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Date : 20040513

Dossier : T-132-02

Référence : 2004 CF 699

ENTRE :

JOHN ROBERT MORIN, RICHARD WILLIAM MORIN,

FLORENCE MORIN, ISABEL MORIN, JOHN A. MORIN,

ET THERESA MORIN

                                                                                                                                            appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

ET LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET ALEX PETER MORIN en sa qualité d'administrateur de la succession d'Adolphus Morin ET SANDY TERRY MORIN

                                                                                                                                                intimés

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                La présente demande est un appel interjeté en vertu de la loi d'une décision rendue le 27 novembre 2001 par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre). L'appel porte sur les pouvoirs censément exercés par le ministre en vertu l'article 42 de la Loi sur les Indiens quant à l' « homologation » d'un testament et d'un testament présumé, lesquels auraient été chacun exécutés par la même personne.

[2]                Les mesures que le ministre a prises concernant les « testaments » ont fait l'objet d'une ordonnance rendue par la juge Dawson dans la décision Morin c. Canada (Dossier de la Cour fédérale T-458-99, décision rendue le 20 décembre 2001), rapportée à [2001] A.C.F. no 1936. La chronologie non contestée des événements et les termes de la loi appliquée dans le présent appel sont mentionnés dans la décision de la juge Dawson, laquelle devrait être lue si l'on veut obtenir ces détails.

[3]                Dans sa décision, la juge Dawson tire des conclusions de droit importantes concernant les obligations juridiques auxquelles on peut s'attendre dans les décisions rendues par le ministre en matière d'homologation. Je souscris aux conclusions qu'elle a tirées aux paragraphes suivants :

45 J'en conclus que, en conférant, par l'article 42 de la Loi, une compétence au ministre sur les questions testamentaires, le législateur fédéral lui conférait une compétence semblable à celle qui concerne l'attribution et la révocation des lettres de vérification ou d'administration, ainsi qu'une compétence sur les matières accessoires. Le législateur a donc attribué au ministre une compétence semblable à celle qui est exercée par les tribunaux des successions et des tutelles. Dans Halsbury's Laws of England, vol. 17(2), 4e éd. (Londres : Butterworths, 2000), aux paragraphes 75 et 103, il est mentionné que les fonctions premières d'un tribunal des successions et des tutelles consistent à dire si un document peut ou non être homologué comme instrument testamentaire, et à dire qui a droit d'être constitué représentant personnel du défunt.

46 L'une des caractéristiques principales d'un instrument testamentaire est que cet instrument est censé prendre effet au décès du testateur. Par conséquent, dire si un document est un instrument testamentaire requiert de s'enquérir de l'intention de son auteur.

[...]


53 La source du pouvoir du ministre d'accepter un instrument écrit comme testament est donc l'article 42 de la Loi, qui lui attribue compétence sur les questions se rapportant à l'octroi et à la révocation de lettres de vérification de testaments. Comme on l'a vu précédemment, la fonction première d'un tribunal ayant compétence sur les questions testamentaires consistait à dire si un document pouvait ou non être homologué comme document testamentaire, ce qui exigeait de s'enquérir de l'intention de son auteur.

[...]

63 Comme le testament de 1986 n'a pas été présenté à AINC par quelqu'un qui s'autorisait du testament, peut-être le ministre était-il tout à fait fondé à l'ignorer. Cependant, ayant choisi en l'occurrence d'enquêter sur le testament, le ministre était tenu à tout le moins de se demander s'il s'agissait d'un document testamentaire valide indiquant les volontés du défunt quant à la distribution de ses biens à son décès. Si le testament de 1986 a été jugé valide, il s'ensuivrait que celui de 1954 ne révélait pas les intentions testamentaires d'Adolphus Morin. En common law, des lettres de vérification ou d'administration se rapportant à un testament étaient révoquées en cas de découverte d'un testament ultérieur. Voir Macdonell, Sheard and Hull on Probate Practice, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1981), à la page 347.

[...]

71 D'ailleurs, aucune conclusion n'a été rendue sur la capacité en la matière. Des affirmations non étayées et non vérifiées ne peuvent fonder le rejet d'un document testamentaire.

[4]                La juge Dawson a conclu ce qui suit quant à la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer :

59 En l'espèce, il n'y a pas de clause privative, le point de savoir si le testament de 1986 révèle une intention testamentaire est essentiellement un point de fait, l'objet des dispositions applicables de la Loi sur les Indiens est de mettre en équilibre des droits individuels (et les points à décider ne sont donc pas polycentriques), enfin il n'a pas été démontré que le décideur avait un champ particulier de spécialisation. La norme de contrôle devrait donc se situer quelque part entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable.

Toutefois, compte tenu du besoin de tirer une conclusion précise quant à la norme de contrôle comme l'a fait la Juge en chef McLaughlin dans l'arrêt Q. c. College of Physicians & Surgeons (Colombie-Britannique), [2003] 5 W.W.R. 1, j'estime qu'il est nécessaire d'apporter un certain nombre de précisions à la conclusion tirée par la juge Dawson sur cette question.


[5]                En ce qui concerne l'analyse pragmatique et fonctionnelle, j'accepte l'argument de l'avocat du ministre que le ministre devrait être considéré comme un décideur spécialisé au motif qu'il est régulièrement appelé à rendre des décisions en matière d'homologation. L'article 42 de la Loi sur les Indiens confie l'entière responsabilité de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d'homologation au ministre en rapport avec les personnes qui relèvent de sa compétence et j'accepte sans preuve que d'agir de la sorte constitue de la routine. Par conséquent, j'estime que la norme de contrôle appropriée est celle du caractère manifestement déraisonnable.

[6]                La question est de savoir si la décision du ministre qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire est manifestement déraisonnable. La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada Safeway Ltd. c. RWDSU, Local 454, [1998] 1 R.C.S. 1079 exige que, pour qu'elle soit jugée manifestement déraisonnable, une décision doit comporter un vice évident. En effet, l'examen de la décision faisant l'objet du présent appel m'amène à cette conclusion.

[7]                Comme l'a conclu la juge Dawson, et je souscris entièrement à ses conclusions, une décision en matière d'homologation concernant un prétendu deuxième testament doit comprendre une détermination de sa validité. Ce qui suit est la décision complète fournie par le ministre dans le présent appel :


Objet : La succession d'Adolphus Morin

Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) a examiné tous les renseignements communiqués à propos du testament d'Adolphus Morin daté du 10 mars 1954 et le document testamentaire daté du 17 décembre 1986.

Les renseignements reçus n'étaient pas impérieux au point de justifier une décision du ministre d'annuler son approbation antérieure du testament de 1954. Par conséquent, il a été décidé que, conformément au pouvoir du ministre selon le par. 45(2) de la Loi sur les Indiens, le document testamentaire daté du 17 décembre 1986 ne sera pas approuvé comme testament d'Adolphus Morin, et le testament d'Adolphus Morin en date du 10 mars 1954 demeurera le testament approuvé (Dossier d'appel, vol. I, p. 215).

[8]                L'avocat de l'intimée prétend que l'expression « titre testamentaire » doit être interprétée comme signifiant « titre testamentaire valide » . Comme le ministre est tenu par la loi de déterminer si le prétendu testament du 17 décembre 1986 est valide, je conclus qu'il n'est pas possible de « considérer » que cette exigence a été observée car aucune détermination de la sorte n'apparaît à la lecture d'une décision comme celle en l'espèce qui ne comporte aucun motif.

[9]                Par conséquent, j'estime que la décision du ministre est manifestement déraisonnable.

[10]            La question de l'adjudication des dépens est une question importante dans le présent appel.


[11]            La décision présentement sous appel a été rendue le 17 novembre 2001, mais elle a été officialisée par une lettre datée du 27 novembre 2001 et annoncée au début de la plaidoirie de l'appel interjeté à l'encontre de la décision rendue par le ministre le 23 février 1999. Il est difficile de comprendre pourquoi la décision du 27 novembre 2001 devait être rendue avant que l'on obtienne l'orientation sur le droit qui résulterait de la décision de l'appel interjeté à l'encontre de la décision rendue par le ministre le 23 février 1999. En effet, la juge Dawson a tiré des conclusions de droit importantes qui lient le ministre. Fait plus important encore, si on applique ces conclusions, il existe une exigence que la décision du 27 novembre 2001 comporte une décision quant à la validité du prétendu testament du 17 décembre 1986. La décision du 27 novembre 2001 ne répond pas à cette exigence essentielle.

[12]            Selon moi, les mesures prises par le ministre en rendant la décision faisant l'objet du présent appel n'étaient pas fondées et ont été la cause directe d'une grande perte de temps et d'efforts. Je conclus que, à partir du moment où la décision de la juge Dawson a été rendue, le ministre savait que la décision du 27 novembre 2001 comportait fort probablement un vice fondamental. Néanmoins, plutôt que de régler ce problème en acceptant qu'une décision doit être rendue en conformité avec le droit et en prenant les dispositions pour ce faire, le ministre a défendu pendant les deux dernières années et demies la décision qui a été contestée par un appel des plus compréhensible. Selon moi, aucune des autres parties au présent appel ne devrait en aucune façon assumer une quelconque responsabilité financière par suite de sa pénible participation à un appel dont le résultat était raisonnablement prévisible à compter du moment où la juge Dawson a eu rendu sa décision. J'adjuge des dépens avocat-client en conséquence.


                                        ORDONNANCE

[13]            Pour les motifs fournis, j'accueille l'appel et j'annule la décision du ministre.

[14]            J'ordonne que le ministre paye les dépens avocat-client des appelants et des intimés Peter Morin et Sandy Terry Morin.

            « Douglas R. Campbell »        

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                        COUR FÉDÉRALE

                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-132-02

INTITULÉ :                                         JOHN ROBERT MORIN et al

c.

SMLR et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                      EDMONTON (ALBERTA)

DATES DE L'AUDIENCE :                   LE 21 OCTOBRE 2003 ET LE 13 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                           LE 13 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Nathan Whitling et Ian L. Wachowicz      POUR L'APPELANT

Stephanie Latimer                                  POUR L'INTIMÉE (SMLR)

William Glabb                                        POUR L'INTIMÉ

(ALEX PETER MORIN)

Diana Goldie                                          POUR L'INTIMÉE

(SANDY TERRY MORIN)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP

Edmonton (Alberta)                                POUR L'APPELANT

Morris Rosenberg,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                   POUR L'INTIMÉE (SMLR)

William Glabb Law Office

St. Albert (Alberta)                                 POUR L'INTIMÉ

(ALEX PETER MORIN)

First Street Law Office                           POUR L'INTIMÉE

Edmonton (Alberta)                                (SANDY TERRY MORIN)


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