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                                                                                                                                 Date : 20021119

Dossier : T-572-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1999

ENTRE :

                                                                VICROSSANO INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                       LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire déposée le 2 avril 2001, par laquelle Vicrossano Inc. (la demanderesse) demande l'examen de la décision du ministre des Affaires étrangères et du Commerce international (le ministre) de fixer la part de la demanderesse, relativement à l'année contingentaire 2001 pour l'exportation du beurre d'arachide aux États-Unis, à 454 652 kilogrammes. Voici un extrait de la lettre par laquelle le Ministre faisait part de sa décision à la demanderesse :


[traduction] Comme vous le savez, depuis 1995 les États-Unis appliquent un contingent tarifaire global (CT) aux importations de beurre d'arachide. À l'intérieur de ce contingent global, le Canada bénéficie d'un contingent par pays de 14 500 tonnes. Afin de prévoir la mise en marché ordonnée du beurre d'arachide exporté aux É.-U., le Canada a inscrit le beurre d'arachide sur la Liste des marchandises d'exportation contrôlée.

Relativement à l'année contingentaire 2001, la réserve par pays attribuée au Canada a été répartie entre les exportateurs traditionnels d'après une formule dérivée des parts utilisées par votre entreprise au cours de l'année contingentaire 1998, ces parts étant rajustées au cours des années ultérieures en fonction d'une sous-utilisation. En outre, comme l'indique M. Burney dans sa lettre en date du 9 février 2001, les requérants qui remplissent les conditions requises reçoivent également une part des 828 625 kilogrammes pouvant être redistribuées. Ce contingent est réparti selon la méthode approuvée par le ministre, laquelle est décrite dans notre lettre du 9 février 2001.

Par conséquent, je tiens à vous informer que votre entreprise s'est vue attribuer une part du contingent d'exportation de beurre d'arachide de 454 652 kilogrammes à même la réserve par pays du Canada pour 2001. Cette part du contingent est valable pour l'année contingentaire 2001 qui se termine le 31 décembre 2001. Il convient de souligner que le ministre peut, à sa discrétion, modifier, suspendre, annuler ou rétablir les licences d'exportation ou toute autorisation délivrées en vertu de la Loi. De plus, les entreprises doivent être activement engagées dans la production de beurre d'arachide pour pouvoir recevoir, de la Direction générale des contrôles à l'exportation et à l'importation (DGCEI), une part du contingent[1].

Bien que la demande de contrôle judiciaire indique le 2 mars 2001 comme la date de la décision et de sa réception par la demanderesse, je suis convaincu que la décision contestée est en fait reproduite dans une lettre en date du 5 mars 2001 adressée à la demanderesse. Le passage qui précède est un extrait de la lettre en date du 5 mars 2001. Cette distinction n'est pas en cause.


[2]                 La demanderesse fait valoir[2] que, dans la décision contestée, le ministre a commis une erreur susceptible de révision en ne respectant pas le principe de justice naturelle applicable ni l'équité procédurale, en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments au dossier, et en rendant une décision qui contrevient à la Loi sur les langues officielles[3].

[3]                 La demanderesse sollicite, à titre de réparation, une ordonnance annulant la décision contestée et obligeant le ministre à rendre une nouvelle décision sous une forme essentiellement compatible avec la décision de notre Cour, ainsi que les dépens[4].

[4]                 Bien que les réparations demandées démontrent le caractère théorique de la présente demande, l'année contingentaire 2001 pour l'exportation du beurre d'arachide ayant expiré, cette question n'a pas été débattue devant moi et je n'ai pas l'intention d'en tenir compte dans ma décision.

LE CONTEXTE


[5]                 La demanderesse est une société productrice de beurre d'arachide établie à Montréal. Dès le moment où les États-Unis ont commencé à appliquer un contingent tarifaire global aux importations de beurre d'arachide, et qu'ils ont attribué au Canada un contingent national à l'intérieur de ce contingent, une part de ce contingent national attribué au Canada a été allouée annuellement à la demanderesse. La part d'exportation attribuée à la demanderesse pour 1996, 1997 et 1998 s'élevait à 795 726 kilogrammes. Pour chacune de ces années, la demanderesse a transféré, sur autorisation du ministre, une partie de sa quote-part à d'autres producteurs canadiens de beurre d'arachide. En 1998, tout au moins, la demanderesse a justifié le transfert d'une partie de sa quote-part au motif qu'elle apportait des améliorations à son installation de production. Le ministre savait que la demanderesse procédait à des améliorations. Malgré les améliorations en cours, la demanderesse a continué de produire le beurre d'arachide et d'en faire elle-même l'exportation aux États-Unis.

[6]                 En 1998, le ministre a entrepris la révision du fondement de la répartition des parts de beurre d'arachide. La demanderesse a participé à ce processus.


[7]                 En 1999, suite à la révision de la formule d'attribution, la part de la demanderesse a été réduite de 450 000 kilogrammes, pour s'établir à 345 726 kilogrammes. Le montant retranché de la quote-part de la demanderesse pour l'année 1999 correspondait exactement au montant de la part qu'elle avait transférée, avec l'autorisation du ministre, à d'autres producteurs en 1998. La demanderesse s'est vivement opposée à la réduction de sa quote-part. Dans l'affidavit déposé au soutien de la présente demande, la présidente de la demanderesse atteste qu'un fonctionnaire du ministère avait reconnu que la réduction dans la part de la demanderesse pour l'année 1999 était une erreur. Le fonctionnaire aurait affirmé à la présidente de la demanderesse que sa quote-part serait rétablie dès que possible. Selon la demanderesse, cette possibilité est confirmée par le fait qu'en 1999, la quantité de beurre d'arachide réellement exportée aux États-Unis par la demanderesse était légèrement plus élevée que la part qui lui avait été attribuée pour cette année-là.

[8]                 La demanderesse allègue que, croyant pouvoir se fier à la parole des fonctionnaires du ministère, elle n'a pas sollicité le contrôle judiciaire relativement à la part qui lui a été attribuée en 1999. Toutefois en 2001, la patience dont elle avait fait preuve jusque-là dans l'attente d'une solution administrative avait atteint sa limite.

[9]                 Par lettre en date du 7 décembre 2000[5], un fonctionnaire du ministère a invité la présidente de la demanderesse à participer, en tant que membre du Comité consultatif des contingents tarifaires du beurre d'arachide (CCCT), à un appel conférence devant avoir lieu le 18 décembre 2000, afin de [traduction] « ...connaître l'opinion des membres relativement à la répartition, pour l'année 2001 et les années suivantes, des 828 625 kilogrammes du contingent de beurre d'arachide pouvant être redistribués » . La présidente de la demanderesse a participé à cet appel conférence malgré les quelques difficultés qu'elle dit avoir éprouvées vu qu'elle est francophone et que l'appel conférence s'est déroulé uniquement en anglais. On souligne dans le rapport sommaire de l'appel conférence[6] :

[traduction] Vicrossano Inc. a demandé qu'on lui remette 450 tonnes dans sa part d'attribution et que le reste soit destiné aux entreprises venant d'entrer sur le marché d'exportation.

Le rapport sommaire se termine par le paragraphe suivant :


[traduction] En résumant la discussion et en faisant le rappel des prochaines étapes, le président du comité a indiqué qu'une note de service serait préparée et envoyée au ministre afin de lui faire l'exposé de la discussion et du consensus de faire une nouvelle répartition des 828 625 kilogrammes du contingent de beurre d'arachide, d'abord aux entreprises récemment entrées sur le marché d'exportation, dans le but de leur permettre d'augmenter leur quote-part à 150 tonnes, l'excédent étant partagé à parts égales entre les autres entreprises qui détiennent une part du contingent. Il a également indiqué que la décision du ministre serait communiquée aux membres du CCCT.

[10]            Une note de service conforme à la recommandation mentionnée dans l'extrait qui précède a bel et bien été préparée et transmise au ministre. Dans la note de service, le paragraphe suivant apparaît sous la rubrique intitulée « Considérations » [7] :

[traduction] Toutefois, l'opposition d'une entreprise - Vicrossano Inc. - est à prévoir. Même si celle-ci ne s'est pas opposée à la solution recommandée au cours de la conférence téléphonique, elle a fait directement des démarches auprès d'un fonctionnaire du ministère, lui demandant de reprendre approximativement la moitié de toute la quantité mise à notre disposition afin qu'elle puisse rétablir sa part du contingent au niveau qui lui avait été attribué avant 1999. En 1999, la quote-part de l'entreprise a été réduite, comme l'a été celle d'autres entreprises selon la méthode d'attribution modifiée sur autorisation du ministre pour permettre que les parts ainsi réparties correspondent aux quantités réellement utilisées. Depuis cette époque, l'entreprise désapprouve cette réduction; toutefois sur le plan de la politique générale, il serait extrêmement difficile et peu souhaitable d'annuler, pour le bénéfice d'une seule entreprise, la modification apportée à la politique en 1999. De plus, cela serait contraire à la recommandation du CCCT et soulèverait une vague de protestations de la part de toutes les autres entreprises qui détiennent une part du contingent.

Le ministre a approuvé la recommandation. La quote-part de la demanderesse a donc augmenté en 2001, mais cette augmentation n'était pas conforme à ses attentes et à sa recommandation. La présente demande de contrôle judiciaire a alors été déposée.


LE RÉGIME LÉGISLATIF

[11]            Le ministre exploite, sous le régime de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation[8], le programme de répartition du contingent d'exportation de beurre d'arachide qui en autorise l'exportation vers les États-Unis. L'article 7 de la Loi dispose :


7. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence autorisant, sous réserve des conditions prévues dans la licence ou les règlements, notamment quant à la quantité, à la qualité, aux personnes et aux endroits visés, l'exportation des          

marchandises inscrites sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée ou destinées à un pays inscrit sur la liste des pays visés.


7. (1) Subject to subsection (2), the Ministre may issue to any resident of Canada applying therefor a permit to export goods included in an Export Control List or goods to a country included in an Area Control List, in such quantity and of such quality, by such persons, to such places or persons and subject to such other terms

and conditions as are described in the permit or in the regulations.



(1.1) Malgré le paragraphe (1), le ministre peut, par arrêté, délivrer aux résidents du Canada une licence de portée générale autorisant, sous réserve des conditions qui y sont prévues, l'exportation - vers les pays mentionnés dans celle-ci - des marchandises inscrites sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée qui sont mentionnées dans la licence.

(2) Le ministre ne peut délivrer une licence d'exportation de tout objet visé à l'article 4.1 - ou de quelque élément ou pièce d'un tel objet - inscrit sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée, que si les conditions suivantes sont remplies_:

a) les armes seront exportées vers un pays inscrit sur la liste des pays désignés (armes automatiques);

b) les armes, ou les éléments ou pièces, sont destinés au gouvernement de ce pays ou à un consignataire qu'il a autorisé.


(1.1) Notwithstanding subsection (1), the Ministre may, by order, issue generally to all residents of Canada a general permit to export to any country specified in the permit any goods included on the Export Control List that are specified in the permit, subject to such terms and conditions as are described in the permit.

(2) The Ministre may not issue a permit under subsection (1) to export any thing referred to in any of paragraphs 4.1(a) to (c), or any component or part of such a thing, that is included in an Export Control List unless

(a) the export is to a country included in an Automatic Firearms Country Control List; and

(b) the prohibited weapon or component or part thereof is exported to the government of, or a consignee authorized by the government of, that country.


[12]            Personne n'a contesté devant moi que le beurre d'arachide, dont l'exportation est destinée aux États-Unis, fait partie de la Liste des marchandises d'exportation contrôlée. En outre, personne n'a contesté devant moi qu'aucun règlement mentionné au paragraphe 7(1) n'est applicable. Le ministre possède donc un large pouvoir discrétionnaire pour délivrer les licences d'exportation et pour répartir le contingent associé à ces licences. Ce pouvoir discrétionnaire s'inspire de directives[9], mais il demeure pratiquement absolu.

L'ANALYSE

            a)         La norme de contrôle


[13]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[10], la juge L'Heureux-Dubé a abordé, en renvoyant à l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[11] et à la doctrine, quatre (4) facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer la norme de contrôle appropriée à l'égard des décisions discrétionnaires des ministres, à savoir la présence ou l'absence d'une clause privative dans le contexte législatif approprié, l'expertise du décideur, l'objet de la disposition en particulier et du contexte législatif dans son ensemble ainsi que la nature du problème en question, particulièrement s'il s'agit de droit ou de faits. Appliquant ces facteurs à la présente affaire, je suis convaincu que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Loi sur les licences d'exportation et d'importation ne contient aucune clause privative. Les fonctionnaires autorisés à administrer, au nom du ministre, la répartition du contingent parmi les producteurs canadiens, doivent être considérés comme des personnes qui possèdent une expertise non négligeable. La Loi sur les licences d'exportation et d'importation, particulièrement l'article 7, vise clairement à assurer, entre autres, une répartition du contingent ordonnée et raisonnable conforme aux principes économiques et administratifs reconnus. Enfin, la nature du problème, savoir la répartition du contingent, tient clairement des faits plutôt que du droit.

[14]            Ayant déterminé que la norme de conrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable, je fais miens les propos tenus par le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada[12], où il dit aux pages 7 et 8 :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

            b)         La justice naturelle et l'équité procédurale


[15]            L'avocat de la demanderesse a fait valoir que la préclusion promissoire devrait jouer contre le ministre, que la décision contestée allait à l'encontre de l'expectative légitime de la demanderesse et que la présidente de la demanderesse n'a pu se prévaloir des droits dont elle jouit en vertu de la Loi sur les langues officielles. J'aborderai chacune de ces questions à tour de rôle.

[16]            Dans l'arrêt Centre hospitalier Mount-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux)[13], le juge Binnie, en son nom et celui du Juge en chef, a fait les observations suivantes aux paragraphes 45 à 48 sur la préclusion promissoire :

En l'espèce, le juge Robert a adopté la définition de droit privé de la préclusion promissoire (préclusion promissoire) fournie par le juge Sopinka dans l'arrêt Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [...] :

Les principes de l'irrecevabilité fondée sur une promesse [préclusion promissoire] sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d'établir que l'autre partie a, [1] par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance [2] destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l'accomplissement de certains actes. De plus, les destinataires des déclarations doit prouver que, [3] sur la foi de celles-ci, [4] il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position . . .

[L]a promesse doit être non équivoque, mais [. . .] elle peut s'inférer des circonstances.

Si la présente affaire relevait du droit privé, je conviendrais que les éléments de la préclusion promissoire sont présents. La preuve est plus que suffisante pour que s'applique l'équité procédurale ou la théorie de l'expectative légitime. Lorsque les ministres qui se sont succédé ont fait des affirmations claires et précises, ils entendaient que les intimés agissent en conséquence et c'est ce que ces derniers ont fait. ...

...

Toutefois, l'affaire ne relève pas du droit privé. La préclusion en droit public exige clairement que l'on détermine l'intention que le législateur avait en conférant le pouvoir dont on cherche à empêcher l'exercice. La loi est suprême. Des circonstances qui pourraient par ailleurs donner lieu à la préclusion peuvent devoir céder le pas à un intérêt public prépondérant exprimé dans le texte législatif. ...

...


En l'espèce, le ministre est mandaté en termes larges pour agir dans l'intérêt public de délivrer la licence modifié, et s'il juge qu'il est contraire à l'intérêt public de délivrer le licence modifié, le tribunal ne doit pas, selon moi, l'empêcher de faire ce qu'il considère être son devoir. ...                                                                                                                                            [Références et certaines parties du texte omises.]   

[17]            En l'espèce, même si l'affaire relevait du droit privé, je ne serais pas du tout convaincu que la demanderesse s'est acquittée du fardeau qui lui incombait. Les faits de la présente affaire ne permettent tout simplement pas de dire, comme l'a indiqué le juge Binnie, qu'en faisant des affirmations claires et précises, les fonctionnaires, et encore moins les « ministres qui se sont succédé » , entendaient que la demanderesse agisse en conséquence. Même s'il est fort possible que la présidente de la demanderesse ait agi au détriment de celle-ci en ne demandant pas le contrôle judiciaire de la part qui lui avait été attribuée en 1999, il ne s'agit pas d'un élément en soi suffisant pour invoquer la préclusion promissoire, même dans un contexte de droit privé.

[18]            À la page 32 de l'arrêt Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[14]), le juge Hugessen a fait sien les paragraphes suivants extraits des motifs du lord Fraser of Tullybelton dans l'arrêt Attorney General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu[15]:

[traduction] [...] lorsqu'une autorité publique a promis de suivre une certaine procédure, l'intérêt d'une bonne administration exige qu'elle agisse équitablement et accomplisse sa promesse, pourvu que cet accomplissement n'empêche pas l'exercice de ses fonctions prévues par la loi. Le principe se trouve également justifié par l'autre idée que, lorsque la promesse a été faite, l'autorité doit avoir considéré que toutes observations de la part des parties intéressées l'aideraient à s'acquitter de ses fonctions équitablement et, règle générale, cela est exact.


Leurs Seigneuries estiment que le principe selon lequel une autorité publique est liée par ses engagements quant à la procédure qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne soient pas incompatibles avec ses fonctions, s'applique à l'engagement que le gouvernement de Hong Kong a donné au requérant, et à d'autres immigrants illégaux venant de Macao, lors de l'annonce faite à l'extérieur de la résidence du gouverneur le 28 octobre, savoir que chaque cas serait examiné selon ses propres faits.                                                                                    [Non souligné dans l'original.]

[19]            Encore ici, je suis convaincu que la demanderesse n'a pas réussi à établir qu'elle pouvait se prévaloir de la doctrine de l'expectative légitime. D'abord, on ne cherche pas à invoquer cette doctrine à l'appui d'un engagement quant à la procédure. Ensuite, la preuve au dossier ne parvient tout simplement pas à établir que la demanderesse avait des motifs raisonnables de s'attendre légitimement que sa quote-part de beurre d'arachide, réduite pour l'année contingentaire 1999, serait aussitôt que possible rétablie au niveau d'attribution qu'elle possédait en 1998.

[20]            Comme je l'ai indiqué précédemment, la présidente de la demanderesse est francophone. Elle reconnaît pouvoir s'exprimer assez bien en anglais, mais elle atteste ne pas être à l'aise de le faire, particulièrement lorsqu'elle prend part à une réunion ou un appel conférence au cours desquels toutes les discussions se déroulent en anglais et pourraient bien être de nature relativement technique. Elle allègue que, dans toutes ses interventions concernant le contingent de beurre d'arachide, les fonctionnaires du ministère ont communiqué avec elle uniquement en anglais, et les réunions qu'ils ont tenues de même que les appels conférence auxquels elle a participé se sont déroulés uniquement en anglais, malgré les réserves qu'elle a exprimées. Si tous ces éléments étaient vrais, ils contreviendraient clairement à la lettre et à l'esprit de la Loi sur les langues officielles.


[21]            Cela dit, la Loi sur les langues officielles établit, à l'article 58, un mécanisme régissant le dépôt des plaintes concernant les manquements qui auraient été commis à la Loi, et le déroulement des enquêtes menées pour l'instruction de ces plaintes. Des dispositions réparatrices sont prévues aux articles 63 à 65.

[22]            Le paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles dispose que quiconque a déposé une plainte visant certains droits ou certaines obligations prévues sous le régime de la Loi sur les langues officielles, y compris ceux qui sont visés en l'espèce, peut s'adresser à notre Cour. En l'espèce, le Commissaire aux langues officielles n'a pas été saisi d'une plainte. En l'absence d'une telle plainte et, plus particulièrement, en l'absence d'une preuve établissant que la présidente de la demanderesse a, dans le cadre de la procédure prévue dans la Loi sur les langues officielles, effectué toutes les démarches nécessaires à l'instruction d'une plainte, je suis convaincu que la décision de la demanderesse de déposer une plainte ne peut, en fait, constituer un élément de la présente demande de contrôle judiciaire[16].


            c)         La décision contestée était-elle fondée sur une conclusion de faits erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments au dossier du ministre?

[23]            Compte tenu de la preuve au dossier et de l'examen des présentations faites par les avocats au cours de l'audience, je suis convaincu qu'on peut répondre brièvement à cette question par un « non » . Le processus par lequel les fonctionnaires du ministère sont arrivés à faire une recommandation au ministre, relativement à la répartition pour l'année contingentaire 2001 du contingent de beurre d'arachide pouvant être redistribué, était un processus ouvert et approfondi, et donnait à toutes les entreprises détentrices d'une part du contingent, y compris la demanderesse, l'occasion d'y prendre part. Un tel processus a permis aux fonctionnaires du ministère de disposer de tous les faits pour prendre leur décision. Comme garantie supplémentaire, il y a eu préparation et distribution d'un rapport sommaire de la consultation, mentionné précédemment, à toutes les entreprises détentrices d'une part du contingent. Celles-ci ont ensuite eu l'occasion de soulever toute question ou préoccupation liée au rapport sommaire. Ce n'est qu'à cette étape qu'une recommandation a été transmise au ministre et celle-ci a fidèlement repris les préoccupations de la demanderesse. Le ministre a approuvé la recommandation conduisant à la répartition du contingent faisant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, pour l'année contingentaire 2001.

[24]            Il n'y a simplement aucun élément de preuve au dossier qui pourrait me permettre de conclure que la répartition était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments au dossier du ministre.

CONCLUSION

[25]            Compte tenu de l'analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

DÉPENS

[26]            Les dépens, adjugés en faveur du défendeur, devront être payés par la demanderesse selon le barème ordinaire.

___________________________

                   Juge

Ottawa (Ontario)

19 novembre 2002

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-572-01

INTITULÉ :              Vicrossano Inc. c. Le procureur général du Canada et le ministre des affaires étrangères

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :                              29-10-2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE: Monsieur le juge Gibson en date du 19 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Peter Mantas

Ms. Nicole Windsor                                             POUR LE DEMANDEUR

Me Lynn Marchildon                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Peter Mantas                                                  POUR LE DEMANDEUR

Heenan Blaikie Avocats

Otttawa, Ontario

Me Lynn Marchildon

Ministère fédéral de la Justice                                            POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)



[1]       Dossier de la demanderesse, Volume 1, onglet 52.

[2]         Dossier de la demanderesse, Volume 4, onglet 79, page 516.

[3]         L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.).

[4]         Dossier de la demanderesse, Volume 4, onglet 79, page 534.

[5]         Dossier de la demanderesse, Volume 1, onglet 46.

[6]         Dossier de la demanderesse, Volume 1, onglet 47.

[7]         Dossier de la demanderesse, Volume 1, onglet 48.

[8]         R.S.C. 1985, c. E-19.

[9]         Recueil de jurisprudence et de doctrine de la demanderesse, onglet 4.

[10]       [1999] 2 R.C.S. 817, aux pages 856 et 857.

[11]       [1998] 1 R.C.S. 982.

[12]       [1982] 2 R.C.S. 2.

[13]       [2001] 2 R.C.S. 281.

[14]       [1989] 3 C.F. 16 (C.A.).

[15]       [1983] 2 A.C. 629 (P.C.).

[16]       Voir l'arrêt Harelkin c. Université de Regina [1979] 2 R.C.S. 561, à la page 593, où le juge Beetz a écrit au nom de la majorité :

Les cours ne doivent pas se servir de leur pouvoir discrétionnaire pour favoriser les retards et les dépenses à moins qu'elles ne puissent faire autrement pour protéger un droit. Le juge O'Halloran dans The King ex.rel. Lee v. Workmen's Compensation Board [...] a donné un avis juste sur la question; il vise le mandamus mais s'applique également au certiorari :

[traduction] Dès qu'il apparaît qu'un organisme public a omis ou refusé d'exercer une obligation statutaire à laquelle a droit une personne, le mandamus est alors émis ex debito justitiae, s'il n'y a aucun autre recours approprié. [...] Si au contraire il existe un autre recours approprié, l'émission du mandamus est discrétionnaire, mais est régie par des motifs qui contribuent à une administration de la justice rapide, peu coûteuse et efficace. ...       (C'est moi qui souligne.)                                                                                                                                                                  [Citation omise; souligné dans l'original.]                                                                                                                                                                   

  

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