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Date : 20000307


Dossier : T-2408-91



ENTRE :

     MERCK & CO. INC.,

et MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -


     APOTEX INC.,

     défenderesse.





     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MacKAY



[1]          Il s"agit dans les présents motifs d"une instance pour outrage au tribunal instruite sur une longue période, dans laquelle une ordonnance du juge Pinard, datée du 27 avril 1995, enjoignait à Apotex Inc. et à M. Bernard Sherman, alors président, maintenant président du Conseil et toujours chef de la direction d"Apotex, d"expliquer pourquoi ils ne devraient pas être condamnés pour outrage au tribunal1.



[2]          Selon les demanderesses, les circonstances de l"outrage au tribunal allégué seraient analogues, en partie, aux circonstances examinées dans l"affaire Baxter Travenol Laboratories c. Cutter (Canada)2, où il a été finalement jugé3 que l"outrage au tribunal consistait en des agissements survenus après le prononcé des motifs, mais avant le dépôt du jugement formel de la Cour.



[3]          L"ordonnance de justification du 27 avril 1995 comprend, dans le préambule, la description suivante de l"outrage au tribunal perçu :

[TRADUCTION]
a)      la violation de l"injonction permanente accordée par le juge MacKay et prononcée le 14 décembre 1994 dans les motifs du jugement rendus ce jour-là, interdisant à la défenderesse de contrefaire, par l"entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes n 1,275,349 et la violation de l"ordonnance de remise ou de destruction sous serment ou sous la supervision de cette Cour de toutes les compositions, c'est-à-dire les produits APO-ENALAPRIL, sauf le maléate d'énalapril en vrac en stock, qui sont en la possession ou sous le contrôle de la défenderesse et qui contrefont les lettres patentes canadiennes n 1,275,349 en vendant et en faisant vendre, en distribuant et en retirant de leur garde, possession ou contrôle pour les remettre à la garde, en la possession ou sous le contrôle de pharmaciens, de chaînes de pharmacies et de grossistes tiers au cours de la période comprise entre le 14 et le 22 décembre 1994, et en aidant et encourageant les pharmaciens, les chaînes de pharmacies et les grossistes tiers à transférer, distribuer et vendre entre eux des comprimés d"APO-ENALAPRIL dans tout le Canada au cours de la période allant du 9 janvier 1995 jusqu"à aujourd"hui;
b)      agir de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour, en vendant et en faisant vendre, en distribuant et en retirant de leur garde, possession ou contrôle pour les remettre à la garde, en la possession ou sous le contrôle de pharmaciens, de chaînes de pharmacies et de grossistes tiers au cours de la période comprise entre le 14 et le 22 décembre 1994 les comprimés d"APO-ENALAPRIL contrefaisants, à la suite du prononcé par le juge MacKay des motifs du jugement dans la présente affaire datés du 14 décembre 1994, et en ayant connaissance de ces motifs du jugement, dans lesquels le juge MacKay déclarait que les demanderesses avaient droit à l"injonction permanente indiquée à l"alinéa a) du présent préambule relativement à ces comprimés d"APO-ENALAPRIL et à une ordonnance de remise ou de destruction sous serment de ces comprimés d"APO-ENALAPRIL, indiquée à l"alinéa a) du présent préambule, et en aidant et en encourageant les pharmaciens, les chaînes de pharmacies et les grossistes tiers à transférer, distribuer et vendre entre eux ces comprimés d"APO-ENALAPRIL dans tout le Canada au cours de la période allant du 9 janvier 1995 jusqu"à aujourd"hui, le tout de façon à contrarier et à miner le processus judiciaire dans la présente affaire et à rendre inopérantes l"injonction permanente et l"ordonnance de remise ou de destruction des comprimés prononcées dans les motifs du jugement datés du 14 décembre 1994 et dans le jugement formel de la Cour fédérale daté du 22 décembre 1994;



[4]          L"ordonnance de justification a été prononcée sur demande des demanderesses, Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (ci-après appelées collectivement " Merck "), formée par avis de requête daté du 18 avril 1995, et l"ordonnance du juge Pinard du 27 avril 1995 visait les raisons de l"outrage au tribunal allégué exposées dans cet avis de requête et dans le préambule de l"ordonnance, dont un large extrait a été reproduit plus haut.



[5]          Les motifs du jugement datés du 14 décembre 1994, qui jouent un rôle central dans la procédure de justification, ont été prononcés après que j"ai réservé mon jugement à la conclusion de l"audience le 16 avril 1994, sur une action intentée par les demanderesses Merck alléguant que la défenderesse avait contrefait le brevet de Merck. À deux reprises, en septembre et en octobre 1994, à titre de juge saisi du dossier, j"ai avisé les avocats, par communication transmise par l"entremise du greffe de la Cour, que je n"étais pas parvenu à terminer ma décision dans le délai prévu.



[6]          Dans les motifs du jugement datés du 14 décembre 1994 et déposés ce même jour, j"ai exposé mes conclusions en ce qui concerne la contrefaçon par la défenderesse du brevet des demanderesses; j"ai jugé qu"il y avait eu contrefaçon du fait de la fabrication et de la vente par Apotex du produit Apo-Enalapril, le moyen de défense invoqué par Apotex, fondé sur l"article 56, à l"époque, de la Loi sur les brevets ne pouvant être opposé à l"action en contrefaçon de Merck. Les motifs du jugement traitaient ensuite du redressement recherché par les demanderesses dans les termes suivants :

Vu mes conclusions, elles [les demanderesses] ont droit à ce qui suit :
a)      une déclaration portant que les revendications 1 à 5 et 8 à 15 des lettres patentes canadiennes n 1,275,349 ont été contrefaites par la défenderesse;
b)      une injonction permanente interdisant à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, les revendications 1 à 5 et 8 à 15 des lettres patentes canadiennes n 1,275,349;
c)      une ordonnance [...] portant remise ou destruction sous serment ou sous la surveillance de la Cour de toutes les compositions, c'est-à-dire les produits APO-ENALAPRIL, sauf le maléate d'énalapril en vrac en stock [...]
d)      des dommages-intérêts ou une reddition de comptes des profits [...]
e)      des intérêts avant jugement et des intérêts sur le jugement;
f)      les dépens [...]

Les motifs du jugement poursuivaient ensuite en ces termes :

     À la fin de l'instruction de la présente affaire, les avocats ont émis l'avis qu'il serait opportun de prononcer le jugement en sa forme définitive après que les avocats auraient eu la possibilité de se consulter et, si cela était souhaitable, après avoir comparu devant la Cour à nouveau, pour examiner les termes du jugement en tenant compte de mes conclusions.    Cela me semble être la chose qu'il convient de faire à cette étape, en particulier parce que le jugement sera prononcé après un délai imprévu qui a suivi le procès et pour lequel j'exprime mes regrets.
     Vu les circonstances, les présents motifs sont déposés, accompagnés de la présente directive finale. L'avocat des demanderesses est invité à consulter l'avocat de la défenderesse sur les termes appropriés du jugement à prononcer en sa forme définitive, compte tenu de mes conclusions énoncées dans les présents motifs. L'avocat des demanderesses doit préparer un projet de jugement, en soumettre la forme et, si possible, le contenu à l'approbation de l'avocat de la défenderesse, et présenter le projet à l'examen de la Cour.    Si l'avocat de l'une des parties ou les deux avocats veulent être entendus sur cette question, des dispositions seront prises en vue de la tenue d'une audience.



[7]          Après le dépôt des motifs du jugement le 14 décembre 1994, les avocats des parties ont communiqué entre eux le jour même, chacun prenant une position opposée à celle de son confrère sur l"incidence des motifs par rapport au redressement demandé par voie d"injonction. En début de soirée, les dirigeants d"Apotex, M. Sherman et M. Kay, après en avoir fait lecture, avaient conclu que les motifs du jugement n"obligeaient pas la société à interrompre les ventes et que les ventes allaient continuer, au moins jusqu"au dépôt d"un jugement formel comportant une injonction, lequel interviendrait après consultation entre les avocats et la Cour. Selon M. Sherman, l"avocat d"Apotex était d"accord avec cette ligne de conduite, bien qu"on lui ait donné pour instructions de demander le sursis à l"exécution de toute injonction. L"avocat de Merck a fait valoir à son confrère que les circonstances étaient semblables à celles de l"affaire Baxter c. Cutter4. Les ventes ont continué le lendemain 15 décembre, jusque vers la fin de l"après-midi, au moment où M. Sherman a dit à M. Kay, alors vice-président exécutif d"Apotex, d"interrompre les ventes, sur le fondement de l"avis reçu de l"avocat d"Apotex plus tôt en après-midi; vu que Merck soutenait que l"affaire Baxter c. Cutter s"appliquait, l"avocat d"Apotex recommandait par prudence d"interrompre les ventes. Aucune nouvelle vente n"a été faite après 16 h, mais les livraisons se sont poursuivies jusque tard dans la soirée en ce 15 décembre.



[8]          Par lettre datée du 15 décembre, reçue par la Cour le lendemain, Apotex a demandé qu'une requête soit entendue d'urgence par téléphone en vue du sursis à l'application des motifs du jugement dans l"attente de la décision sur une requête en sursis à l"exécution de l"injonction jusqu"à l"issue de l'appel envisagé par Apotex. Lorsque cette requête m"est parvenue le 16 décembre, j"ai répondu par l"entremise du greffe que, au stade où l"affaire en était, le jugement n"avait pas été déposé, il n"y avait pas de décision formelle tant que le jugement ne serait pas déposé et qu"il n"y avait donc pas de décision dont on puisse demander le sursis ou interjeter appel tant que le jugement ne serait pas déposé. À ce stade, la Cour n"était pas au courant des communications entre les avocats, ni de la position prise par Apotex selon laquelle elle avait la liberté de continuer, ni du fait qu"elle avait continué à vendre l"Apo-Enalapril, produit qui d"après les motifs du jugement contrefaisait le brevet de Merck. D"après ma communication avec les avocats, la conférence téléphonique d"urgence semblait n"avoir pour objet que de fixer une date pour le dépôt des observations sur le projet de jugement, et fournirait l"occasion d"instruire toute requête en sursis que pourrait présenter Apotex. L"avocat d"Apotex a demandé une conférence téléphonique d"urgence en vue d"obtenir des directives à l"égard des motifs du jugement du 14 décembre et des dispositions ont été prises pour qu"elle se tienne à 16 h 30 le 16 décembre.



[9]          Avant le début de cette conférence, l"avocat d"Apotex avait informé M. Sherman, apparemment tôt dans l"après-midi du 16 décembre, que, selon son interprétation des directives données par la Cour le jour même, l"interprétation qu"Apotex donnait des motifs du jugement était exacte et que cette dernière pouvait donc continuer à vendre l"Apo-Enalapril. M. Sherman en a informé M. Kay et Apotex a repris le traitement des commandes, y compris apparemment de commandes reçues la veille après l"interruption des ventes et non encore traitées.



[10]          Au cours de la conférence téléphonique tenue le 16 décembre 1994 en après-midi, j"ai confirmé que les circonstances de l"espèce semblaient analogues à celles de l"affaire Baxter c. Cutter, précitée. La Cour suprême avait jugé, dans cette affaire, qu"une partie à une action et, à ce stade, un dirigeant de la société partie à l"action, informés des motifs du jugement de la Cour portant qu"une injonction serait prononcée pour empêcher des actes jugés constitutifs de contrefaçon de brevet, peuvent être condamnés pour outrage au tribunal si, avant le dépôt du jugement formel, des activités sont entreprises qui seront interdites par l"injonction lorsque le jugement ou l"ordonnance formel de la Cour sera déposé. À la suite de la conférence du 16 décembre, vers la fin de l"après-midi, l"avocat d"Apotex a de nouveau informé M. Sherman qu"il fallait interrompre les ventes d"Apo-Enalapril, ce qui a été fait.



[11]          Les parties ont comparu personnellement le 21 décembre et les termes du jugement ont été arrêtés. Le jugement a été déposé le 22 décembre 1994. Ce jugement disposait notamment:

[TRADUCTION]
3.      Aux termes des présentes, il est interdit à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes no 1,275,349, et en particulier de fabriquer, utiliser, mettre en vente et vendre, au Canada ou ailleurs, des comprimés d'APO-ENALAPRIL ou tous autres comprimés ou formes posologiques contenant du maléate d'énalapril parmi les ingrédients actifs, que ces produits fabriqués ou vendus soient à base :
     a)      d'énalapril ou de maléate d'énalapril acheté en vrac avant l'octroi du brevet, ou
     b)      de toutes quantités de maléate d'énalapril achetées en vrac après l'octroi du brevet.
4.      La défenderesse est tenue de remettre, ou de détruire sous la supervision de cette Cour, toutes les compositions, c'est-à-dire tous les produits ou autres formes posologiques d'APO-ENALAPRIL contenant du maléate d'énalapril, ainsi que tout le maléate d'énalapril en vrac fabriqué par Delmar Chemicals Inc. initialement désignés sous les lots P-65478, P-65479 et P-65480, et dont il est fait mention à la page 28 des motifs du jugement en l'espèce, qui sont en la possession ou sous le contrôle de la défenderesse; toutefois, la remise ou la destruction de ces produits est suspendue jusqu'à l'issue de tous les appels formés à l'encontre de ce jugement, à condition : ...
     [Suivaient les conditions fixées pour que le produit contrefaisant reste à l"écart du marché.]



[12]          La disposition du jugement comportant une injonction ne pouvait guère avoir surpris Apotex. Certes, elle spécifie certaines activités, c.-à-d. " fabriquer, mettre en vente et vendre ", comme des formes particulières de contrefaçon qui sont interdites, lesquelles n"étaient pas spécifiées dans le redressement indiqué dans les motifs du jugement. Pourtant, il s"agit simplement des mesures ordinaires de redressement par voie d"injonction qui sont accordées en cas de contrefaçon de brevet, le type même de mesures demandées par Merck dans la déclaration déposée dans l"action alléguant qu"Apotex contrefaisait le brevet en important ou en faisant fabriquer du maléate d"énalapril, en fabriquant des comprimés en vue de la distribution et en vendant ce produit.



[13]          Le 23 décembre 1994, à la suite d"une autre conférence téléphonique au cours de laquelle il a été impossible de résoudre les questions en vue de décider de la requête en sursis à l"exécution du jugement présentée par la défenderesse à l"égard de l"injonction, la Cour a ordonné un sursis provisoire à l"exécution de l"injonction dans l"attente de la poursuite de l"instruction. En fin de compte, des dispositions ont été prises pour que cette audience se tienne le 6 janvier 1995 et, le 9 janvier suivant, le sursis provisoire ordonné le 23 décembre 1994 a été annulé par une autre ordonnance, prenant effet à la fermeture des divers bureaux locaux de la défenderesse le jour même.



[14]          L"ordonnance du 9 janvier 1995 comportait une disposition particulière concernant les tiers intervenant sur le marché de l"Apo-Enalapril, ainsi conçue :

3.      Les tiers, non parties à l'action, qui ont acquis en toute bonne foi des produits APO-ENALAPRIL fabriqués par la défenderesse, avant la fermeture des bureaux le 9 janvier 1995, sont réputés n'avoir enfreint aucune ordonnance de cette Cour du fait qu'ils possèdent, distribuent, vendent ou consomment certains des produits acquis avant ou après le 9 janvier 1995, ni être passibles d'outrage au tribunal.



[15]          Les motifs de l"ordonnance datés du 24 janvier 1995 et déposés le même jour exposent le déroulement de la procédure entre le 14 décembre 1994 et le 9 janvier 1995. Voici, pour récapituler, un tableau qui fait ressortir l"effet des diverses procédures, du point de vue du déroulement des événements :

     14 décembre 1994              Dépôt des motifs du jugement.
     l5 décembre 1994              Apotex poursuit les ventes, mais les interrompt à compter de 16 h sur les conseils de son avocat.
     16 décembre, vers l"heure du midi      En réponse à la demande d"audience présentée par Apotex pour obtenir le sursis à l"exécution de l"injonction, la Cour indique qu"il n"y a pas de jugement dont on puisse demander le sursis ou interjeter appel. (Par la suite, Apotex reprend ses ventes.)
     16 décembre, fin d"après-midi          La Cour indique que les circonstances sont analogues à celles de l"affaire Baxter c. Cutter. Sur les conseils de son avocat, Apotex interrompt ses ventes.
     22 décembre 1994              Signature et dépôt du jugement, comportant une injonction permanente et une ordonnance de remise ou de mise à l"écart de la totalité de l"Apo-Enalapril.
     23 décembre 1994              Ordonnance provisoire de sursis à l"exécution de l"injonction jusqu"à l"audience.
     9 janvier 1995                  Révocation du sursis provisoire (l"injonction permanente accordée le 22 décembre 1994 est rétablie).



[16]          Il est établi que, sauf une courte période l"après-midi du 15 décembre et le lendemain matin, Apotex a continué, du 14 décembre jusque tard dans la journée du 16 décembre, de vendre l"Apo-Enalapril, produit dont la Cour avait jugé qu"il contrefaisait le brevet des demanderesses, ainsi que l"indiquent clairement les motifs du jugement. Le 15 décembre, les ventes d"Apo-Enalapril ont dépassé 9 millions de dollars et, le lendemain, Apotex a effectué des ventes supplémentaires pour plus de 360 000 $. Après le 16 décembre, Apotex n"a pas traité de commandes d"Apo-Enalapril jusqu"au 23 décembre, mais elle a continué, après le 16 décembre, à livrer l"Apo-Enalapril aux clients qui avaient effectué leurs achats avant l"interruption des ventes le 16 décembre. Du 23 décembre jusqu"au 9 janvier 1995, les ventes d"Apotex n"étaient pas interdites par l"injonction, du fait du sursis provisoire et, lorsque le sursis provisoire a été annulé le 9 janvier, Apotex a cessé de vendre elle-même le produit à ses clients. Les ventes effectuées par Apotex les 15 et 16 décembre, et les livraisons effectuées par la suite, constituent le fondement de l"allégation d"outrage au tribunal dans la période allant du 14 au 22 décembre 1994.



[17]          En outre, il est allégué qu"Apotex et son personnel ont aidé à la commercialisation de stocks d"Apo-Enalapril par des tiers auprès d"autres tiers après le 9 janvier 1995, ce qui constitue le fondement de l"allégation d"outrage au tribunal à l"égard de la seconde période indiquée dans l"ordonnance du juge Pinard, soit du 9 janvier 1995 jusqu"à la date de cette ordonnance.



[18]          Il n"y a aucun doute que M. Sherman, M. Jack Kay, alors vice-président exécutif, et l"avocat d"Apotex ont lu les motifs du jugement à la suite de leur dépôt le 14 décembre 1994. Selon l"opinion qu"il s"était formée avant de parler avec l"avocat, M. Sherman estimait que les motifs indiquaient seulement qu"une injonction serait prononcée lorsque le jugement formel serait déposé et que, dans l"intervalle, Apotex pouvait poursuivre librement ses activités comme à l"ordinaire. Il a maintenu cette position après discussion avec l"avocat, lequel, selon M. Sherman, partageait cette opinion.



[19]          Le lendemain, soit le 15 décembre 1994, Apotex a vendu plus de 9 millions de dollars d"Apo-Enalapril à des acheteurs canadiens et à un acheteur étranger, montant équivalant à un mois de ventes sur le fondement de l"expérience antérieure d"Apotex et à plus de 20 fois la moyenne quotidienne des ventes à l"époque. M. Kay a parlé d"une journée " mouvementée ". Les ventes ont été qualifiées d"" inhabituelles " par M. Gary Timm, juricomptable qui a témoigné pour les demanderesses après étude des dossiers de ventes et autres dont le tribunal a ordonné la production, dans certains cas en vertu de subpoenas à des témoins qui étaient dirigeants d"Apotex ou dirigeants de Kohlers Distributing Inc. à l"époque.



[20]          Il n"y a aucun doute que les dirigeants d"Apotex, en particulier M. Kay et M. Barbeau, maintenant vice-président, Ventes et marketing, ont agi à l"intérieur de leurs fonctions normales le 15 décembre, lorsque M. Barbeau a contacté des clients directement ou par l"entremise de représentants régionaux pour les assurer qu"Apotex vendait encore de l"Apo-Enalapril, bien qu"une injonction puisse lui interdire de le faire par la suite. Apotex a accepté des commandes importantes le 15 décembre, avant d"interrompre les ventes vers la fin de la journée. On dit qu"aucun stimulant n"a été offert, mais on concède qu"aucun stimulant n"était nécessaire, du fait que le produit, seule marque générique du médicament d"ordonnance le plus vendu (en valeur) sur le marché canadien, se vendait facilement grâce à la préférence accordée par les programmes provinciaux de médicaments aux termes desquels il était inscrit parmi les médicaments acceptés pour le financement public des ordonnances médicales dans toutes les provinces sauf une. Il n"existe aucune preuve que M. Sherman ait donné des instructions à MM. Kay et Barbeau au sujet des ventes d"Apo-Enalapril au cours de la période postérieure au 9 janvier 1995. C"est lui qui a décidé le 14 décembre qu"Apotex n"était pas obligée d"interrompre les ventes, que les affaires continuaient, sans stimulants spéciaux. Par la suite, il a indiqué à M. Kay, le 15 décembre, d"interrompre les ventes, puis, le lendemain, de les reprendre et, plus tard dans la journée du 16 décembre, de les interrompre de nouveau, sur les conseils de l"avocat d"Apotex. Les expéditions des marchandises vendues le 16 décembre se sont poursuivies au-delà de cette date, 63 livraisons ayant été faites le 19 décembre et une le 20 décembre.

Les allégations d"outrage au tribunal


[21]          J"en viens maintenant à l"ordonnance de justification du 27 avril 1995 et à ses allégations à l"égard desquelles Apotex et M. Sherman doivent présenter une justification. Il y a deux allégations principales, fondées sur la règle 335 des Règles de la Cour5 applicable à l"époque. Cette règle disposait notamment :

355(1). Est coupable d"outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou à une ordonnance de la Cour ou d"un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l"autorité ou à la dignité de la Cour.

La règle embrasse deux types de conduite, d"abord, la désobéissance à un bref ou à une ordonnance de la Cour ou d"un juge, ensuite, le fait d"agir de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l"autorité ou à la dignité de la Cour.



[22]          En l"espèce, l"ordonnance de justification allègue les deux types de conduite, en ordonnant à la défenderesse et à M. Sherman de comparaître, de présenter leur preuve et leurs moyens de défense et de justifier pourquoi ils ne devraient pas tous deux être condamnés pour outrage au tribunal [TRADUCTION] " pour les raisons énoncées dans l"avis de requête et dans le préambule de la présente ordonnance ".



[23]          L"avis de requête qui a conduit à l"ordonnance de justification contient des allégations de fait particulières, mais la description générale de la faute alléguée se trouve dans le préambule de l"ordonnance. Le premier alinéa, le a) du préambule, allègue sous une forme abrégée :

[TRADUCTION]
la violation de l"injonction permanente [...] prononcée le 14 décembre 1994 dans les motifs du jugement rendus ce jour-là, interdisant à la défenderesse de contrefaire, par l"entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, les revendications 1 à 5 et 8 à 15, inclusivement, des lettres patentes canadiennes n 1,275,349 et la violation de l"ordonnance de remise [...] en vendant et en faisant vendre [à des] pharmaciens, de[s] chaînes de pharmacies et de[s] grossistes tiers au cours de la période comprise entre le 14 et le 22 décembre 1994, et en aidant et encourageant les pharmaciens, les chaînes de pharmacies et les grossistes tiers à transférer, distribuer et vendre entre eux des comprimés d"APO-ENALAPRIL dans tout le Canada au cours de la période allant du 9 janvier 1995 jusqu"à aujourd"hui;



[24]          Dans l"affaire Baxter c. Cutter6, où les motifs du jugement avaient été déposés le 11 décembre et le jugement une semaine plus tard, le juge Dickson a dit à propos d"un paragraphe similaire dans l"ordonnance de justification :

En l'espèce, il n'y avait pas d'injonction et il ne pouvait donc y avoir de violation de l'injonction avant le 18 décembre 1980 [date du jugement formel de la Cour dans cette affaire].



[25]          En l"espèce, il n"y a pas eu d"injonction prononcée par ordonnance de la Cour avant le 22 décembre 1994 et il ne pouvait donc, à mon avis, y avoir violation de l"injonction ou d"une ordonnance de remise du produit contrefaisant avant le dépôt de l"ordonnance formelle. C"est là, à mon sens, la réponse simple aux allégations exposées à l"alinéa a) du préambule dans la mesure où elles concernent les activités exercées au cours de la période précédant le 22 décembre 1994, date du dépôt du jugement formel.



[26]          La seconde forme d"outrage au tribunal alléguée dans la présente affaire, exposée à l"alinéa 1 b) du préambule de l"ordonnance du 27 avril 1995 est comparable à la seconde forme décrite à la règle 355, c.-à-d. une conduite qui gêne la bonne administration de la justice ou qui porte atteinte à l"autorité ou à la dignité de la Cour. C"est à propos de ce type de conduite que le juge Dickson a tenu que des actes intervenus dans l"intervalle entre le prononcé des motifs et le dépôt du jugement formel pouvaient être constitutifs d"outrage au tribunal lorsqu"une personne, informée des motifs du jugement, agit d"une manière dont la Cour a clairement indiqué, dans les motifs du jugement, qu"elle est interdite. Dans l"affaire Baxter c. Cutter, le juge Dickson fait les observations suivantes7 :

Dès que le juge a fait connaître sa décision en rendant les motifs, et à supposer que toute interdiction qui y est contenue est clairement énoncée, il n'est permis à personne, à mon avis, de faire fi de la façon dont le juge a disposé de l'affaire sous prétexte qu'aucun jugement n'est encore exécutoire. La situation qui existe après les motifs de jugement est très différente de celle où le défendeur agit avant une décision des tribunaux. Dès que les motifs de jugement ont été rendus, toute action qui tend à contrecarrer l'objet de l'injonction prévue porte atteinte à ce qui a déjà reçu l'approbation de la justice. Une telle conduite mine le processus judiciaire et peut constituer un outrage au tribunal.



[27]          Selon l"alinéa 1 b) du préambule de l"ordonnance de justification, il faut établir hors de tout doute raisonnable que, dans la période allant du 14 au 22 décembre, Apotex et M. Sherman, informés des motifs du jugement, ont agi en violation des conclusions et des directives exposées dans les motifs du jugement de la Cour du 14 décembre, et en outre que par leurs agissements après le 9 janvier 1995, date où le sursis provisoire à l"exécution de l"injonction a été annulé et où l"injonction permanente contenue dans le jugement du 22 décembre a retrouvé son plein effet, cette injonction et l"ordonnance de remise ou de mise à l"écart assujettie à certaines conditions ont été rendues inopérantes en raison de l"aide fournie à des tiers pour qu"ils échangent entre eux le produit contrefaisant.



[28]          S"agissant de la première période, du 14 au 22 décembre 1994, on fait valoir, pour le compte d"Apotex et de M. Sherman, que l"interprétation donnée par ce dernier des motifs de jugement de la cour était tout à fait raisonnable dans le contexte de l"ensemble de l"affaire au cours de nombreux mois. Dans les observations écrites, on fait valoir8 :

[TRADUCTION] L"historique de l"action jusqu"au prononcé des motifs du jugement de la Cour indique que la Cour n"a jamais eu l"intention que ces motifs constituent ou mettent en oeuvre une interdiction immédiate des activités dont elle avait expressément permis la poursuite au cours des 14 mois suivant la délivrance à Apotex de l"avis de conformité pour sa marque de maléate d"énalapril. C"était une interprétation tout à fait raisonnable de ces motifs, particulièrement compte tenu de l"historique, de conclure que la Cour, en les prononçant, comptait seulement informer les parties de ses conclusions sur les questions de fond débattues.



[29]          Cela peut constituer l"explication de M. Sherman, mais, à mon avis, cela n"excuse pas les agissements d"Apotex et de M. Sherman, la poursuite de la vente du produit qui avait été jugé une contrefaçon du brevet de Merck, et qui était clairement qualifié de contrefaçon dans les motifs du jugement. À vrai dire, Apotex avait concédé dans les débats le droit exclusif de Merck d"utiliser son produit breveté, en fondant sa défense sur l"article 56 de la Loi sur les brevets à l"époque, qui permettait l"utilisation ou la vente d"un article breveté par celui qui l"avait acquis avant la délivrance du brevet. Dans les motifs du jugement, j"ai conclu que cette disposition ne s"appliquait pas à un produit fini dans les circonstances de l"espèce, décision qui a été infirmée par la Cour d"appel le 20 avril 1995, lorsqu"elle a accueilli en partie l"appel interjeté par Apotex contre le jugement rendu dans l"affaire.



[30]          Avec égard, ma décision à l"automne 1993 de rejeter la demande par Merck d"une injonction interlocutoire jusqu"au jugement sur l"action, qui constitue, je présume, ce à quoi on fait référence dans l"extrait cité plus haut lorsqu"on dit qu"il avait été " expressément " permis à Apotex de poursuivre ses activités, n"est pas un facteur pertinent dans le contexte de l"interprétation des motifs du jugement du 14 décembre 1994. L"avocat d"expérience d"Apotex doit sûrement apprécier la différence entre le rejet d"une demande d"injonction interlocutoire jusqu"au jugement sur l"action en contrefaçon et le prononcé d"une injonction permanente en vue de protéger les droits de brevet à la suite d"un jugement de contrefaçon. On a également suggéré que, dans le contexte historique, on ne pouvait faire abstraction du fait que, après l"audience, le délibéré a duré quelque huit mois, au cours desquels j"ai indiqué, à deux reprises, que je n"avais pu, comme je l"espérais, arrêter le jugement. Cela fait bien partie de l"historique, mais je n"arrive pas à comprendre comment le retard à rendre un jugement peut constituer un facteur à prendre en compte pour déterminer la signification des conclusions, notamment des décisions sur le redressement, exprimées dans les motifs du jugement.



[31]          S"agissant des termes mêmes des motifs, on fait valoir qu"ils supposent que le redressement indiqué n"était censé prendre effet qu"après le dépôt de l"ordonnance formelle. La mention de la demande que l"avocat d"Apotex a formulée à la fin de l"audience visant à ménager la possibilité d"une consultation des avocats au sujet des termes du jugement formel compte tenu de mes conclusions et l"invitation faite aux avocats dans les motifs du jugement de procéder à cette consultation et de se faire entendre s"ils le souhaitaient n"indiquent pas, à mon avis, une intention d"attendre l"ordonnance finale pour déterminer la date d"effet des conclusions exposées dans les motifs. La consultation entre avocats et, au besoin, de la Cour ne pouvait que mettre en oeuvre, par le jugement formel, les conclusions déjà posées et en vigueur, sans possibilité de changement significatif, le 14 décembre 1994, lorsque les motifs du jugement ont été datés et déposés.



[32]          On plaide que M. Sherman, agissant sur les conseils de son avocat, a simplement cherché à comprendre ce que les motifs du jugement de la Cour ordonnaient, spécifiquement si Apotex pouvait continuer à vendre son produit. Après avoir conclu qu"elle pouvait le faire, il a ensuite décidé qu"Apotex continuerait ses ventes comme d"habitude le 15 décembre et MM. Kay et Barbeau ont décidé d"informer les clients ce jour-là qu"Apotex continuerait de vendre l"Apo-Enalapril, bien qu"une injonction puisse lui interdire de le faire par la suite.



[33]          La volonté de M. Sherman de respecter la loi et l"ordonnance de la Cour, fait-on valoir, est démontrée par sa décision d"interrompre les ventes le 15 décembre sur les conseils de l"avocat, puis de les reprendre le lendemain puisque la Cour avait indiqué qu"il n"y avait pas encore de jugement déposé, jusqu"à ce que l"avocat l"informe par la suite que la Cour avait indiqué que les ventes ne pouvaient continuer. Cela peut être pertinent par rapport à la peine, mais ne l"est guère pour apprécier si la décision prise le 14 décembre de continuer les ventes était conforme ou non aux motifs du jugement.



[34]          Il me semble étonnant qu"on ait interprété les motifs du jugement comme permettant la poursuite, jusqu"à une date future indéterminée, d"activités constitutives de contrefaçon du brevet de Merck. M. Sherman et l"avocat d"Apotex ont sûrement compris, à la lecture des motifs du jugement, mes conclusions portant que les revendications spécifiées du brevet de Merck étaient valides et que la fabrication et la vente d"Apo-Enalapril par Apotex constituaient une contrefaçon de ces revendications. Les motifs précisaient, à la suite de ces conclusions et d"autres constations, que les demanderesses Merck avaient droit, à la date des motifs, à une déclaration portant que certaines revendications de leur brevet avaient été contrefaites par la défenderesse Apotex, à une injonction permanente interdisant à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, les revendications valides du brevet de Merck et à une ordonnance dans les termes appropriés portant remise ou destruction sous serment ou sous la surveillance de la Cour de tous les produits Apo-Enalapril, sauf le maléate d'énalapril en vrac en stock.



[35]          Lors du contre-interrogatoire, M. Sherman a nuancé son interprétation en citant les alinéas des motifs cités plus haut au paragraphe 6, qui parlent d"un délai et invitent les avocats à se consulter sur les termes appropriés du jugement à prononcer en sa forme définitive, ainsi que les avocats l"avaient demandé à la fin de l"instruction. Il interprétait ces alinéas comme impliquant, sans indication expresse dans les motifs, que le redressement, y compris peut-on présumer la déclaration de contrefaçon, l"injonction permanente et l"ordonnance de remise ne devaient pas avoir effet jusqu"à une date future indéterminée. Une telle décision, que M. Sherman inférait de son interprétation des motifs du jugement, serait si extraordinaire, à mon avis, que des personnes connaissant bien la procédure judiciaire, comme M. Sherman, chef du contentieux d"Apotex, et l"avocat d"Apotex, ne pourraient faire une telle interprétation que si la Cour avait clairement exprimé l"intention que ses conclusions ne soient considérées comme prenant effet qu"à une date future indéterminée. Or, on ne trouve dans les motifs du jugement aucune formulation expresse du genre concernant l"effet des conclusions.



[36]          Je ne suis pas persuadé que les motifs du jugement étaient ambigus ou dépourvus de clarté. En particulier, en ce qui concerne le redressement par voie d"injonction, les motifs spécifient que Merck avait droit à une injonction permanente interdisant la contrefaçon des revendications valides de son brevet. Étaient jugées constitutives de cette contrefaçon la fabrication et la vente de comprimés d"Apo-Enalapril contrefaisant le brevet de Merck. Il était sûrement clair le 14 décembre que le jugement formel comporterait une injonction permanente et le jugement daté du 22 décembre 1994 contenait effectivement cette injonction dans des termes analogues à ceux qui avaient été employés dans les motifs, sauf l"addition de certains autres agissements constitutifs de contrefaçon, c.-à-d. " utiliser " et " mettre en vente ", en plus de " fabriquer " ou " vendre " du maléate d"énalapril, que celui-ci ait été acquis avant ou après la délivrance du brevet à Merck.



[37]          Y a-t-il eu désobéissance aux termes de l"injonction tels qu"ils sont décrits dans les motifs? Il est clairement établi qu"Apotex a vendu des produits Apo-Enalapril les 15 et 16 décembre et a livré les produits ainsi vendus tard dans la soirée du 15 décembre, le 16 décembre ainsi que les 17, 19 et 20 décembre. Les ventes effectuées étaient autorisées par M. Sherman, alors président et chef de la direction d"Apotex, et étaient facilitées par les arrangements faits par M. Kay et M. Barbeau, sans instructions spécifiques de M. Sherman. Tous trois le reconnaissent dans leur témoignage. Il n"y a aucun doute que ces agissements ont été faits en connaissance de cause.



[38]          Il se peut que, d"un point de vue subjectif, M. Sherman n"ait pas eu l"intention de violer l"injonction prévue dans les motifs ou de miner le processus judiciaire. Toutefois,

[TRADUCTION]
... pour qu"il y ait outrage au tribunal, il n"est pas nécessaire de prouver que le défendeur avait l"intention de désobéir ou de passer outre à l"ordonnance de la Cour. L"infraction consiste à faire intentionnellement un acte qui, de fait, est défendu par l"ordonnance. L"absence d"intention de désobéir constitue une circonstance atténuante mais non pas une circonstance justificatrice9.
Apotex et M. Sherman ont tous les deux fait ce qu"ils avaient l"intention de faire. Des produits Apo-Enalapril ont été vendus, et vendus en quantité, après que les dirigeants et l"avocat d"Apotex ont lu les motifs du jugement établissant le droit de Merck à une injonction permanente. En agissant ainsi, à mon avis, Apotex et M. Sherman ont tous les deux commis un outrage au tribunal. Pour reprendre les termes du juge Dickson dans l"affaire Baxter c. Cutter10 :
Dès que les motifs de jugement ont été rendus, toute action qui tend à contrecarrer l'objet de l'injonction prévue porte atteinte à ce qui a déjà reçu l'approbation de la justice. Une telle conduite mine le processus judiciaire et peut constituer un outrage au tribunal.


[39]          Pour le compte d"Apotex et de M. Sherman, on plaide que, dans l"affaire Baxter c. Cutter, les motifs du jugement indiquaient clairement l"ordonnance que la Cour avait l"intention de prononcer. La Cour et les deux parties connaissaient le contenu de l"ordonnance qui serait prononcée11, alors que, dans la présente affaire, les motifs donnaient lieu à des interprétations raisonnables différentes. Je ne suis pas persuadé qu"il y ait eu de divergence substantielle entre les termes de l"injonction permanente décrite dans les motifs et les termes employés dans le jugement du 22 décembre 1994. À mon avis, les motifs du jugement décrivaient clairement l"injonction permanente à prononcer, laquelle a été ensuite incluse dans le jugement du 22 décembre.


[40]          À mon avis, il est hors de tout doute raisonnable qu"Apotex, par l"entremise de ses dirigeants, et M. Sherman à titre personnel ont commis un outrage au tribunal en vendant des produits Apo-Enalapril et, dans le cas de M. Sherman, en autorisant cette vente, après que ce dernier eurent lu les motifs du jugement datés du 14 décembre 1994, ces motifs indiquant qu"en date de ce jour, la Cour avait décidé que Merck avait droit à une injonction permanente interdisant à Apotex par l"entremise de ses dirigeants ou d"autres personnes de contrefaire les revendications valides du brevet de Merck.


[41]          On plaide que M. Sherman ne devrait pas être condamné personnellement pour outrage au tribunal. Pourtant, il était l"" âme dirigeante " d"Apotex, c"est lui qui a pris la décision sur l"effet des motifs du jugement le 14 décembre qui a entraîné les ventes d"Apo-Enalapril les deux jours suivants, tout comme c"est lui qui a finalement décidé d"interrompre les ventes le 16 décembre. Il connaissait les motifs du jugement pour les avoir lus et ses décisions étaient déterminantes pour la conduite des dirigeants et du personnel d"Apotex. À mon avis, il a commis un outrage au tribunal, tout autant que la société défenderesse.
La période du 9 janvier au 27 avril 1995

[42]          La seconde allégation d"outrage au tribunal contenue dans l"ordonnance de justification porte sur les agissements dans la période allant du 9 janvier 1995, date où le sursis provisoire à l"exécution de l"injonction a été annulé, jusqu"au 27 avril 1995, date où l"ordonnance de justification a été prononcée. Ces allégations se retrouvent aussi à l"alinéa b) du premier paragraphe du préambule de cette ordonnance, dans la formulation suivante :
agir de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour [...] en aidant et en encourageant les pharmaciens, les chaînes de pharmacies et les grossistes tiers à transférer, distribuer et vendre entre eux ces comprimés d"APO-ENALAPRIL dans tout le Canada au cours de la période allant du 9 janvier 1995 jusqu"à aujourd"hui, le tout de façon à contrarier et à miner le processus judiciaire dans la présente affaire et à rendre inopérantes l"injonction permanente et l"ordonnance de remise ou de destruction des comprimés prononcées dans les motifs du jugement datés du 14 décembre 1994 et dans le jugement formel de la Cour fédérale daté du 22 décembre 1994;
....



[43]          Les dispositions des motifs du jugement, ainsi que du jugement du 22 décembre 1994, auxquelles renvoie cette seconde allégation d"outrage au tribunal, au sujet d"une injonction permanente et d"une ordonnance de remise ou de destruction de produits contrefaisants, ont déjà été citées12.


[44]          M. Sherman reconnaît que, pour des raisons commerciales, il a donné des instructions à M. Kay portant qu"à compter du 9 janvier 1995, Apotex n"accepterait plus les retours d"Apo-Enalapril de ses clients. Il s"agissait d"une dérogation à la politique normale d"Apotex qui était d"accepter les retours, mais M. Sherman a fait observer que cette politique s"appliquait lorsque, dans le cours normal, les seuls retours étaient dus à des erreurs de livraison, à des contenants endommagés ou à d"autres circonstances occasionnelles du genre. En l"espèce, les circonstances étaient considérées comme extraordinaires : une fois les marchandises retournées, elles ne pouvaient plus être revendues par Apotex, en raison de l"injonction, et parce qu"il serait pratiquement impossible pour Apotex de satisfaire à toutes les exigences du Règlement sur les aliments et drogues pour la vente d"un produit par le fabricant, notamment en ce qui concerne l"assurance de contrôle du produit avant la vente. En un mot, M. Sherman prévoyait que l"Apo-Enalapril, s"il était retourné, ne pourrait être revendu et serait perdu.


[45]          M. Sherman n"a donné aucune instruction sur la mise en oeuvre de la politique de refus des retours, bien que, dans une correspondance avec les fonctionnaires de l"Ontario au sujet du maintien de l"Apo-Enalapril sur la liste des marques génériques de maléate d"énalapril dans le formulaire pharmaceutique, il semble au courant, par son personnel, de l"approvisionnement d"Apo-Enalapril dans le commerce, chez les distributeurs, les chaînes de pharmacies et les pharmaciens. Il semble qu"à ce moment-là, soit en janvier 1995, il croyait que les stocks constitués dans le commerce assuraient un approvisionnement suffisant pour quelques mois de ventes, que le personnel d"Apotex pouvait informer les acheteurs éventuels des endroits où ils pourraient s"approvisionner auprès de tiers et que les acheteurs éventuels n"auraient guère de difficulté à faire exécuter leurs commandes auprès de tiers.


[46]          M. Kay a transmis à M. Barbeau les instructions portant qu"il n"y aurait plus de retours d"Apo-Enalapril, mais en s"en remettant à lui, qui occupait le poste de vice-président, Ventes, pour les détails de la mise en oeuvre de cette politique; il lui revenait de trouver des arrangements avec les clients qui éviteraient les retours à Apotex.


[47]          M. Barbeau et son personnel de vente étaient pleins d"imagination. La preuve établit les éléments suivants :
     i)      Les représentants d"Apotex et M. Barbeau échangeaient des renseignements au sujet des clients ayant des stocks d"Apo-Enalapril dont ils voulaient se défaire, ainsi que des distributeurs, chaînes de pharmacies et autres qui cherchaient à s"approvisionner, particulièrement Kohlers Distributing. M. Barbeau et les représentants d"Apotex indiquaient aux clients qui voulaient retourner l"Apo-Enalapril de l"envoyer à Kohlers. Les représentants d"Apotex ont organisé quelques livraisons de produits à Kohlers en provenance de tiers. Cet échange a pris de l"importance lorsque l"Apo-Enalapril a été radié de la liste en Ontario et que, de ce fait, il est devenu pratiquement impossible à vendre dans cette province, alors qu"il était encore commercialisé et inscrit sur la liste dans les autres provinces.
     ii)      Dans une ou plusieurs de ces opérations, Apotex a établi un crédit en faveur du vendeur de stock, a facturé à l"acheteur, Kohlers, la valeur du stock et a accordé à Kohlers une remise de distribution de 6 %. Au moins pendant un certain temps, Kohlers a également demandé, et il semble qu"on lui ait crédité, une réduction supplémentaire de 4 %, quoiqu"on fait valoir pour Apotex que cette demande, fondée sur le règlement rapide, n"avait pas été approuvée formellement à l"avance par la défenderesse, même si elle a accordé le crédit.
     iii)      Dans quelques opérations entre un tiers vendeur et un tiers " acheteur ", le règlement s"effectuait entre les tiers, mais le client tiers original continuait à recevoir d"Apotex un crédit pour la remise de distribution de 6 % et l"acheteur, Kohlers, recevait une remise similaire.
     iv)      Dans une opération, M. Barbeau a contacté directement une chaîne de pharmacies de Colombie-Britannique et organisé un transfert à cette chaîne en provenance d"un vendeur d"Ontario, dans lequel Apotex facturait à l"acheteur de Colombie-Britannique le coût du produit moins une remise de distribution de 15 %, tandis qu"elle créditait au vendeur une remise similaire à celle qu"il avait obtenue lorsqu"il avait acheté le produit à l"origine.
     v)      Dans une autre opération, lorsqu"un différend est survenu au sujet du prix à payer par Kohlers dans une opération avec une entreprise d"Alberta, Apotex a fini par intervenir et payer quelque 35 000 $ à Kohlers pour aider au règlement de l"affaire.

[48]          En somme, Apotex, par les agissements de M. Barbeau et par la façon dont celui-ci a dirigé son personnel, a joué un rôle actif dans la promotion des ventes et des achats par des tiers du produit dont a avait jugé qu"il contrefaisait le brevet de Merck, au moins jusqu"au 20 avril 1995. À cette date, la Cour d"appel a fait droit à la prétention d"Apotex selon laquelle le produit provenant du maléate d"énalapril en vrac acquis avant la délivrance du brevet à Merck était protégé contre une action en contrefaçon par l"article 56 de la Loi sur les brevets à l"époque. Une certaine quantité de produit en vrac avait été acquise après l"octroi du brevet à Merck et le produit fabriqué à partir de cette quantité n"était pas protégé par l"article 56 et contrefaisait donc le brevet de Merck après la décision de la Cour d"appel.


[49]          Selon M. Timm, juricomptable engagé par Merck, la participation d"Apotex dans des opérations qui pour la forme intervenaient entre des tiers constituait en réalité des ventes d"Apotex. Cette vue a été contestée par un expert témoignant pour Apotex et M. Sherman, sur le fondement de son examen des dossiers d"Apotex examinés par M. Timm et aussi de ses discussions avec le personnel d"Apotex, dont les résultats n"ont pas été autrement fournis à la Cour. À son avis, il n"était pas possible de classer ces opérations comme des ventes d"Apotex sur le fondement de la documentation limitée provenant d"Apotex et de Kohlers que M. Timm avait examinée.


[50]          À mon avis, il n"est pas nécessaire de déterminer si ces opérations constituaient ou non des ventes d"Apotex au sens ordinaire du mot. La question est plutôt de savoir si les agissements d"Apotex, par l"entremise de M. Barbeau et de son personnel, constituent des agissements ayant pour effet de " gêner la bonne administration de la justice, ou [de] porter atteinte à l"autorité ou à la dignité de la Cour ", ainsi qu"il est dit à l"alinéa b) du paragraphe 1 du préambule de l"ordonnance de justification.


[51]          On plaide pour Apotex et M. Sherman que l"ordonnance de la Cour du 9 janvier 1995 excluait expressément de l"application de l"injonction les ventes par des tiers d"Apo-Enalapril acquis avant le 9 janvier 1995. Si ces opérations étaient exclues de l"injonction, on fait valoir qu"Apotex ne pouvait, par son concours à ces opérations, violer l"injonction. En outre, on soutient que l"injonction et les termes de l"ordonnance de justification n"interdisent pas spécifiquement les agissements faits par Apotex pour faciliter les achats et les ventes entre les tiers. Ces arguments seraient peut-être plus faciles à accepter si Apotex avait évité de prendre des engagements financiers envers des tiers. Ces engagements sous forme de remise de distribution constituaient, dit-on, une pratique normale, mais il doit s"agir de la pratique concernant les ventes effectuées par Apotex elle-même à ses clients, et dans le cours normal les remises ne seraient créditées qu"à une seule partie, l"acheteur. À mon avis, dans les circonstances entourant les opérations censément intervenues entre des tiers, les remises consenties par Apotex constituaient des stimulants. Les stimulants consentis par Apotex facilitaient manifestement les opérations et évitaient les retours de marchandises à Apotex, lesquels auraient entraîné la perte des marchandises.


[52]          On trouve dans les observations écrites d"Apotex une description extraordinaire des droits du breveté. Les paragraphes 110 et 162 des observations écrites de la défenderesse Apotex Inc. et de M. Bernard Sherman sont ainsi conçus :
[TRADUCTION]
110.      Enfin, Apotex et M. Sherman ont pour position qu"aucun droit substantiel de Merck ne pourrait avoir été perdu ou mis en péril et que la bonne administration de la justice n"aurait pu être gênée alors que le jugement confirme le droit du breveté de recevoir tous les bénéfices découlant de l"usage de l"invention ou lui donne droit au remboursement des bénéfices du contrefacteur. L"octroi du brevet ne confère pas d"autre droit fondamental.
...
162.      Il faut se rappeler que le brevet ne confère rien de plus que le droit de recevoir tous les bénéfices découlant de l"usage de l"invention. Si ce droit est confirmé par la Cour dans une ordonnance ou un jugement qui indemnise entièrement le breveté pour son manque à gagner ou encore lui donne droit au remboursement des bénéfices du contrefacteur, aucun droit fondamental n"aura été perdu ou mis en péril si ce droit n"est pas compromis par la suite, et la bonne administration de la justice n"en aura pas été le moindrement gênée.
À l"appui du paragraphe 162, les observations citent l"affaire Apotex Inc. et Novopharm Ltd. c. The Wellcome Foundation Limited et al.13, dans laquelle le juge Marceau traite d"un appel interjeté à l"encontre d"un refus d"accorder un sursis à l"exécution d"une injonction permanente jusqu"à l"issue de l"appel, circonstances qui ne sont pas pertinentes en l"espèce.


[53]          Je suppose que, dans les extraits des observations écrites cités plus haut, l"avocat a oublié le droit fondamental premier du breveté, à savoir le droit à l"usage exclusif de l"invention brevetée. C"est ce droit qui donne lieu à une injonction lorsqu"un jugement conclut à la contrefaçon. Bref, les droits de brevet ne se limitent pas au droit de recevoir des dommages-intérêts du contrefacteur ou au remboursement des bénéfices réalisés par celui-ci. L"ignorance de la caractéristique fondamentale du brevet peut fournir quelque explication des agissements d"Apotex, mais elle ne constitue pas un moyen de défense s"il est jugé que ces agissements constituent un outrage au tribunal.


[54]          Comme nous l"avons vu, le jugement du 22 décembre 1994 disposait notamment :
3.      Aux termes des présentes, il est interdit à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, les revendications 1 à 5 et 8 à 15 [du brevet des demanderesses], et en particulier de fabriquer, utiliser, mettre en vente et vendre [...] des comprimés d'APO-ENALAPRI [...]



[55]          M. Sherman connaissait le jugement. Il semble ne pas avoir donné d"instructions au personnel au sujet du respect de ce jugement, bien que les ventes directes aux clients par Apotex, qui s"étaient poursuivies du 23 décembre au 9 janvier 1995 pendant le sursis à l"exécution de l"injonction, aient été interrompues après le 9 janvier, date d"annulation du sursis. À ce moment-là, les seules instructions qu"a données M. Sherman étaient qu"Apotex n"accepterait pas de retours.


[56]          De la part d"une société et de son chef de la direction soucieux d"être perçus comme s"efforçant de se conformer à la loi, d"être respectueux des ordonnances de la Cour, on peut s"étonner de ce qu"Apotex, par l"entremise de son vice-président, Ventes et marketing, M. Barbeau, et de son personnel, ait joué un jeu dangereux, sans comprendre l"esprit de l"ordonnance confirmant et protégeant les droits du breveté.


[57]          À mon avis, les agissements d"Apotex pour la période allant du 9 janvier 1995 à la date de l"ordonnance de justification, savoir faciliter les ventes de son produit entre des tiers, non seulement par l"échange de renseignements, mais aussi par une intervention financière sous forme de remises de distribution et de réductions pour règlement rapide, et traiter certaines opérations comme s"il s"agissait de ventes effectuées directement par Apotex à des tiers acheteurs, ont gêné la bonne administration de la justice et ont porté atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour. Si les opérations entre tiers étaient exemptées de l"injonction par l"ordonnance de la Cour du 9 janvier 1995, les opérations dans lesquelles Apotex intervenait financièrement sous forme de remises de distribution ne constituaient pas des opérations n"intéressant que des tiers. À mon avis, les agissements d"Apotex dans ces opérations, sa participation à des arrangements financiers facilitant ces opérations, ont miné le processus judiciaire et, dans les circonstances, constituent un outrage au tribunal dans la période postérieure au 9 janvier 1995.


[58]          On plaide que M. Sherman, en instaurant une politique de refus des retours sans donner d"autres instructions au personnel d"Apotex, s"est également rendu coupable d"outrage au tribunal dans ses agissements pour le compte d"Apotex après le 9 janvier 1995. Je n"en suis pas persuadé.


[59]          Les agissements de M. Barbeau et de son personnel pour le compte d"Apotex ont été entrepris par eux, agissant dans le cadre de leurs responsabilités. Selon la preuve dont je suis saisi, M. Sherman n"était pas au courant des arrangements pris par eux jusqu"à l"audience de justification et rien n"établit que M. Sherman ait participé à l"un de ces arrangements. Je conclus que M. Sherman n"a pas commis d"outrage au tribunal dans la période postérieure au 9 janvier 1995.
Conclusion

[60]          Je conclus qu"Apotex Inc., en vendant les 15 et 16 décembre 1994 le produit Apo-Enalapril, produit dont on avait jugé qu"il contrefaisait le brevet de Merck, ainsi qu"il appert des motifs du jugement datés du 14 décembre 1994, et M. Bernard Sherman, alors président et chef de la direction d"Apotex, en autorisant ces ventes, après avoir lu les motifs du jugement, ont tous deux agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour d"une manière constituant un outrage au tribunal.


[61]          En outre, je conclus qu"Apotex Inc., par les agissements de son vice-président, Ventes et marketing, M. Richard Barbeau, et de son personnel, en facilitant les ventes entre tiers vendeurs et acheteurs d"Apo-Enalapril après le 9 janvier 1995, en autorisant des remises de distribution et autres réductions, a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour, minant le processus judiciaire et commettant un outrage au tribunal.


[62]          Ces conclusions étant posées, j"invite les avocats de M. Sherman, des demanderesses et de la défenderesse à présenter des observations sur les peines appropriées dans les circonstances et sur les dépens. Les observations pourront être écrites ou orales, selon ce que conviendront les avocats. Si l"un des avocats souhaite présenter des observations orales, des dispositions seront prises en vue d"une audience sur les peines appropriées et les dépens dans des conditions convenant à tous les avocats intéressés.


[63]          Si les avocats conviennent de présenter des observations écrites, les demanderesses déposeront leurs observations écrites au plus tard le 31 mars 2000, la défenderesse et M. Sherman, le 14 avril 2000.





                                     W. Andrew MacKay

                                         JUGE
OTTAWA (Ontario)
Le 7 mars 2000.

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.









Date : 20000307


Dossier : T-2408-91

OTTAWA (Ontario), le 7 mars 2000.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY




ENTRE :

     MERCK & CO. INC.,

     et MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -


     APOTEX INC.,

     défenderesse.



     VU l"ordonnance du juge Pinard datée du 27 avril 1995, modifiée dans son application, portant que M. Bernard Sherman, alors président et chef de la direction de la société défenderesse, comparaisse devant la Cour à titre personnel et à titre de dirigeant de la société défenderesse, pour expliquer pourquoi lui-même et la société défenderesse ne devraient pas être condamnés pour outrage au tribunal en raison des agissements décrits dans l"ordonnance;

     VU la preuve et l"argumentation présentées pour le compte des demanderesses (Merck), assumant la poursuite dans la présente procédure, ainsi que la preuve et l"argumentation présentées pour le compte de la défenderesse Apotex et de M. Bernard Sherman, aux audiences tenues à Toronto sur plus de 30 jours répartis sur une période allant du 21 juillet 1997 au 22 janvier 1999, et après examen de l"ensemble de la preuve et prise en considération des observations des avocats de Merck, de la défenderesse Apotex et de M. Bernard Sherman;




     J U G E M E N T


     LA COUR STATUE :

     1.      La défenderesse Apotex Inc. a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour, commettant ainsi un outrage au tribunal, en vendant et en faisant vendre, par l"entremise de ses dirigeants et employés, le produit Apo-Enalapril les 15 et 16 décembre 1994, produit dont il avait été jugé que la vente constituait une contrefaçon du brevet canadien enregistré des demanderesses n 1,275,349 ainsi qu"il appert des motifs du jugement déposés le 14 décembre 1994, motifs qui établissent également le droit des demanderesses à une injonction permanente interdisant à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, le brevet des demanderesses, ainsi qu"à une ordonnance de remise ou de destruction des produits contrefaisants, les ventes en question ayant été effectuées avec l"intention d"exercer une activité commerciale, après que M. Bernard Sherman, un autre dirigeant et l"avocat d"Apotex eurent lu les motifs du jugement.
     2.      La défenderesse Apotex a violé l"injonction permanente prononcée par la Cour par le jugement déposé le 22 décembre 1994, agissant de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour, par l"entremise de ses préposés, mandataires ou employés, en aidant et en encourageant le transfert et la distribution par des tiers de comprimés d"Apo-Enalapril entre eux après le 9 janvier 1995 et en accordant des remises de distribution et autres réductions à l"occasion de ces opérations.
     3.      M. Bernard Sherman, alors président et chef de la direction d"Apotex Inc., a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l"autorité et à la dignité de la Cour, commettant ainsi un outrage au tribunal, en autorisant les 15 et 16 décembre 1994 la vente d"Apo-Enalapril, produit dont il avait été jugé que la vente constituait une contrefaçon du brevet canadien enregistré des demanderesses n 1,275,349, ainsi qu"il appert des motifs du jugement déposés le 14 décembre 1994, motifs qui établissent également le droit des demanderesses à une injonction permanente interdisant à la défenderesse de contrefaire, par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d'autres, le brevet des demanderesses, les ventes en question ayant été effectuées avec l"intention d"exercer une activité commerciale, après que M. Bernard Sherman, un autre dirigeant et l"avocat d"Apotex eurent lu les motifs du jugement.
     4.      La Cour demande aux avocats de présenter des observations sur les peines appropriées pour l"outrage au tribunal, ainsi que sur les dépens de l"une ou l"autre des façons suivantes :
         a)      si tous les avocats conviennent de présenter des observations écrites, l"avocat des demanderesses déposera ses observations écrites au plus tard le 31 mars 2000, l"avocat de la défenderesse Apotex Inc. et de M. Bernard Sherman, au plus tard le 14 avril 2000;
         b)      si un ou plusieurs avocats souhaitent présenter des observations orales, la Cour prendra les dispositions en vue d"une audience pour considérer les observations des avocats à la date la plus rapprochée convenant aux avocats des parties.






                                     W. Andrew MacKay


    

                                         JUGE




Traduction certifiée conforme


C. Bélanger, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


N DU GREFFE :              T-2408-91
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MERCK & CO. INC., et al. c. APOTEX INC.

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :          DU 21 JUILLET 1997 AU 22 JANVIER 1999

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT DU JUGE MacKAY

DATE :                  LE 7 MARS 2000

COMPARUTIONS :

M. A. Macklin                  POUR LES DEMANDERESSES
M. Radomski                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson          POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

Goodman, Phillips & Vineberg          POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

__________________

1      L"ordonnance du 27 avril 1995 enjoignait également à M. Jack Kay, alors vice-président d"Apotex, de comparaître et de se justifier, mais les allégations portées contre lui ont été retirées par la suite.

2      [1983] 2 R.C.S. 388, 75 C.P.R. (2d) 1.

3      Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et al. c. Cutter (Canada) Ltd., [1986] 1 C.F. 497, 1 C.P.R. (3d) 433 (1re inst.).

4      Précité, note 2.

5      Les Règles applicables en 1995 étaient les Règles de 1978, modifiées (C.R.C. (1978), ch. 663). Les Règles de la Cour fédérale (1998 ), DORS/98-106, comprennent la règle 466b) et c), comparable à l"ancienne règle 355.

6      Supra, note 2.

7      Précité, note 2, à la p. 8 (C.P.R.), 378 (R.C.S.).

8      Observations écrites de la défenderesse, Apotex Inc., et de M. Bernard Sherman, par. 128.

9      Re Sheppard and Sheppard (1976), 67 D.L.R. (3d) 592, aux p. 595 et 596, 12 O.R. (2d) 4, à la p. 8 (C.A.). Voir aussi Di Giacomo Inc. v. Mangan et al. (1988), 20 C.P.R. (3d) 251, à la p. 261 (Ont. H.C.).

10      Précité, note 2, à la p. 8 (C.P.R.), 398 (R.C.S.).

11      Voir Williams Information Services Corp. c. Williams Telecommunications Inc. (1998), 142 F.T.R. 76 (juge Reed), au par. 13.

12      Supra, paragraphes 6 et 11.

13      (1998), 232 N.R. 40, [1998] F.C.J. no 1088, au par. 7 (C.A.).

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