de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée (la Loi), et qu'elle peut donc demander la résidence permanente depuis le Canada en se fondant sur des raisons d'ordre humanitaire.

LES FAITS

[2]         La demanderesse réside à Hong Kong. Son mari, Hon Sing Tang, et elle sont les parents d'une enfant née au Canada, Grace. Grace est née au Canada le 10 novembre 1996. Elle a des crises d'épilepsie et elle a été traitée par des médecins, à Vancouver, pour cette maladie. Son état s'est quelque peu amélioré grâce aux soins fournis par un naturopathe et à une thérapie connue sous le nom de traitement à l'oxygène hyperbare qui n'est pas disponible à Hong Kong. Ce traitement est suivi par l'enfant toutes les deux ou trois semaines et semble l'aider.

[3]         La conseillère en immigration a refusé la demande que la demanderesse avait présentée en vue de faire traiter sa demande de résidence permanente au Canada pour le motif qu'elle n'avait pas réussi à démontrer qu'elle ferait face à des difficultés indues, excessives ou injustifiées si elle devait retourner à Hong Kong aux fins du traitement de sa demande. La conseillère en immigration semble avoir tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant née au Canada en prenant sa décision.


LE POINT LITIGIEUX

[4]         La demanderesse soulève une seule question dans la demande, à savoir si la conseillère en immigration a suffisamment tenu compte du bien-être de l'enfant en décidant de refuser la demande qu'elle avait faite en vue de faire traiter sa demande de résidence permanente au Canada.

Arguments de la demanderesse

[5]         La demanderesse soutient que la conseillère en immigration a par erreur fondé sa décision sur un examen de l'intérêt supérieur de la demanderesse et de son mari, en omettant de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle affirme que la conseillère en immigration n'a pas tenu compte de la preuve présentée par le docteur Chan, qui est le naturopathe qui traite l'enfant avec un certain succès. Selon le docteur Chan, l'enfant a besoin des soins et de l'appui de ses parents.

[6]         La demanderesse affirme que la présente affaire ressemble à la situation décrite dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, où la Cour a énoncé les facteurs à prendre en considération dans une demande de traitement au Canada lorsqu'un enfant né au Canada est en cause :


À mon avis, l'exercice raisonnable du pouvoir conféré par l'article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants. Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d'ordre humanitaire centrales dans la société canadienne. Une indication que l'intérêt des enfants est une considération importante dans l'exercice des pouvoirs en matière humanitaire se trouve, par exemple, dans les objectifs de la Loi, dans les instruments internationaux, et dans les lignes directrices régissant les décisions d'ordre humanitaire publiées par le ministre lui-même.

[7]         La demanderesse soutient qu'étant donné que la décision de la conseillère en immigration n'indique pas qu'elle a tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse à la lumière de la preuve présentée, la décision est déraisonnable et devrait être annulée.

Arguments du défendeur

[8]         Le défendeur soutient que la conseillère en immigration a pris une décision qu'elle pouvait avec raison prendre compte tenu de la preuve soumise et que la décision montre clairement que l'intérêt de l'enfant faisait partie des facteurs dont la conseillère en immigration a tenu compte en prenant cette décision. Le défendeur se fonde également sur l'arrêt Baker, précité, et cite le passage suivant (page 233) :

Par conséquent, l'attention et la sensibilité à l'importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l'épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu'une décision d'ordre humanitaire soit raisonnable. Même s'il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d'immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d'une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles-mêmes soutiennent cette approche. Toutefois, la décision en l'espèce était incompatible avec cette approche.

ANALYSE

[9]         La décision ici en cause est une décision discrétionnaire prise conformément au paragraphe 114(2) de la Loi. Cette disposition prévoit ce qui suit :


114. (1) [...]

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114. (1) ...

(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

[10]       Cette disposition permet à une personne de demander à être admise au Canada depuis le pays, plutôt que de faire traiter son cas conformément à la procédure générale prescrite au paragraphe 9(1) :

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.                          

[11]       La demande donnant lieu à l'exercice du pouvoir discrétionnaire fondé sur le paragraphe 114(2) de la Loi est connue sous le nom de « demande d'ordre humanitaire » et peut faire l'objet d'un examen selon la norme de la décision raisonnable simpliciter; (voir Baker, précité, au paragraphe 62).

[12]       Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a examiné le texte législatif sous-tendant toutes les décisions d'ordre humanitaire. Au paragraphe 15, la cour a dit ce qui suit :


Les demandes de résidence permanente doivent normalement être présentées à l'extérieur du Canada, conformément au par. 9(1) de la Loi. L'une des exceptions à cette règle est l'admission fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. En droit, conformément à la Loi et au règlement, c'est le ministre qui prend les décisions d'ordre humanitaire, alors qu'en pratique, ces décisions sont prises en son nom par des agents d'immigration: voir, par exemple, Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Jiminez-Perez, [1984] 2 R.C.S. 565, à la p. 569. En outre, même si, en droit, une décision d'ordre humanitaire est une décision qui prévoit une dispense d'application du règlement ou de la Loi, en pratique, il s'agit d'une décision, dans des affaires comme celle dont nous sommes saisis, qui détermine si une personne qui est au Canada, mais qui n'a pas de statut, peut y demeurer ou sera tenue de quitter l'endroit où elle s'est établie. Il s'agit d'une décision importante qui a des conséquences capitales sur l'avenir des personnes visées. Elle peut également avoir des répercussions importantes sur la vie des enfants canadiens de la personne qui a fait la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire puisqu'ils peuvent être séparés d'un de leurs parents ou déracinés de leur pays de citoyenneté, où ils se sont installés et ont des attaches.

[13]       La partie applicable de la décision de la conseillère en immigration se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Fondement

J'ai examiné tous les renseignements figurant dans le présent dossier, y compris les observations et les réponses qu'elle a données aux questions que j'ai posées à l'entrevue. Je suis convaincue que, compte tenu de tous les aspects de la présente affaire, il n'existe pas suffisamment de motifs permettant de croire que cette cliente ferait face à des difficultés indues, excessives ou injustifiées si [la demande était] retournée à Hong Kong pour traitement. Je ne crois pas que l'affaire justifie l'octroi d'une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration aux fins de la présentation d'une demande de résidence permanente depuis le Canada.


J'ai examiné la présente affaire en tenant compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, et je suis convaincue qu'elle obtient les soins que ses parents désirent qu'elle obtienne. Les parents d'un enfant dont l'état médical semble uniquement répondre à un traitement, au Canada, sont obligés de faire face à la difficulté additionnelle que comportent un voyage et des soucis financiers. Je suis heureuse d'apprendre que le traitement suivi ici par l'enfant de Mme Leung est efficace, mais je ne suis pas convaincue qu'il s'agisse d'une raison permettant de renoncer aux exigences relatives aux visas et justifiant le traitement de leur demande de résidence permanente depuis le Canada. Au cours de la dernière année, le couple a fait plusieurs voyages aller-retour entre Hong Kong et le Canada; à l'heure actuelle, le conjoint de Becky, Hon Sing Tang, réside et travaille à Hong Kong. Ils n'ont donc pas réussi à me convaincre qu'il lui serait difficile de soumettre la demande au bureau des visas à Hong Kong et Becky n'a pas réussi à me convaincre qu'elle ne serait pas en mesure de retourner à Hong Kong lorsqu'une entrevue devrait être tenue. La crainte qu'elle a de ne pas pouvoir réserver une place est fondée sur une conjecture. En outre, elle pourrait toujours demander au bureau des visas de tenir l'entrevue à un moment où elle pourrait y assister.

[14]       À mon avis, la conseillère en immigration a uniquement mentionné en passant, dans sa décision, l'intérêt de l'enfant de la demanderesse née au Canada. En théorie, elle a satisfait à l'exigence reconnue dans l'arrêt Baker, précité, mais rien n'indique qu'elle ait tenu compte de la preuve dont elle disposait au sujet de la présence nécessaire de la demanderesse au Canada en vue de faciliter l'accès de l'enfant, au Canada, à un traitement médical auquel cette dernière a droit, en sa qualité de citoyenne canadienne. La décision est déraisonnable et n'est pas étayée par la preuve. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un conseiller en immigration différent pour réexamen.

[15]       Les avocats ont fait savoir que la demande ne soulève aucune question aux fins de la certification.


ORDONNANCE

[16]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un conseiller en immigration différent pour réexamen.

« Elizabeth Heneghan »

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 25 juillet 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         IMM-4824-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       Oi Ha Becky Leung

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 24 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                                  le 25 juillet 2001

ONT COMPARU

M. Kenneth S. Specht                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Mme Pauline Anthoine                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Sahmet & Company                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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