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Date : 20040129

Dossier : T-656-02

Référence : 2004 CF 135

ENTRE :

                                           BEST CANADIAN MOTOR INNS LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

et

BEST WESTERN INTERNATIONAL, INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande déposée en appel d'une décision par laquelle le registraire des marques de commerce a, par l'entremise d'une commissaire de la Commission d'opposition des marques de commerce, repoussé la demande d'enregistrement de la demanderesse visant la marque BEST CANADIAN MOTOR INNS & Design, reproduite plus loin, sur le fondement de son emploi au Canada depuis février 1990 par elle-même ou par l'entremise d'un licencié. La demanderesse sollicitait l'enregistrement de la marque en litige en liaison avec les services suivants : « Services d'hôtellerie, de restauration et d'hébergement; services de promotion ayant trait aux services d'hôtellerie, de restauration et d'hébergement. »

[2]                Ce qui suit est une reproduction de la marque de commerce pour laquelle est demandée l'enregistrement :

[3]                La décision frappée d'appel est datée du 20 février 2002. L'appel a été interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce[1] (la Loi). Le paragraphe 1 de cet article est rédigé comme suit :


56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.


56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.


[4]                Dans l'appel, la demanderesse sollicite les redressements suivants :

1.         une ordonnance accueillant l'appel;

2.         une ordonnance accueillant la demande no 825,679, demande de la demanderesse qui a été repoussée;

3.         les dépens de l'appel;

4.         tout autre redressement que la Cour estime juste.


CONTEXTE

[5]                La demanderesse a déposé sa demande d'enregistrement de la marque de commerce en litige le 10 octobre 1996. Comme je l'ai indiqué, elle sollicitait l'enregistrement de la marque de commerce à l'égard de « [s]ervices d'hôtellerie, de restauration et d'hébergement; services de promotion ayant trait aux services d'hôtellerie, de restauration et d'hébergement » , et elle a invoqué à l'appui de sa demande l'emploi au Canada de cette marque depuis février 1990 par elle-même ou par l'entremise d'un licencié. Dans une modification apportée à la demande le 27 mai 1997, la demanderesse s'est désistée du droit à l'usage exclusif des mots BEST, CANADIAN, MOTOR et INNS et au dessin de la feuille d'érable à onze pointes. La demande a fait l'objet d'une annonce aux fins d'opposition le 17 septembre 1997.

[6]                La défenderesse a déposé une déclaration d'opposition le 19 janvier 1998 dans laquelle elle a fait valoir les motifs d'opposition suivants :

[traduction]


a) L'opposante fonde son opposition sur le motif exposé à l'alinéa 38(2)a), à savoir que la demande ne satisfait pas aux exigences de l'alinéa 30i) en ce que le 10 octobre 1996, date de production de la demande, et en février 1990, date d'adoption alléguée, la requérante était parfaitement au courant ou aurait dû l'être de la possibilité d'une confusion entre la marque faisant l'objet de la demande pour les services visés et la marque de commerce BEST WESTERN et la marque de commerce logo BEST WESTERN notoirement connues de l'opposante, déposées au Canada sous les numéros d'enregistrement 407,630 et 235,558, copies à jour ci-jointes, pour les mêmes services ou des services semblables. La marque de commerce sous le numéro d'enregistrement 407,630 est employée au Canada par l'opposante, directement et/ou par ses licenciés, en liaison avec les services indiqués dans l'enregistrement depuis plus de 32 ans, et la marque sous le numéro 235,558 est employée au Canada de la même manière depuis plus de 22 ans. Le 10 octobre 1996, date de production de la demande, l'opposante, directement et/ou par ses licenciés, une autre marque de commerce logo BEST WESTERN en liaison avec les mêmes services ou des services semblables, nommément la marque de commerce portant le numéro d'enregistrement 460,083, copie à jour ci-jointe. L'opposante emploie la marque de commerce portant le numéro d'enregistrement 460,083 au Canada depuis avril 1994 au moins. Cet emploi continu et à large échelle a fait la notoriété des marques de commerce au Canada. La requérante ne pouvait pas, aux dates mentionnées du 10 octobre 1996 et de février 1990, ne pas être au courant de la notoriété des marques de commerce de l'opposante et ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit d'employer la marque de commerce faisant l'objet de sa demande au Canada en liaison avec les services indiqués dans la demande.

b) L'opposante fonde son opposition sur le motif prévu à l'alinéa 38(2)b), à savoir que, selon les dispositions de l'alinéa 12(1)d), la marque de commerce n'est pas enregistrable pour les services indiqués dans la demande parce qu'elle crée de la confusion, au sens de l'article 6, avec les marques de commerce déposées suivantes de l'opposante :

a) No d'enreg. 407,630 -           BEST WESTERN                                                                                             Enregistrée le 5 février 1993

b) No d'enreg. 235,558 -          BEST WESTERN & le dessin d'une couronne                                                               et d'un rectangle                                                                                                               Enregistrée le 31 août 1979

c) No d'enreg. 150,720 -          MEMBER/THE BEST WESTERN MOTELS                                                                 & le dessin d'une couronne et d'un rectangle                                                                 Enregistrée le 12 mai 1967

d) No d'enreg. 460,083 -          logo BEST WESTERN                                                                      Enregistrée le 12 juillet 1996

c) L'opposante fonde son opposition sur le motif prévu à l'alinéa 38(2)b), à savoir que, selon les dispositions de l'alinéa 12(1)b), la marque de commerce n'est pas enregistrable pour les services indiqués dans la demande parce qu'elle donne une description fausse et trompeuse, en langue anglaise, de la nature ou de la qualité de ces services.

d) L'opposante fonde son opposition sur le motif prévu à l'alinéa 38(2)c), à savoir que, selon les dispositions de l'alinéa 16(1)a), la requérante n'est pas la personne qui a droit à l'enregistrement de la marque de commerce du fait qu'à la date d'adoption alléguée, soit en février 1990, la marque créait de la confusion avec les marques de commerce suivantes [BEST WESTERN et BEST WESTERN & le dessin d'une couronne et d'un rectangle] antérieurement employées ou révélées au Canada par l'opposante bien avant la date d'adoption et non abandonnées au 17 septembre 1997, date de publication de la demande d'enregistrement de la requérante.


e) L'opposante fonde son opposition sur le motif prévu à l'alinéa 38(2)c), à savoir que, selon les dispositions de l'alinéa 16(1)c), la requérante n'est pas la personne qui a droit à l'enregistrement de la marque de commerce du fait qu'à la date d'adoption alléguée, soit février 1990, la marque créait de la confusion avec les noms commerciaux BEST WESTERN, BEST WESTERN INTERNATIONAL et BEST WESTERN INTERNATIONAL INC., antérieurement employés ou révélés au Canada par l'opposante bien avant la date d'adoption et non abandonnés au 17 septembre 1997, date de publication de la demande d'enregistrement de la requérante.

f) L'opposante fonde son opposition sur le motif prévu à l'alinéa 38(2)d), à savoir que, selon les dispositions de l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, la marque de commerce n'est pas distinctive des services de la requérante, du fait qu'elle ne distingue pas, ou n'est pas adaptée à distinguer les services de la requérante indiqués dans la demande de services identiques ou semblables antérieurement ou actuellement exécutés au Canada par l'opposante, soit par elle-même ou par l'entremise d'un licencié, ou par elle-même et par l'entremise d'un licencié, sous la marque de commerce BEST WESTERN et les marques de commerce logo BEST WESTERN déposées sous les numéros d'enregistrement 407,630, 235,558 et 460,083, et sous les noms commerciaux BEST WESTERN, BEST WESTERN INTERNATIONAL et BEST WESTERN INTERNATIONAL, INC.

[7]                 La demanderesse a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle a réfuté de façon générale les allégations formulées par l'opposante dans la déclaration d'opposition.

[8]                 La défenderesse a présenté en preuve des copies de chacun des enregistrements de ses marques de commerce ainsi qu'un affidavit. La preuve de la demanderesse consistait en trois (3) affidavits. Les deux parties ont produit des observations écrites devant la Commission d'opposition des marques de commerce, et une audience, dirigée par la commissaire, a eu lieu. Les deux parties y ont été représentées.

LA DÉCISION FRAPPÉE D'APPEL

[9]                 La commissaire a repoussé la demande de la demanderesse en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi au lieu d'admettre l'opposition en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi. Ces deux paragraphes sont rédigés comme suit :



38. (8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l'opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

39. (1) Lorsqu'une demande n'a pas fait l'objet d'une opposition et que le délai prévu pour la production d'une déclaration d'opposition est expiré, ou lorsqu'il y a eu opposition et que celle-ci a été décidée en faveur du requérant, le registraire l'admet ou, en cas d'appel, il se conforme au jugement définitif rendu en l'espèce.

                                               

38. (8) After considering the evidence and representations of the opponent and the applicant, the Registrar shall refuse the application or reject the opposition and notify the parties of the decision and the reasons for the decision.

39. (1) When an application for the registration of a trade-mark either has not been opposed and the time for the filing of a statement of opposition has expired or it has been opposed and the opposition has been decided in favour of the applicant, the Registrar shall allow the application or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.


[10]             La demande d'enregistrement de la marque en litige de la demanderesse a été repoussée uniquement sur le fondement de l'alinéa 12(1)b) de la Loi, rédigé comme suit :


12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

[...]

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;                           [Non souligné dans l'original.]

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

...

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;                                             [emphasis added]


[11]             Après avoir examiné la preuve soumise à la Commission d'opposition des marques de commerce et la jurisprudence pertinente, la commissaire a écrit ce qui suit dans ses motifs :


Je ne suis pas d'accord avec la requérante quant elle soutient que même si les mots BEST, CANADIAN, MOTOR et INNS sont une description claire, la marque faisant l'objet de la demande demeure enregistrable en raison des autres éléments graphiques. À cet égard, la représentation de la feuille d'érable a fait l'objet d'un désistement et, comme l'affirme l'opposante, elle ne peut donc avoir un caractère distinctif à l'égard d'aucun commerçant particulier. En ce qui concerne les lignes qui figurent au-dessus et au-dessous des mots BEST CANADIAN, et le fait que ces mots sont dans un caractère et un style typographiques différents de ceux qui sont utilisés pour les mots MOTOR INNS, je n'estime pas ces caractéristiques graphiques suffisantes pour que la marque devienne enregistrable. Selon moi, la marque faisant l'objet de la demande serait prononcée sur la base des mots prédominants qui la forment. Je m'attendrais donc à ce que la personne ordinaire prononce la marque de la requérante en utilisant les mots « BEST CANADIAN MOTOR INNS » . Je conclus donc que la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, quand elle est prononcée, des services de la requérante au Canada et qu'elle est, de ce fait, non conforme à l'alinéa 12(1)b) de la Loi. Par conséquent, ce motif d'opposition est accueilli.

NOUVELLE PREUVE DEVANT LA COUR

[12]             Selon le paragraphe 56(5) de la Loi, tant la demanderesse que la défenderesse avaient le droit d'apporter une nouvelle preuve devant la Cour, c'est-à-dire une preuve dont ne disposait pas la commissaire quand elle est parvenue à la décision frappée d'appel. Les deux parties se sont prévalues de ce droit.

[13]             La demanderesse a produit l'affidavit d'un expert, M. Chris Yaneff, R.G.D., F.GDC, R.C.A., consultant en design, marketing et communications. Après avoir énuméré ses impressionnantes qualifications, M. Yaneff a affirmé qu'on lui avait demandé

[traduction] [...] d'examiner le logo utilisé par la demanderesse en liaison avec ses services d'hôtellerie (hôtel/motel). Particulièrement, on [lui] a demandé d'examiner la question de savoir si le logo de Best Canadian possède des particularités graphiques, et, dans l'affirmative, si elles créent un effet, visuel ou autre, lorsqu'on regarde le logo.

La conclusion de M. Yaneff est rédigée comme suit :

[traduction] Me fondant sur mon expérience en tant que concepteur de logos et consultant en marques de commerce, je tire les observations et conclusions suivantes au sujet du logo Best Canadian :

a)              Visuellement attrayant, le logo comporte un dessin efficace grâce aux éléments graphiques et à une composition et un agencement compact d'éléments et de texte dans l'ensemble graphique;


b)             Comme beaucoup des meilleurs logos commerciaux, l'effet visuel du logo Best Canadian est maximisé par l'emploi économique mais stratégique d'éléments de communication graphique. Des dessins simples peuvent avoir de puissants effets visuels, et c'est exactement ce que propose le logo Best Canadian.

c)              Les moyens utilisés pour produire l'effet visuel sont la composition et l'agencement soigné des éléments visuels. En particulier, l'élément de la feuille d'érable stratégiquement placée constitue l'élément essentiel du logo. Au lieu d'avoir une lettre « i » normale dans le mot « Canadian » , la feuille d'érable remplace le point sur le « i » . En effet, le « i » a pour point une feuille d'érable. Cela constitue une utilisation créative et intelligente d'éléments graphiques qui attire le regard et stimule l'intérêt visuel. Le concepteur a réussi à créer un effet visuel attrayant en utilisant des éléments simples. Au haut du logo, l'interruption de la ligne supérieure au haut de la feuille attire également l'attention sur cette caractéristique. Visuellement, la feuille interrompt la ligne suivie par l'oeil. Encore une fois, cela contribue à accroître l'intérêt visuel et constitue un emploi économique et efficace d'éléments graphiques.

d)             Je remarque aussi que les mots « Best » et « Canadian » s'emboîtent de façon originale : le mot « Best » est inséré entre les lettres « c » et « d » de « Canadian » . Cette forme de dessin compacte, alliée à l'utilisation astucieuse de la feuille pour remplacer le point du « i » , crée un dessin puissant et unifié ainsi qu'une identité visuelle efficace pour la demanderesse.

Vu cette analyse, je suis d'avis qu'il est erroné de ne pas tenir compte des caractéristiques graphiques du logo Best Canadian pour essayer de comprendre l'effet créé par ce logo et de se demander si le logo, considéré dans son ensemble, n'est qu'une description de services d'hébergement. À mon avis, l'effet visuel des caractéristiques graphiques du logo (énumérées plus haut) devraient faire partie de toute analyse de la marque de commerce.                   [Caractères gras dans l'original]

On n'a pas contesté devant la Cour que M. Yaneff est un expert compétent apte à formuler l'opinion exprimée dans l'extrait précédent.

[14]             La nouvelle preuve de la défenderesse consistait en sept affidavits, auxquels étaient jointes des pages de différents annuaires de pages jaunes. Dans son mémoire des faits et du droit, elle a allégué que sa nouvelle preuve

[traduction] [...] confirme la décision de [la commissaire] selon laquelle « la représentation de la feuille d'érable ne peut être un signe distinctif d'un commerçant en particulier » .


QUESTIONS EN LITIGE

[15]             Les points en litige dans le mémoire des faits et du droit de la demanderesse sont énoncés comme suit :

[traduction]

[1].           Quelle est l'étendue du contrôle d'une décision du registraire dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce?

[2].           Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant que le logo BEST CANADIAN donne une description claire des services de la demanderesse

a)            en mettant indûment l'accent sur la « sonorité » du logo BEST CANADIAN et en n'examinant pas les éléments graphiques constitutifs;

b)            en ne tenant pas compte des caractéristiques graphiques du logo BEST CANADIAN pour évaluer si la marque de commerce est enregistrable;

c)            en n'examinant pas la signification des caractéristiques graphiques, et particulièrement l'agencement de ces caractéristiques et l'ensemble de la composition de la marque de commerce logo BEST CANADIAN pour déterminer si la marque de commerce est clairement descriptive;

d)            en n'examinant pas le logo BEST CANADIAN comme un tout et, en particulier, en choisissant de mettre l'accent sur les éléments écrits du logo indépendamment des éléments graphiques visuels;

e)            en disséquant le logo BEST CANADIAN au lieu d'évaluer l'impression globale produite par la marque de commerce?

[3].           Le logo BEST CANADIAN est-il à bon droit considéré comme donnant une description claire des services de la demanderesse eu égard à la nouvelle preuve d'expert déposée par la demanderesse?

[4].           Devrait-on faire droit à la demande de marque de commerce de la demanderesse vu la nouvelle preuve soumise au registraire et à la Cour?


ANALYSE

a)        Étendue du contrôle ou norme de contrôle applicable dans le cadre d'un appel comme celui interjeté en l'espèce

[16]             Dans l'arrêt Brasseries Molson, Société en nom collectif c. John Labatt Ltée[2], le juge Rothstein a, au nom de la majorité, écrit ce qui suit au paragraphe [29] :

[...] Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.                                                                                                           [Non souligné dans l'original.]

[17]             L'avocat de la demanderesse a soutenu que l'opinion d'expert de M. Yaneff qui a été présentée pour la première fois devant la Cour aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait ou sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la commissaire, qui a agi en l'espèce pour le compte du registraire, et que je devrais par conséquent tirer ma propre conclusion en ce qui concerne « l'exactitude » de sa décision. À l'opposé, l'avocat de la défenderesse a soutenu qu'aucun des nouveaux documents soumis à la Cour n'avait d'incidence importante sur les conclusions de fait ou l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la commissaire, et que la décision frappée d'appel devrait donc être révisée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.


[18]             La Cour connaît bien sûr les derniers arrêts de la Cour suprême du Canada qui préconisent une analyse « pragmatique et fonctionnelle » pour déterminer la norme de contrôle appropriée[3]. Compte tenu de ces arrêts et de l'analyse pragmatique et fonctionnelle requise - que je n'ai pas l'intention d'expliquer en détail en l'espèce -, j'estime que le passage précité de l'arrêt Brasseries Molson est toujours valable en droit.

[19]             Dans sa conclusion finale, reproduite plus tôt, M. Yaneff émet l'opinion qu'il serait erroné de ne pas tenir compte des caractéristiques graphiques du logo Best Canadian présenté à la commissaire pour comprendre l'effet créé par le logo et déterminer si, considéré dans son ensemble, il donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de services d'hébergement. Selon lui, « [...] l'effet visuel des caractéristiques graphiques du logo [...] devrait faire partie de toute analyse de cette marque de commerce » .

[20]             Je suis convaincu que M. Yaneff a tout simplement tort s'il insinue que la commissaire n'a pas tenu compte des caractéristiques graphiques de la marque en litige pour parvenir à sa décision. La conclusion de la commissaire quant au caractère descriptif, reproduite plus haut, est reprise à nouveau ici par souci de commodité :


Je ne suis pas d'accord avec la requérante quant elle soutient que même si les mots BEST, CANADIAN, MOTOR et INNS sont une description claire, la marque faisant l'objet de la demande demeure enregistrable en raison des autres éléments graphiques. À cet égard, la représentation de la feuille d'érable a fait l'objet d'un désistement et, comme l'affirme l'opposante, elle ne peut donc avoir un caractère distinctif à l'égard d'aucun commerçant particulier. En ce qui concerne les lignes qui figurent au-dessus et au-dessous des mots BEST CANADIAN, et le fait que ces mots sont dans un caractère et un style typographiques différents de ceux qui sont utilisés pour les mots MOTOR INNS, je n'estime pas ces caractéristiques graphiques suffisantes pour que la marque devienne enregistrable. Selon moi, la marque faisant l'objet de la demande serait prononcée sur la base des mots prédominants qui la forment. Je m'attendrais donc à ce que la personne ordinaire prononce la marque de la requérante en utilisant les mots « BEST CANADIAN MOTOR INNS » . Je conclus donc que la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, quand elle est prononcée, des services de la requérante au Canada et qu'elle est, de ce fait, non conforme à l'alinéa 12(1)b) de la Loi. Par conséquent, ce motif d'opposition est accueilli.                                                                         [Non souligné dans l'original.]

[21]             Dans ce paragraphe de conclusion, la commissaire ne passe pas sous silence les caractéristiques graphiques de la marque en litige même si elle ne mentionne pas expressément l'intersection entre la ligne supérieure et la feuille d'érable et l' « encastrement » des mots « BEST » et « CANADIAN » , caractéristiques graphiques sur lesquelles M. Yaneff préfère mettre l'accent. Elle ne dissèque pas la marque, mais l'examine plutôt comme un tout et sur le plan de la première impression, d'une façon qui n'est pas, j'en suis convaincu, incompatible avec la Loi. Ce paragraphe propose une solution différente de celle que semble préconiser M. Yaneff, mais je suis convaincu qu'il ne s'agit pas du critère permettant de décider si la preuve présentée par M. Yaneff, quoique sans contredit nouvelle, est importante. Je conclus que la preuve présentée par M. Yaneff n'est pas une nouvelle preuve importante. Je parviens à la même conclusion en ce qui concerne la nouvelle preuve de la défenderesse déposée devant la Cour. En conséquence, j'estime que la norme de contrôle appropriée dans le présent appel est celle de la décision raisonnable simpliciter.


b)        Selon la norme de la décision raisonnable simpliciter, la commissaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la marque en cause donne une description claire des services de la demanderesse et n'est par conséquent pas enregistrable?

[22]             Vu la brève analyse qui précède et la conclusion au sujet de la norme de contrôle, je suis convaincu que cette question englobe les questions 2, 3 et 4 susmentionnées de la demanderesse.

[23]             Pour parvenir à la conclusion précitée quant au caractère descriptif de la marque en litige, la commissaire a noté :

L'alinéa 12(1)b) de la Loi interdit l'enregistrement d'une marque de commerce qui donne une description claire sous forme graphique, écrite ou sonore.

Notant la difficulté posée par la notion véhiculée par l'expression « ou sonore » de l'alinéa 12(1)b) de la Loi lorsqu'on l'applique aux marques de commerce, la commissaire a ensuite fait remarquer que l'ancien président Partington de la Commission d'opposition des marques de commerce s'était penché sur cette question dans la décision Insurance Co. of Prince Edward Island c. Prince Edward Island Mutual Insurance Co[4]. Le président Partington a, après avoir examiné deux décisions antérieures de la Commission d'opposition des marques de commerce portant sur des dessins-marques qui, comme en l'espèce, comprenaient des mots descriptifs dominants, écrit ce qui suit :


À mon avis, l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce n'a vraisemblablement pas été conçu pour interdire l'enregistrement d'un dessin-marque comportant des éléments graphiques qui pourraient autrement être enregistrables comme des marques de commerce sans les termes descriptifs. Incontestablement, il ne semble pas raisonnable qu'un dessin-marque devienne subitement non enregistrable en raison de l'ajout d'un mot descriptif (ou de mots descriptifs), particulièrement parce que l'article 35 de la Loi sur les marques de commerce prévoit le désistement à l'égard de ces parties d'une marque de commerce. D'autre part, la formulation de l'alinéa 12(1)b) de la Loi interdit de manière claire l'enregistrement d'une marque de commerce qui, sous sa forme sonore, donne notamment une description claire en langue anglaise de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elle est employée. À cet égard, le registraire est tenu d'appliquer la Loi sur les marques de commerce comme elle existe et non comme elle aurait dû être conçue.

En l'espèce, la requérante s'est désistée du droit à l'usage exclusif du mot MUTUAL séparément de sa marque de commerce et par ce désistement, peut-on soutenir, elle admet que le mot, soit donne une description claire de la nature ou de la qualité des services de la requérante, soit est d'usage courant dans ce genre de commerce, soit est le nom de ces services. En outre, le sens que donne le dictionnaire du mot MUTUAL employé comme adjectif confirme qu'il est descriptif quand il est appliqué aux services reliés à l'assurance. Par conséquent, compte tenu des décisions mentionnées ci-dessus de la Commission des oppositions des marques de commerce, je conclus que l'opposante s'est acquittée de la charge de présentation qui lui incombait à l'égard de ce motif d'opposition et que la requérante doit donc s'acquitter de la charge de persuasion qui lui revient, d'établir que sa marque de commerce MUTUAL & Design est enregistrable. Cependant, la requérante n'a présenté aucune preuve ni aucun argument pour établir que sa marque de commerce ne contrevient pas aux dispositions de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce. De même, elle n'a produit aucune preuve établissant qula date de production de la présente demande, la marque MUTUAL & Design était devenue distinctive au Canada, comme le prévoit le paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce. La requérante ne s'est donc pas acquittée de son fardeau de persuasion en ce qui concerne le dernier motif d'opposition. Par conséquent, le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)b) est accueilli.


[24]             Concernant les faits de la présente affaire, la commissaire a clairement conclu que, comme dans l'affaire dont était saisi le président Partington, l'opposante, Best Western, s'était acquittée de la charge de présentation qui lui incombait à l'égard du caractère descriptif. Par conséquent, il incombait à la demanderesse de s'acquitter de la charge de persuasion en démontrant que la marque en litige dans la présente affaire était enregistrable. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans les présents motifs, la demanderesse a présenté une nouvelle preuve à la Cour : l'affidavit d'expert de M. Chris Yaneff. J'ai conclu plus tôt que le poids de cette nouvelle preuve est insuffisant pour qu'on puisse conclure qu'elle aurait vraisemblablement influé sur la décision frappée d'appel. En d'autres mots, je suis convaincu que cette nouvelle preuve ne permet pas à la demanderesse de s'acquitter de sa charge de persuasion.

[25]             Depuis la date de la décision frappée d'appel, la Cour a examiné l'alinéa 12(1)b) de la Loi au regard des dessins-marques dans la décision Fiesta Barbeques Ltd. c. General Housewares Corp.[5]. Comme en l'espèce, il s'agissait d'un appel d'une décision par laquelle la Commission d'opposition des marques de commerce avait refusé d'enregistrer en tant que marque de commerce le dessin-marque

pour son emploi proposé en liaison avec des accessoires de barbecue. La Commission d'opposition des marques de commerce a conclu que le dessin-marque proposé donnait, dans sa forme sonore, une description claire des marchandises de la requérante. Aux paragraphes [33] à [35] de ses motifs, mon collègue le juge Russell a écrit ce qui suit au sujet du caractère descriptif :

[...] De plus, il n'est pas exact de dire que le dessin-marque, lorsqu'il est sous forme sonore, donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé, ou à l'égard desquels on projette de l'employer. Tout au plus peut-on considérer la composante verbale de la marque de commerce comme un élément sonore de ce type.


Dans la présente affaire, la composante verbale de la marque de commerce visée et le dessin de la flamme doivent être considérés comme un tout, ce qui rend manifestement la marque de commerce suffisamment distinctive pour la différencier de la terminologie que pourrait désirer employer tout commerçant pour décrire des marchandises de même nature.

À mon avis, la marque de commerce visée se rapproche passablement du type de marques « KIDFITTER » examiné dans la décision GWG Ltd. c. Registraire des marques de commerce [...], dans laquelle deux mots sont combinés pour former un mot inventé. En outre, en l'espèce, un dessin est ajouté. Comme l'a dit la Cour dans la décision GWG, [...], on a ajouté l'adjectif « claire » à l'alinéa 12(1)b) de la Loi pour permettre l'enregistrement des marques suggestives. La question n'est pas de savoir si la marque de commerce est descriptive ou suggestive, mais bien si elle donne une « description claire » . À mon sens, tel n'est pas le cas.                                                                                                                                              [Renvois omis.]

Dans cet appel devant le juge Russell, la défenderesse n'avait ni envoyé d'avis de comparution ni fait d'observations écrites et ne s'était pas présentée à l'audience.

[26]             L'avocat de la demanderesse a soumis à la Cour en tant qu'autorité un document intitulé « DESIGN MARKS AND WORD MARKS » . Il prétend que M. Frank Farfan aurait préparé ce document et l'aurait été présenté au « SIX-MINUTE INTELLECTUAL PROPERTY LAWYER PROGRAM » du Barreau du Haut-Canada, qui a eu lieu le 7 novembre 2003. Une enquête auprès du Barreau du Haut-Canada a révélé que ce document n'avait pas été publié et qu'on ne le trouvait pas encore sur le marché à la date de l'audition du présent appel. Dans les circonstances, on peut s'interroger sur la valeur du document en tant qu'autorité mais, comme la défenderesse n'a contesté ni son introduction ni les renvois à ce document, je l'examinerai malgré tout.

[27]             M. Farfan traite de la décision « GRILL GEAR » devant la Commission d'opposition des marques de commerce et reproduit, aux pages 6-27 et 6-28, la conclusion suivante de la Commission :


Je conviens [...] qu'un dessin-marque ne comportant aucun mot n'a pas de forme sonore. Par contre, dans le cas d'une marque nominale comportant des éléments graphiques, comme en l'espèce, ce serait selon moi les mots dominants de la marque qui seraient prononcés. Je pense donc que le consommateur moyen dirait GRILL GEAR pour parler de la marque de la requérante considérée dans son intégralité.

[28]             M. Farfan examine ensuite toute une série de décisions antérieures portant sur la même question et conclut, à la page 6-29 :

[traduction] On prétend que l'erreur fondamentale dans chacune de ces affaires était d'avoir divisé la marque en composantes et, de fait, d'avoir choisi d'examiner uniquement certaines composantes des marques en faisant abstraction des autres, ce qui n'est aucunement appuyé en droit.

De plus, aucune de ces affaires n'étaie (parce que, selon moi, ce n'est pas possible) l'affirmation selon laquelle le critère de la sonorité d'un dessin-marque est la façon dont le consommateur moyen désignerait la marque. En cherchant une telle sonorité, on n'étaie aucunement l'affirmation selon laquelle on peut ne pas tenir compte des éléments graphiques. Comme toujours, on doit examiner une marque comme un tout intégré.

Après avoir cité la conclusion du juge Russell dans la décision « GRILL GEAR » et avoir mise celle-ci en contraste avec la décision susmentionnée du président Partington, M. Farfan privilégie, sous le titre [traduction] « La meilleure solution » (page 6-35), ses propres conclusions précitées en écrivant la phrase succincte suivante :

[traduction] Si un dessin ne peut en soi être sonore, il ne peut, de la même façon, devenir sonore par l'ajout de mots.

Je remarque que la commissaire dont la décision est frappée d'appel n'a pas « ajouté » de mots. Au contraire, les mots « prononcés » par la commissaire font partie intégrante du dessin-marque en litige, peut-être plus correctement décrit comme étant une marque de commerce comportant des éléments graphiques, la commissaire ayant conclu que les mots constituaient une caractéristique prédominante de la marque.

[29]             En toute déférence, je suis d'avis que la décision GRILL GEAR et la conclusion formulée dans le document de M. Farfan n'ont pas, de façon générale, tenu compte des principes d'interprétation législative applicables lorsqu'on lit l'alinéa 12(1)b) de la Loi.

[30]             Dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re)[6], le juge Iacobucci a, au nom de la Cour, écrit ce qui suit aux paragraphes [20] à [23] :

Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre [...], Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie . Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[...]

Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, [...], qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables » .

Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. [...] [Certains renvois et certaines décisions récentes ayant repris en l'approuvant l'extrait du professeur Driedger sont omis. Le renvoi à la Loi d'interprétation vise la Loi d'interprétation de l'Ontario. Non souligné dans l'original.]


[31]             Dans l'arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets)[7], le juge Rothstein a, au nom de la majorité, écrit ce qui suit au paragraphe [30] de ses motifs :

On a fortement insisté dans le présent appel sur le fait que d'importantes questions de principe sont en jeu. Suivant la preuve, l'oncosouris a été brevetée aux États-Unis et en Europe. On peut soutenir, pour des raisons de principe, que l'uniformité est souhaitable et que le Canada devrait lui aussi breveter l'oncosouris. En revanche, des arguments reposant notamment sur la santé humaine et des préoccupations d'ordre écologique ont été avancés contre la délivrance d'un brevet pour l'oncosouris. Pourtant, dans le présent appel, le débat tourne uniquement autour de l'interprétation de la Loi sur les brevets et de la question de savoir si, vu l'ensemble de la preuve, le produit de l'appelant est brevetable selon cette interprétation. La Cour est tenue d'interpréter la loi telle qu'elle est, sans en élargir la portée au-delà de ce que le législateur fédéral souhaitait exprimer par le libellé de la loi et sans non plus en restreindre la portée en intercalant dans la loi des mots limitatifs que le législateur n'y a pas insérés. S'il est vrai que le présent appel soulève des questions de principe, c'est au législateur fédéral, et non aux tribunaux, qu'il appartient de les examiner.

[32]             L'arrêt Harvard College de la Cour d'appel fédérale a été infirmé par la Cour suprême du Canada[8]. Bien que le paragraphe précité des motifs du juge Rothstein n'ait été expressément cité ni dans les motifs majoritaires ni dans les motifs minoritaires de la Cour suprême, on pourrait dire que l'extrait suivant, tiré du paragraphe 11 des motifs dissidents du juge Binnie, auxquels ont souscrit le Juge en chef et deux autres juges, en atténue la portée :

À l'instar de mon collègue [qui a rédigé les motifs majoritaires], je reconnais que l'interprétation juste de cette loi [la Loi sur les brevets] consiste à lire les termes [TRADUCTION] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87. [...]

[33]             Il convient de noter que les tribunaux qui ont statué sur l'affaire Harvard College disposaient d'une preuve abondante quant à l'économie et à l'objet de la Loi sur les brevets et les « importantes questions de principe » dont faisait état le juge Rothstein. À l'opposé, il n'existait pas en l'espèce une telle preuve devant notre Cour, et on ne m'a pas présenté un historique susceptible d'indiquer que le « contexte global » dans lequel se trouvait le législateur lors de l'édiction de la Loi sur les marques de commerce actuelle justifiait qu'on s'écarte du sens ordinaire et grammatical des mots utilisés à l'alinéa 12(1)b) de la Loi, et, plus particulièrement, du mot « sonore » pour s'harmoniser avec « [...] l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » .

[34]             L'extrait précité des motifs du juge Rothstein réitère, bien que dans un contexte différent, les motifs de l'ancien président Partington dans la décision Insurance Co. of Prince-Edward Island c. Prince-Island Mutual Insurance Co., précitée, reproduits plus haut et adoptés par la commissaire dans les motifs de sa décision frappée d'appel.

[35]             Il était loisible au législateur de prévoir une exception à l'alinéa 12(1)b) de la Loi à lgard des dessins-marques comprenant des mots qui constituent une caractéristique dominante des marques comme c'est, selon moi, le cas en l'espèce. En fait, le législateur a estimé appropriéde prévoir une exception à la règle générale de l'alinéa 12(1)b), mais à une autre fin. Par souci de commodité, je reproduirai à nouveau l'alinéa 12(1)b), ainsi que le paragraphe 12(2) :



12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

[...]

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

[...]

(2) Une marque de commerce qui n'est pas enregistrable en raison de l'alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant.

                                        [Non souligné dans l'original.]

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

...

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

...

(2) A trade-mark that is not registrable by reason of paragraph (1)(a) or (b) is registrable if it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration.

                                                         

  

                [emphasis added]


[36]             Ces extraits démontrent clairement l'existence d'une option dont aurait pu se prévaloir le législateur lorsqu'il a édicté la Loi, et cette option existe toujours. Le législateur avait, et a toujours, la possibilité d'ajouter une exception additionnelle à l'alinéa 12(1)b) à l'égard des dessins-marques comprenant des mots qui constituent une caractéristique dominante de façon que, comme c'est le cas du moins à l'égard de certaines marques qui n'ont pas de mot dominant, elles n'aient pas à satisfaire au critère « sonore » sur le fondement des mots. Ainsi, de tels dessins-marques comprenant des mots qui constituent une caractéristique dominante tiendraient compte de la critique de M. Farfan selon laquelle

[traduction] [s]i un dessin ne peut en soi être sonore, il ne peut, de la même façon, devenir sonore par l'ajout de mots.


[37]             Eu égard aux mises en garde précitées du juge Rothstein et en l'absence d'une preuve contextuelle pouvant mener à une conclusion différente, j'estime qu'il incombe au législateur, et non la Cour, de répondre à une préoccupation comme celle exposée par M. Farfan puisque les mots employés à l'alinéa 12(1)b) de la Loi sont, à première vue, clairs, et je suis convaincu qu'ils le sont. Autrement dit, la question sur laquelle M. Farfan et la demanderesse voudraient que la Cour se penche en est une de principe qui, vu la preuve dont dispose la Cour dans la présente affaire, ne relève pas de l'interprétation législative contextuelle.

CONCLUSION

[38]             Pour ces motifs, l'appel sera rejeté.

DÉPENS

[39]             Les avocats ont convenu devant moi que les dépens, qui doivent, en l'absence d'entente préalable, être calculés de la façon ordinaire, devraient suivre l'issue de la cause. Par conséquent, la Cour rendra une ordonnance adjugeant à la défenderesse les dépens, calculés de la façon ordinaire.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-656-02

INTITULÉ :                                                    BEST CANADIAN MOTOR INNS LTD.

demanderesse

- et -

BEST WESTERN INTERNATIONAL, INC.

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE JEUDI 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                             LE 29 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :                                      Christopher Pibus

pour la demanderesse               

Scott R. Miller

pour la défenderesse

           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        Christopher Pibus

Gowling, Lafleur, Henderson s.r.l.

                                                         Commerce Court West, bureau 4900

Toronto (Ontario) M5L 1J3

pour la demanderesse   

Scott R. Miller

270, rue Albert, 14e étage

Ottawa (Ontario) K1P 5P9                                                                                                                                          pour la défenderesse



[1]         L.R.C. 1985, ch. T-13.

[2]         (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.).

[3]         Voir, par exemple, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Colombia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 40.

[4]         (1999), 2 C.P.R. (4th) 103 (C.O.M.C.).

[5]         [2003] A.C.F. no 1296 (QL) (C.F.).

[6]         [1998] 1 R.C.S. 27 (cet arrêt n'a pas été cité par les parties).

[7]         (2000), 7 C.P.R. (4th) 1 (C.A.) (cet arrêt n'a pas été cité par les parties).

[8]         Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), (2002), 21 C.P.R. (4th) 417 (cet arrêt n'a pas été cité par les parties).


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