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                                                                                                                                           Date : 20020904

                                                                                                                             Dossier : IMM-3198-01

                                                                                                            Référence neutre: 2002 CFPI 936

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE:

                                       NAZANEN KHORASANI, TOURAG GHAJAR

                                                           et KHASHAYAR GHAJAR

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.                    Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 4 juin 2001, décision par laquelle la SSR a jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


Les faits

2.                    Les demandeurs, Tourag Ghajar (le demandeur), Nazanen Khorasani, son épouse (la demanderesse) et Khashayar Ghajar, leur fils (le demandeur mineur) sont tous ressortissants iraniens. La demanderesse et le demandeur mineur sont arrivés au Canada le 27 novembre 1999 et ont revendiqué le même jour le statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur est arrivé le 4 décembre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié le 8 décembre 1999.

3.                    Le demandeur affirme avoir des raisons de craindre la persécution aux mains des autorités iraniennes à cause de ses présumées opinions politiques, parce qu'il a collaboré avec son beau-père, lequel n'avait pas peur de critiquer le gouvernement pour sa politique envers les chauffeurs de camion. La demanderesse fonde sa revendication sur son appartenance à la famille d'une personne, à savoir le père de la demanderesse, lequel était recherché par les autorités iraniennes en tant qu'opposant au régime. Outre qu'elle craint la persécution en tant que membre de la famille de son mari, la demanderesse affirme qu'elle craint aussi la persécution de son propre chef, parce que les autorités savaient qu'elle avait donné l'asile à son feu père à une époque où il fuyait les autorités qui le persécutaient. Durant l'audience, les deux demandeurs adultes ont témoigné au soutien de leurs revendications. Le demandeur mineur s'est fondé sur le témoignage de ses parents au soutien de sa revendication.

Sommaire des faits présumés


4.                    Le père de la demanderesse (le père) n'est pas retourné chez lui après son travail le 1er août 1999. Il était chauffeur de camion et il était un membre actif et bruyant de l'Association des camionneurs en Iran. Cette association tenta de sensibiliser le public à l'inertie du gouvernement concernant certains problèmes qui touchaient les camionneurs.

5.                    Le père disparut pendant environ cinq jours, jusqu'à son retour le 6 août 1999, à 4 h 30 du matin. Au lieu de se rendre chez lui, il alla se cacher dans l'appartement de la demanderesse (sa fille). Le père informa le demandeur qu'il était suivi par les autorités et qu'il craignait pour sa vie. Il chargea le demandeur de remettre à un autre membre de l'Association des camionneurs son attaché-case, qui renfermait des documents classifiés et confidentiels.

6.                    La demanderesse a témoigné durant l'audience que, le 1er août 1999, un ami de son père avait téléphoné pour informer sa mère qu'une réunion du Syndicat des camionneurs avait été l'objet d'une incursion et que son père était parvenu à échapper à une arrestation. Dans les Formulaires de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et du demandeur, il est mentionné que c'est le père lui-même qui avait téléphoné pour donner ce renseignement. Dans le FRP du demandeur, il est également mentionné que la famille avait appris le 6 août 1999, et non le 1er août 1999, que son beau-père était recherché par les autorités.

7.                    Les demandeurs ont témoigné que, le 11 août 1999, alors qu'ils revenaient de faire leurs courses, le père fut arrêté dans leur appartement. Les demandeurs se sont cachés chez un ami pour éviter une arrestation. Ils y sont demeurés pendant quelques jours jusqu'à ce qu'ils fussent informés que le père avait été tué le 17 août 1999.


8.                    Les demandeurs ont assisté aux funérailles du père de la demanderesse. Le demandeur affirme que, durant les funérailles, il avait remarqué des contusions sur le cou, les côtes et les jambes de son beau-père. Dans une vidéocassette des funérailles, il affirme aussi avoir vu des meurtrissures sur le dos de son beau-père. Le demandeur dit qu'il s'était retiré tôt parce qu'il avait appris que des gens cherchaient le gendre du défunt. Après les funérailles, les demandeurs étaient allés se cacher à Varamin, une banlieue de Téhéran, dans le sous-sol d'une maison inachevée, où les conditions étaient horribles. Selon la preuve, ils y sont restés pendant environ trois mois et, le 22 août 1999, le demandeur s'en alla exécuter les instructions de son feu beau-père en livrant l'attaché-case, puis ils sont retournés à Varamin.

9.                    La demanderesse et le demandeur mineur ont quitté l'Iran le 25 novembre 1999, et le demandeur est parti le lendemain. La demanderesse et le demandeur mineur ont quitté l'Iran avec un passeur et se sont rendus aux Pays-Bas puis au Mexique, pour arriver à Toronto le 27 novembre 1999. Le demandeur a quitté l'Iran avec un passeur, s'est rendu jusqu'à New York en passant par la Turquie, puis a continué jusqu'à Niagara Falls. Il est arrivé au Canada le 28 novembre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié le 8 décembre 1999.

Décision de la SSR

10.              La SSR a conclu que les demandeurs n'avaient pas établi une crainte fondée de persécution en Iran et qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


11.              La SSR n'a pas jugé crédibles ou dignes de foi les témoignages des demandeurs adultes et elle a fondé sa conclusion sur plusieurs contradictions, omissions et invraisemblances constatées dans leurs témoignages.

12.              Les conclusions de la SSR peuvent se résumer ainsi :

            (i)          La SSR a constaté des divergences importantes entre les dépositions des deux demandeurs adultes à propos de la date à laquelle ils avaient appris que le père de la demanderesse était recherché par les autorités, et à propos de la source qui les avait informés du présumé incident. Ces divergences ont été plus précisément observées entre la partie narrative des FRP et les dépositions des deux demandeurs adultes, ainsi qu'entre les deux dépositions elles-mêmes.

            (ii)        La SSR n'a pas jugé suffisante l'explication donnée par le demandeur concernant la raison pour laquelle il avait passé sous silence, dans son exposé circonstancié, l'historique des difficultés de sa famille, ainsi que ses rencontres antérieures avec les autorités iraniennes.


            (iii)       La SSR a relevé que la maison de la mère de la demanderesse n'avait nullement été l'objet d'une incursion entre le 1er août 1999, date de la présumée réunion du syndicat des camionneurs, et le 17 août 1999, date présumée du décès du père. La SSR a observé que, selon la preuve de la demanderesse, son père avait été recherché depuis le 1er août 1999. Les deux demandeurs adultes ont affirmé que leur appartement avait été visité par les autorités le 11 août 1999 et que le père avait été arrêté à ce moment-là. La SSR a jugé qu'il n'était pas vraisemblable que les autorités iraniennes ne cherchent pas d'abord à trouver le père à son propre domicile avant de mener une incursion dans l'appartement des demandeurs.

            (iv)       La SSR a aussi jugé invraisemblable que les demandeurs sortent de leur cachette pour assister aux funérailles du père, car cela était incompatible avec leur présumée crainte subjective de persécution aux mains des autorités iraniennes.

13.              Ayant conclu à l'absence de crédibilité des demandeurs, la SSR s'est prononcée ainsi sur les faits qu'ils relataient :

Le tribunal a relevé plusieurs contradictions, omissions et éléments non plausibles dans le témoignage des revendicateurs adultes. Le tribunal n'a pas établi que le témoignage des revendicateurs adultes était crédible et digne de foi. Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le tribunal n'est pas convaincu que, le 1er août 1999, les autorités iraniennes ont fait une descente à une réunion du syndicat des camionneurs à laquelle assistait le père de la revendicatrice. Le tribunal n'est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le père de la revendicatrice a été arrêté par les autorités iraniennes à son appartement à elle le 6 août 1999 et qu'il a par la suite été tué par ces mêmes autorités le 17 août 1999. Le tribunal n'est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le revendicateur principal était recherché par les autorités iraniennes dans le cadre de leur enquête alléguée sur les activités de son beau-père au sein du syndicat des camionneurs. Les revendicateurs n'ont pas établi qu'ils craignaient avec raison d'être persécutés en Iran.

... le tribunal n'est pas convaincu que les revendicateurs risquent gravement d'être persécutés, s'ils retournaient en Iran, compte tenu de l'un ou l'autre des motifs énoncés dans la définition du statut de réfugié au sens de la Convention.

  

Points en litige

14.              Le demandeur soulève les points suivants :

            (1)        La SSR a-t-elle commis une erreur parce qu'elle n'a pas considéré selon son propre bien-fondé le témoignage de la demanderesse, indépendamment de celui de son mari?

            (2)        La SSR a-t-elle considéré la revendication de la demanderesse comme une revendication subordonnée à celle du demandeur, parce qu'elle a qualifié le demandeur de « revendicateur principal » , refusant ainsi à la demanderesse le droit à l'égalité devant la loi et à la protection égale de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur le sexe, selon ce que prévoit le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B, partie I de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)?

(3)        Y a-t-il eu confusion dans la traduction des témoignages des demandeurs, en particulier pour certaines dates, et, dans l'affirmative, la SSR a-t-elle commis une erreur en accordant un poids excessif, dans ses conclusions touchant la crédibilité, aux divergences apparaissant dans lesdits témoignages?


            (4)        La SSR a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, qu'elle a tirée d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

Analyse

15.              J'aborderai successivement chacun de ces aspects.

            (1)        Examen autonome de la revendication de la demanderesse

16.              Les demandeurs affirment que la SSR a intégré la revendication de la demanderesse à celle de son mari et n'a pas considéré indépendamment et selon son propre bien-fondé le témoignage de la demanderesse, bien que sa revendication présentât des éléments distincts que ne présentait pas celle de son mari. Il convient de noter que la demanderesse n'indique aucun élément particulier de sa revendication pouvant se distinguer des éléments de la revendication du demandeur.


17.              Les demandeurs affirment que, bien que l'article 10 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, autorise la jonction de deux revendications du statut de réfugié, cela ne signifie pas que les deux revendications sont identiques. Les demandeurs renvoient la Cour à l'affaire Rentem c. Canada (M.E.I.), (1991) 13 Imm. L.R. (2d) 317 (C.A.F.). Dans cette affaire, les revendications d'un mari et de sa femme avaient été traitées conjointement, mais la Commission n'avait pas considéré le témoignage de l'épouse séparément de celui de son mari. L'épouse avait connu des situations distinctes de celles du mari et, puisque la Commission n'en avait pas tenu compte, mais avait simplement rejeté sa revendication pour les mêmes motifs que ceux qui l'avaient conduite à rejeter la revendication de son mari, la Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur parce qu'elle avait ignoré les éléments de la revendication de l'épouse.

18.              En l'espèce, il n'est pas démontré que la demanderesse a connu des situations distinctes de celles de son mari. Le défendeur affirme qu'il ressort manifestement du dossier que les deux demandeurs craignaient la persécution en raison de leurs liens avec le père de la demanderesse. Le défendeur relève que les deux demandeurs ont témoigné devant la Commission et ont tous deux été expressément invités à dire ce qu'ils craignaient. Après examen des transcriptions d'audience des demandeurs, je souscris à l'argument du défendeur, pour qui les réponses des demandeurs concernant les faits sur lesquels ils fondaient leur crainte de persécution étaient essentiellement les mêmes. À mon avis, la SSR n'a pas nié le droit de la demanderesse d'être entendue, car les deux revendications étaient fondées sur les mêmes faits. J'arrive à la conclusion que la SSR n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a traité conjointement les deux revendications, et je suis d'avis que la revendication de la demanderesse a été instruite pleinement et équitablement.

(2)        Argument fondé sur la Charte


19.              Les demandeurs affirment que la SSR a nié à la demanderesse le droit à l'égalité devant la loi et à la protection égale de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur le sexe, selon ce que prévoit le paragraphe 15(1) de la Charte, et cela parce qu'elle a qualifié le mari de « revendicateur principal » et qu'elle a traité la revendication de la demanderesse comme une revendication subordonnée, bien que la demanderesse eût une revendication autonome et que ses raisons de craindre la persécution étaient indépendantes de celles de son mari. La demanderesse affirme que la SSR a rejeté sa revendication sans s'interroger davantage après qu'elle eut rejeté la revendication de son mari. On fait valoir que la manière dont la SSR a traité la revendication de la demanderesse, c'est-à-dire sans tenir compte de son témoignage et sans examiner sa revendication selon son bien-fondé, équivalait à nier ses droits fondamentaux de femme.

20.              En réponse à l'argument des demandeurs, le défendeur affirme que la SSR a jugé que ni l'un ni l'autre des demandeurs n'étaient crédibles. Elle n'a tout simplement pas cru que la demanderesse craignait la persécution parce qu'elle avait donné refuge à son père, qui était recherché par les autorités iraniennes.

21.              Je suis d'avis que l'argument des demandeurs selon lequel il y a eu contravention à l'article 15 de la Charte n'est pas recevable. Il n'y a tout simplement aucune preuve au soutien de la prétention des demandeurs. La revendication de la demanderesse était essentiellement fondée sur les mêmes faits que celle du demandeur, et je suis d'avis que l'ensemble des témoignages de la demanderesse a été considéré par la SSR.

            (3)        Qualité de la traduction


22.              Les demandeurs affirment que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a constaté des « incompatibilités importantes » entre les témoignages des demandeurs, qui avaient donné des dates différentes lorsqu'on leur avait demandé de dire à quel moment ils avaient découvert qu'il y avait eu incursion dans une réunion de l'Association des camionneurs et que le père était recherché par les autorités. Ils affirment que, à l'audience, l'interprète avait eu du mal à transposer les dates du calendrier iranien (musulman) en dates du calendrier canadien (occidental). Les demandeurs soutiennent que ces problèmes de traduction ont produit une confusion dans l'esprit des commissaires et, comme la SSR a accordé un poids considérable à ces dates, elle a conclu à tort que les demandeurs n'étaient pas crédibles.

23.              Selon le défendeur, le dossier indique clairement que l'interprète était en mesure de traduire sans difficulté et de convertir les dates du calendrier iranien en dates du calendrier occidental. Par ailleurs, le défendeur affirme que les dates qui furent ainsi transposées au cours de l'audience correspondaient exactement à celles dont faisaient état les FRP des demandeurs. Il est noté également que le traducteur des FRP n'était pas le même que celui qui s'était chargé de l'interprétation durant les audiences, et que les demandeurs ont juré que le contenu de leurs FRP était exact.

24.              Le défendeur affirme aussi que les demandeurs doivent s'opposer à la qualité de l'interprétation devant la SSR pour pouvoir soulever la question de la qualité de l'interprétation comme grief de contrôle judiciaire, et par conséquent ce point ne peut être soulevé devant la Cour.


25.              Cet aspect a été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soliman Mohammadian c. Canada (MCI), [2001] 4 C.F. 85 (C.A.F.). La Cour a jugé que, lorsqu'un revendicateur ne fait rien pour communiquer ses doutes à propos de la qualité de l'interprétation, la Section du statut de réfugié n'a aucun moyen de savoir que l'interprétation laisse à désirer. Au paragraphe 18 de son arrêt, la Cour s'exprime ainsi :

... L'intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l'interprétation est exacte et pour faire savoir à la Section du statut, au cours de l'audience, que la question de l'exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l'empêchent de le faire.

26.              Dans l'affaire dont je suis saisi, les demandeurs soutiennent que les lacunes de la traduction ne leur sont apparues qu'après l'audience de telle sorte qu'ils n'auraient pu les porter à l'attention de la SSR. Je n'accepte pas cette affirmation. À mon avis, puisque les présumées lacunes concernaient les dates d'événements précis, il m'apparaît logique que ces divergences eussent été décelées durant l'audience et que les présumées lacunes de la traduction eussent été soulevées à ce moment-là.

27.              D'ailleurs, les demandeurs étaient à même de produire un affidavit d'un traducteur attestant que les conversions des dates iraniennes aux dates occidentales étaient inexactes. Cela n'a pas été fait.

28.              Quoi qu'il en soit, après examen des transcriptions des audiences, je suis d'avis que la qualité de l'interprétation n'a pas été un problème. Comme je l'ai indiqué précédemment dans les présents motifs, les dates converties par l'interprète durant l'audience correspondent exactement aux dates figurant dans les FRP des demandeurs.


            (4)        Évaluation de la preuve par la SSR

29.              Les demandeurs soulèvent aussi les points suivants en ce qui a trait à la manière dont la SSR a traité la preuve produite :

            (i)         la SSR a commis une erreur et a manqué à l'équité procédurale lorsqu'elle a reproché au demandeur de ne pas avoir fait état de persécutions qu'avait subies sa famille en Iran lorsqu'il était encore enfant, et elle a attaché un poids considérable à cette omission;

            (ii)        la SSR a manqué à l'équité procédurale et a accordé une importance excessive à des éléments de preuve qui n'avaient pas été soumis aux revendicateurs et auxquels les revendicateurs n'ont pas eu l'occasion de réagir, lorsque la SSR a examiné les aspects suivants : l'écart entre les dates données par le demandeur et la demanderesse concernant le moment où on leur avait appris l'incursion menée dans une réunion de l'Association des camionneurs; l'affirmation selon laquelle les autorités iraniennes avaient investi le domicile des demandeurs avant celui du père de la demanderesse; la confusion concernant le point de savoir qui avait téléphoné aux demandeurs pour les informer de l'incursion dans la réunion de l'Association des camionneurs; enfin la raison qui aurait conduit les demandeurs à assister aux funérailles malgré leur crainte d'être persécutés;

            (iii)       la SSR a commis une erreur dans la manière dont elle a interprété et appliqué la notion de crainte subjective de persécution, lorsqu'elle a jugé que, parce que les demandeurs avaient assisté aux funérailles du père de la demanderesse, ils n'avaient pas une crainte subjective de persécution;

            (iv)       La SSR a commis une erreur de droit et a mal interprété la preuve lorsqu'elle a évalué la preuve se rapportant au certificat de décès du père de la demanderesse, et elle n'a pas tenu suffisamment compte des circonstances entourant le décès;

            (v)        la SSR a commis une erreur de droit en accordant de l'importance à un fait que la demanderesse n'avait pas mentionné dans son FRP, c'est-à-dire le fait que son père avait échappé à une arrestation lorsque les autorités iraniennes avaient fait irruption dans la réunion de l'Association des camionneurs.

  

30.              Il est généralement reconnu que la section du statut de réfugié est la mieux à même de répondre aux questions de vraisemblance et de crédibilité. Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, M. le juge Décary tenait les propos suivants, au paragraphe 4 de ses motifs :

Il ne fait pas de doute que le tribunal qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

  

31.              La SSR a conclu à une absence de crédibilité parce que le demandeur avait omis certains faits de la partie narrative de son FRP. Le demandeur avait négligé d'écrire que sa boutique avait été l'objet d'une incursion le lendemain de l'arrestation de son beau-père. La partie narrative du FRP du demandeur ne faisait pas non plus état des problèmes que sa famille avait connus avec le régime iranien, ni des rencontres antérieures du demandeur avec les autorités iraniennes. La SSR a accordé de l'importance à ces omissions.

32.              Le demandeur explique que, s'il n'a pas mentionné dans son FRP les problèmes que sa famille avait eus avec le régime, c'est parce que ce ne sont pas ces problèmes qui l'avaient conduit à quitter l'Iran et à demander une protection selon la Convention. Il a témoigné que cette information n'était pas « utile » pour son dossier et il l'a donc jugée sans importance. Le demandeur soutient par conséquent que l'omission est suffisamment expliquée et que la SSR a commis une erreur en se fondant sur cette omission pour conclure au manque de crédibilité du demandeur.


33.              J'accepte l'argument du demandeur. La SSR a eu tort de s'appuyer sur cette omission pour conclure à une absence de crédibilité. Ces événements, relatés dans le FRP de son frère, se sont produits au début des années 1980 lorsque le demandeur et son frère étaient âgés de 13 ou 14 ans. La preuve ne révèle pas, pour les années qui suivirent, d'événements significatifs qui auraient pu le conduire à craindre la persécution des autorités. Il est donc raisonnable pour le demandeur, après un tel délai, de ne pas voir les événements en question comme des événements qui valaient d'être mentionnés dans son FRP, d'autant plus qu'il admet que ce ne sont pas ces événements qui l'ont conduit à craindre la persécution et à fuir l'Iran.


34.              Les demandeurs affirment qu'ils n'ont pas été mis en présence des préoccupations de la SSR et n'ont pas eu le droit ou l'occasion de présenter des preuves en réponse à telles préoccupations. Il est fait mention, entre autres, de l'arrêt Muliadi c. Canada (MCI), (1986) 2 C.F. 205 (C.A.F.), dans lequel la Cour avait jugé qu'une décision de la Section du statut de réfugié manque à l'équité procédurale si elle est fondée sur des éléments auxquels le demandeur n'a pas eu l'occasion de répondre. En l'espèce, il n'est pas établi que la SSR a fondé sa décision sur des éléments auxquels le demandeur n'a pas eu l'occasion de répondre. Les demandeurs se réfèrent aussi à l'affaire Dasent c. Canada (MCI), (1995), 1 C.F. 720, une affaire où l'agent d'immigration n'avait pas mis le demandeur en présence des contradictions et des pièces défavorables du dossier d'immigration pour qu'il puisse y réagir par une explication adéquate des pièces défavorables. Ici encore, je ne crois pas que ce précédent soit applicable à l'affaire qui nous occupe. La décision de la SSR n'indique pas que la SSR s'est fondée sur des éléments extrinsèques ou contradictoires, mais plutôt qu'elle a fondé ses conclusions sur les FRP, sur les dépositions des demandeurs et sur le FRP du frère du demandeur, c'est-à-dire essentiellement la preuve produite par les demandeurs.

35.              S'agissant de l'argument selon lequel les demandeurs n'ont pas été mis en présence des doutes de la SSR à propos de la crédibilité des demandeurs, je souscris à l'argument du défendeur selon lequel la SSR n'a pas l'obligation, lorsqu'un revendicateur est auditionné, de l'informer des invraisemblances auxquelles donne lieu la faiblesse de son témoignage. [Appau c. Canada (MCI), (1995), 91 F.T.R. 225, et Akinremi c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. no 808, en ligne : QL].

36.              Je suis d'avis que, vu la preuve, la SSR pouvait très bien conclure que la décision du demandeur de sortir de sa cachette était incompatible à l'époque avec une crainte subjective de persécution aux mains des autorités iraniennes. Si les autorités cherchaient effectivement à arrêter le demandeur, il me semble que l'endroit tout désigné où trouver le demandeur eût été l'enterrement public de son beau-père. Le demandeur a assisté à l'enterrement et, vu les circonstances de cette affaire, cela pouvait raisonnablement conduire un tribunal à conclure comme l'a fait la SSR.

37.              Je suis également d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur dans la manière dont elle a traité la preuve se rapportant au certificat de décès du père.


38.              J'ai attentivement examiné les arguments des demandeurs et j'ai passé en revue les diverses contradictions et omissions sur lesquelles la SSR a cru devoir conclure à une absence de vraisemblance et de crédibilité. Comme je l'ai indiqué plus haut dans les présents motifs, la SSR a eu tort de juger négativement le fait que le demandeur avait négligé de mentionner dans son FRP les problèmes antérieurs de sa famille avec le régime. Cependant, vu les autres conclusions de la SSR, conclusions que d'après moi elle pouvait très bien tirer, je suis d'avis que cette erreur n'entache pas la décision de la SSR.

39.              À l'exception de la seule erreur susmentionnée, la SSR a fondé sa décision sur des motifs détaillés, en faisant ressortir, dans les témoignages des demandeurs, de nombreuses contradictions, invraisemblances et incohérences qui touchaient des aspects essentiels de leurs revendications.

40.              Je suis d'avis que, sauf l'erreur examinée dans les présents motifs, erreur qui à mon avis est sans conséquence, les conclusions de la SSR ne sont pas abusives, arbitraires ou manifestement déraisonnables et qu'elles sont autorisées par la preuve. Au vu du dossier, la SSR pouvait très bien rendre la décision qu'elle a rendue.

41.              Pour les motifs susmentionnés, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

42.              Les parties, qui ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale ainsi que le prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration, ne l'ont pas fait. Je ne me propose pas de certifier une question grave de portée générale.

  

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 4 juin 2001 est rejetée.

   

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »       

                                                                                                                                                                 Juge                       

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           IMM-3198-01

INTITULÉ :                                        Nazanen Khorasani et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 7 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                      le 4 septembre 2002

  

COMPARUTIONS :

Davies Bagambiire                                                                          POUR LES DEMANDEURS

John Loncar                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Bagambiire                                                                          POUR LES DEMANDEURS

1202-347, rue Bay

Toronto (Ontario)    M5H 2R7

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

2 First Canadian Place

Bureau 2400, Casier 36

Exchange Tower

Toronto (Ontario) M5X 1K6

   
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