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IMM-1989-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

             KENNETH M. NARVEY, agissant à titre personnel ainsi qu'en son propre nom et au nom de toutes les autres personnes regroupées au sein de la COALITION OF CONCERNED CONGREGATIONS ON THE LAW RELATING TO WAR CRIMES AND CRIMES AGAINST HUMANITY INCLUDING THOSE OF THE HOLOCAUST (la Coalition of Concerned Congregations ou la Coalition),

requérant,


- et -

             J.E. McNAMARA, en sa qualité d'arbitre au titre de la Loi sur l'immigration; LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION; LA LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE B'NAI BRITH et JOSEF NEMSILA,

intimés.


ORDONNANCE

     La requête présentée par les intimés est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


J.E. Dubé

Juge

Traduction certifiée conforme :     
                             François Blais, LL.L.

     IMM-1989-95

ENTRE :

             KENNETH M. NARVEY, agissant à titre personnel ainsi qu'en son nom et au nom de toutes les autres personnes regroupées au sein de la COALITION OF CONCERNED CONGREGATIONS ON THE LAW RELATING TO WAR CRIMES AND CRIMES AGAINST HUMANITY INCLUDING THOSE OF THE HOLOCAUST (la Coalition of Concerned Congregations ou la Coalition),

Requérant,


- et -

             J.E. McNAMARA, en sa qualité d'arbitre au titre de la Loi sur l'immigration; LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION; LA LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE de B'NAI BRITH et JOSEF NEMSILA,

Intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

     Par la présente requête, les intimés cherchent à obtenir une ordonnance portant rejet de la demande de contrôle judiciaire déposée par les requérants en raison de son caractère théorique.

     Ainsi que je l'ai fait remarquer au début de l'audience, aucune disposition des Règles de la Cour fédérale ne prévoit le dépôt d'une requête en radiation ou en annulation d'une autre requête ou d'une demande de contrôle judiciaire. La Règle 419 ne prévoit que la radiation d'une plaidoirie dans le cadre d'une action. La manière correcte de s'opposer à un avis introductif de requête est de comparaître à l'audience et de présenter ses arguments.

     Dans l'arrêt David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc.1, la Cour d'appel fédérale a cependant décidé qu'en fonction d'une compétence qui lui est inhérente ou qui découle de la Règle 5 par analogie à d'autres règles, la Cour peut rejeter sommairement un avis de requête "qui est manifestemet irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli". J'estime être à même de rejeter, en raison du pouvoir discrétionnaire reconnu à la Cour, la demande de contrôle judiciaire en cause dans la mesure où celle-ci serait purement théorique et sans chance d'aboutir.

     La demande de contrôle judiciaire vise la décision prise par l'arbitre intimé, J.E. McNamara, dans le cadre d'une enquête d'immigration menée en vertu de la Loi sur l'immigration, décision selon laquelle il n'avait pas compétence pour accorder au requérant la qualité d'intervenant. L'enquête portait sur l'intimé Joseph Nemsila, dont on prétend qu'il a commis des crimes en Tchécoslovaquie au cours de la Seconde Guerre mondiale.

     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), intimé, entendait prendre, à l'encontre de M. Nemsila, une mesure d'expulsion, se fondant sur le fait que l'intéressé n'aurait pas été admis au Canada légalement. À l'enquête, le requérant entendait intervenir sur un point de droit préliminaire, à savoir l'interprétation des dispositions législatives régissant l'acquisition du "domicile canadien" aux termes de la Loi sur l'immigration , dans sa version antérieure à 1978.

     L'arbitre a estimé que M. Nemsila avait acquis un domicile canadien et qu'il ne pouvait pas, par conséquent, faire l'objet d'une mesure d'expulsion. Cette décision a été annulée par le juge en chef adjoint Jerome dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.2 L'affaire a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale.3 L'appel a été rejeté comme étant devenu théorique, car M. Nemsila est décédé après l'audience mais avant que n'intervienne le jugement de la Cour d'appel fédérale.

     Dans son jugement, la Cour d'appel fédérale s'est longuement penchée sur le problème des questions hypothétiques. La Cour a décidé que, dans la mesure où la procédure qui s'était déroulée devant l'arbitre avait précisément pour objet de dire si l'appelant pouvait être expulsé, le décès de ce dernier confère à la question un caractère purement hypothétique. La Cour s'est cependant demandé s'il y avait lieu pour elle d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de rendre tout de même un jugement. Au nom de la Cour, le juge Stone a notamment examiné l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Borowski c. Canada (Procureur général)4, dans lequel le juge Sopinka avait examiné trois critères régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal dans une affaire posant une question abstraite ne donnant lieu à aucun litige actuel. D'abord, il faut que la question se pose dans le contexte d'un débat contradictoire; ensuite, il faut veiller au bon usage des ressources judiciaires et, troisièmement, éviter toute ingérence dans le rôle du pouvoir législatif à l'occasion d'un jugement prononcé en l'absence de litige.

     Il n'y avait, en ce qui concerne le premier critère, la nécessité d'avoir un débat contradictoire, aucun problème à l'époque où la Cour d'appel fédérale a entendu la cause étant donné que l'intéressé était en vie et que les questions soulevées dans l'affaire ont été débattues par les parties. Le problème s'est posé, cependant, avant même que la Cour ne prononce son jugement, car M. Nemsila est décédé et ses avocats ne sont plus concernés par le dossier.

     Pour ce qui est du deuxième critère, le souci de se montrer économe des ressources judiciaires, le juge Stone a déclaré que la question ne se posait pas dans la mesure où des circonstances spéciales justifiaient l'utilisation de ressources judiciaires restreintes pour trancher la question. Il a déclaré, à la page 12 de l'arrêt :

                 Bien qu'il ressorte du dossier que les réponses aux questions posées "seront importantes pour d'autres affaires qui concernent l'expulsion de personnes censément entrées au Canada après la Seconde Guerre mondiale dans des circonstances similaires à celles qui sont actuellement en instance"5, il est loin d'être clair que l'affaire dont il est question en l'espèce soit caractéristique d'autres affaires qui peuvent être en instance ou qui suivront sûrement.                 

     Le juge Stone a conclu que le second critère le portait à exercer de manière négative le pouvoir discrétionnaire de la Cour en ne rendant pas de jugement. C'est ainsi qu'il déclare, à la page 13 :

                 Une analyse de la deuxième raison d'être m'amène à exercer le pouvoir discrétionnaire de la Cour contre le fait de rendre jugement. Premièrement, à mon sens, il n'est pas question en l'espèce d'une affaire ou d'une décision qui aurait des effets secondaires concrets sur les droits des parties. Tout l'objet des procédures prévues à l'article 27 de la Loi était de déterminer s'il fallait expulser l'appelant du Canada à titre de personne décrite aux alinéas 27 et 27(2)g). La mort de l'appelant rend cet objet purement théorique. Deuxièmement, je ne suis pas convaincu qu'il est question ici d'une affaire "de nature répétitive et de courte durée". Comme je l'ai dit plus tôt, la preuve n'indique pas de façon tout à fait clair si les questions qui se posent en l'espèce ont des chances de survenir de nouveau et qu'à moins que le différend soit réglé maintenant, il aura disparu avant d'être résolu en fin de compte. Troisièmement, je ne considère pas que la question d'importance publique qui est en cause dans cet appel suffise, en soi, pour surmonter le caractère théorique car il existe des circonstances spéciales qui font qu'il vaut la peine d'utiliser les ressources judiciaires restreintes dont on dispose pour la régler.                 

     Appliquant le troisième critère, la Cour a estimé que les questions portées en appel intéressaient la manière dont devrait être interprétée la loi et que la Cour d'appel fédérale n'était pas appelée à arbitrer le litige en question. Il a écrit, à la page 15 de l'arrêt :

                 La dernière raison d'être de la doctrine du caractère théorique tient à ce que la Cour doit prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit. Le législateur a envisagé que la responsabilité de procéder à un contrôle en appel devrait être confiée à la Cour en première instance. Les questions soulevées dans le présent appel, qui sont des questions d'interprétation légale, relèvent de la fonction classique d'élaboration du droit de la présente Cour. Néanmoins, cette dernière n'est pas l'arbitre ultime du différend qui se pose dans le présent appel. Ce rôle revient à la Cour suprême du Canada. Ce fait soulève en soi les préoccupations exprimées par le Congrès juif canadien contre le fait de rendre jugement. Dans des décisions comme Borowski, précitée, et un arrêt subséquent : Tremblay c. Daigle,6 il ne pouvait être question d'un appel subséquent. Par contraste, indépendamment de la question de savoir si le présent appel a été tranché en faveur ou à l'encontre de la position de l'appelant, le décès de ce dernier signifie que les avocats n'ont pu avoir d'instructions sur le fait de solliciter ou de refuser une demande éventuelle d'autorisation d'appel devant la Cour suprême du Canada ou de faire valoir le bien-fondé de l'appel devant cette Cour. Est également absent, en l'espèce, un intervenant qui pourrait fournir à ce stade-ci le contexte contradictoire nécessaire.                 
     Il est vrai que les questions portées devant la Cour d'appel fédérale ne sont pas celles que la Cour est appelée à trancher dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Alors que, devant la Cour d'appel fédérale, la question essentielle portait sur le domicile et l'expulsion, la demande de contrôle judiciaire portait sur la compétence d'un arbitre pour accorder la qualité d'intervenant. Cela dit, il s'agit du problème que pose le caractère théorique de questions liées à un seul et même événement, en l'occurrence le décès de M. Nemsila, le fondement juridique des procédures initiales n'existant plus désormais.   
     Bien qu'en l'espèce le litige se situe entre le requérant et les intimés, dont deux sont encore en vie, il n'est survenu qu'en raison de la procédure opposant initialement le ministre et M. Nemsila. L'opposition existant, juridiquement, entre le ministre et M. Nemsila, a disparu et le litige qui oppose maintenant le requérant aux intimés restants découle entièrement de cette opposition juridique antérieure entre le ministre et M. Nemsila, opposition à laquelle est subordonné le présent litige. Étant donné le décès de M. Nemsila et l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, l'affaire opposant M. Nemsila au ministre est devenue entièrement théorique.   
     D'ailleurs, le simple fait que le requérant entend peut-être intervenir dans le cadre d'autres enquêtes menées devant un arbitre en vue d'une expulsion possible, ne permet pas de ranimer la présente procédure et ne justifie pas que la Cour consacre une partie de ses ressources restreintes à trancher une question purement hypothétique. Pour le requérant, il est clair que la solution consiste à soulever à la première occasion la question devant un arbitre, dans le cadre d'une autre enquête d'expulsion.   
     En conséquence, la demande des intimés est accueillie et la demande de contrôle judiciaire des requérants est rejetée.   
     Le requérant a demandé à la Cour de certifier une question grave de portée générale, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, et a rédigé une question qu'a acceptée l'avocat des intimés. En conséquence, je conviens de certifier la question suivante :   
     [traduction]   
                 "Lorsque : i) une organisation a demandé à un arbitre de l'immigration de se voir reconnaître qualité pour agir ou pour intervenir dans le cadre d'une enquête d'immigration; ii) l'arbitre a décidé que dans le cadre d'une telle enquête, il n'y avait aucune possibilité d'intervenir; iii) la Section de première instance de la Cour fédérale a accordé une autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire visant ladite décision; iv) le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, mais non la personne qui faisait l'objet de l'enquête, estime que la décision de l'arbitre est fondée; v) la personne visée par l'enquête est décédée depuis; et vi) il est probable qu'il y aura de nombreuses autres enquêtes d'immigration dans le cadre desquelles les organisations en question entendraient se voir reconnaître qualité pour agir ou pour intervenir --- a) la demande de contrôle judiciaire est-elle, en de telles circonstances, devenue parfaitement théorique?; et b) si c'est effectivement le cas, l'affaire répond-elle aux critères portant néanmoins la Section de première instance à entendre et à régler la demande?                   
O T T A W A
Le 10 octobre 1997
J.E. Dubé
Juge
Traduction certifiée conforme :     
                     François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-1989-95
INTITULÉ :                      KENNETH M. NARVEY ET AL.
                         c. M.C.I. ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :              le 7 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE DUBÉ

DATE :                      le 10 octobre 1997

ONT COMPARU :     

Me Kenneth M. Narvey              POUR LE REQUÉRANT
Me Christopher A. Amerasinghe, c.r.      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Kenneth M. Narvey              POUR LE REQUÉRANT

Montréal (Québec)

M. George Thomson                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      [1995] 1 C.F. 588.

2      Canada c. Nemsila, [1997] 1 C.F. 260 (C.F. 1re inst.).

3      Nemsila c. M.C.I., arrêt non publié, Cour d'appel fédérale, A-782-96, 27 mai 1997, motifs du juge Stone.

4      [1989] 1 R.C.S 342.

5      Affidavit de Michelle Julfs, en date du 22 octobre 1996.

6      [1989] 2 R.C.S. 530.

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