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Date : 19980612 Dossier : T-2524-93

ENTRE

V89 703 722 MATELOT DE 1RE CLASSE McCLENNAN, L.W.,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, LE CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA, DÉFENSE, LE COMMANDANT, LE NAVIRE CANADIEN DE SA MAJESTÉ FRASER,

LE CONSEIL DE RÉVISION DES CARRIÈRES ayant examiné l'avis de libération obligatoire du demandeur,

défendeurs.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]           Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications. Dans son avis de requête introductive d'instance, daté du 27 octobre 1993, le demandeur demande diverses mesures de redressement : un bref de certiorari annulant la décision du Conseil de révision des carrières qui a approuvé la décision de le libérer du service, une ordonnance annulant la décision du Conseil de le libérer de façon obligatoire des Forces armées, une ordonnance annulant la décision du commandant du NCSM Fraser qui a recommandé et mis en oeuvre sa libération

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obligatoire ainsi qu'une ordonnance de réintégration dans les Forces armées. Dans son mémoire des faits et du droit et dans son argumentation à l'audience, le demandeur a simplement contesté la décision de son commandant, le commandant du NCSM Fraser, alléguant que celui-ci avait omis d'observer les principes de l'équité lors de son renvoi des Forces.

[2]         Les parties s'entendent pour dire que cette décision du commandant du NCSM Fraser constituait, dans les circonstances, la décision cruciale mettant en oeuvre la libération obligatoire du demandeur. Les présents motifs portent sur la décision de la Cour d'accueillir la demande d'annulation de la décision du commandant.

Le contexte

[3]         Le demandeur est entré dans les Forces armées en juillet 1986. En date du 27 septembre 1993, il avait le grade de matelot de 1`e classe et était membre de l'équipage du NCSM Fraser. Au cours de son service militaire, le demandeur s'est vu adresser un certain nombre d'avertissements écrits et de commentaires au sujet de son rendement insatisfaisant, et a fait l'objet d'une mesure de mise en garde et surveillance. En particulier, le demandeur a été blâmé, et, parfois, inculpé, relativement à des contraventions et à des manquements aux règlements, dont des infractions relatives à la consommation d'alcool, une absence de progrès suffisants dans les cours de formation continue, son absentéisme, des problèmes d'attitude et

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son manque de motivation et de ponctualité, pour lesquelles des recommandations lui ont été faites.

[4]         Il ne fait aucun doute qu'au cours de son service, ses insuffisances quant à son attitude, à sa conduite et à sa formation lui ont été signalés par ses superviseurs au moment elles étaient constatées et lors des évaluations annuelles faites à l'intérieur du système divisionnaire de l'organisation navale et de ses opérations. Le système divisionnaire consiste en un ensemble de membres du personnel supérieur et de subalternes, regroupés pour des fins de communication et d'échanges, lesquelles comprennent le leadership, la formation, l'aide personnelle ainsi que la surveillance de la motivation et du moral.

[5]         L'incident significatif le plus récent survenu avant la libération du demandeur consiste en un retard d'environ 30 minutes à se présenter au son poste qui lui était assigné à bord du navire pour participer à un exercice de formation en mer portant sur les dangers posés par la présence d'une bombe et nécessitant la participation de l'équipage. Cet incident s'est produit le 24 août 1993. L'omission d'occuper son poste à temps aurait normalement entraîné la présence d'un avertissement écrit dans son dossier, mais celui qui lui avait été donné a ensuite été annulé en raison du fait que la réglementation prévoit que lorsque cette infraction est commise pour une deuxième fois, ce que le demandeur a apparemment reconnu, il n'est pas nécessaire de donner un avertissement écrit.

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[6]         Le 24 septembre 1993, l'officier divisionnaire du demandeur a préparé, pour le commandant du NCSM Fraser, une note de service sur le rendement du demandeur, dans laquelle il recommandait la libération obligatoire du matelot de 1`e classe McClennan des Forces armées. Cette note de service a été transmise au commandant, qui y indique son accord. Les notes de l'officier divisionnaire comprennent une entrée : [TRADUCTION] « 24 sept. 93 COM a approuvé libération du mbre. [McClennan]...Parlé aussi avec le gestionnaire des carrières au sujet de la procédure. COM veut le faire débarquer avant de partir en mer mardi » .

[7]         Le 27 septembre 1997, à environ 8 h, le demandeur a été convoqué à la cabine de l'officier divisionnaire et a été avisé que ce dernier avait pris des mesures pour qu'il soit libéré des Forces armées. Un document, soit la recommandation de l'officier divisionnaire, énumérant les accusations formulées contre lui, a été montré au demandeur mais il n'en a pas reçu copie. Son officier divisionnaire a affirmé par voie d'affidavit que le demandeur n'a pas demandé de copie de la note de service ou de tout autre document, bien qu'en contre­interrogatoire, le demandeur ait affirmé qu'il a effectivement demandé une copie et que l'officier a mentionné qu'il se renseignerait pour savoir si une copie pouvait lui être fournie. Lorsqu'en octobre, après avoir consulté un avocat, il a demandé de nouveau qu'une copie lui soit donnée, il s'est écoulé un certain temps avant que cela ne soit fait. La note de service de l'officier divisionnaire énumère un certain nombre de manquements ou d'infractions du demandeur ainsi que les mesures disciplinaires prises contre lui, entre octobre 1992 et août 1993. C'est ce document qu'on lui a montré le matin du 27 septembre 1993. Ce document a,

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par la suite, été joint à la recommandation de libération obligatoire signée plus tard ce matin-là par le commandant.

[8]         Juste après s'être fait montrer le document, le demandeur a été informé qu'il rencontrerait le commandant plus tard dans la journée pour discuter de la recommandation de libération et qu'il devait commencer à remplir les formalités de permis de débarquement du NCSM Fraser, qui devait partir en mer le jour suivant. Il a alors indiqué à l'officier divisionnaire qu'il désirait déposer un grief et a requis qu'un officier désigné soit nommé pour l'assister. Le demandeur a été informé qu'étant donné que le navire devait bientôt partir, le demandeur devait remplir, pour obtenir les services d'un officier désigné, une formule disponible à la BFC de Halifax, où le navire était accosté. Il a rempli ce formulaire ce même matin du 27 septembre, le faisant de façon erronée la première fois, mais, avec l'aide de l'officier marinier, correctement la seconde fois, avant 9 h 30.

[9]         Environ une demi-heure après avoir rempli le formulaire et approximativement deux heures après la rencontre initiale avec son officier divisionnaire, le demandeur a été convoqué aux quartiers du commandant du NCSM Fraser et averti que ce dernier recommandait sa libération en raison du fait que son dossier montrait un rendement insatisfaisant sur une longue période et parce que sa conduite et son attitude laissaient à désirer. Le commandant a rappelé les incidents mentionnés dans la note de service de l'officier divisionnaire et au sujet desquels il était convaincu que le demandeur était au courant. Le demandeur s'est opposé à la libération obligatoire mais il a été prévenu que

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l'idée du commandant était faite. Le demandeur affirme que, dans les faits, la décision a été prise avant la rencontre qu'il a eue avec le commandant, comme l'indique un message envoyé par le NCSM Fraser à RCEOCEA/MARLANTHQ Halifax, le quartier général maritime atlantique si je comprends bien, à « 271225Z Sep 93 » , soit le 27 septembre 1993 à 1225 h Zulu [temps universel] ou 0925 h, c.-à-d., 9 h 25, heure locale, le matin de ces événements, soit avant sa rencontre avec le commandant. Le message concernait la libération obligatoire du demandeur et précisait qu'il [TRADUCTION] « est libéré de façon obligatoire en application du numéro 5F de l'article 15.01 des O.R.F.C. » , pour les raisons résumées dans le message.

[10]       La recommandation de libération obligatoire a ensuite été signée par le commandant et la recommandation de l'officier divisionnaire y a été annexée. Cela a eu pour effet de libérer le demandeur des Forces armées en application du numéro 5f) de l'article 15.01 des Ordonnances et Règlements royaux, qui prévoit la libération au motif de faiblesses personnelles ou de comportement compromettant. L'article 15.01 prévoit que

O.R.F.C. 15.01(1) Un officier ou militaire du rang ne peut être libéré au cours de son sertice militaire qu'en conformité du présent article et du tableau s'y rapportant

(3) ...les personnes ci-après peuvent autoriser la libération

(b)          le chef d'état-major de la défense ou tout officier désigné par lui, dans le cas d'un officier subalterne ou d'un militaire du rang.

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L'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 15-2 approfondit l'article 15.01 et prévoit, notamment, que l'autorité de libération pour une personne du grade et de l'ancienneté du demandeur est son commandant.

[11]       Tôt dans l'après-midi du 27 septembre 1993, le demandeur a quitté le NCSM Fraser et s'est rendu au centre des libérations de la BFC de Halifax. Des documents relatifs à sa libération lui ont été remis sur place. Il n'est pas retourné sur le Fraser.

[12]       Le 26 octobre 1993, le demandeur s'est rendu de nouveau au centre des libérations et, une fois sur place, a demandé à un premier maître de li ° classe de lui remettre une copie des renseignements contenus dans son dossier personnel. Il a été informé que l'ensemble de son dossier, à l'exception de son dossier médical, avait été envoyé au quartier général du MDN à Ottawa et que rien n'avait été conservé à Halifax. Le demandeur a finalement reçu une copie des documents ayant trait à sa libération, en février 1994, en application de la Loi sur la protection des renseignements personnel, à la suite du dépôt de la demande de contrôle judiciaire dans la présente affaire.

[13]       Le demandeur prétend qu'il n'a pas reçu de préavis raisonnable des motifs de sa libération ou de l'audience devant le commandant et qu'il n'a pu se préparer adéquatement pour cette dernière. Au surplus, lors de l'audition de la présente demande, le demandeur a avancé avec insistance qu'il n'a pas eu droit à une audition juste et équitable puisque la preuve démontre que la décision de le libérer avait été prise avant qu'il n'ait eu l'occasion de

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comparaître devant le commandant ou de lui faire part de ses prétentions. Il est admis qu'en l'espèce, le commandant du NCSM Fraser est un office fédéral au sens de l'article 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale car il exerce la compétence ou les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, ou en vertu des Ordonnances et Règlements royaux.

[14]       Il est bien établi en droit qu'un devoir d'équité procédurale incombe à toute autorité gouvernementale rendant des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui affectent les droits, privilèges ou intérêts d'une personne, et que l'étendue de ce devoir dépend de la nature et de la fonction du tribunal en question ou de l'autorité gouvernementale dont la décision est contestée.

[15]       Le demandeur prétend que dans le présent cas, l'équité procédurale exigeait qu'il puisse connaître avec certitude la preuve qui avait été soumise contre lui au commandant du NCSM Fraser. Il allègue avec insistance également que l'équité exigeait qu'on lui donne le temps de se préparer pour faire ses représentations au commandant. Il avait fait connaître son intention de déposer un grief à l'encontre de la recommandation. Sa demande de nomination d'un officier désigné, pour laquelle il avait rempli les documents requis, avait été dûment préparée avant qu'il ne soit amené devant le commandant, mais, de fait, on n'en a pas tenu compte. Le demandeur soumet vivement que le commandant apparaît s'être décidé avant qu'il ne puisse faire quelque représentation que ce soit, et ce, peut-être en partie en raison du fait qu'il était prévu que le Fraser parte en service en mer peu de temps après ces

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événements. Il prétend avec insistance que, dans un cas comme celui-ci, le manquement à l'équité procédurale requiert qu'une ordonnance annulant la décision soit rendue.

[16]       Le défendeur soutient que le demandeur était bien informé des motifs de la recommandation de libération, qu'il a eu la possibilité d'y répondre et qu'il l'a effectivement fait auprès du commandant. Il affirme avec insistance que le devoir d'équité procédurale a été respecté au moyen du système divisionnaire et des évaluations périodiques de rendement. Le demandeur connaissait les incidents antérieurs ayant mené à la recommandation de libération grâce aux rencontres régulières et aux examens de rendement tenus dans le cadre du système divisionnaire. La note de service préparée à l'intention du commandant par l'officier divisionnaire a été montrée au demandeur le matin où la décision de le libérer a été prise et le demandeur a eu l'occasion, par la suite, de faire des représentations verbales, ce qu'il a d'ailleurs fait, auprès du commandant, devant qui il a comparu.

[17]       Lors de la tenue de l'audience en décembre 1997, la question de la pertinence de la procédure de contrôle judiciaire lorsque la procédure interne de règlement des griefs prévue pour les membres des Forces' n'a pas été épuisée n'a été que peu abordée. En 1993, à l'époque où les procédures ont été intentées, la Cour avait rendu des décisions par lesquelles elle avait soit exercé, soit refusé d'exercer un contrôle judiciaire selon les circonstances propres à chaque cas, et ce, même si la procédure de règlement des griefs n'avait pas été

Cette procédure est prévue par l'art. 29 de la Loi sur la défense nationale, et par l'article 19.26 des Ordonnances et Règlements royaux (O.R.F.C.).

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menée à terme. Dans l'arrêt Anderson v. Canada, rendu en octobre 1996, mais publié seulement en 1997, la Cour d'appel fédérale a conclu que la procédure interne de règlement des griefs constituait une procédure subsidiaire appropriée quant au traitement du vaste ensemble des griefs que les membres des Forces pouvaient instituer et que, dans les cas où la procédure n'est pas terminée, la Cour ne devrait pas exercer de contrôle judiciaire. Vu cette décision, les avocats ont été invités à faire des représentations supplémentaires sur l'incidence de l'arrêt Anderson sur la présente affaire. Des représentations écrites ont été faites et les avocats ont été entendus en mars 1998 à cet égard.

Analvse

[18]       Cette demande soulève deux questions. La première consiste à savoir si la demande devrait être examinée, dans les cas où le demandeur n'a pas mené à terme la procédure interne de règlement des griefs devant permettre que son opposition à sa libération obligatoire soit prise en compte. La deuxième question, dans l'hypothèse où il devrait être procédé au contrôle judiciaire, consiste à savoir si la procédure suivie en l'espèce a satisfait aux exigences de l'équité procédurale.

[19]       En ce qui concerne la première question, je suis d'avis que lorsque la présente demande a été déposée en 1993, les décisions précédentes n'établissaient pas clairement que

(1996), 141 D.L.R. (4th) 54 (C.A.F.).

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le principe appliqué dans l'arrêt Anderson par la Cour d'appel devait être suivi dans les cas où le demandeur pouvait bénéficier au sein des Forces armées d'une procédure de grief, mais qu'il ne l'avait pas épuisée.

[20]       S'appuyant sur l'arrêt Anderson et sur des décisions concordantes, le défendeur prétend fermement que la Cour devrait rejeter la demande de contrôle judiciaire au motif que le demandeur n'a pas épuisé la procédure interne de règlement des griefs. Bien que le demandeur soit maintenant hors délai pour pouvoir légalement donner suite à son grief, l'avocat du défendeur souligne que le demandeur pourrait toujours donner suite à la procédure de grief et que le quartier général du ministère de la Défense nationale serait prêt à nommer, à la place de son commandant, un officier responsable, qui aurait le pouvoir discrétionnaire de décider si l'intérêt de la justice requiert qu'il se penche sur tout grief que le demandeur jugerait bon de lui soumettre. Le demandeur prétend fermement que le fait de refuser d'exercer un contrôle judiciaire sans se pencher sur le fond de l'affaire, soit le rejet de la présente demande au motif préliminaire que la procédure de grief n'a pas été épuisée, causerait préjudice au demandeur. La question n'a pas été soulevée directement plus tôt, au cours des années ayant suivi le dépôt de la demande originale en 1993. De plus, il n'y a aucune certitude que la situation ferait l'objet d'un examen si le demandeur tentait de redéposer un grief, puisque la question de savoir si un grief devrait être examiné, alors que sans permission les délais n'ont pas été respectés, relève de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire.

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[21]       En l'espèce, lorsque, avant de rencontrer le commandant, il a été informé par l'officier divisionnaire de la recommandation de libération, le demandeur a requis l'aide d'un officier désigné. L'article 19.27 des O.R.F.C., portant sur les Règles régissant l'énoncé d'une plainte, prévoit notamment que « lorsqu'un plaignant a demandé de l'aide pour formuler sa plainte, le commandant doit désigner un officier ou militaire du rang pour

l'aider » . Le témoignage non contredit du demandeur est que, lorsqu'il a demandé l'aide d'un officier désigné après que l'officier divisionnaire l'a informé de ses recommandations, on lui a dit de remplir un formulaire de demande de nomination d'un officier désigné, qu'il pouvait se procurer à la BFC de Halifax, et que ce formulaire a été rempli.

[22]       Aucun officier désigné n'a été nommé avant que le demandeur ne rencontre le commandant et il apparait qu'on n'en ait nommé un pour l'aider que quelques jours après qu'il a été transféré du Fraser à la BFC de Halifax. Lorsque contre-interrogé sur son affidavit, le demandeur a affirmé que, bien que l'officier nommé lui ait dit qu'il ne voyait aucune raison de déposer un grief, cet officier et lui ont néanmoins rempli un formulaire sur lequel il était mentionné que le demandeur déposait un grief formel et que les détails seraient communiqués ultérieurement. Peut-être en partie parce qu'à cette étape, le demandeur n'avait pas obtenu l'accès à son dossier et n'avait aucune copie de la recommandation ou de la décision ordonnant sa libération, cela n'a pas été fait. Il ne fait également aucun doute que l'un des facteurs motivant la décision de ne pas donner suite à l'affaire au moyen de la procédure de règlement des griefs est le fait que le demandeur, après avoir consulté un avocat, ait décidé d'instituer la présente demande de contrôle judiciaire.

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[23]       Selon moi, l'omission de suivre la procédure interne de règlement des griefs peut difficilement être attribuée entièrement au demandeur, sauf au sens le plus formel. Il a effectivement essayé d'amorcer la procédure, comme il l'a démontré en produisant une demande pour qu'un officier désigné soit nommé pour l'aider, presque dès le moment où il a été informé de la recommandation de libération. Il a de nouveau essayé de le faire en remplissant un formulaire après qu'un officier désigné a été nommé dans les jours suivant son transfert à la BFC de Halifax. Il m'apparaît que ceux qui auraient dû se sentir responsables du bon déroulement de la procédure de grief, soit son officier divisionnaire, son commandant avant que le navire ne parte en mer ainsi que l'officier finalement désigné pour l'aider, ont omis de prendre au sérieux leur responsabilité de s'assurer que, s'il avait un grief, peu importe leur perception quant à son bien-fondé, son droit de le soumettre à une procédure respectant les normes d'équité puisse être mis en oeuvre. En l'espèce, il ne fait aucun doute que la procédure interne de règlement des griefs est prévue par la Loi et par les règlements, et il ne fait aucun doute que les premiers efforts du demandeur pour accéder à cette procédure ont échoué.

[24]       Vu les circonstances, je ne suis pas prêt à rejeter la présente demande au motif qu'un recours subsidiaire existait. La demande a été déposée il y a de cela presque cinq ans. J'estime que, dans l'intérêt de la justice pour les parties, la manière la plus diligente de procéder, à cette étape-ci, est de décider de la présente demande au mérite. Si la demande est accueillie, l'affaire sera renvoyée pour réexamen au fond. Le suivi des questions soumises

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par le demandeur au moyen de la procédure de grief vise essentiellement cet objectif. Si la demande du demandeur est rejetée, cela n'affectera pas le fond de sa réclamation, lequel pourra toujours faire l'objet d'un examen, si la procédure de grief était utilisée de nouveau.

[25]       Sur le fond de la cause, il existe plusieurs précédents portant sur le devoir d'équité devant être respecté dans le cadre de décisions relatives aux libérations des militaires. Dans l'arrêt Diotte c. Canada', le demandeur avait été avisé que son comportement entraînerait une « mesure relative à sa carrière » et il avait reçu un avis des motifs à l'appui de la recommandation de libération et de son droit de déposer un grief. Par contre, sa libération était un fait accompli avant qu'il n'ait eu la possibilité de réfuter la preuve existant contre lui et avant qu'il n'ait eu l'occasion d'être entendu. Concluant que l'on n'avait pas satisfait au devoir d'équité procédurale, le juge Cullen a écrit que

En l'espèce, la carrière et le gagne-pain d'un homme étaient en jeu. La justice et l'équité exigent que l'on informe le requérant de la nature de la plainte formulée contre lui et qu'on lui donne l'occasion d'y répondre, notamment en rectifiant les renseignements pertinents qu'il juge incorrects. En l'espèce, il fallait donner au requérant l'occasion de s'expliquer avant que la décision finale ne soit prise.

Le juge Walsh, réentendant plus tard l'affaire Diotte, s'est dit d'accord avec cette opinion,

déclarant que

Même si l'on semblait avoir de très bonnes raisons pour libérer le requérant, et qu'il y avait des chances que le résultat aurait été le même si le requérant et son officier désigné avaient pu formuler des obervations supplémentaires au colonel DeQuetteville avant qu'il ne prenne une décision finale, le requérant doit avoir gain de cause en l'espèce sur le plan de l'équité procédurale.

3

(1989), 31 F.T.R. 185, à la p. 186, décision rendue par le juge Cullen, infirmée pour d'autres motifs, [1991] 1 C.F. 731 (C.A.F.), réentendue (1992), 54 F.T.R. 276, à la p. 287, les motifs du juge Walsh.

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[26]      Dans l'arrêt Lee c. Cairns et aC, le juge Cullen a de nouveau eu l'occasion de

s'exprimer sur l'équité procédurale dans le cadre d'un renvoi de l'armée. Accueillant la

demande dans cette cause, il a écrit que

L'équité nécessite à tout le moins de notifier la personne visée des accusations portées contre elle et de lui donner l'occasion de répondre AVANT qu'une décision ne soit arrêtée. Ceci comprend la divulgation de renseignements permettant au requérant de répondre d'une façon significative et informée.

[27]         Je suis d'avis qu'en l'espèce, la décision de libérer le demandeur a été prise avant que ce dernier n'ait eu la possibilité de faire valoir ses prétentions au décideur, c.-à-d., à son commandant. Bien qu'il se soit vu donner l'occasion de faire ses représentations au commandant, celle-ci lui a été fournie dans un contexte donnant à penser que l'idée de l'officier était faite d'avance, soit après que l'on a dit au demandeur de se préparer à quitter le NCSM Fraser et après l'envoi du message annonçant sa libération au quartier général maritime atlantique. À cet égard, la décision semble avoir été un fait accompli, comme c'était le cas dans l'arrêt Diotte. Il a été renvoyé du navire quelques heures après avoir été informé de la recommandation de libération sans avoir reçu une copie des allégations faites contre lui, quoiqu'il ait précédemment eu l'occasion de les lire.

[28]         Le défendeur s'appuie sur l'arrêt Miller c. Directeur général des affectations de carrière pour le personnel officier et al.', au soutien de l'argument que les normes d'équité

a

(1992), 51 F.T.R. 136, à la p. 156.

5

(1994), 76 F.T.R. 15.

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procédurale applicables à la procédure de libération ne requièrent pas la tenue d'une audition orale. Dans la présente affaire, le demandeur a eu droit à une audition orale devant son commandant et était, à ce moment-là, au courant des faits pour lesquels sa libération était recommandée. On affirme avec insistance que a décision a été rendue à bon droit, conformément au principe d'équité. J'estime qu'en l'espèce, la question en litige ne consiste pas à savoir si le demandeur a eu la possibilité de faire des représentations. Il est évident qu'il a pu le faire. La question est plutôt de savoir si on peut dire que les exigences de l'équité procédurale sont respectées lorsque ces représentations ont lieu après que la décision a, de facto, été prise. Je suis d'avis qu'il y a là un manque d'équité procédurale. L'équité procédurale requérant, comme en l'espèce, que la possibilité de faire des représentations soit fournie et que celles-ci soient examinées, cette norme n'est pas respectée lorsque la preuve établit que la décision a été prise avant que la possibilité de faire des représentations n'ait été donnée.

[29]         En l'espèce, le dossier donne à penser que le commandant s'est contenté d'obtenir des commentaires du demandeur pour la forme car il avait déjà indiqué que sa décision était prise. J'estime que ce comportement évoque fortement un décideur qui a jugé d'avance une affaire au point où toute représentation est inutile. Lorsqu'il y a eu omission de faire preuve de l'équité essentielle, lors d'une audition tenue avant qu'une décision ne soit rendue, celle-ci doit être annulée, même s'il s'agit d'une décision administrative. La Cour n'a pas à spéculer sur la question de savoir si le résultat aurait été semblable ou différent s'il y avait eu une audition juste'.

6

Voir Newfoundland Telephone c. Newfoundland (Public Utilities Board) [ 1992] 1 R.C.S.

623 et le juge Le Dain dans l'arrêt Cardinal and Oswald v. Kent Institution (1985), 63 N.R. 353, à la p. 362 (C.S.C.).

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[30]         Pour ces motifs, je suis d'avis que, même s'il y avait de bonnes raisons pour libérer le demandeur, ce qui ne fait pas l'objet d'un examen ou d'une décision en l'instance, et nonobstant le fait que le résultat aurait pu être le même si le demandeur et son officier désigné (qui n'avait pas encore été nommé à ce moment-là) avaient eu l'occasion de faire des représentations au commandant, le contexte dans lequel la décision de libération a été prise ne respectait pas les exigences de l'équité procédurale.

[31]       Vu les faits de la cause, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en ce qui concerne la demande d'annulation de la décision du commandant du Fraser. Une ordonnance annulant la décision de libération obligatoire du demandeur des Forces armées qui a été prise le 27 septembre 1993 par le commandant du NCSM Fraser en application du numéro 5f) de l'article 15.01 des O.R.F.C., est rendue.

[32]       Je souligne que le fait d'accueillir la présente demande doit avoir pour effet d'entraîner la révision de la libération obligatoire du demandeur, soit le réexamen des recommandations de l'officier divisionnaire qui ont été formulées le 24 septembre 1993. C'est ce qui résulterait de la poursuite d'un grief si l'officier concerné en avait le pouvoir discrétionnaire. Le fait d'accueillir la présente demande rend obligatoire une révision au mérite, compte tenu que l'on veuille mettre en oeuvre la recommandation de l'officier divisionnaire.

W. Andrew MacKay

Juge

OTTAWA (Ontario) Le 12 juin 1998

Traduction certifiée conforme Pierre St-Laurent, LL.M

COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE:                         T-2524-93

INTITULÉ DE LA CAUSE:          V89 703 722 MATELOT DE 1RE CLASSE McLENNAN, L.W.

et

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, LE CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE, LE COMMANDANT, LE NAVIRE CANADIEN DE SA MAJESTÉ FRASER, LE CONSEIL DE RÉVISION DES CARRIÈRES ayant revu l'avis de libération obligatoire du demandeur

DATES DE L'AUDIENCE:           LES 8 DÉCEMBRE 1997 ET 9 MARS 1998

LIEU DE L'AUDIENCE:               HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MacKAY EN DATE DU: 12 JUIN 1998

COMPARUTIONS

M. DAVID J. BRIGHT, C.R.

MME JACKIE FARROW                                  POUR LE DEMANDEUR

M. A.R. PRINGLE, C.R.                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

BOYNE CLARKE

DARTMOUTH (N.-É.)                                     POUR LE DEMANDEUR

GEORGE THOMSON SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA        POUR LES DÉFENDEURS

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