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Date : 20001027

Dossier : IMM-5287-00

ENTRE :

                       PATRICIA GERTRUDE GUSTAVE

                                                                                       demanderesse

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    La demanderesse, une citoyenne de Sainte-Lucie, sollicite une ordonnance de sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi prise contre elle le 4 octobre 2000. Les autorités de l'immigration veulent renvoyer la demanderesse du Canada le 28 octobre 2000. Il est prévu qu'elle parte sur le vol AC968, qui quitte Toronto à 11 h à destination de Sainte-Lucie.


[2]    La demanderesse, qui a été jugée ne pas être une réfugiée au sens de la Convention par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), a déposé auprès de la Cour une demande d'autorisation d'instituer une demande de contrôle judiciaire relativement à la décision de la Commission datée du 2 août 2000.

[3]    La demanderesse est arrivée au Canada le 19 novembre 1994 et a revendiqué le statut de réfugié cinq ans plus tard. Le 21 mars 2000, une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle a été prise en vertu de l'article 28 de la Loi sur l'immigration (la Loi) étant donné qu'elle n'avait fait aucune demande de visa avant de venir au Canada et qu'elle était demeurée au pays après avoir cessée d'être un visiteur. Le 2 août 2000, elle a été jugée ne pas être une réfugiée au sens de la Convention.

[4]    Le 28 août 2000, la demanderesse a déposé, après l'expiration du délai prescrit de 15 jours suivant la communication de la décision de la Commission, une demande pour qu'elle soit considérée comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC). La demanderesse aurait dû déposer sa demande relative à la CDNRSRC au plus tard le 23 août 2000. Sa demande d'autorisation d'instituer une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Commission a été déposée le 10 octobre 2000. La demanderesse a manifestement présenté sa demande après l'expiration du délai prescrit et doit obtenir une prorogation de délai de la Cour.


[5]                Je dois également ajouter que le 21 septembre 2000, la demanderesse a déposé, de l'intérieur du Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi. Le 4 octobre 2000, la demanderesse a été informée qu'en raison du dépôt tardif de sa demande, elle ne pouvait pas être considérée comme membre de la CDNRSRC. Enfin, le 17 octobre 2000, la demanderesse a sollicité le sursis de son renvoi, mais cette demande a été rejetée le 19 octobre 2000.

[6]                La demanderesse soutient avoir satisfait au critère à trois volets établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302. Malheureusement pour la demanderesse, je ne suis pas d'accord. Je suis d'avis qu'elle n'a pas respecté le critère. Premièrement, comme je l'ai indiqué à l'avocat pendant l'audience, la demanderesse ne m'a pas convaincu qu'elle subira un préjudice irréparable si je n'accorde pas le sursis demandé. Deuxièmement, comme je l'ai aussi indiqué à l'avocat pendant l'audience, pour me convaincre de l'existence d'une question grave, il faut également qu'il me convainque que la partie de sa demande qui sollicite une prorogation de délai soulève une question grave. À la lumière de la preuve qui m'a été présentée, je n'en suis pas convaincu. À l'appui de sa requête, la demanderesse a déposé un affidavit daté du 17 octobre 2000. Il n'y a absolument rien dans cet affidavit et dans les autres éléments de preuve qui vise à expliquer les raisons pour lesquelles la demande d'autorisation a été déposée tardivement. En conséquence, la demanderesse ne m'a pas convaincu que sa demande d'autorisation soulevait une question grave.


[7]                Au cours de l'audience, j'ai appris de l'avocat que la demanderesse avait également déposé une demande d'autorisation portant sur la décision relative à la CDNRSRC qui la touchait. Cette décision a refusé la demande parce que la demanderesse n'avait pas présentée celle-ci dans un délai de quinze jours de l'avis. J'estime que la demande d'autorisation de la demanderesse concernant la décision relative à la CDNRSRC ne soulève pas une question grave. Récemment, dans l'arrêt Adam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1375 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale a déclaré en termes clairs qu'un agent d'immigration n'avait pas compétence pour proroger le délai légal pour le dépôt d'une demande en vertu du règlement régissant la CDNRSRC. À la page 3, madame le juge Sharlow, s'exprimant au nom de la Cour, a dit :

[19]      La première question à trancher est celle de savoir si un agent d'immigration a le pouvoir inhérent de proroger le délai légal fixé pour le dépôt d'une demande sous le régime du règlement régissant les DNRSRC. Selon moi, il faut y répondre par la négative. Le délai de prescription fait partie intégrante de la procédure d'attribution de la qualité de DNRSRC et constitue une limite légale à la compétence conférée aux agents d'immigration pour traiter les demandes présentées en vertu du règlement régissant les DNRSRC. La disposition qui fixe ce délai est claire et ne comporte aucune ambiguïté.

La Cour a poursuivi en disant que le délai de prescription de quinze jours prévu par le règlement régissant la CDNRSRC n'enfreignait pas l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.


[8]                La demanderesse ne respecte donc pas le critère à trois volets. Il reste cependant une question à trancher. Cette question n'a pas été soulevée par la demanderesse, mais a été portée à mon attention par Mme Mitchell, l'avocate du ministre. La question est de savoir si la demande d'autorisation d'instituer une demande de contrôle judiciaire qui a été présentée tardivement par la demanderesse relativement à la décision rendue le 2 août 2000 par la Commission est visée par le sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi, qui prévoit:


49. (1) Subject to subsection (1.1), the execution of a removal order made

against a person is stayed

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à

l'exécution d'une mesure de renvoi :

...

...

(c) subject to paragraphs (d) and (f), in any case where a person has been determined by the Refugee Division not to be a Convention refugee or a person's appeal from the order has been dismissed by the Appeal Division,

c) sous réserve des alinéas d) et f), dans le cas d'une personne qui s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut ou dont l'appel a été rejeté par la section d'appel :

(i) where the person against whom the order was made files an application for

leave to commence a judicial review proceeding under the Federal Court Act or signifies in writing to an immigration officer an intention to file such an application, until the application for leave has been heard and disposed of or the time normally limited for filing an application for leave has elapsed and, where leave is granted, until the judicial review proceeding has been heard and

disposed of,

(i) si l'intéressé présente une demande d'autorisation relative à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'au prononcé du jugement sur la demande d'autorisation ou la demande de contrôle judiciaire, ou l'expiration du délai normal de demande d'autorisation, selon le cas,

...

...


[9]                Avec le plus grand respect pour mes collègues qui ont une opinion différente, je suis d'avis qu'une demande d'autorisation qui n'est pas déposée dans le délai prescrit n'a pas pour effet de surseoir à une mesure de renvoi.


[10]            La question sur laquelle je dois me prononcer est identique à la question examinée par le juge Pelletier dans Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 152 (1re inst.). Dans Ziyadah,précité, le juge Pelletier devait statuer sur la question de savoir si le dépôt après l'expiration du délai prescrit d'une demande d'autorisation d'instituer une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié donnait droit au demandeur au sursis prévu par le sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi. Le juge a énoncé ainsi la question dont il était saisi, aux pp. 156 à 159 :

[1]      Ali Mohamed Ziyadah est un citoyen de la Libye, arrivé au Canada en janvier 1997 avec un visa temporaire pour études. À l'expiration de ce visa en septembre 1997, il a revendiqué le statut de réfugié. Le 2 octobre 1997, une ordonnance de renvoi conditionnel a été prise à son égard en attendant l'issue de cette revendication. La section du statut de réfugié (la section du statut) a entendu sa demande le 28 septembre 1998 et rendu sa décision le 29 mars 1999. Entre-temps, M. Ziyadah avait déménagé deux ou trois fois, sans donner son adresse à la section du statut. Il n'a été informé du rejet de sa revendication que le 18 mai 1999, lorsque Immigration Canada lui intima l'ordre de se présenter pour être expulsé en Libye le 8 juin 1999. Il a immédiatement consulté un avocat et introduit un recours en contrôle judiciaire, avec prorogation du délai de recours puisqu'il avait dépassé de loin le délai de quinzaine prévu au paragraphe 82.1(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi). Il a ensuite demandé, par voie d'avis de requête, qu'il soit sursis à l'ordonnance de renvoi en attendant l'issue de sa demande d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire, de son recours en contrôle judiciaire contre la décision du statut et de sa requête en prorogation du délai de recours.

[2]      Il se pose donc en l'espèce la question de l'applicabilité du sursis prévu par la Loi en son sous-alinéa 49(1)c)(i) [mod., idem, art. 41] aux faits de la cause :

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi :

a) à la demande de l'intéressé --s'il a un droit d'appel devant la section d'appel--jusqu'à l'expiration du délai de présentation de l'appel;

b) en cas d'appel, jusqu'à ce que la section d'appel ait rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement d'appel;

c) sous réserve des alinéas d) et f), dans le cas d'une personne qui s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut ou dont l'appel a été rejeté par la section d'appel :

(i) si l'intéressé présente une demande d'autorisation relative à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'au prononcé du jugement sur la demande d'autorisation ou la demande de contrôle judiciaire, ou l'expiration du délai normal de demande d'autorisation, selon le cas [. . .] [Non souligné dans l'original.]


[3]      Cette question se pose par suite de la décision rendue par le juge MacKay dans Sholev c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 78 F.T.R. 188 (C.F. 1re inst.), dont les faits s'apparentent à ceux de l'affaire en l'instance. Sholev agissait en contrôle judiciaire contre la décision de la section du statut portant rejet de sa revendication du statut de réfugié, mais après l'expiration du délai de demande d'autorisation. L'acte introductif d'instance était accompagné d'une demande de prorogation du délai de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Le juge MacKay était appelé à juger si le sursis prévu au sous-alinéa 49(1)c)(i) pouvait être invoqué dans le cas où la demande d'autorisation était faite après l'expiration des délais et où l'ordonnance de renvoi avait été prise. Il a conclu que ce sursis prévu par la Loi s'appliquait effectivement dans ces circonstances.

[4]     Il a fondé sa conclusion sur le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 82.1(5) [mod., idem, art. 73] de la Loi, aux termes duquel tout juge peut, pour des raisons spéciales, proroger le délai de demande d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire. Le bénéfice de cette disposition serait dénié aux personnes visées par une ordonnance de renvoi si le sous-alinéa 49(1)c)(i) devait s'interpréter de façon à exclure le sursis pour la simple raison qu'elles n'ont pas fait la demande dans les délais. En d'autres termes, le pouvoir de prorogation serait vide de sens s'il ne pouvait s'exercer à l'égard de la personne qui n'est pas en mesure d'agir dans les délais, c'est-à-dire dans le seul cas où ce pouvoir a sa raison d'être.

[5]     La ministre défenderesse soutient que Sholev est mal jugé, que la conclusion qui y a été tirée signifie qu'une personne frappée d'une mesure d'expulsion par suite de la décision d'un tribunal administratif fédéral pourrait entrer dans la clandestinité jusqu'à ce qu'elle soit appréhendée, après quoi elle pourrait faire tardivement une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire (avec demande de prorogation du délai), laquelle demande aurait pour effet d'empêcher son renvoi immédiat hors du Canada. Pareil résultat récompenserait la non-observation des obligations légales et ne saurait être voulu par le législateur.

[6]      L'argument de la ministre n'est pas sans fondement. On peut trouver ce fondement dans les termes du sous-alinéa 49(1)c)(i), où il est question du « délai normal » de demande d'autorisation, lequel délai normal est de 15 jours. La prorogation de délai prévue au paragraphe 82.1(5) s'applique aux circonstances extraordinaires, et elle est différente du délai normal. Eussé-je jugé moi-même cette affaire en première instance, je ne serais peut-être pas parvenu à la même conclusion que mon distingué collègue.

[7]      Il est évident que je ne juge pas cette question en première instance. Le raisonnement du juge MacKay a été adopté par le juge Richard (tel était alors son titre) dans Ragunathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1616 (1re inst.) (QL), et par le juge Lutfy dans Gyle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1596 (1re inst.) (QL).


[11]            Plus loin dans ses motifs et après avoir examiné attentivement la jurisprudence pertinente relative au principe de la chose jugée, et plus particulièrement la décision rendue par le juge Granger dans R. v. Koziolek, [1999] O.J. No. 657 (Div. gén.) (Q.L.), le juge Pelletier conclut qu'il doit suivre la décision rendue par le juge MacKay dans Sholev c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 4 C.F. 152 (1re inst.). Aux paragraphes 12 et 13 de ses motifs, le juge fait les commentaires suivants :

[12]      Je pense que la solution adoptée par le juge Granger est d'autant plus logique dans les cas où il n'y a aucune possibilité de porter l'affaire en appel pour résoudre l'incertitude créée par des jugements contradictoires sur un point donné. Je tiens à faire remarquer à ce propos que le problème n'est pas créé par les juges qui sont tenus de dire le droit de leur mieux, mais par un système qui tolère que des divergences d'opinions ne soient pas résolues.

[13]      Par ces motifs, j'adopte en l'espèce le raisonnement tenu par le juge MacKay dans Sholev parce que je ne suis pas convaincu qu'il ait rendu jugement au mépris de la jurisprudence ou de la loi applicable. Je dois donc adopter sa conclusion au nom de la rationalité et de l'uniformité dans l'interprétation et l'application des règles de droit.

[12]            La solution adoptée par le juge Granger dans R. v. Koziolek, précité, à laquelle mon collègue fait référence au paragraphe 12 de ses motifs, est la suivante[1] :

[TRADUCTION] Dans R. v. Northern Electric Co. Ltd., [1955] 3 D.L.R. 449 (Ont. H.C.), le juge en chef McRuer de la Haute Cour a fait observer à la page 466 :

Étant donné tous les droits d'appel qui existent maintenant en Ontario, je pense que le juge Hogg a exprimé le principe de common law à appliquer par cette observation dans R. ex rel. McWilliam v. Morris, [1942] O.W.N. 447 : « la doctrine stare decisis est reconnue de longue date comme un principe de notre droit » . Sir Frederick Pollock écrit de son côté dans son First Book of Jurisprudence, 6e éd., page 321 : « Les décisions d'une cour supérieure ordinaire font jurisprudence pour toutes les juridictions inférieures du ressort et, bien qu'elles n'aient pas force jurisprudentielle à l'égard des autres cours de même rang ou en son propre sein, elles seront suivies à moins qu'il y ait de fortes raisons qui s'y opposent » .

Je pense que les « fortes raisons qui s'y opposent » ne signifient pas une argumentation que le juge concerné trouve convaincante, mais quelque chose qui indique que la décision en question a été rendue au mépris d'une loi ou d'un précédent qui aurait dû être respecté. Je ne pense pas que le concept de « fortes raisons qui s'y opposent » doive s'interpréter en fonction de la souplesse d'esprit du juge concerné.

Selon le juge en chef McRuer et le juge Wilson, les décisions des juridictions de même rang sont persuasives et doivent être respectées à moins qu'il n'y ait des raisons impérieuses de ne pas le faire.

Le modèle jurisprudentiel oblige les juges à suivre toutes les décisions antérieures de leurs collègues et à laisser à la Cour d'appel le soin de redresser toute erreur le cas échéant. Bien que cette méthode assure la certitude dans les règles de droit, elle peut être inutilement restrictive, en particulier si les décisions antérieures ont été rendues au mépris d'une loi ou de la jurisprudence.

À l'autre extrémité du spectre, la conception la moins restrictive, adoptée par lord Goddard, veut que les juges suivent les décisions de leurs collègues par déférence confraternelle et ne les écartent que si elles sont erronées. Bien que par sa souplesse cette conception soit préférable à la conception restrictive, elle ne définit aucun critère qui permette de juger quand une décision antérieure est erronée. Si elle ne requiert qu'une différence d'opinion sur la règle applicable pour permettre au juge de s'écarter des décisions antérieures, alors la crainte exprimée par le juge Hughes dans Kartna est justifiée.

Entre ces deux extrêmes, il y a l'opinion exprimée par le juge Wilson et le juge en chef McRuer que les juges devraient se sentir liés par les décisions antérieures de leurs collègues, à moins qu'il y ait des facteurs qui les engagent à tirer une conclusion différente.

À mon avis, il est impératif, au sein d'une grande juridiction de première instance comme la Cour de l'Ontario, que la plus grande certitude possible règne jusqu'à ce que le point de droit soit tranché par la Cour d'appel. On peut y arriver par le modèle défini par le juge en chef McRuer. En conséquence, bien que la solution avancée par M. Thomas me paraisse bien logique, j'estime que je dois suivre le jugement du juge McIsaac, à moins qu'il ne soit démontré qu'il l'a rendu au mépris de la jurisprudence. Je suis convaincu qu'il a pris en compte la jurisprudence applicable en la matière. Les conditions qui justifient de ne pas suivre son jugement ne sont pas présentes en l'espèce; en conséquence, l'appel est rejeté.

[13]            Je préfère l'opinion émise sur cette question par lord Goddard, juge en chef, dans Police Authority for Huddersfield v. Watson, [1947] 1 K.B. 842, à la p. 848, où il dit :

[TRADUCTION]. . . J'estime que la pratique contemporaine et l'opinion acceptée aujourd'hui sur le sujet veulent que même si un juge de première instance suit toujours la décision d'un autre juge de première instance à moins d'être convaincu qu'elle est erronée, il ne le fait que par courtoisie judiciaire. Il n'est certainement pas lié par la décision d'un juge d'une juridiction égale. Il n'est lié que par les décisions qui s'imposent à lui, ce qui dans le cas d'un juge de première instance, signifie les décisions de la Cour d'appel, de la House of Lords et de la Cour divisionnaire.


[14]            De toute manière, que j'adopte la méthode de lord Goddard ou celle du juge Granger, je suis d'avis que je ne dois pas suivre la décision rendue par le juge MacKay dans Sholev, précité. Il ne ressort pas de ma lecture des décisions Sholev, précitée, et Ziyadah, précitée, que la décision rendue par la Cour d'appel dans Toth, précité, a été portée à l'attention des juges Mackay et Pelletier. Mme Mitchell a porté cet arrêt à mon attention au soutien de la proposition qu'une demande d'autorisation non déposée dans le délai prescrit par la Loi n'était pas visée par le sous-alinéa 49(1)c)(i). Dans Toth, précité, le juge Heald, s'exprimant au nom de la Cour, a traité ainsi de la question aux pages 303 et 304 :

[1] Le juge Heald : Il s'agit d'une demande en vue d'une ordonnance sursoyant à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion rendue contre le requérant le 27 juillet 1971 et également en vue d'une ordonnance prévoyant des directives pour activer la demande de prorogation du délai pour demander une autorisation d'appel et la demande d'autorisation d'appel. Ces demandes ont été déposées au greffe le 30 mai 1988.

[2] La question de savoir si la cour a compétence pour accorder un sursis dans les circonstances de l'espèce a été débattue abondamment à l'audience tenue devant nous. L'avocate du requérant a d'abord allégué que les dispositions de l'alinéa 51(1)c) de la Loi sur l'immigration de 1976 s'appliquaient pour opérer un sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. (Les passages qui s'appliquent sont libellés ainsi :

51.(1) ... il est sursis à l'exécution d'une ordonnance de renvoi...

                                                                   . . . . .

c) si la personne en cause ... interjette appel de la décision de la Commission à la Cour d'appel fédérale ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'à la décision de la Cour ou l'expiration du délai d'appel, selon le cas;)


Je ne suis pas convaincu que cette disposition soit de quelque utilité pour le requérant dans les circonstances de l'espèce. La décision de la Commission d'appel de l'immigration qui a rejeté l'appel du requérant et ordonné qu'il soit expulsé le plus tôt possible porte la date du 29 mars 1988. L'article 84 de la Loi prévoit que la demande d'autorisation d'appel d'une décision de la Commission doit être présentée dans les 15 jours; ce délai peut, pour des raisons spéciales, être prorogé par un juge de notre Cour. Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la demande de prorogation du délai pour demander une autorisation d'appel n'a été déposée que le 30 mai 1988. Il est donc évident que l'appel n'a pas été déposé dans le délai prescrit. Il est également évident qu'il ne ressort nullement du dossier que le requérant ait, dans le délai prescrit, notifié par écrit à un agent d'immigration son intention d'interjeter appel. À mon avis, les mots utilisés à l'alinéa 51(1)c) ci-dessus ne comprennent pas l'intention de demander une prorogation du délai pour demander une autorisation d'appel, qui n'est pas formulée dans le délai prescrit. Par conséquent, je rejette la demande de l'avocate du requérant d'interpréter cet alinéa comme opérant un sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion sur dépôt de la demande du 30 mai. Cette interprétation déformerait de façon inacceptable le sens ordinaire des mots utilisés par le législateur dans cet alinéa. Il me semble que le sursis imposé en conformité avec l'alinéa 51(1)c) s'applique seulement lorsque l'appel est présenté dans le délai prescrit. Par conséquent, je rejette les allégations de l'avocate du requérant en ce qui a trait à la compétence de la Cour en vertu de l'alinéa 51(1)c).

[15]            Lorsque la Cour d'appel a rendu sa décision dans Toth, précité, les affaires d'immigration et, plus particulièrement, les décisions de la Section du statut de réfugié relevaient de sa compétence. À cette époque, les contestations des décisions de la Commission étaient introduites par voie d'appel, et non pas par voie de demande de contrôle judiciaire. Même si le texte du sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi actuelle n'est pas identique à celui du sous-alinéa 51(1)c) de la Loi sur l'immigration de 1976, je suis d'avis que les différences sont mineures et que la décision de la Cour d'appel devrait être suivie par la Section de première instance. Je ne vois rien dans le texte du sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi actuelle qui me permettrait de faire une distinction entre la présente affaire et l'affaire Toth, précitée. Au contraire, il me semble que le sous-alinéa 49(1)c)(i) prévoit, en termes clairs, qu'il y a sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi uniquement lorsque le demandeur dépose sa demande d'autorisation dans le délai prescrit par la Loi. Lorsque le délai prescrit par la Loi pour le dépôt d'une demande d'autorisation est expiré, un dépôt tardif ne sursoit pas à une mesure de renvoi. Il n'y a pas lieu que j'examine maintenant la question de savoir si la prorogation de délai accordée par un juge par autorisation donnée au demandeur entraîne l'application du sous-alinéa 49(1)c)(i) à la demande.


[16]            Même si le demandeur qui fait un dépôt tardif est privé du sursis prévu par la loi, cela ne signifie pas qu'il est sans recours. Dans Toth, précité, après avoir conclu que le demandeur n'avait pas droit au sursis prévu par la loi relativement à la mesure d'expulsion, la Cour d'appel a estimé que le demandeur avait droit à un sursis fondé sur le critère à trois volets établi par la House of Lords dans American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396. Dans la présente affaire, la demanderesse a également sollicité un sursis fondé sur le critère à trois volets.

[17]            Aux paragraphes 24 et 25 de ses observations écrites, Mme Mitchell invoque les arguments suivants :

      [traduction]

24           Nous soumettons avec respect que la décision Sholev et les décisions qui l'ont suivie sont erronées pour deux raisons. Premièrement, le sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi sur l'immigration parle du « délai normal » de demande d'autorisation. En vertu du paragraphe 82.1(3) de la Loi, ce délai est de quinze jours du moment où le demandeur est avisé de la décision. La prorogation de délai visée par le paragraphe 82.1(5) n'a lieu que « pour des raisons spéciales » , ce qui est manifestement différent du « délai normal » prévu par le sous-alinéa 49(1)c)(i).

...

25            Deuxièmement, la conclusion tirée dans Sholev est contraire à la règle d'interprétation législative connue sous le nom d'analyse par déduction nécessaire ou de règle de l'absurdité. Cette règle exige que les conséquences jugées absurdes ou inacceptables soient présumées ne pas avoir été voulues par le législateur. Si la décision Sholev est bien fondée, une personne faisant l'objet d'une mesure d'expulsion pourrait se soustraire à l'expulsion jusqu'à ce qu'elle soit appréhendée, peut-être des années plus tard, et ensuite présenter une demande tardive d'autorisation et de contrôle judiciaire accompagnée d'une demande de prorogation de délai. La conclusion tirée dans Sholev empêche automatiquement le renvoi immédiat du Canada dans l'attente de l'issue de la demande d'autorisation. Ce résultat est contraire à l'article 48 de la Loi sur l'immigration, qui exige que la mesure de renvoi soit exécutée dès qu'il est raisonnablement possible de le faire. Ce résultat récompense également le non-respect des obligations légales et ne peut pas avoir été voulu par le législateur.

...


[18]            Je suis entièrement d'accord avec les arguments de Mme Mitchell. Alors que je rédigeais les présents motifs, j'ai été saisi d'une demande d'autorisation dans le dossier IMM-3455-00, où le demandeur avait déposé sa demande d'autorisation presque trois ans et demi après avoir été informé de la décision de la Commission. La demande d'autorisation a été déposée le 4 juillet 2000 tandis que la décision de la Commission a été rendue le 14 janvier 1997. L'un des arguments invoqués par le ministre au soutien de son opposition à la demande d'autorisation du demandeur dans ce dossier veut que ce dernier a été incité à déposer sa demande d'autorisation par l'avis des autorités de l'immigration selon lequel elles avaient l'intention d'exécuter la mesure de renvoi prise contre lui. Après examen du dossier, cet argument me paraît juste.

[19]            Je suis d'avis que ce qui précède appuie l'argument de Mme Mitchell selon lequel « une personne faisant l'objet d'une mesure d'expulsion pourrait se soustraire à l'expulsion jusqu'à ce qu'elle soit appréhendée, peut-être des années plus tard, et ensuite présenter une demande tardive d'autorisation et de contrôle judiciaire accompagnée d'une demande de prorogation de délai » . Avec le plus grand respect pour l'opinion contraire, je suis entièrement d'accord avec l'argument de Mme Mitchell, selon laquelle la conclusion tirée dans Sholev, précité, mène à une conséquence absurde qui ne peut pas avoir été voulue par le législateur.


[20]            Pour ces motifs, la requête présentée par la demanderesse en vue d'obtenir le sursis de la mesure de renvoi prise contre elle est rejetée.

                                                                                   « Marc Nadon »                 

                                                                                               J.C.F.C.                         

Toronto (Ontario)

Le 27 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       Avocats et avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                             IMM-5287-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                PATRICIA GERTRUDE GUSTAVE

                                                                                       demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE LUNDI 23 OCTOBRE 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :         LE JUGE NADON

EN DATE DU :                                                 VENDREDI 27 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU :                                         M. Munyonzwe Hamalengwa

Pour la demanderesse

Mme Cheryl D. Mitchell

                                                     

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       MUNYONZWE HAMALENGWA

Barrister & Solicitor

45, avenue Sheppard Est

Toronto (Ontario)

M2N 5W9

Pour la demanderesse

MORRIS ROSENBERG

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20001027

                                                        Dossier : IMM-5287-00

Entre :

PATRICIA GERTRUDE GUSTAVE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                       


Date : 20001027

Dossier : IMM-5287-00

Toronto (Ontario), le vendredi 27 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE :             Monsieur le juge Marc Nadon

ENTRE :

PATRICIA GERTRUDE GUSTAVE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU la requête datée du 17 octobre 2000 qui a été présentée au nom de la demanderesse et qui demande :

(1)                Le sursis de la mise en oeuvre de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse par G. Bennett, agent d'expulsion de l'immigration, le 4 octobre 2000 et communiquée à la demanderesse à cette date, par laquelle l'agent d'immigration a émis un avis de renvoi devant être exécuté avant le 28 octobre 2000 à 11 h.


LA COUR ORDONNE :

La présente requête pour l'obtention d'un sursis de l'exécution de la mesure de renvoi prise le 4 octobre 2000 est rejetée.

« Marc Nadon »          

                                            

J.C.F.C.               

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.



[1]            Cet extrait de R. v. Koziolek, précité, se trouve à la page 12 de la décision figurant dans QuickLaw, aux paragraphes 14a et 15.

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