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Date : 19980805

Dossier : IMM-3789-97

ENTRE :

               RAJADURAI SAMUEL THANGARAJAN, ANNETTE THANGARAJAN,

WILLIAM THANGARAJAN et JAMES THANGARAJAN,

par l'intermédiaire de leur tuteur à l'instance, RAJADURAI SAMUEL THANGARAJAN,

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION.

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

1           J'estime qu'il convient d'infirmer la décision contestée en l'espèce. Il n'y aura lieu d'exposer que de brefs motifs.

2           Il s'agit en l'occurrence de dire si l'éducation d'élèves mentalement inadaptés,dans des écoles primaires et secondaires relevant de l'enseignement public des diverses provinces constitue un service social aux fins du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

3           Selon cette disposition de la Loi, ne sont pas admissibles au Canada en tant qu'immigrants reçus, les personnes dont l'admission risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou les services de santé :

                                19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

                a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

....

                (ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

4           Le demandeur, Rajadurai Samuel Thangarajan a un fils, William Thangarajan, qui présente un déficit intellectuel modéré. Il fut décidé que son admission au Canada risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et que, par conséquent, il ne pouvait pas être admis. Un des facteurs retenus dans le cadre de cette évaluation est le coût de l'éducation spécialisée qu'il faudrait lui assurer dans le cadre de l'enseignement public. Disons que la législation provinciale a prévu, au sein du système scolaire, le cas des enfants ayant des besoins particuliers; cela comprend aussi bien les enfants surdoués que les enfants inadaptés mentalement.

5           On m'a convaincue que l'éducation spécialisée dispensée par l'école publique aux enfants mentalement inadaptés ne constitue pas un service social au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii).

6           L'on peut considérer qu'il faut, au sens large, entendre par service social toutes les prestations sociales que l'État accorde aux individus mais, dans un sens plus restreint, on entendra par service social le bien-être social proprement dit. Si c'est dans son acception la plus large que ce terme devait être entendu au sous-alinéa 19(1)a)(ii), il n'aurait pas été nécessaire, dans cette même disposition, d'évoquer les services de santé en tant que catégorie distincte. Si c'est dans son sens le plus large que devait être compris ce terme tel qu'utilisé au sous-alinéa 19(1)a)(ii), cette disposition aurait parlé de « services sociaux, y compris les services de santé » et non pas de « services sociaux ou de santé » . Le simple fait que la disposition en question fasse la distinction entre les services de santé et les services sociaux me porte à penser qu'il y a également lieu de distinguer l'enseignement, y compris l'enseignement spécialisé assuré au sein du système scolaire.

7           L'avocate du demandeur invoque une raison supplémentaire de conclure que les services pédagogiques ne doivent pas être englobés dans l'expression « services sociaux » , le fait en l'occurrence que, selon la législation applicable en ce domaine, au niveau tant primaire que secondaire, la scolarité est à la fois un droit, en ce qui concerne les étudiants, et une obligation légale en ce qui concerne les enfants d'âge scolaire. Elle fait remarquer que l'enseignement public constitue un droit solidement enraciné garanti aux enfants du Canada, alors qu'on ne considère pas en général que les services sociaux constituent au même degré un droit[1]. Cette deuxième catégorie de services sociaux constitue, à l'inverse, des prestations que la société canadienne offre aux personnes dans le besoin, sous condition de ressources ou sous condition de recouvrement.

8           L'avocate du demandeur fait également valoir que l'explication que les représentants de l'État avaient donnée, lors de l'adoption de la législation en 1977[2], sur le sens qu'il convenait d'attribuer à la notion de services sociaux, confirme qu'il y a lieu d'entendre par services sociaux les services de bien-être dont bénéficient les personnes qui ne sont pas en mesure de subvenir à leurs propres besoins. Voici, à titre d'exemple, une des explications fournies à l'époque :

                Mme Appolloni : Autrement dit, il s'agit uniquement de problèmes de santé et rien que de problèmes de santé.

                M. Gotlieb : Ce pourrait également être des problèmes de bien-être. Il peut s'agir de l'inaptitude d'une personne à prendre soin d'elle-même ou de l'indigence d'une personne et de sa famille et de sa nécessité de recourir au bien-être social. Ceci intéresse notamment les provinces qui seraient fortement touchées par les répercussions de cela sur leurs services sociaux, sur leur aptitude à les offrir, et sur le coût de ces services.

                                ...

                M. Tail : ... cela nécessite le jugement d'un médecin -- le fait qu'une personne ne constitue pas un danger pour quelqu'un d'autre ni qu'elle impose certaines exigences des services de santé, mais qu'elle pourrait avoir besoin de services sociaux. Nous songeons au cas d'une personne handicapée qui ne serait jamais capable de subvenir à ses propres besoins. Par exemple, ce peut être une personne qui prétend être menuisier mais souffre d'une certaine dégénérescence ne lui ne lui permettant pas de pratiquer ce métier. Ce serait un agent mécical qui dirait que cette personne est incapable de subvenir à ses besoins en pratiquant ce métier au Canada pour telle ou telle raison, et aurait besoin de recourir à des services sociaux, c'est-à-dire aux prestations de Bien-être social.

9           L'avocate du demandeur fait remarquer qu'aux termes de la plupart des législations provinciales, sinon de toutes, les services éducatifs, y compris ceux qui s'adressent aux enfants ayant en ce domaine des besoins particuliers, relèvent d'un régime législatif différent et d'un ministère distinct de ceux dont relèvent les programmes sociaux et les services sociaux au sens strict du terme[3].

10         L'avocate du défendeur soutient en réponse que, dans de nombreuses affaires, la Section de première instance a reconnu que les programmes d'éducation spécialisée fonctionnant dans le cadre de l'enseignement public sont effectivement des services sociaux au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii). Mais, à de rares exceptions près, il s'agissait d'affaires dans lesquelles n'avait pas été développée devant la Cour la thèse inverse. Dans l'affaire Yogeswaran c. M.C.I. [1997] J.C.F. no 462 (17 avril 1997, IMM-1505-96)[4], cette thèse a été plaidée mais l'affaire a été tranchée selon une interprétation qui n'est pas celle que je retiens en l'espèce. Je crois savoir que, dans cette autre cause, la Cour a certifié que l'affaire soulevait une question grave et c'est la Cour d'appel qui, si elle en est saisie, finira par trancher.

11         L'avocate du défendeur fait en outre valoir que le fils du demandeur aura presque vingt ans avant que ne puisse lui être accordé le droit d'établissement, à supposer que ce droit lui soit accordé, et qu'en tout état de cause le coût de l'enseignement en question ne saurait être très élevé. Ainsi, même si les médecins agréés ont commis une erreur, celle-ci, toujours selon l'avocate du défendeur, ne prête guère à conséquence. Je ne saurais retenir cet argument. J'estime, comme le soutiennent les demandeurs, que l'affaire soulève une question grave qu'il convient de porter en appel. D'ailleurs, les frais supplémentaires seraient, semble-t-il, de 4 000 $ à 6 000 $ par an, et j'estime préférable que ce soient les médecins qui décident du rôle que ce fait a joué dans leur décision plutôt que d'attendre de la Cour qu'elle affirme que ce facteur est négligeable.

12         J'ajoute que l'avis médical fait lui aussi problème. Dans la partie consacrée à l'exposé circonstancié, on trouve dans l'avis médical ceci : [traduction] « autant qu'on puisse prévoir, l'intéressé aura besoin d'une surveillance et d'un enseignement spécialisé ... il est peu probable qu'il parvienne à subvenir à ses propres besoins en prenant place sur le marché de l'emploi ... » . On lui a attribué les cotes d'évaluation suivantes : H1, D5, T3, S1, E3 et M5. La cote D5 veut dire, en ce qui concerne les services sociaux, que l'intéressé [traduction] « doit ou devra probablement faire l'objet d'une surveillance sociale et d'un d'enseignement spécialisé mais qu'il parviendra peut-être à subvenir à ses propres besoins » . La cote E3 signifie, au niveau des aptitudes à l'emploi, que l'intéressé « est employable et productif sur le marché canadien de l'emploi mais dans des conditions durablement restreintes » . Au départ, le fils du demandeur avait été classé E5, c'est-à-dire « non employable et non productif sur le marché canadien de l'emploi » mais cette cote fut, après réexamen, transformée en cote E3. La cohérence de ces diverses cotes n'est pas évidente.

13         L'avocate du demandeur a développé plusieurs autres arguments pour plaider l'infirmation de la décision, mais la Cour ayant conclu à l'annulation de la décision en cause pour les motifs exposés ci-dessus, il n'y a pas lieu de les examiner. L'avocate du demandeur demande à la Cour, quel que soit le sens de sa décision, de certifier l'existence d'une question grave afin que l'affaire puisse être portée devant la Cour d'appel. C'est au cas, semble-t-il, où il ne serait pas donné suite à l'appel interjeté dans l'affaire Yogeswaran.

14         L'avocate du défendeur n'a pas encore eu l'occasion de présenter ses observations concernant la certification éventuelle d'une question. Le dépôt en bonne et due forme de l'ordonnance de la Cour est donc remis à huitaine afin qu'elle ait l'occasion de le faire.

                                                                                                        « B. Reed »                                                                                      

                                                                                                                                                      juge                           

Toronto (Ontario)

le 5 août 1988

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats et avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                    IMM-3789-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                   RAJADURAI SAMUEL THANGARAJAN,            ANNETTE THANGARAJAN,

                                                               WILLIAM THANGARAJAN et

                                                               JAMES THANGARAJAN, par l'intermédiaire de leur           tuteur à l'instance, RAJADURAI SAMUEL                         THANGARAJAN,

                                                               - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 25 JUIN 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          LE JUGE REED

DATE :                                                    LE 5AOÛT 1998

ONT COMPARU :

                                                               Me Barbara Jackman

                                                                                       pour les demandeurs

                                                               Me Marie-Louise Weislo

                                                                                       pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                               Jackman, Waldman & Associates

                                                               281, avenue Eglington est

                                                               Toronto (Ontario)

                                                               M4P 1L3

                                                                                       pour les demandeurs

                                                               Morris Rosenberg

                                                               Sous-procureur général

                                                               du Canada

                                                                                       pour le défendeur


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                         

Date : 19980805

Dossier : IMM-3789-97

ENTRE :

                                         

RAJADURAI SAMUEL THANGARAJAN, ANNETTE THANGARAJAN,

WILLIAM THANGARAJAN et

JAMES THANGARAJAN, par l'intermédiaire de leur tuteur à l'instance, RAJADURAI SAMUEL THANGARAJAN,

demandeurs,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                     



     [1]Ces principes sont examinés dans la jurisprudence suivante : Eaton c. Brant County Board of Education, [1997] 1 R.C.S. 241; Adler c. La Reine, [1996] 3 R.C.S. 609; Masse v. Ontario (1996), 134 D.L.R. (4th) 20 (Div. gén. Ont.) refus d'autorisation de pourvoi en C.S.C. [1996] S.C.C.A. no 373, Trofimenkoff v. Saskatchewan (Minister of Edcation), [1991] W.W.R. 402 (C.A.S.), confirmé (1991) 6 W.W.R. 97 C.A. Sask; Re Merrick and Director of Vocational Rehabilitation Services (1985), 49 O.R. (2d) 675 (C.O. C. Div.ct); Rose v. Social Services Appeal Board (1995), 130 Nfld. & P.E.I.R. 233 (C.S. T.-N.), confirmé (1995) 135 Nfld. & P.E.I.R. 207 (C.A. T.-N.).

     [2]Procès-verbal de délibération du comité permanent de la santé, de la main-d'oeuvre et de l'immigration, 5 avril 1977, fascicule 11, Chambre des communes aux p. 11:45, 11:60 - 11:61, 11:70 - 11:71.

     [3]voir, par exemple, Loi sur les écoles publiques, L.R.M. (1987), ch. P250, art. 258, 259, 260 et Loi sur les services sociaux, L.R.M. (1987), ch. 9165, art. 1; Education Act, R.S.N.S. 1989, c. 136, s. 1, 3, 4, 33 et le Social Services Councils Act, R.S.N.S., C. 433, s. 3, 5 et le Social Assistance Act, R.S.N.S. 1989, C. 432, s. 4, 5, 6(2), 8, 9; The School Act, R.S.P.E.I. 1988, C. S-2, s. 1, 44, 46 et le Welfare Assistance Act, R.S.P.E.I. 1988, C. W-3, s. 1; Loi sur l'éducation, L.R.O. 1993, ch. E.2, art. 1, 8(2), (8), 13, 21 et la Loi concernant les soins de longue durée, L.O. 1994, ch. 26, art. 1, 2; Loi sur les foyers pour déficients mentaux, L.R.O. 1990, ch. H-11, art. 1, 11; Loi sur les services d'aides familiales et d'infirmières visiteuses, L.R.O. 1990, ch. H-10, art. 1,10; Loi sur les conseils d'administration de district de l'aide social, L.R.O. 1990, ch. D-15, art. 1, 2; Loi sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement, L.R.O. 1990, ch. D-11, art 1, 36; Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, L.O. 1997, ch. 25, annexe B, art. 2, 3, 4, 5; Loi sur la réforme de l'aide sociale, L.O. 1997, ch. 25; Loi sur les services de réadaptation professionnelle, L.R.O. 1990, ch. V-5; School Act, R.S.B.C 1996, c. 412, s. 1, 2, 3 et le Ministry of Social Services and Housing Act, R.S.B.C. 1996, C. 310, s. 1, 3.

     [4]Le jugement intervenu dans l'affaire Yogeswaran cite la décision rendue plus tôt dans l'affaire Sabater c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 102 F.T.R. 268 (C.F. 1ère inst.) et la décision intervenue dans l'affaire Yogeswaran est citée dans l'affaire Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (15 janvier 1998, IMM-812-97).

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