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Date : 20020911

Dossier : IMM-5706-01

Référence neutre : 2002 CFPI 957

Ottawa (Ontario), le mercredi 11 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                          CRISTINEL BURSUC, FELICIA RAMONA BURSUC

et BEATRICE BURSUC

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Cristinel Bursuc, son épouse Felicia et leur fille mineure Beatrice sont des citoyens de la Roumanie d'origine ethnique rom. La Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas mis en doute la crédibilité de leur témoignage, mais a conclu néanmoins qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 La déposition de M. Bursuc, en bref, était la suivante.

[3]                 Lorsqu'il a grandi en Roumanie, M. Bursuc a fait l'objet de discrimination et de moqueries et il a été tenu à l'écart en raison de l'origine rom de sa famille. En 1989, il a quitté la Roumanie illégalement pour se rendre en Autriche, où il a revendiqué sans succès le statut de réfugié au sens de la Convention; il n'y a obtenu qu'un permis de travail temporaire. En avril 1992, il est retourné quelques jours en Roumanie pour s'y marier, comme il ne pouvait le faire en Autriche, mais il est retourné dans ce pays après avoir constaté qu'on faisait toujours preuve d'hostilité envers les minorités dans son pays d'origine. Une fois le parti d'opposition élu, M. Bursuc a de nouveau visité la Roumanie en 1997, cette fois comme membre actif du Parti rom.


[4]                 À la première réunion du Parti rom à laquelle M. Bursuc a assisté en août 1997, la police est entrée de force sur les lieux et a commencé à frapper les personnes présentes avec des matraques de caoutchouc, à leur asséner des coups de poing et de pied et à leur jeter des insultes racistes. On a conduit M. Bursuc au poste de police où on l'a déshabillé, on lui a passé les menottes dans une cellule et on a versé sur lui un seau d'eau froide. On l'a laissé ainsi pendant 30 minutes dans le froid. M. Bursuc a été accusé de s'adonner à un commerce illicite, on lui a dit d'avouer sa culpabilité et on l'a prévenu que mieux valait pour lui de ne pas porter plainte contre le gouvernement, puis on l'a battu jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Au cours des 24 heures qui ont suivi, on l'a battu à plusieurs reprises puis, une fois libéré, il a été hospitalisé pendant cinq jours.

[5]                 En septembre 1997, M. Bursuc est revenu en Autriche et il a continué d'y travailler. En décembre 1998, M. Bursuc est retourné en Roumanie pour y passer les fêtes de Noël avec sa famille et parce que le permis de travail délivré par l'Autriche avait expiré. En février 1999, M. Bursuc a vu des policiers tabasser l'un de ses amis rom qui, face à une tentative d'extorsion de la part de policiers, n'avait pu ou n'avait pas voulu payer. Lorsque M. Bursuc a tenté d'intervenir, il a été battu, arrêté et détenu pendant 24 heures; lors de sa détention, on l'a battu deux fois jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. On a ensuite infligé des mauvais traitements à M. Bursuc pour le forcer à signer une fausse déclaration portant qu'il était trafiquant de stupéfiants. On lui a alors dit que cela garantissait qu'il ne porterait jamais plainte contre la police. Après cet événement, M. Bursuc a décidé de quitter pour de bon la Roumanie avec son épouse et sa fille.

[6]                 Concluant que les Bursuc n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, la SSR a écrit ce qui suit :


Pourtant, après avoir obtenu un statut légal en Autriche, les demandeurs sont retournés de temps à autre en Roumanie, montrant par là qu'ils n'estimaient pas eux-mêmes, avant leur retour en 1998, que cette discrimination allait jusqu'à constituer de la persécution. Bien plus, pour avoir acheté un appartement en 1996, appartement dans lequel ils vivaient durant leurs visites en Roumanie, les demandeurs ont montré qu'ils n'avaient pas du tout l'intention de couper les liens avec leur pays, mais plutôt de continuer de s'y rendre alors même qu'ils vivaient en Autriche. Ils ont même déclaré qu'ils avaient acheté cet appartement pour eux-mêmes et qu'ils ne l'ont loué à personne. Leurs voyages en Roumanie, l'achat de l'appartement et l'usage qu'ils ont fait de ce logement sont des actes qui ne correspondent pas à la conduite de personnes qui craignent d'être persécutées.

Par conséquent, concernant les actes de persécution que les demandeurs ont prétendu subir, le tribunal s'est penché sur ceux qui ont eu lieu après le retour permanent de la famille en Roumanie en 1998.

[7]                 Après avoir examiné la preuve relative à l'arrestation et à la détention de M. Bursuc en 1999, la SSR a écrit ce qui suit :

Le tribunal en est venu à la conclusion que le traitement subi par le demandeur aux mains de la police a certes été abusif et terrorisant, mais qu'il ne constitue pas à proprement parler de la persécution. Le demandeur a été mêlé à cette tentative d'extorsion parce qu'il s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. L'extorsion est un acte criminel par lequel le policier cherchait à obtenir de l'argent, mais pas à persécuter le demandeur. Le demandeur s'est trouvé mêlé à cette affaire parce qu'il a voulu aider un ami, et il a été détenu par les policiers parce qu'il avait été témoin de leur conduite frauduleuse à l'égard de cet ami. Qu'il ait pris parti pour son ami ne constitue pas l'expression d'une opinion politique, et la police n'aurait pas pu y en voir une non plus. Ce raisonnement nous conduit à conclure qu'il n'y a pas de lien entre les actes abusifs reprochés à la police à cette occasion et les motifs énumérés dans la Convention au sujet du statut de réfugié tels que repris par la Loi sur l'immigration.

[8]                 À mon avis, la SSR a commis une erreur de droit en concluant de la sorte, pour les motifs que je vais indiquer.


[9]                 Du point de vue du droit, premièrement, la SSR est tenue d'examiner si l'effet cumulatif des actes jugés constituer du harcèlement ou de la discrimination équivaut à de la persécution selon la définition d'un réfugié au sens de la Convention. On peut consulter à cet égard, par exemple, Madelat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 179 N.R. 94 (C.A.F.). Ce principe s'exprime dans les termes suivants au paragraphe 53 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, publié en 1992 par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés :

53.            En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination) auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des « motifs cumulés » . Il va sans dire qu'il n'est pas possible d'énoncer une règle générale quant aux « motifs cumulés » pouvait fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique.

[10]            Pour ce qui est maintenant des motifs de la SSR, le critère à appliquer pour déterminer le statut de réfugié concerne non pas la question de savoir si le demandeur a montré qu'il n'avait pas aucune intention de couper les liens avec son pays d'origine, mais celle de savoir s'il a raison de craindre d'être persécuté. L'incident culminant en ce qui concerne M. et Mme Bursuc est survenu en 1999, lorsqu'ils sont retournés en Roumanie pour la dernière fois. Dire que leurs actions avant cet incident culminant ne dénotent pas l'intention de couper les liens avec la Roumanie va à l'encontre de leur témoignage, comme M. et Mme Bursuc ont déclaré avoir formé l'intention de quitter la Roumanie de manière permanente uniquement après cet incident.


[11]            Peu de revendicateurs du statut de réfugié, il me semble, forment l'intention de couper les liens avec leur pays d'origine avant l'incident qui les pousse en bout de ligne à s'enfuir. Il ne doit pas en découler, toutefois, que l'on choisisse, comme la SSR l'a fait en l'espèce, de se concentrer sur le seul incident culminant. La SSR doit prendre en compte l'effet cumulatif de l'ensemble de la preuve, notamment la preuve concernant ce qui a conduit à l'incident culminant, pour conclure si les demandeurs ont ou non raison de craindre d'être persécutés. En faisant abstraction à toutes fins utiles d'événements antérieurs parce qu'ils n'ont pas forcé les Bursuc à s'enfuir, la SSR n'a pas pris en compte de manière appropriée la totalité de la preuve.

[12]            Pour ce qui est, deuxièmement, de la conclusion de la SSR selon laquelle il n'y avait pas de lien entre les actes des policiers en 1999 et un motif énuméré dans la Convention (en l'espèce la race, ce qui recouvre les personnes d'un groupe ethnique identifiable), M. Bursuc a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

1.          Il était fréquent en Roumanie que les policiers extorquent de l'argent des commerçants d'origine rom.

2.          Lorsque M. Bursuc s'est interposé pour aider son ami, un commerçant rom de qui un policier exigeait de l'argent, ce dernier l'a traité de bohémien et lui a conseillé de ne pas intervenir. N'ayant pas tenu compte de cette menace, M. Bursuc a été battu et arrêté.


[13]            Les documents sur les conditions dans le pays corroboraient la déposition de M. Bursuc selon laquelle les policiers soumettent les Rom à des actes de brutalité et à du harcèlement.

[14]            Quant à la question de l'expression d'une opinion politique, la SSR a fait erreur en restreignant la portée de son analyse, bien qu'elle ait à juste titre examiné la prétendue persécution du point de vue de la police. La SSR devait examiner si, du point de vue de la police, M. Bursuc avait été battu et arrêté en raison de son origine ethnique. La question à trancher, autrement dit, était celle de savoir si, n'eût été de son origine rom, M. Bursuc aurait été battu, arrêté et maltraité pendant sa détention. Voir l'arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).

[15]            La preuve pouvait donner ouverture à la conclusion finale de la SSR. Toutefois, les erreurs susmentionnées entachant l'analyse de la SSR obligent à infirmer sa décision.

[16]            Les avocates ne demandent la certification d'aucune question et aucune n'est certifiée.


ORDONNANCE

[17]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision en date du 16 novembre 2001 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

2.          Aucune question n'est certifiée.

  

                « Eleanor R. Dawson »                

Juge

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                            IMM-5706-01

  

INTITULÉ :                                           Cristinel Bursuc, Felicia Ramona Bursuc et Beatrice Bursuc c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 7 août 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                     Le 11 septembre 2002

  

COMPARUTIONS :

  

Mme D. Jean Munn                                                               POUR LES DEMANDEURS

Mme Tracy King                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

Mme D. Jean Munn                                                               POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)

M. Morris Rosenberg                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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