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Date : 19971119


Dossier : T-2241-97

     ACTION IN REM ET ACTION IN PERSONAM

     CONTRE LE NAVIRE "M.V. FILOMENA LEMBO"

     ET TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LEDIT NAVIRE

ENTRE :

     VIKTOR OVERSEAS LTD.,

     demanderesse,

     et

     DEIULEMAR COMPAGNIA DI NAVIGAZIONE S.p.A., MISANO DI

     NAVIGAZIONE S.p.A. ET LE NAVIRE "M.V. FILOMENA LEMBO" ET

     TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LEDIT NAVIRE,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON :


[1]      Le 6 novembre 1997, j'ai entendu à Ottawa la demande des propriétaires en vue d'obtenir une ordonnance d'annulation du mandat de saisie de leur navire FILOMENA LEMBO, ainsi qu'une mainlevée de saisie. À la fin de l'audience, j'ai fait savoir aux avocats que la demande serait rejetée. J'ai signé l'ordonnance et les motifs le jour même.


[2]      Après que j'eus informé les avocats que la demande serait rejetée, l'avocate des propriétaires a demandé, par requête orale, quel montant de garantie d'exécution ses clients devraient fournir pour faire lever la saisie sur leur navire. L'avocat de la demanderesse m'a fait savoir que son client était prêt à accepter la somme de 1 000 000 $US.


[3]      La demanderesse soutient qu'il s'agit d'une somme raisonnable dans les circonstances. Le point de départ pour le calcul de cette garantie d'exécution correspond au montant de l'action, 495 025 $US, soit le coût de la réparation du navire des propriétaires, en juin et juillet 1996. L'avocat de la demanderesse m'a alors renvoyé à la clause 5.3 du contrat de réparation, en date du 28 juin 1996, laquelle prévoit que les montants dus en vertu du contrat portent intérêt à 6 % par mois. L'avocat de la demanderesse m'a informé que le prix du contrat n'était devenu exigible qu'en janvier 1997, et que la demanderesse réclamait des intérêts de 6 % par mois à partir de cette date. La clause 5.3 du contrat prévoit ce qui suit :

         [TRADUCTION]

                 5.3      Advenant que le prix du contrat payable au contractant en vertu de la présente convention ne soit pas payé dans le délai imparti, le propriétaire doit verser de l'intérêt sur le montant du prix du contrat dû en vertu des présentes et impayé à l'échéance, pour chaque jour de la période de manquement, au taux de 6 % (six p. cent) par mois. En cas de manquement au paiement, le contractant a le droit et le pouvoir d'intenter des poursuites judiciaires afin de recouvrer les montants dus en vertu de la présente convention, y compris, mais sans s'y limiter, le droit et le pouvoir d'instituer une action in rem contre le navire.                 

[4]      L'avocat de la demanderesse supposait qu'il s'écoulerait au moins deux ans avant que la présente cause ne soit entendue et qu'un jugement ne soit rendu. Il a donc fait ses calculs sur la base d'un taux d'intérêt de 6 % par mois pendant deux ans, ce qui donne droit à la demanderesse à des intérêts de plus de 730 000 $US. Il faut ajouter à ces montants une somme suffisante pour couvrir les dépens de la demanderesse.

[5]      La demanderesse soutient, par conséquent, qu'une garantie d'exécution de 1 000 000 $US n'est pas déraisonnable dans les circonstances.

[6]      Les propriétaires ne partagent pas l'avis de la demanderesse. Il font valoir que le taux d'intérêt de 6 % par mois est illégal et outrancier. L'avocate des propriétaires a allégué que l'article 347.(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, interdit de conclure des conventions pour percevoir des intérêts à un taux criminel. L'article définit le "taux criminel" comme suit :

                 "taux criminel" Tout taux d'intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises, qui dépasse soixante pour cent.                 

[7]      Étant donné que le contrat de réparation a été conclu en Croatie et que le droit qui s'y applique est le droit anglais (article 14.1), je suis d'avis que le Code criminel n'est pas pertinent. En effet, il serait impossible de poursuivre, au Canada, la demanderesse en s'appuyant sur l'article 347 puisque le prétendu crime a eu lieu en Croatie. Si un taux d'intérêt de 6 % par mois constituait un crime dans ce pays, la demanderesse pourrait y être poursuivie. Par conséquent, l'argument des propriétaires fondé sur le Code criminel n'est pas recevable.

[8]      Au cours de l'audience1, j'ai demandé aux deux avocats si l'article 4 de la Loi sur l'intérêt, L.R. (1985), ch. I-15, était pertinent. Cet article prévoit que :

                 4. Sauf à l'égard des hypothèques sur biens-fonds, lorsque, aux termes d'un contrat écrit ou imprimé, scellé ou non, quelque intérêt est payable à un taux ou pourcentage par jour, semaine ou mois, ou à un taux ou pourcentage pour une période de moins d'un an, aucun intérêt supérieur au taux ou pourcentage de cinq pour cent par an n'est exigible, payable ou recouvrable sur une partie quelconque du principal, à moins que le contrat n'énonce expressément le taux d'intérêt ou pourcentage par an auquel équivaut cet autre taux ou pourcentage                 

[9]      Après mûre réflexion, je suis d'avis que cet article ne s'applique pas à un contrat régi par le droit d'un pays étranger. Il faut, à mon avis, déterminer le taux d'intérêt en se fondant sur le droit applicable au contrat. Dans W. Tetley, International Conflict of Laws, Common, Civil and Maritime, Montréal, Yvon Blais, 1994, le savant auteur soutient qu'en matière contractuelle, le droit à l'intérêt et le taux d'intérêt sont établis d'après le droit applicable au contrat. Aux pages 756 et 757, il affirme :

         [TRADUCTION]

                      En common law, le droit à l'intérêt est traditionnellement considéré comme assujetti au droit du contrat applicable, que l'action vise le recouvrement des dettes contractées en vertu du contrat ou l'obtention de dommages-intérêts pour violation du contrat.                 
                      [ ... ]                 
                      On estime que le taux d'intérêt, par opposition au droit à l'intérêt, est régi par le droit applicable au contrat en ce qui concerne la dette même. [...]                 

[10]      L'avocat de la demanderesse m'a renvoyé à Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 32, p. 57, paragraphe 111, qui contient l'affirmation suivante :

         [TRADUCTION]

                 Sous réserve du pouvoir que la loi confère aux tribunaux d'annuler ou de modifier une transaction si l'intérêt demandé par le prêteur est excessif, les conditions sur lesquelles l'emprunteur et le prêteur s'entendent pour le paiement de l'intérêt ne connaissent pas de restriction, et les conventions de ce genre sont régies par les principes généraux du droit des contrats. La même règle vaut pour l'intérêt sur d'autres dettes.                 

[11]      Plus loin, à la p. 80, paragraphe 161, on trouve ce qui suit :

         [TRADUCTION]

                 Les dispositions du Money-lenders Act de 1900 qui portent sur la réouverture de transactions abusives et léonines ou dans lesquelles l'intérêt exigé est excessif ont été abrogées par le Consumer Credit Act de 1974. Toutefois, les dispositions précédentes s'appliquent toujours aux conventions conclues avant le 16 mai 1977, à l'exception de celles qui ont pour objet le crédit personnel.                 

[12]      D'après ce qui précède, l'avocat du demandeur a prétendu qu'un taux d'intérêt de 6 % par mois n'était pas illégal sous le régime du droit applicable au contrat.

[13]      Après avoir examiné les arguments des deux avocats, je suis dans l'impossibilité de conclure que la demanderesse ne peut obtenir les intérêts qu'elle réclame en vertu de la clause 5.3 du contrat. Par conséquent, il m'est impossible d'accéder à la demande des propriétaires selon laquelle je ne devrais permettre, pour fixer le montant de la garantie d'exécution, que des intérêts au taux préférentiel.

[14]      La garantie d'exécution est donc fixée au montant de 1 000 000 $US, ou l'équivalent en dollars canadiens.

[15]      Les dépens de la présente demande suivront l'issue de la cause.

     "MARC NADON"

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              T-2241-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          VIKTOR OVERSEAS LTD. c DEIULEMAR
                         COMPAGNIA DI NAVIGAZIONE ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 7 NOVEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE NADON

EN DATE DU :                  19 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

RUI FERNANDES                  REPRÉSENTANT LA DEMANDERESSE

et

GORDON HEARN

DEBORAH HUTCHINGS              REPRÉSENTANT LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FERNANDES HEARN THEALL          POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

CHALKER GREEN & ROWE          POUR LES DÉFENDEURS

ST. JOHN'S (TERRE-NEUVE)

__________________

     1 L'audience s'est poursuivie par conférence téléphonique, le vendredi 7 novembre 1997.

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