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Date : 19971230


T-4-97

Ottawa (Ontario), le mardi 30 décembre 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

                                             requérante,

ET :

     LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE GORDON,

                                             intimé,

ET :

     SARAH LASLO,

                                             intimée.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée est annulée et l'affaire est renvoyée devant le Tribunal des droits de la personne pour qu'un tribunal différemment constitué la réexamine et rende une nouvelle décision compatible avec les motifs à l'appui de la présente ordonnance.

     FREDERICK E. GIBSON

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme                                   François Blais, LL.L.


Date : 19971230


T-4-97

ENTRE :

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     requérante,

ET :

     LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE GORDON,

     intimé,

ET :

     SARAH LASLO,

     intimée.

     MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE GIBSON :

LES FAITS

    

[1]      Les présents motifs découlent d'une décision, communiquée à la requérante le 4 décembre 1996, par laquelle un Tribunal des droits de la personne (le Tribunal) a rejeté la plainte formulée par l'intimée (Mme Laslo) contre le conseil de la Bande indienne de Gordon. La plainte se fondait sur des motifs de distinction illicites énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne1, soit le sexe, la race et l'état matrimonial. L'acte discriminatoire présumé aurait été commis dans le cadre de la fourniture de services en violation de l'article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2]      Dans son avis de requête introductive d'instance, la Commission canadienne des droits de la personne (la requérante) sollicite l'annulation de la décision du Tribunal et le renvoi de la plainte de Mme Laslo à un tribunal différemment constitué, auquel seront données des directives.

[3]      Le contexte factuel peut être résumé succinctement comme suit. À sa naissance, Mme Laslo était membre de la Bande indienne de Gordon (la Bande). Elle a perdu son statut d'Indienne et au moins certains de ses droits en qualité de membre de la Bande en novembre 1978, lorsqu'elle a épousé un non-Indien. Mme Laslo a recouvré son statut d'Indienne et de membre de la Bande le 15 avril 19852 à l'occasion de l'entrée en vigueur des modifications apportées à la Loi sur les Indiens3, connues généralement sous le nom de projet de loi C-31, et visant à épurer la Loi sur les Indiens de toute discrimination contre les Indiennes mariées à des non-Indiens. Après sa réintégration, Mme Laslo a demandé à la Bande de lui attribuer un logement neuf sur la réserve, chaque année de 1985 à 1992. Le nombre de logements neufs sur la réserve ne suffisait pas à la demande et Mme Laslo ne s'est jamais vu attribuer un logement neuf sur la réserve dans lequel elle aurait pu vivre avec sa famille, y compris son époux non indien. Mme Laslo a donc déposé une plainte auprès de la requérante, dans laquelle elle soutenait avoir subi, dans la fourniture d'un logement sur la réserve de la Bande, un acte discriminatoire fondé sur le sexe, la race et l'état matrimonial.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[4]      Devant le Tribunal, la Bande n'a pas pris position quant à la question de savoir si Mme Laslo avait subi un acte discriminatoire de sa part dans la fourniture d'un logement. Ses observations ont porté uniquement sur la question de la compétence et c'est la seule question dont notre Cour est maintenant saisie.

[5]      Le Tribunal a conclu que la Bande avait refusé d'attribuer un logement neuf à Mme Laslo pour les motifs suivants :

     (a)      la Bande a refusé de lui attribuer un logement à moins que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui alloue des fonds additionnels pour construire des logements à l'intention des personnes qui ont recouvré leur statut par application du projet de loi C-31;
     (b)      la Bande a décidé de ne pas tenir compte des droits que les Indiennes ont recouvrés en vertu du projet de loi C-31;
     (c)      la politique de logement de la Bande assujettissait l'admissibilité à un logement neuf à la condition qu'une personne réside sur la réserve depuis au moins deux ans, condition qu'il était très improbable que les Indiennes réinscrites puisse remplir;
     (d)      la politique de logement prévoyait que les personnes vivant avec une personne non indienne n'obtiendraient pas, ou vraisemblablement pas, la priorité dans l'attribution des logements sur la réserve;
     (e)      le chef de la Bande en poste à l'époque a dit à Mme Laslo qu'elle ne pourrait obtenir un logement neuf sur la réserve que si son époux non indien décédait ou si elle divorcait : c'était la seule manière.

[6]      Le Tribunal a conclu que Mme Laslo avait subi un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite. Voici ce qu'il a affirmé dans sa décision :

                 ...l'ancien statut des femmes indiennes réinscrites ne devrait pas constituer un facteur lorsqu'il s'agit de déterminer leurs droits relativement à des questions telles que le logement sur les réserves. Si une bande prend en compte l'ancien statut des femmes réinscrites lorsqu'il décide de ne pas leur accorder de logement, il commet un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite énoncé à l'article 6 de la Loi.                 

[7]      Toutefois, le Tribunal a ensuite examiné sa compétence et il a conclu qu'il n'avait pas compétence pour accorder une réparation concernant cet acte discriminatoire. Le Tribunal a conclu que la discrimination en cause résultait de décisions prises par la Bande en vertu de l'article 20 de la Loi sur les Indiens. Pour cette raison, le Tribunal a conclu que cette discrimination échappait à sa compétence par application de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[8]      Voici, intégralement, la teneur de la décision rendue par le Tribunal sur la question de sa compétence, car son raisonnement à cet égard est au centre de la plaidoirie que les parties m'ont présentée et de mon analyse :

                      Tel que mentionné dans l'" Introduction ", l'intimé a fait valoir que le présent tribunal n'avait pas la compétence requise pour entendre la plainte de Mme Laslo en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'article 67 de cette Loi est ainsi libellé :                 
                      La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.                         
                 Dans sa requête devant la Cour fédérale, l'intimé a soutenu que cet article exclut de la révision judiciaire toute décision du conseil de la Bande de Gordon " prise en vertu de " la Loi sur les Indiens , et que le refus d'accorder le logement à Mme Laslo constituait une telle décision. M. le juge Campbell a rejeté la requête et a déclaré qu'on ne pouvait trancher la question de la compétence avant que le tribunal ait entendu l'ensemble de la preuve relative aux circonstances. Nous avons conclu que l'audience avait révélé une preuve suffisante à cet égard.                 
                 Il est bien reconnu que la Loi canadienne sur les droits de la personne occupe une place spéciale dans notre structure constitutionnelle afin de protéger les personnes vulnérables à la discrimination et, par conséquent, toute exception à l'égard de son application doit être interprétée de façon restrictive pour nuire le moins possible aux droits que la Loi protège.4 Comme on l'a mentionné dans " les faits " ci-dessus, le conseil de la Bande a pris une série de décisions par lesquelles il refusait d'accorder un logement à Mme Laslo. Conservant à l'esprit les remarques du juge Sopinka à la note en bas de page [4], nous devons nous demander si toutes ces décisions constituaient inévitablement des " dispositions prises en vertu de cette loi [Loi sur les Indiens ] ", au sens de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que, par conséquent, elles échappaient aux dispositions de cette Loi.                 
                      Le paragraphe 81(1) de la Loi sur les Indiens précise ce qui suit :                 
                      Le conseil d'une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l'une ou l'ensemble des fins suivantes :                         
                          [...]                                 
                      i)      l'arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande,                         
                          [...]                                 
                      p.1)      la résidence des membres de la bande ou des autres personnes sur la réserve;                         
                      p.2)      l'adoption de mesures relatives aux droits des conjoints ou des enfants qui résident avec des membres de la bande dans une réserve. [...]                         
                      À notre avis, il est manifeste qu'un règlement adopté conformément à tout paragraphe de l'article 81 susmentionné, constituerait une " disposition prise en vertu de " la Loi sur les Indiens et qu'il s'inscrirait, par conséquent, dasn les contexte de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le seul élément de preuve présenté au tribunal que l'on pourrait associer à un règlement administratif adopté conformément à l'article 81 de la Loi sur les Indiens est le document de " Politique de logement " de 1987. Toutefois, on ne nous a fourni aucune indication sur l'origine de ce document : on n'a pas établi qu'il a été adopté à titre de règlement administratif. Faute de preuve établissant que d'autres règlements ont été adoptés par le conseil de la Bande à ce sujet, il faut conclure que les décisions du conseil de ne pas attribuer une terre à Mme Laslo n'ont pas été prises en conformité avec l'article 81.                 
                      En l'absence d'un tel règlement administratif, le conseil a-t-il la compétence requise pour prendre la décision d'attribuer des logements en application d'autres articles de la Loi sur les Indiens? Deux paragraphes de l'article 20 de la Loi abordent cette question :                 
                      (1) Un Indien n'est légalement en possession d'une terre dans une réserve que si, avec l'approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande [les italiques sont ajoutés]                         
                      [...]                         
                      (4) Lorsque le conseil de la bande a attribué à un Indien la possession d'une terre dans une réserve, le ministre peut, à sa discrétion, différer son approbation [...] [les italiques sont ajoutés]                         
                      Il découle nécessairement du texte en italique dans les deux paragraphes précédents que le conseil a la compétence requise pour attribuer des terres en application de la Loi. Autrement, les paragraphes n'auraient aucune signification réelle. À notre avis, cette compétence d'attribuer des terres doit inclure le pouvoir de décider si le conseil peut exercer sa compétence et à quel moment il peut le faire. Cela signifie que le conseil peut choisir parmi les membres de la bande ceux à qui il accordera possession d'une terre de la réserve. Si ce n'était pas le cas, le conseil serait tenu d'attribuer systématiquement les terres aux membres de la bande qui en font la demande sans pouvoir exercer aucune discrétion à cet égard. Une telle interprétation serait impraticable, plus particulièrement lorsque le nombre des demandes dépasse le nombre des lots disponibles. Par conséquent, nous sommes d'avis que, par déduction nécessaire, l'article 20 reconnaît la compétence des conseils de bande de décider s'ils doivent ou non attribuer les terres de la réserve; de telles décisions s'inscriraient dans les dispositions " prises en vertu de " la Loi sur les Indiens .                 
                      Il reste à déterminer si une telle " décision ", quoique prise conformément à l'article 20, s'inscrit également dans la définition du terme " disposition " tel qu'utilisé à l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne . La Commission a fait valoir que le terme " disposition " renvoie uniquement aux actes de nature législative, tels que les règlements et qu'il ne s'applique pas aux décisions particulières comme celles d'attribuer des terres; ces dernières ne sont pas des dispositions. Cette question a été analysée par la Cour fédérale dans l'affaire Desjarlais5. Même si la plainte dans cette affaire était fondée sur une décision relative à une cessation d'emploi, Mme le juge Desjardins, exprimant l'opinion unanime de la Cour, a étudié en détail la signification du terme " disposition " tel qu'utilisé à l'article 67. Il nous semble utile, à ce point-ci, de citer abondamment cette analyse :                 
                          Le mot " provision " du membre de phrase " any provision of the Indian Act " (" la Loi sur les Indiens ") renvoie par connotation à la législation, pour faire référence à la fois à la Loi sur les Indiens et aux règlements adoptés en vertu de cette Loi. Cette interprétation se trouve confirmée par la version française.                         
                          Le mot " provision " du membre de phrase " or any provision made under or pursuant to [the Indian Act] (" et sur les dispositions prises en vertu de cette loi ") ne peut avoir la même signification que le premier " provision ", et il ne peut renvoyer exclusivement à une disposition législative d'application générale ainsi que le prétend l'avocat de la Commission. La version française rend une telle interprétation impossible. Le mot " dispositions " de cette version pourrait avoir le sens de " mesures législatives ", mais il connote également les notions de " décisions " et de " mesures ", dont la compréhension est très grande. Ainsi les termes " or any provision made under or pursuant to that Act " désignent-ils plus que les seules stipulations à caractère légal. J'interprète ces mots comme s'étendant à toutes les décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens. [notre soulignement]                         
                          [...]                         
                          En ce qui concerne l'embauchage et le congédiement de personnel, il n'existe aucun statut administratif régulièrement enregistré sous le régime de la Loi sur les Indiens qui aurait été adopté par [...] [l'intimé]                         
                          [...]                         
                          L'adoption de statuts administratifs n'est toutefois pas le seul mode suivant lequel un conseil de bande peut prendre des décisions sous le régime de la Loi sur les Indiens [...] D'autres dispositions de la Loi indiquent que le conseil de la bande est habilité à prendre des décisions, mais elles ne précisent pas la manière dont de telles décisions doivent être exprimées. Mentionnons à cet égard le paragraphe [...] 20(1) [...] qui concerne l'attribution de terres d'une réserve [...] L'on peut supposer que la procédure énoncée au Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens s'applique à de telles décisions. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que toute décision prise par un conseil de bande sur le fondement des articles qui précèdent serait prise en vertu de la Loi sur les Indiens. [notre soulignement]6                         
                 Bien qu'il s'agisse de remarques incidentes, les portions soulignées des deuxième et quatrième paragraphes de la citation montrent clairement que la Cour aurait conclu qu'une décision du conseil d'attribuer des terres d'une réserve constituait une " disposition prise en vertu de " la Loi sur les Indiens et que, par conséquent, elle échappait à la compétence d'un tribunal des droits de la personne, en application de l'article 67.                 
                      La Cour a ensuite conclu que, compte tenu des faits dans l'affaire Desjarlais, en l'absence de statuts administratifs régulièrement enregistrés traitant de l'emploi, aucun article de la Loi sur les Indiens ne donnait le pouvoir implicite de congédier la plaignante. Par conséquent, la Cour a décidé que l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'empêchait pas la Commission canadienne des droits de la personne d'avoir compétence pour juger la plainte :                 
                      Dans l'espèce, la motion du conseil de la bande [...] n'est nulle part autorisée par la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement ou implicitement; en conséquence, cette motion ne constitue pas une des " dispositions prises en vertu de cette loi " [...] [notre soulignement]7                         
                 Ainsi, la Cour a signalé que si elle avait conclu qu'un article de la Loi sur les Indiens permettait au conseil de la bande d'adopter une motion implicitement - comme elle a conclu que c'était le cas à l'article 20 en ce qui a trait à l'attribution de terre - elle aurait jugé que c'était suffisant pour invoquer l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.                 
                      Endossant le raisonnement de Mme le juge Desjardins, nous sommes d'avis que les décisions prises par le conseil de la Bande indienne de Gordon concernant l'attribution de terres sont prévues à l'article 20 de la Loi sur les Indiens et qu'elles permettent d'invoquer l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de sorte que les décisions en question ne sont pas visées par l'application de cette dernière Loi.                 
                      Cette interprétation de l'article 67 est endossée par le juge Muldoon qui en [a] élargi la portée dans l'affaire Prince v. Dept. of Indian Affairs and Northern Development.8 Ce dernier a conclu que la décision de l'intimé de ne pas payer les dépenses scolaires additionnelles de la fille de la plaignante s'inscrivait dans la compétence de l'intimé aux termes de l'article 115 de la Loi sur les Indiens et qu'elle constituait, par conséquent, une " disposition prise en vertu de cette Loi " au sens de l'article 67. Il ajoute également :                 
                      [Traduction]                         
                      [...] il importe peu de savoir si le ministre et le ministère des Affaires indiennes ont commis ou non une erreur en appliquant les dispositions de la Loi sur les Indiens et en adoptant des politiques fondées sur cette loi [...] [notre soulignement]9                         
                      L'article 67 de la LCDP protège non seulement les dispositions législatives de la Loi sur les Indiens, mais également les actes posés, légalement ou illégalement, par le MAINC en application de la Loi sur les Indiens. [notre soulignement]10                         
                 Ainsi, même les décisions illégales, dans la mesure où elles sont prises en application de la Loi sur les Indiens sont à l'abri d'un examen par le tribunal des droits de la personne. À notre avis, rien ne justifie d'établir une distinction entre les décisions prises par le MAINC sous le régime de la Loi sur les Indiens et celles qui ont été prises par le conseil de la Bande en application de la même loi : l'énoncé du juge Muldoon s'applique également aux deux.                 
                      La Commission a fait valoir que, quoi qu'il en soit, la Loi sur les Indiens, telle que modifiée par le projet de loi C-31, [Traduction] " ne prévoit pas que ces pouvoirs [conférés par la Loi, y compris le pouvoir d'attribuer des terres aux termes de l'article 20] comprennent celui de défavoriser les femmes visées par le projet de loi C-31 en raison de leur sexe, de leur état matrimonial ou de leur race ". [les italiques sont ajoutés]. Cela signifie qu'un conseil de bande, n'est pas habilité, aux termes de la Loi sur les Indiens , à défavoriser les femmes visées par le projet de loi C-31 et que, par conséquent, de telles décisions ne sont pas protégées par l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.                 
                      Cet argument soulève toutefois certaines difficultés. D'une part, comme l'a fait remarquer M. le juge Muldoon, généralement les décisions - mêmes illégales - prises sous le régime de la Loi sur les Indiens s'inscrivent dans les pouvoirs de la bande " prévus " par la Loi sur les Indiens et elles sont " protégées " par l'article 67; d'autre part, la Commission fait valoir que si des décisions semblables " défavorisent " une personne en violation de la Loi telle que modifiée par le projet de loi C-31, elles outrepassent les pouvoirs d'une bande " prévus " par la Loi sur les Indiens et échappent à la portée de l'exclusion de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette distinction nous semble difficile à accepter : si des décisions illégales s'inscrivent dans les pouvoirs accordés par la Loi, dans la mesure où la Loi autorise la prise de décisions sur le sujet en question, il nous semble incohérent de conclure que des décisions prises sur le même sujet, mais qui sont illégales parce qu'elles contreviennent aux amendements contenus dans le projet de loi C-31, excèdent le cadre de ces mêmes compétences.                 
                      Cette distinction n'en devient que plus insoutenable lorsque nous reconnaissons que l'intention de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est de faire en sorte que les " dispositions prises en vertu de " la Loi sur les Indiens échappent aux prescriptions de la Loi en matière de non-discrimination. Accepter la distinction proposée par la Commission signifierait que toutes les violations à ces prescriptions continueraient à être protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf celles qui concernent le projet de loi C-31. D'autre part, lorsque le Parlement canadien a adopté le projet de loi C-31, il n'a pas décidé de révoquer ou de modifier l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le but de restreindre l'exemption générale de la Loi sur les Indiens à des formes de discrimination autres que celles qui peuvent découler de l'adoption des nouvelles dispositions en matière d'égalité. Pour ces motifs, nous rejetons les observations de la Commission sur ce point.                 

LA POSITION DES PARTIES

[9]      Dans les documents écrits déposés et dans sa plaidoirie orale, l'avocate de la requérante a soutenu que le Tribunal avait commis deux erreurs de droit : premièrement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en interprétant et en appliquant l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne; deuxièmement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en interprétant l'article 20 et l'alinéa 81(1)p.1) de la loi sur les Indiens, édictés par le projet de loi C-31. L'avocate soutient donc que, par application de la norme de contrôle de la justesse des conclusions de droit11, le redressement demandé doit être accordé.

[10]      L'avocat de la Bande, dans ses documents écrits et dans sa plaidoirie orale, a fait valoir que le Tribunal n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la conclusion qu'il a tirée sur la question de sa compétence et que la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[11]      Mme Laslo n'a déposé aucun document, mais elle a comparu devant moi en son propre nom. Elle a exprimé son profond chagrin relativement à la façon dont elle considère avoir subi de la discrimination de la part du chef et du conseil de la Bande et elle a manifesté beaucoup d'inquiétude concernant le temps mis à régler l'affaire.

ANALYSE ET CONCLUSIONS

[12]      Je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour un motif qui ressort implicitement des arguments invoqués devant moi, bien qu'il n'ait pas été exposé explicitement par les avocats. Pendant l'audience, j'ai manifesté de l'intérêt pour les principes et l'analyse qui suivent et j'ai invité les avocats à s'exprimer à leur égard. Je leur ai aussi donné la possibilité de me présenter des observations supplémentaires par écrit s'ils le jugeaient nécessaire. Les avocats de la requérante et de la Bande ont tous deux traité des questions qui m'intéressaient. Aucun ne s'est prévalu de la possibilité que je leur avait donnée de présenter des observations par écrit et j'ai donc tranché l'affaire en m'en remettant entièrement aux documents écrits déposés devant moi, à mes propres remarques sur les questions qui me préoccupaient et aux plaidoiries orales des avocats.

[13]      Pour interpréter l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je me guide sur l'extrait de l'arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne) que le Tribunal a également invoqué et cité dans une note de bas de page accompagnant ses motifs reproduits plus haut12.

[14]      L'extrait suivant des motifs prononcés par le juge en chef Lamer dans le pourvoi Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne)13 me paraît aussi important en l'espèce :

                 En outre, rien de ce que j'ai dit ne devrait être interprété comme visant à diminuer l"obligation générale d"interpréter les lois à la lumière des valeurs exprimées dans la Charte . Comme je l"ai déclaré dans Canada (Procureur général) c. Mossop , [1993] 1 R.C.S. 554, aux pp. 581 et 582, si la signification ou la portée d"une disposition législative est ambiguë, il faudrait l"interpréter de la façon qui soit le plus compatible avec la Charte et les valeurs qui sous-tendent ce document; voir également, par exemple:    ;Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, à la p. 558; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, à la p. 660.                 

[15]      Il ne fait aucun doute que les valeurs qui sous-tendent la Charte sont en jeu en l'espèce.

[16]      Je suis par ailleurs lié par l'arrêt Re Desjarlais14 de la Cour d'appel fédérale, abondamment cité et dont le Tribunal a évalué l'effet sur la question qui nous occupe dans l'extrait précité de sa décision. Madame le juge Desjardins a mentionné expressément, bien que dans une remarque incidente comme le note le Tribunal, les décisions prises par le conseil de Bande en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi sur les Indiens et elle conclut qu'il s'agit de " dispositions " prises en vertu de la Loi sur les Indiens . Ainsi, le libellé exprès de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne exclurait de la portée de cette loi les décisions prises par le conseil de Bande en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi sur les Indiens.

[17]      Je conclus cependant que, si de la discrimination a été exercée contre Mme Laslo - et je ne suis pas tenu de me prononcer à cet égard - cette discrimination ne résulte pas d'une décision prise par le conseil de la Bande de Gordon. Assurément, aucun élément de preuve porté à mon attention n'établit que les décisions en cause ont été prises conformément au Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens15 ni qu'elles émanent de la Loi sur les Indiens ou d'une politique prévue par cette loi. La discrimination semblerait plutôt résulter des décisions sur l'établissement de priorités prises par un comité responsable du logement, composé de cinq personnes et constitué par la Bande indienne de Gordon, décisions vraisemblablement guidées, ou à tout le moins influencées, par la politique de logement de la Bande. L'origine de cette politique n'est pas claire, comme l'a mentionné le Tribunal. De plus, tout acte discriminatoire subi par Mme Laslo pourrait tout autant être considéré comme résultant, non pas de décisions ou entièrement de décisions, mais au moins en partie d'une ligne de conduite en raison de laquelle il n'a pas été tenu compte des demandes d'un logement neuf la part de Mme Laslo, ces demandes n'ont tout simplement pas été traitées, ou Mme Laslo n'a pas été avisée du résultat. Je conclus que ces décisions apparemment informelles, ou cette ligne de conduite, ou les deux, ne peuvent pas être considérées comme des décisions de la même nature que celles visées par madame le juge Desjardins dans l'arrêt Re Desjarlais, qui constitueraient des " dispositions " prises en vertu de la Loi sur les Indiens et entraîneraient l'application de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Encore une fois, je tire cette conclusion en tenant compte des extraits précités des arrêts Zurich Insurance et Cooper qui m'obligent, je crois, à donner une interprétation restrictive à l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[18]      Dans la décision Le chef et le conseil de la Bande indienne Shubenacadie c. Commission canadienne des droits de la personne et al16, monsieur le juge Rothstein a suivi l'arrêt Re Desjarlais et interprété restrictivement l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Relativement à des faits très différents de ceux dont je suis saisi, il a écrit :

                 Je ne crois pas que la décision dont il s"agit en l'espèce soit une décision visée par l"article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ne fait aucun doute qu"une décision a été prise par le conseil de bande, et il se peut fort bien qu"elle ait été prise en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d"Indiens, mais aucun élément de preuve ne laisse entendre que la décision a été prise en vertu d"une disposition de la Loi sur les Indiens. Indubitablement, l"article 67 reconnaît que certaines dispositions de la Loi sur les Indiens et de ses règlements peuvent être en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de la personne et, dans un tel cas, la Loi sur les Indiens et ses règlements auront préséance, mais je ne crois pas que l"on puisse dire que l"article 67 enlève du champ de la Loi canadienne sur les droits de la personne toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes dans la mesure où elle sont prises en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d"Indiens. Si le législateur fédéral avait voulu soustraire toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes au contrôle de la Commission des droits de la personne, il l"aurait expressément prévu au lieu d"édicter l"article 67. L"article 67 protège les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens et par ses règlements, mais non toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes. Je crois que cette conclusion s"accorde avec les remarques incidentes de l"arrêt Re Desjarlais. L"article 67 ne vient donc pas en aide aux requérants. [non souligné dans l'original]                 

[19]      En l'espèce, les décisions, ou la ligne de conduite, ou les deux, n'émanent pas du conseil de la Bande, d'après la preuve produite devant moi. Absolument aucun élément de preuve n'a établi qu'elles ont été prises conformément au Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens. Cela dit, on pourrait bien dire que les décisions, ou certaines d'entre elles, ont été prises en vertu de l'article 20 de la Loi sur les Indiens. Que ce soit ou non le cas, les faits qui m'ont été soumis m'amènent à tirer la même conclusion que le juge Rothstein : en l'espèce, l'article 67 ne peut venir en aide à la Bande.

[20]      En conséquence, je conclus que le Tribunal a commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire en concluant qu'il n'avait pas compétence pour trancher la plainte de Mme Laslo en raison de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision contestée sera annulée et l'affaire sera renvoyée au Tribunal des droits de la personne pour qu'un tribunal différemment constitué la réexamine et rende une nouvelle décision compatible avec les présents motifs .

                             ____________________

                             Juge

Ottawa (Ontario)

30 décembre 1997

Traduction certifiée conforme                                       François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-4-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Commission canadienne des droits de la personne c.

                     Le conseil de la Bande indienne de Gordon et Sarah Laslo

LIEU DE L'AUDITION :          Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDITION :          10 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :          30 décembre 1997

ONT COMPARU :

Fiona Keith                  POUR LA REQUÉRANTE

Merrilee Rasmussen, c.r.          POUR L'INTIMÉ

John C. Hill                  LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE GORDON

Sarah Laslo                  EN SON PROPRE NOM

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Commission canadienne

des droits de la personne          POUR LA REQUÉRANTE

Wilson, Rasmussen              POUR L'INTIMÉ

Regina (Saskatchewan)

Sarah Laslo                  EN SON PROPRE NOM

Punnichy (saskatchewan)


__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. H-6

     2      Le jour même de l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés portant sur les droits à l'égalité. Loi constitutionnelle de 1982, (L.R.C. (1985), Appendice II, no 44), constituant l'Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

     3      L.R.C. (1985), ch. I-5

     4      " Dans l'examen de l'interprétation d'une Loi sur les droits de la personne , il faut respecter certains principes spéciaux. Les lois sur les droits de la personne se classent parmi les lois les plus prééminentes. Notre Cour a affirmé qu'une telle loi est " d'une nature spéciale. Elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire " [...] Une des raisons pour lesquelles nous avons ainsi décrit les lois sur les droits de la personne c'est qu'elles constituent souvent le dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation. Comme les lois sur les droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables de la société, les exceptions doivent s'interpréter restrictivement ", juge Sopinka, Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, à la page 339.
[Le numéro des notes de bas de page de la décision du Tribunal diffèrent dans les présents motifs]

     5      [1989] 3 C.F. 605 (1ère instance)

     6      Idem, 608 à 610.

     7      Idem, à la page 610

     8      (1993), 20 C.H.R.R. D'376 (Cdn. H. Rts. Trib.), confirmée le 30 décembre 1994 (non publiée) C.F. (1ère inst.)

     9      Idem, décision du juge Muldoon, à la page 13.

     10      Idem, à la page 15.

     11      Voir Canada (Procureur général) c. Mossop , [1993] 1 R.C.S. 554 et Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 826

     12      Voir la note de bas de page numéro 4. Pour plus de commodité, voici le texte de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :              67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

     13      [1996] 3 R.C.S. 854, à la p. 876

     14      [1989] 3 C.F. 605 (C.A.)

     15      C.R.C. 1978, ch. 950

     16      [1997] J.C.F. no 1481

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