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Date : 19991118


Dossier : T-635-99

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN


ENTRE :



LE COMMISSAIRE À L?INFORMATION DU CANADA


demandeur

                    

- et -


LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA


défendeur




ORDONNANCE


     Les renseignements demandés par le demandeur n?avaient pas à être divulgués en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l?accès à l?information . Néanmoins, le défendeur n?a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 19(2). En conséquence, la Cour ordonne au défendeur d?examiner la question de savoir si les renseignements doivent être divulgués en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

     Comme le demandeur à cherché à obtenir l?application des principes bien-fondés, aucune ordonnance de dépens n?est rendue en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi sur l?accès à l?information .



?B. Cullen ?

______________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Méla


















Date : 19991118


Dossier : T-635-99




ENTRE :



LE COMMISSAIRE À L?INFORMATION DU CANADA


demandeur

                    

- et -


LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA


défendeur



MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE CULLEN

[1]      Il s?agit d?une demande en révision présentée en vertu de l?alinéa 42(1)a) de la Loi sur l?accès à l?information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (ci après la Loi sur l?information ), contre une décision du Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, datée du 12 février 1999, refusant la divulgation des documents demandés par M. Gordon Ronalds. Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de divulguer à M. Ronalds, tout ou partie des documents qui ne sont pas exempts de divulgation en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l?information .

Les faits

[2]      Dans une lettre datée du 4 juin 1998, M. Gordon Ronalds a demandé à la Gendarmerie royale du Canada (ci-après la G.R.C.) des photocopies et des listes de nombreux documents qui relevaient de la G.R.C. ou qui étaient en sa possession. Une partie de sa demande a été faite en vertu de la Loi sur l?information , y compris la demande des documents suivants :

     ?un historique des affectations de quatre agents de la G.R.C., y compris leur statut pendant leur affectation ainsi que les dates pertinentes;
     ?des photocopies de toutes les plaintes déposées contre chacune des personnes mentionnées plus haut;
     ?les noms et adresses aux fins de signification, des agents ou anciens agents qui étaient affectés au détachement de la G.R.C. NCO I/C de Baddeck (Nouvelle-Écosse), en août 1986.

Dans une lettre datée du 23 juillet 1998, la G.R.C. a répondu que les renseignements demandés étaient exempts de divulgation en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l?information . Le paragraphe 19(1) prévoit :

19. (1)_ Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[3]      La position prise par la G.R.C. était que les renseignements en question étaient liés aux antécédents professionnels des agents nommés dans la demande et qu?en conséquence, il s?agissait de renseignements personnels en vertu de l?article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.


L?article 3 prévoit :

3. In this Act,

?personal information? means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

     [...]

     (b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved,

     [...]

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

?renseignements personnels? Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment_:

     [...]

     b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

     [...]

[4]      Monsieur Ronalds s?est plaint auprès du Commissaire à l?information du Canada (ci-après le Commissaire à l?information) dans une lettre datée du 28 juillet 1998. Le bureau du Commissaire à l?information a contacté la G.R.C. au nom du demandeur, en précisant que la G.R.C. devait divulguer les renseignements demandés. Le chef de police Lesser a répondu, par une lettre datée du 27 octobre, que la G.R.C. divulguerait les renseignements relatifs aux affectations actuelles et aux postes occupés par les agents en question ainsi que la dernières affectation et le dernier poste de l?ancien agent qui avait servi à Baddeck (N.-É.), avant de prendre sa retraite. La G.R.C. n?a cependant pas voulu divulguer d?autres renseignements.

[5]      Dans une lettre datée du 21 janvier 1999, le Commissaire à l?information a commencé à demander les renseignements suivants concernant les agents en question :

     ?un historique des dates et lieux de leurs affectations;

     ?une liste des grades qu?ils ont atteints et à quelles dates;

     ?leurs dates effectives;

     ?leurs nombres totaux d?années de service;

     ?leurs dates anniversaires.

Le Commissaire à l?information a prétendu que ces renseignements étaient exclus de la définition de renseignements personnels par l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.Cet alinéa prévoit :

3. In this Act,

?personal information? means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

     [...]

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

?renseignements personnels? Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment_:

     [...]

toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l?accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant_:

     ( j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,
         (i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,
         (ii) the title, business address and telephone number of the individual,
         (iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,
         (iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and
         (v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,
     j ) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment_:
         (i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,
         (ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,
         (iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,
         (iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi,
         (v) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de son emploi;

[6]      Dans une lettre datée du 12 février 1999, le Commissaire de la G.R.C. a refusé de divulguer ces renseignements. Le Commissaire à l?information a demandé le consentement de la personne qui avait fait la demande de manière à pouvoir demander à la Cour une ordonnance enjoignant au Commissaire de la G.R.C. de les divulguer.


Les questions de droit

[7]      Le Commissaire à l?information exerce un recours en révision de cette demande en vertu de l?alinéa 42(1)a) de la Loi sur l?information . Cet alinéa prévoit :

42. (1) The Information Commissioner may

     ( a)_ apply to the Court, within the time limits prescribed by section 41, for a review of any refusal to disclose a record requested under this Act or a part thereof in respect of which an investigation has been carried out by the Information Commissioner, if the Commissioner has the consent of the person who requested access to the record;

42. (1) Le Commissaire à l'information a qualité pour_:

     a ) exercer lui-même, à l'issue de son enquête et dans les délais prévus à l'article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d'un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;

Il soulève quatre questions importantes. La première concerne le fardeau de la preuve qui pèse sur les parties en cause. La deuxième question est relative à la pertinence à l?objet de la Loi sur l?information dans le cadre de l?interprétation de l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La troisième question porte sur la question de savoir si les renseignements en cause sont des renseignements personnels ou bien s?ils font parties des exceptions à la définition de renseignements personnels qui figure dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21. La quatrième porte sur la question de savoir si le défendeur a exercé correctement le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 19(2) de la Loi sur l?information .

[8]      La Cour reconnaît qu?étant donné que la présente demande est présentée en vertu de la Loi sur l?information , celle-ci est soumise aux exigences de procédure que prévoit la Loi sur l?information . Ainsi, l?article 48 de la Loi sur l?information indique clairement qu?il incombe à la G.R.C. d?établir que son Commissaire est autorisé à ne pas divulguer les renseignements demandés. L?article 48 prévoit :

48._ In any proceedings before the Court arising from an application under section 41 or 42, the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose a record requested under this Act or a part thereof shall be on the government institution concerned.

48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d'un document incombe à l'institution fédérale concernée.

Comme l?a souligné la décision minoritaire du juge La Forest dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403 (ci-après Dagg), ce fardeau incombe au tribunal tout au long du recours. Même si l?avocat du demandeur à cité beaucoup de décisions qui décrivent longuement le fardeau de la preuve qui incombe au défendeur, la Cour est convaincue que l?expression ? prépondérance des probabilités ?englobe aisément les autres expressions et est adéquate pour la résolution de l?espèce; voir Canada (Commissaire à l?information) c. Canada (Premier Ministre)(T-1418-92, T-1867-92, T-1524-92, T-1390-92, 19 novembre 1992) (C.F. 1reinst.).

[9]      La deuxième question soulevée par le demandeur concerne son affirmation que l?exemption à la définition de renseignements personnels prévue par l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnelsdevrait être interprétée de manière restrictive compte tenu de la nécessité d?assurer que l?objet de laLoi sur l?information reçoive application. Pour cette proposition, le demandeur s?appuie sur Dagg, précité. Invoquant Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 C.A.F. (ci-après Rubin) le demandeur soutient que, lorsque la Cour a le choix entre deux interprétations, elle doit choisir celle qui porte le moins atteinte au droit d'accès du public. Le défendeur admet que l?objet de la Loi sur l?information est pertinent quand à la tâche à remplir mais allègue que Daggexige une pondération entre cet objet et celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[10]      Le défendeur a raison quand il soutient qu?il faut non seulement respecter l?objet de la Loi sur l?information, mais aussi tenir compte de celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Comme le juge La Forest l?a écrit dans Dagg:

Il est donc clair que le Parlement n?entendait pas conférer à l?accès à l?information primauté sur la protection des renseignements personnels. L?appelant souligne à juste titre que, sous le régime de la Loi sur l? accès à l? information, l?accès est la règle. Il est également vrai que les exceptions à cette règle doivent être limitées à celles que la Loi prévoit expressément, et qu?il incombe à l?administration fédérale de prouver que les renseignements en cause relèvent de l?une de ces exceptions. Il ne s?ensuit pas, cependant, que l?exemption des ?renseignements personnels?devrait recevoir une interprétation étroite qui reviendrait à subordonner la Loi sur la protection des renseignements personnelsà la Loi sur l? accès à l? information.

Le juge La Forest l?a réaffirmé plus tard dans ses motifs :

La détermination de ce qui constitue des ?renseignements personnels?est un exercice d?interprétation qui requiert inéluctablement la prise en considération des valeurs opposées de l?accès à l?information et de la protection de la vie privée.

Quant à Rubin, précité, la Cour d?appel avait la tâche d?interpréter des mots contenus dans l?article 16 de la Loi sur l?information , une tâche quelque peu différente de celle que doit effectuer la présente Cour. Ses conclusions doivent être lues en gardant cela à l?esprit.

[11]      La troisième question soulevée par le demandeur est celle de savoir si l?effet combiné du paragraphe 19(1) de la Loi sur l?information et de l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est d?empêcher la divulgation des renseignements en question. Il n?est pas contesté que les renseignements sont visés par la définition de renseignements personnels qui figure à l?alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La contestation porte sur la question de savoir si la dispense de l?observation de l?alinéa 3b) qui est prévue à l?alinéa 3j) s?applique aux renseignements. Si elle s?applique, les renseignements ne sont pas visés par le paragraphe 19(1) de la Loi sur l?information .

[12]      Le demandeur allègue que les renseignements en question entrent dans le cadre de l?exemption prévue à l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnelset qu?en conséquence, ils ne tombent pas sous le coup du paragraphe 19(1) de la Loi sur l?information . Le demandeur prétend en particulier que l?alinéa 3j) exempte non seulement les renseignements relatifs aux postes actuellement occupés par les agents en question mais exempte également les renseignements relatifs aux postes occupés dans le passé. Le demandeur, en fait, prétend également que l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est rétroactif par nature relativement à tous les renseignements qui portent sur le poste ou les fonctions d?un agent. Le demandeur prétend que les renseignements en question sont de nature factuelle. Il prétend enfin que les renseignements sont relatifs aux différents postes occupés par les agents en question et non aux agents eux-mêmes.

[13]      À l?appui de la première observation, le demandeur allègue que l?effet du paragraphe 33(2) de la Loi d?interprétation , L.R.C. (1985), ch. I-21, est de donner un caractère rétroactif à l?alinéa 3j). Cette disposition prévoit que les mots au singulier s?entendent de manière à comprendre le pluriel :

33. (2) Words in the singular include the plural, and words in the plural include the singular.

33. (2) Le pluriel ou le singulier s'appliquent, le cas échéant, à l'unité et à la pluralité.

[14]      Le demandeur prétend qu?en vertu de ce paragraphe, le mot ?poste ?figurant à l?alinéa 3 j) doit être interprété de manière à renvoyer non pas à un seul poste mais à plusieurs postes et doit, en conséquence, être interprété comme renvoyant à tous les postes que l?agent a occupés au long de sa carrière. Le défendeur allègue que tout renvoi à des postes pourrait être un renvoi à plusieurs postes occupés par un agent à la même époque. Tenant pour acquis que le paragraphe 33(2) s?applique de la manière suggérée par le demandeur, la Cour est convaincue que son utilisation suppose que la disposition s?applique à un certain nombre de postes occupés simultanément.

[15]      Le demandeur prétend également que l?utilisation de l?expression ?au cours de son emploi ?, aux sous-alinéas 3j)(iv) et (v), suppose que l?alinéa 3j) tout entier touche aux postes occupés dans le passé. Le défendeur a cependant raison de souligner que la présence de l?expression ?au cours de son emploi ?aux sous-alinéas 3j)(iv) et (v) sert en réalité à les distinguer des sous-alinéas 3j)(i) à (iii) et du corps principal de l?alinéa 3j) qui ne contiennent pas l?expression. La Cour reconnaît que le principe d?interprétation des lois contre la tautologie dans une disposition législative s?applique au paragraphe. Comme le dit MmeR. Sullivan dans Statutory Interpretation, à la page 56 :

[TRADUCTION] Le legislateur n?inclut dans ses lois aucun mot qui ne soit pas nécessaire ou qui n?ait aucun sens; il n?utilise pas de mots simplement par éloquence
ou pour une figure de style; il ne dit pas deux fois la même chose. C?est ce que cela veut dire quand on dit que le législateur ?ne parle pas pour rien dire ?.

La Cour ne peut pas conclure à la nature rétroactive du corps principal de l?alinéa 3j) sans laisser entendre que l?expression ?au cours de son emploi ?, figurant aux sous-alinéas 3j)(iv) et (v), a une simple valeur rhétorique. Vu les circonstances, elle choisit de ne pas le faire.

[16]      Le demandeur allègue que le fait que l?alinéa 3k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels s?applique de manière rétroactive sous-entend que l?alinéa 3j) s?applique également rétroactivement. Le demandeur fonde cette observation sur l?affirmation que les deux alinéas partagent une similarité d?intention et de structure. Le défendeur n?a pas mentionné cette observation dans son mémoire ni dans sa plaidoirie. La Cour est néanmoins entièrement en mesure de décider de cette observation vu le fondement erroné sur lequel elle repose.

[17]      La structure de l?alinéa 3k) comporte une différence importante par rapport à celle de l?alinéa 3j). L?alinéa 3k) prévoit :

(k ) information about an individual who is or was performing services under contract for a government institution that relates to the services the individual given in the course of the performance of those services, performed, including the terms of the contract, the name of the individual and the opinions or views of

k ) un individu qui, au titre d'un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l'individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de la prestation;

Cette disposition exempte les renseignements qui ont trait à des services qui ont été rendus dans le passé en vertu d?un contrat avec une institution fédérale. Cela est inféré de l?utilisation dans la disposition de ?qui [...] portent sur la nature de la prestation ?. Même si la différence entre l?objet des deux dispositions, soit les poste et les contrats, peut sembler négligeable, l?alinéa 3j) n?utilise pas un temps du passé lorsqu?il parle de l?objet qu?il vise. Il s?agit là d?une importante différence de structure entre les deux alinéas qui rend toute analogie entre eux potentiellement trompeuse. Les différences qui existent entre les alinéas 3j) et 3l) rendent également toute analogie entre eux susceptible d?être erronée.

[18]      Le demandeur allègue que l?intention du législateur était de faire une distinction entre les renseignements du secteur privé qui ne devraient pas être divulgués, et ceux qui touchent la fonction publique, qui devraient être soumis à divulgation. L?exercice de qualification que le demandeur propose de faire n?aide cependant pas à établir la mince limite qui doit être tracée en l?espèce. L?exercice approprié, comme l?a souligné le juge La Forest dans Dagg,est un exercice de pondération des intérêts :

La Loi sur l? accès à l? informationprévoit clairement que les ?renseignements personnels?ne doivent être communiqués que dans certains cas précis. Bien entendu, pour déterminer ce qui constitue des ?renseignements personnels?, il faut pondérer des valeurs opposées. Lorsqu?un tel processus de pondération est prescrit par la loi, on ne saurait s?y dérober pour la simple raison qu?il pourrait être plus facile d?appliquer une règle claire et nette qui favorise un droit aux dépens de l?autre. En recourant aux considérations énoncées dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, les tribunaux sont parfaitement en mesure d?établir une jurisprudence cohérente en principe.

[19]      Le demandeur prétend que l?utilisation du mot ?notamment ?, à l?alinéa 3j), sous-entend que les renseignements visés par cet alinéa ne sont que des exemples et que la liste de ces renseignements n?est pas exhaustive. L?observation du demandeur s?appuie sur la décision minoritaire du juge La Forest dans National Bank of Greece (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029. Le juge La Forest s?est cependant livré à un exercice d?interprétation contractuelle et ses commentaires n?ont que peu de poids dans un exercice d?interprétation législative sauf dans la mesure où ils reposent sur les principes applicables en matière d?interprétation législative.

[20]      Si le demandeur sous-entend que le sens propre du mot ?notamment ?est que tout ce qui se trouve dans la liste immédiatement après le mot devrait être interprété comme ne constituant, qu?une simple illustration, il ne peut alors se servir de ce sous-entendu pour présenter la requête à la Cour. Le demandeur tente de donner une interprétation identique au mot ?notamment ?que celle que lui avait donnée le juge La Forest dans Dagg, précité, lorsqu?il a interprété les termes ?quels que soient leur forme et leur support [...] notamment ?. Ces termes se trouvent au début de l?article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Donner à ces deux mots essentiellement le même sens reviendrait à détruire l?inférence que le législateur donne des sens différents à des mots différents pour maintenir la cohérence à l?intérieur d?une disposition. La Cour ne le fera pas en l?absence d?observations présentées par les avocats.

[21]      Le demandeur allègue que la Cour devrait se tourner vers le Conseil du Trésor pour qu?il l?aide à interpréter l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnelset qu?elle devrait, en particulier, souscrire à l?interprétation qui lui est donnée dans le Manuel du Conseil du Trésor - Accès à l?information (Ottawa : Ministère des Approvisionnement et des Services Canada, 1993) (ci après le Manuel AI). Le défendeur allègue que le Manuel AIne lie pas la Cour.

[22]      Le Manuel AIrenferme les politiques, les directives et les lignes directrices élaborées et mises en oeuvre par le président du Conseil du Trésor à titre de ministre désigné pour coordonner, à l?échelle du gouvernement, la gestion de la Loi sur l?information . Ce Manuel prévoit :

Les alinéas j), k) et l) excluent du sens donné à l?expression certains types de renseignements habituellement considérés comme des renseignements personnels, lorsqu?une demande est formulée en vertu de la Loi sur l? accès à l? information. Ainsi, on ne peut avoir recours à une exception en vertu de l?article 19 dans le cas de renseignements concernant le poste ou les fonctions d?un employé du gouvernement (voir l?alinéa j)), [...]

Il ne fait aucun doute pour la Cour que le président du Conseil du Trésor est un expert dans l?interprétation de la Loi sur l?information . Il faut cependant souligner qu?aucun élément de preuve indiquant que le président est également le ministre désigné à l?article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnelspour veiller à l?application de cette dernière n?a été présenté à la Cour. L?article 3 prévoit :

3. In this Act,

"designated Minister", in relation to any provision of this Act, means such member of the Queen's Privy Council for Canada as is designated by the Governor in Council as the Minister for the purposes of that provision;

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

?ministre désigné? Le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l'application d'une ou de plusieurs dispositions de la présente loi.

On n?a pas non plus présenté à la Cour d?élément de preuve indiquant que le Manuel AIconstituait les directives et les lignes directrices relatives à l?application de la Loi sur la protection des renseignements personnelsque le ministre désigné doit créer. L?alinéa 71(1)d) de laLoi sur la protection des renseignements personnelsprévoit :

71. (1) Subject to subsection (2), the designated Minister shall

     [...]

     ( d) cause to be prepared and distributed to government institutions directives and guidelines concerning the operation of this Act and the regulations; and

71. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre désigné est responsable_:

     [...]

     d ) de la rédaction des directives nécessaires à la mise en oeuvre de la présente loi et de ses règlements et de leur diffusion auprès des institutions fédérales;

La Cour se livre à un exercice d?interprétation de l?article 19 de la Loi sur l?information et de l?article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour doit donner une valeur moindre au texte qui compose le Manuel AI que celle que le demandeur souhaiterait sans doute lors de la deuxième partie de cet exercice. La Cour est surprise qu?aucun élément de preuve ne lui ait été présenté relativement aux lignes directrices et aux politiques promulguées en vertu de l?alinéa 71(1)d).

[23]      L? interprétation de l?article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels comporte non seulement l?utilisation des principes d?interprétation législative mais repose également en grande partie sur l?objet de la Loi sur l?information et sur celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Après un examen minutieux et une pondération des intérêts respectifs enchâssés dans les deux textes législatifs, la Cour doit conclure que la nature générale de l?alinéa 3 j) n?est pas rétroactive. Les exceptions à cette nature générale se trouvent aux sous-alinéas 3j)(iv) et (v), au sujet desquels demandeur prétend à raison qu?ils exigent une application rétroactive. Le demandeur a souligné le nombre de droits en matière de protection des renseignements personnels auxquels renonçaient les fonctionnaires dès leur entrée en fonction, mais cette abnégation de droit ne peut pas résulter en une renonciation complète à tous les droits de cette nature relativement aux antécédents professionnels.

[24]      Cette conclusion respecte également le contexte législatif dans lequel se trouve l?alinéa 3 j). Elle reconnaît que le caractère rétroactif des sous-alinéas 3j)(iv) et (v) ne s?appuie pas sur des mots superflus et qu?elle respecte la tentative du législateur comme l?indique l?alinéa 3b), de protéger contre la divulgation totale les antécédents professionnels de ses fonctionnaires. Si on donnait un caractère rétroactif à tous les sous-alinéas de l?alinéa 3j), il ne resterait que peu de matières privées et peu de sens à la protection des antécédents professionnels conférée par l?alinéa 3 b). Le sous-alinéa (iii) en particulier contient beaucoup d?éléments importants de la carrière d?un fonctionnaire et ceux-ci ne devraient être rendus publics que sur la foi des indications plus claires que telle est l?intention du législateur.

[25]      Le défendeur s?étant acquitté de son fardeau d?établir que la nature générale de l?alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnelsn? est pas rétroactive, la Cour n?a pas besoin d?examiner si les renseignements en question sont de nature factuelle. La Cour ne fera aucun commentaire non plus sur la question de savoir si les renseignements demandés se rapportent aux positions occupées par les quatre agents plutôt qu?aux agents eux-mêmes. Il est suffisant de dire que les sous-alinéas 3j)(i) à (iii) s?appliquent seulement au poste d?un fonctionnaire ou au dernier poste occupée par un ancien fonctionnaire.

[26]      La quatrième question que le demandeur a soulevée porte sur la question de savoir si le défendeur a bel et bien satisfait aux exigences du paragraphe 19(2) de la Loi sur l?information . Le demandeur prétend que le défendeur n?a pas respecté l?exigence de se poser la question de savoir si les renseignements pouvaient être divulgués en conformité avec l?article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le demandeur allègue également que les renseignements sont visés par le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnelset qu?en conséquence, ils doivent être divulgués. Le demandeur veut que la Cour lui donne gain de cause relativement à ces deux questions. Le défendeur n?a fait aucune observation à ce sujet.

[27]      Deux étapes distinctes doivent être franchies dans le cadre de l?exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 19(2) de la Loi sur l?information . Le paragraphe 19(2) prévoit :

19. (2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act that contains personal information if

(a ) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

(b ) the information is publicly available; or

(c ) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

19. (2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où_:

a) l'individu qu'ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La première étape que doit franchir le tribunal, en l?espèce le défendeur, consiste à examiner si les renseignements en question sont visés par l?un des alinéas énumérés. La deuxième étape est la décision elle-même. Le demandeur allègue qu?aucun élément de preuve soumis à la Cour n?établit que le défendeur a examiné la demande de communication pour des raisons d?intérêt public que le demandeur à présenter en vertu de l?article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour est d?accord.

[28]      Le demandeur allègue que la Cour devrait imiter le pas du juge Muldoon dans Bland c. Canada (Commission de la Capitale nationale), [1991] 3. C.F. 325 (1reinst.) (ci-après Bland) et exercer le pouvoir discrétionnaire du défendeur de divulguer les renseignements en question en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cependant, la Cour se considère liée en la matière par les motifs du juge La Forest dans Dagg, précité. Le juge La Forest a abordé la question même que le demandeur soulève, après avoir examiné Bland, précité, et d?autres décisions similaires :

Dans la mesure où on peut affirmer que ces décisions permettent de dire que la décision du Ministre de refuser de communiquer un document conformément à l'exception des raisons d'intérêt public, prévue au sous-al. 8(2)m )(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, doit être examinée selon une norme de révision de novo, elles sont nettement erronées.

[29]      La méthode qu?il convient d?adopter en matière de révision d?une décision (ou de son absence) en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnelsa également été examinée par le juge La Forest dans le passage suivant :

Dans Kelly c. Canada (Solliciteur général)(1992), 53 F.T.R. 147, le juge Strayer a analysé la méthode générale à adopter à l'égard des exemptions discrétionnaires prévues à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il affirme, à la p. 149:
[...]
Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle-même d'exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l'entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.
J'estime qu'il s'agit de la bonne façon d'aborder la révision de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au sous-al. 8(2)m )(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[30]      Comme il a été mentionné auparavant, il n?existe aucun élément de preuve établissant que le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire pour examiner si les renseignements en question pouvaient être divulgués en vertu du sous-alinéa 8(2)m)i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Appliquant la norme de révision appropriée en matière de décisions discrétionnaires, la Cour conclut donc que le défendeur n?a pas exercé son pouvoir discrétionnaire contrairement aux exigences du paragraphe 19(2) de la Loi sur l?information.

Conclusion

[31]      La divulgation des renseignements demandés par le demandeur n?était pas exigée en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l?information . Néanmoins, le défendeur n?a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 19(2). En conséquence, la Cour ordonne au défendeur d?examiner la question de savoir si les renseignements doivent être divulgués en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.






[32]      Comme le demandeur a cherché à obtenir l?application de principes bien-fondés, aucune ordonnance de dépens n?est rendue en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi sur l?information .


?B. Cullen ?

____________________

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 18 novembre 1999

Traduction certifiée conforme


Philippe Méla


















SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-635-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          LE COMMISSAIRE À L?INFORMATION DU CANADA c.
                         LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
LIEU DE L?AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L?AUDIENCE :              LE 3 NOVEMBRE 1999
MOTIFS DE L?ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE CULLEN
EN DATE DU :                  18 NOVEMBRE 1999
ONT COMPARU :                     

DANIEL BRUNET ET KAREN RUDNER              POUR LE DEMANDEUR

SUSANNE PEREIRA                      POUR LE DÉFENDEUR

                            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

LE COMMISSAIRE À L?INFORMATION

DU CANADA (OTTAWA)                      POUR LE DEMANDEUR

                            

M. MORRIS ROSENBERG         
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA          POUR LE DÉFENDEUR

                            

                            

                            












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