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Date : 20000719


Dossier : IMM-3140-99

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 19 JUILLET 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON


ENTRE :

     ZEQIR ISLAMAJ

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     JUGEMENT


     LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 10 mai 1999 est annulée. L'affaire est renvoyée pour nouvel examen et nouvelle décision à un tribunal composé de membres différents.

                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.




Date : 20000719


Dossier : IMM-3140-99






ENTRE :

     ZEQIR ISLAMAJ

     demandeur


     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


[1]          Zeqir Islamaj, le demandeur, est un ressortissant albanais âgé de 71 ans. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en prétendant craindre d'être persécuté en Albanie aux mains de membres ou d'agents du Parti démocratique du fait de ses opinions politiques. Cela s'explique, déclare-t-il, par le rôle qu'il a joué antérieurement au sein du régime communiste et par la suite au sein du Parti socialiste de l'Albanie.

[2]          La revendication de M. Islamaj a été entendue par une formation de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) composée de deux membres.

[3]          À la fin de l'audience tenue le 15 mars 1999, le président de la formation, M. N. Tahiri, a prononcé une décision orale par laquelle il rejetait la revendication du demandeur. Tout de suite après que M. Tahiri a exposé ses motifs oraux, l'autre membre de la formation, M. R. Rossi, a présenté des commentaires supplémentaires. Les motifs écrits ont été fournis le 10 mai 1999.

[4]          La demande de contrôle judiciaire porte sur la question précise de l'effet à donner aux commentaires formulés oralement par M. Rossi. Les avocats des parties ont convenu que si ces commentaires constituaient des motifs, la demande doit être accueillie.

[5]          La transcription de l'audience indique qu'à la conclusion des témoignages et après avoir entendu les arguments des avocats, la formation a pris une brève pause. Après cette pause, la formation a dit que ses membres en étaient arrivés à une décision. Des motifs ont ensuite été fournis oralement.

[6]          La partie des motifs oraux qui nous intéresse est la suivante :

     [TRADUCTION]          L'audience est reprise, toutes les parties sont présentes.

     [VERSION FRANÇAISE DES MOTIFS]

                     M. Zeqir Islamaj, j'ai eu l'occasion, pendant la suspension de l'audience, de discuter de la preuve avec mon collègue. Nous avons examiné votre témoignage et les autres éléments de preuve en l'espèce, et nous sommes maintenant prêts à rendre notre décision de vive voix.
                     Malheureusement, cette décision sera une décision défavorable. J'aimerais ajouter que ces motifs vous seront transmis par écrit. Il se peut qu'ils soient corrigés et que des renvois à la jurisprudence applicable soient inclus.
     ...
                     Pour résumer, je crois que le principal facteur qui intervient dans notre décision est que vous n'avez pas le profil des gens qui sont ciblés par le Parti démocratique. Deuxièmement, le parti auquel vous prétendez appartenir est le parti qui est au pouvoir aujourd'hui. Par conséquent, cela réduit le niveau de risque.
                     Pour les motifs que j'ai donnés ici, nous croyons que votre crainte d'être persécuté en Albanie n'a pas de fondement objectif. Même s'il existe un climat général de danger et de violence, il n'a pas été prouvé qu'il y a un lien entre ce danger et l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Par conséquent, nous déterminons que vous, M. Zeqir Islamaj, n'êtes pas un réfugié au sens de la Convention. Je vous remercie de votre participation. Merci, maître, merci, madame l'ACR, merci monsieur l'interprète et avant de terminer, je vais demander à mon collègue s'il a des commentaires à présenter.
                     M. ROSSI :          Je souscris pratiquement à tout ce qu'a dit mon collègue dans sa décision. J'aimerais toutefois aller un peu plus loin et dire que j'estime que l'anarchie a cessé en 1997 au moment où le Parti socialiste a pris le pouvoir, à la suite d'une élection. Merci, je souscris à votre décision.
                     PRÉSIDENT :      Je remets les documents originaux à votre avocat. Merci.

[7]          Lorsque les motifs écrits ont été remis aux parties, ils ne contenaient aucune référence aux commentaires formulés oralement par M. Rossi. Ils se terminaient de la façon suivante :

     [TRADUCTION]
         Pour les motifs que j'ai donnés ici, nous croyons que votre crainte d'être persécuté en Albanie n'a pas de fondement objectif. Même s'il existe un climat général de danger et de violence, il n'a pas été prouvé qu'il y a un lien entre ce danger et l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.
         Par conséquent, nous déterminons que vous, M. Zequir Islamaj, n'êtes pas un réfugié au sens de la Convention.

[8]          Les motifs écrits sont signés par M. Tahiri et en dessous de sa signature, après les mots « Y a souscrit : » , figure la signature de M. Rossi.

Les remarques formulées oralement par M. Rossi constituent-elles des motifs?

[9]          L'élément essentiel des motifs prononcés par M. Tahiri était l'opinion que M. Islamaj n'avait pas été visé personnellement par les événements violents qu'il a décrits. Ces événements ont plutôt été attribués au chaos général qui régnait dans le pays. Si l'on peut qualifier de motifs les commentaires de M. Rossi, la demande de contrôle judiciaire est fondée, comme les avocats en ont convenu, parce qu'en l'absence de consensus sur l'existence d'un chaos général, il n'est pas possible de conclure que M. Islamaj a été la victime de ce chaos général.

[10]          Le ministre soutient que les commentaires oraux de M. Rossi ne constituent pas des motifs et note que M. Rossi n'a pas qualifié lui-même ses commentaires de motifs.

[11]          Le ministre soutient également que les motifs visent à expliquer pourquoi la demande est acceptée ou rejetée. Il soutient donc que le fait que M. Rossi ait terminé ses commentaires en disant « Merci, je souscris à votre décision » , explique la décision de M. Rossi.

[12]          Le ministre soutient que sa position est renforcée par le fait que si M. Rossi avait vraiment estimé qu'il y avait lieu de fournir davantage de « motifs » à titre d'explication, ils auraient été couchés par écrit.

[13]          L'importance des motifs dans le contexte de la reconnaissance du statut de réfugié ressort de l'alinéa 69.1(11)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, qui prévoit :

(11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants :

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification.

(11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that

(a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision.

[14]          La Cour d'appel fédérale a jugé que pour satisfaire à cette obligation, « ... il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler » (voir Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.)).

[15]          J'accepte donc l'affirmation du ministre selon laquelle les motifs doivent indiquer les raisons pour lesquelles un certain résultat a été obtenu.

[16]          En se basant sur cette notion de ce que sont les motifs, je ne vois pas d'autre explication rationnelle aux remarques formulées par M. Rossi que de dire qu'il précisait la façon dont il était arrivé à la conclusion que la demande de M. Islamaj devait être rejetée.

[17]          Je ne vois aucun autre objectif légitime auquel auraient pu servir ses commentaires.

[18]          Il n'est pas nécessaire que M. Rossi ait expressément qualifié ses commentaires de motifs pour que ce soit des motifs. Je ne peux séparer, comme le ministre le demande, les remarques de M. Rossi au sujet de la suppression de l'état d'anarchie de la déclaration suivante : [TRADUCTION] « Merci, je souscris à votre décision » . Ces deux déclarations doivent être considérées comme étant ses motifs. Pour citer l'avocat de M. Islamaj, il n'y a aucune « apparence de réalité » à la conclusion contraire.

[19]          Je ne suis pas prête à déduire les raisons pour lesquelles ces motifs oraux ne se retrouvent pas dans la version écrite. Le ministre m'a incitée à conclure que cela vient du fait que les commentaires formulés oralement n'étaient pas des motifs, mais le demandeur propose un mobile beaucoup moins charitable : le souci d'assurer une certaine cohérence et uniformité aux motifs de la formation. J'estime que ces deux interprétations ne sont de toute façon qu'hypothétiques. Je ne peux pas conclure que le fait d'avoir supprimé des motifs écrits certains commentaires présentés oralement confirme le fait que ces commentaires ne constituent pas des motifs.

[20]          Dans les observations écrites déposées après l'audience, à la demande de la Cour, l'avocat du ministre soutient que même si les commentaires oraux constituaient les motifs de la décision de M. Rossi, il faut conclure qu'au moment où il a signé la décision écrite, il ne les considérait plus comme des commentaires venant expliquer sa décision.

[21]          Le ministre s'est fondé sur l'arrêt Shairp c. M.R.N., [1989] 1 C.F. 562 (C.A.F.), de la Cour d'appel fédérale, pour soutenir que la décision d'un juge n'a pas d'effet exécutoire et peut-être modifiée jusqu'à ce que le jugement ait été rédigé par écrit et signé. Il prétend donc que M. Rossi était libre de changer d'idée jusqu'à ce qu'il signe les motifs écrits.

[22]          Cet argument ne me convainc pas pour deux raisons.

[23]          Premièrement, il n'existe aucun élément indiquant que le membre de la formation ait changé d'avis. L'omission de ce passage du compte rendu écrit est peut-être le fruit du hasard ou vient peut-être de l'idée que l'on a considéré, à tort, que ces commentaires supplémentaires n'étaient pas importants. La formation ne se réserve que le droit de réviser les motifs oraux sur le plan de la syntaxe et de la grammaire et d'ajouter des références à la jurisprudence. Il n'est pas possible, d'après moi, d'attribuer à un changement d'idée une modification importante et inexpliquée des motifs.

[24]          Deuxièmement, notre Cour a exigé la conformité entre les motifs oraux et les motifs écrits prononcés par la SSR. Voir Vaszilyova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1027. Dans Isiaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 46 Imm. L.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.), conf. [1999] A.C.F. no 1452 (C.A.F.), la Cour a déclaré (à la page 83 du rapport du jugement de première instance) :

     ... Bien que la pratique de donner des motifs oraux puisse entraîner certaines difficultés quand des différences surviennent entre les motifs oraux et les motifs écrits, ces problèmes peuvent être abordés de façon ponctuelle, comme dans la décision : Vaszilyova, précitée.

Les avocats m'ont informée que l'arrêt Shairp, précité, a été invoqué devant la Section de première instance et devant la Section d'appel dans l'affaire Isiaku, précitée. Cela n'a toutefois pas eu pour effet de modifier l'exigence de conformité.

[25]          Étant donné que j'ai conclu que les commentaires formulés par M. Rossi constituaient les motifs de sa décision communiqués au moment du prononcé de la décision orale, il en découle qu'il existait une différence importante entre les motifs exposés oralement par la SSR et ceux qui l'ont été par écrit.

[26]          Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l'affaire renvoyée pour nouvel examen à une autre formation de la SSR.

[27]          Les avocats n'ont pas demandé que la Cour certifie une question; par conséquent, aucune question n'est certifiée.

                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 juillet 2000



Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3140-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ZEQIR ISLAMAJ c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 17 MAI 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :              19 JUILLET 2000

ONT COMPARU :             
M. CRANE                  POUR LE DEMANDEUR
M. ZORIC                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

M. CRANE, TORONTO          POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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