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                                                                                                                                     IMM-2292-96

 

 

ENTRE :

 

 

JASVIR SAJJAN,

 

                                                                                                                                          requérant,

 

 

                                                                          - et -

 

 

                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                  ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                                               intimés.

 

 

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE GIBSON

 

 

            Par avis de requête introductive d'instance déposé le 8 juillet 1996, le requérant sollicite, sur le fondement de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale[1] et de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration[2], le contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel (le tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon laquelle le fils adoptif du requérant ne fait pas partie de la catégorie de la famille et le tribunal n'avait par conséquent pas compétence pour entendre un appel fondé sur le paragraphe 77(3) de la Loi sur l'immigration et visant la décision prise par un agent des visas en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi.

 

            L'avocat du requérant fait valoir que la demande de contrôle judiciaire relève du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration, plutôt que du paragraphe 82.1(1). Voici le texte de ces deux paragraphes :

 

82.1(1)  La présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application — règlements ou règles — se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédéral.

 

(2)  Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux décisions prises par l'agent des visas dans le cadre des articles 9, 10 ou 77 ni aux questions soulevées par toute demande qui lui est faite dans ce cadre.

 

Si l'avocat du requérant a raison, la présente demande de contrôle judiciaire a pu effectivement être présentée sans autorisation préalable, c'est-à-dire de plein droit.

 

            On trouve dans la préface de l'avis de requête introductive d'instance, le paragraphe suivant :

 

[Traduction]

Le requérant demande à la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, [...] de transmettre au requérant et au greffe [de la Cour] une copie certifiée conforme des documents suivants qu'elle a en sa possession.

 

i)              La transcription intégrale de l'audition du 22 février 1996 au cours de laquelle a été entendu l'appel [...] ainsi que les pièces produites à l'audience et les documents versés au dossier.

 

[dans cette citation, l'adresse du tribunal et le numéro de dossier attribué par celui-ci n'ont pas été repris].

 

Que la présente demande de contrôle judiciaire soit ou non soumise à une autorisation préalable, la procédure applicable est régie par les Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration[3]. Voici ce que prévoit l'article 3 de ces Règles :

 

3.(1)        Les présentes règles s'appliquent aux demandes et aux appels introduits après l'entrée en vigueur des articles 73, 114, 115, 116, 117 et 118 de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, chapitre 49 des Loi du Canada (1992).

 

(2)           La partie V.I des Règles de la Cour fédérale et la règle 18 des présentes règles s'appliquent aux demandes de contrôle judiciaire d'une décision de l'agent des visas.

 

Il est clair que le paragraphe 3(1) s'applique à cette demande de contrôle judiciaire. L'exception prévue au paragraphe 3(2) ne s'applique qu'aux demandes de contrôle judiciaire visant la décision d'un agent des visas, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Selon l'alinéa 15(1)b) des Règles, l'ordonnance faisant droit à une demande d'autorisation doit spécifier le délai accordé au tribunal administratif pour transmettre des copies de son dossier, ainsi que le prévoit la règle 17. Selon le paragraphe 15(2), le greffe de la Cour doit «immédiatement» envoyer au tribunal une copie de l'ordonnance faisant droit à la demande d'autorisation, ce qui permet d'assurer que le tribunal a été avisé de l'obligation qui lui est faite de transmettre des copies de son dossier. L'article 17 des Règles impose à la Commission ou au tribunal l'obligation, dès réception de l'ordonnance visée à la règle 15, de constituer un dossier comprenant notamment «... la transcription, s'il y a lieu, de tout témoignage donné de vive voix à l'audition qui a abouti à la décision, à l'ordonnance, à la mesure ou à la question visée par la demande,» et impose en outre à la Commission ou tribunal, l'obligation d'envoyer aux parties à l'appel ainsi qu'au greffe de la Cour des copies certifiées conformes de ce dossier.

 

            L'avocat du requérant fait valoir que la transcription intégrale de l'audition qui s'est déroulée devant le tribunal lui est essentielle pour compléter le dossier de la demande. La Commission a refusé de transmettre les documents demandés, estimant que le dépôt de cette demande de contrôle judiciaire est subordonné à l'autorisation de la Cour, c'est-à-dire qu'elle relève du paragraphe 82.1(1), et non du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration et que, puisque les Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration s'appliquent en l'espèce, l'autorisation de la Cour est une condition préalable à toute obligation incombant à la Commission de transmettre la documentation qui lui est demandée.

 

            Le requérant a maintenant épuisé les délais prévus pour le dépôt du dossier.

 

            Compte tenu du manque de diligence manifesté par le requérant pour le dépôt de son dossier, la Cour a rendu, le 25 octobre 1996, une ordonnance exigeant du requérant qu'il explique pourquoi sa demande de contrôle judiciaire ne devrait pas tout simplement être rejetée. L'avocat du requérant a répondu en faisant valoir que le tribunal n'avait pas fourni la documentation qui lui était demandée, sollicitant, par un avis de requête, la prorogation des délais prévus pour le dépôt du dossier du requérant.

 

            L'avocat de l'intimé s'oppose à cette demande de prorogation pour un double motif : d'abord, il estime que la Commission a raison d'affirmer que le dépôt de cette demande de contrôle judiciaire est subordonnée à l'autorisation de la Cour et que, dans la mesure où cette autorisation n'a été ni sollicitée, ni accordée, la Commission n'est aucunement tenue de fournir la documentation qui lui est demandée; et, deuxièmement, même à supposer que le requérant n'ait pas été tenu d'obtenir une autorisation préalable, il n'a pas pleinement justifié le retard avec lequel il a déposé son dossier car la Commission lui avait offert l'accès aux enregistrements magnétiques de l'audition du tribunal, le requérant et son avocat étaient présents pendant toute l'audition et ils n'ont donc pas besoin de la transcription de celle-ci pour compléter le dossier devant être déposé devant la Cour. S'appuyant sur ce raisonnement, l'avocat de l'intimé sollicite de la Cour une ordonnance annulant l'avis de requête introductive d'instance déposé par le requérant, se fondant pour cela sur l'ordonnance sommant le requérant de fournir des explications à la Cour.

 

            Il est loisible à la Cour de procéder sur le fondement de cette ordonnance, hors la présence des avocats. La requête en prorogation de délai présentée par le requérant en vertu de la Règle 324 des Règles de la Cour fédérale peut donc également être tranchée sans comparution des avocats.

 

            La première question à trancher est celle de savoir si la demande de contrôle judiciaire présentée par le requérant est exemptée ou non de la règle de l'autorisation préalable posée au paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration en raison de l'exception prévue au paragraphe (2) du même article. Par souci de commodité, le texte du paragraphe 82.1(2) est rappelé :

 

(2)  Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux décisions prises par l'agent des visas dans le cadre des articles 9, 10 ou 77 ni aux questions soulevées par toute demande qui lui est faite dans ce cadre.

 

Il est clair que la décision visée par la demande de contrôle judiciaire n'est pas une «décision[s] prise[s] par l'agent des visas dans le cadre des articles 9, 10 ou 77 [de la Loi sur l'immigration] [...]. S'agirait-il alors de «[...] toute demande qui [lui] est faite dans ce cadre?» J'estime que les mots «faite dans ce cadre» figurant au paragraphe 82.1(2), s'entendent des questions soulevées dans le cadre des articles 9, 10 ou 77 de la Loi sur l'immigration. Voici ce que prévoient les paragraphes 77(1) et (3) de la Loi sur l'immigration :

 

77. (1) L'agent d'immigration ou l'agent des visas, selon le cas, peut rejeter une demande parrainée d'établissement présentée par un parent pour l'un ou l'autre des motifs suivants — dont doit être alors informé le répondant :

 

a)    le répondant ne remplit pas les conditions fixées par les règlements;

 

b)    le parent ne remplit pas les conditions fixées par la présente loi et ses règlements.

 

[...]

 

(3)   S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve du paragraphe (3.1), en appeler devant la section d'appel en invoquant les moyens suivants :

 

a)    question de droit, de fait ou mixte;

 

b)    raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

 

Les paragraphes (3.01), (3.02) et (3.1) cités au paragraphe 77(3) n'ont aucune pertinence pour ce qui est de la question à trancher par la Cour.

 

            J'estime que la décision du tribunal visée par la demande de contrôle judiciaire est une décision ou question «... soulevée» dans le cadre de l'article 77, même si elle a été prise en vertu du paragraphe 69.4(2) qui confère au tribunal une compétence exclusive pour trancher les questions de compétence soulevées à l'égard d'appels interjetés en vertu de l'article 77. J'estime également que la décision en question est une «décision[s] prise[s] par l'agent des visas». L'appel interjeté devant le tribunal découle de la décision prise par un agent des visas en vertu du paragraphe 77(1) à la suite d'une demande déposée devant lui. Si le législateur avait voulu que le paragraphe 82.1(2) ne s'applique qu'aux décisions prises par un agent des visas à l'égard des demandes présentées en vertu de l'article 77, tous les mots suivant «77» dans ce paragraphe, en ce qui concerne ce même article, seraient superfétatoires. Je ne suis pas disposé à conclure que le législateur a voulu que soient dénués de sens les mots sur lesquels se termine ce paragraphe.

 

            Le libellé du paragraphe 82.1(2) n'est pas aussi clair qu'on pourrait le souhaiter[4] et je ne suis pas convaincu que les mots sur lesquels se termine ce paragraphe soient susceptibles d'être interprétés de manière à ne pas s'appliquer à une demande de contrôle judiciaire telle que celle dont est actuellement saisie la Cour. J'en conclus donc qu'il n'y a pas lieu en l'espèce d'obtenir l'autorisation d'un juge de la Cour avant de déposer une demande de contrôle judiciaire.

 

            La seconde question à trancher porte sur le point de savoir si, compte tenu des faits de la cause, la Commission serait tenue, en vertu de l'article 17 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, de constituer un dossier comprenant la transcription de l'audition devant le tribunal et d'en fournir une copie au requérant. L'obligation prévue à l'article 17 des Règles naît «dès réception de l'ordonnance visée à la règle 15...». L'ordonnance visée à l'article 15 des Règles est une ordonnance faisant droit à la demande d'autorisation. D'après le dossier, aucune demande d'autorisation n'a été portée devant la Cour et je conclus, conformément à ce qui a été dit plus haut, que le requérant n'était pas tenu de déposer une telle demande. Étant donné qu'il n'y a eu ni demande, ni ordonnance y faisant droit, l'article 17 des Règles n'impose aucune obligation à la Commission. En conséquence, compte tenu des circonstances entourant cette demande, c'est à bon droit que la Commission conclut qu'elle n'était pas tenue de fournir au requérant un dossier de l'audition devant le tribunal, et que la question de la transcription ne se pose par conséquent pas.

 

            Je reconnais que les conclusions précédemment exposées entraînent une situation inusitée où ni le requérant, ni la Cour n'est en droit d'exiger de la Commission qu'elle fournisse un dossier des procédures engagées devant elle afin de faciliter certaines demandes de contrôle judiciaire. Il appartiendra à d'autres de dire si, en de telles circonstances, il n'y aurait pas lieu de modifier la Loi sur l'immigration ou les Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration.

 

            Reste à trancher la question de savoir si le requérant, dans sa demande de prorogation du délai pour le dépôt de son dossier, a entièrement justifié son retard. Il ne fait aucun doute que le requérant aurait pu manifester une grande célérité dans la préparation de ce dossier, même en l'absence des documents qu'il avait demandés à la Commission. Cela dit, étant donné que le manque d'accès aux documents se trouvant aux mains de la Commission lui a sans doute entraîné un préjudice, étant donné, aussi, que le refus de lui communiquer certains documents était fondé sur une interprétation de dispositions législatives dont il n'est pas entièrement clair comment il convient de les appliquer en l'espèce, j'estime qu'il n'y a pas lieu de refuser au requérant une prorogation raisonnable du délai prévu pour le dépôt de son dossier.

 

            En conséquence, la Cour n'entend pas actuellement donner suite à l'ordonnance sommant le requérant de fournir des explications, mais lui accorde une prorogation du délai pour le dépôt de son dossier.

 

 

 

 

 

           Frederick E. Gibson       

  Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 24 janvier 1997

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme______________________________

 

     François Blais, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

No DU GREFFE :                          IMM-2292-96

 

 

INTITULÉ :                                   JASVIR SAJJAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

REQUÊTE RÉGLÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

 

 

DATE :                                           LE 24 JANVIER 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me H.S. (Harry) Mann                                                            POUR LE REQUÉRANT

 

 

Me John Loncar                                                                       POUR L'INTIMÉ

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Me H.S. (Harry) Mann                                                            POUR LE REQUÉRANT

Mississauga (Ontario)

 

 

M. George Thomson                                                               POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada



[1]               L.R.C. (1985), ch. F-7 (modifiée).

[2]               L.R.C. (1985), ch. I-2 (modifiée).

[3]DORS/93-22

[4]Les versions française et anglaise de cette disposition m'inspirent toutes les deux la même conclusion.

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