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Date : 20030514

Dossier : T-875-99

Référence : 2003 CFP1 596

ENTRE :

MICHAEL OMINAYAK, JAMES OMINAYAK, BETSY OMINAYAK,

PAUL OMINAYAK, KIM OMINAYAK, EDNA OMINAYAK, DENISE

OMINAYAK, VIOLET OMINAYAK, TRUDY WHITEHEAD, VERONICA

WHITEHEAD, MARINA CARDINAL, NORA LABOUCAN, JUNE

OMINAYAK, IDA CHRISTIAN, HARVEY RIVARD, GLORIA

OMINAYAK, GLADYS CALLIOU, MARTHA OMINAYAK, EDITH

RIVARD, PETER CALLIOU, SONIA HAMELIN, LORNA HAMELIN,

ELSIE HAMELIN, LORI AUGER, LORNA VERHAGE, DELMA

SUPERNAULT, MARLENE SUPERNAULT, DENNIS LABOUCAN,

HELEN CALLIOU, MARINA CALLIOU (GLADUE), BILLY JOE

LABOUCAN, BARB OMINAYAK, JUANITA LABOUCAN, KENNY

LABOUCAN, YVONNE BUC, RICHARD SUPERNAULT, DARCY

OMINAYAK, VIOLA SUPERNAULT, VERNA SUPERNAULT, ISABEL

SUPERNAULT, AUGUST SUPERNAULT, BRIAN SUPERNAULT,

MELVIN OMINAYAK, LISA OMINAYAK, GERALD LABOUCAN,

BRIAN LABOUCAN, DALE LABOUCAN, RAMONA LABOUCAN,

RALPH LABOUCAN et CORRINE LABOUCAN,

demandeurs

(demandeurs)

                                                                          - et -

SHARON VENNE, en sa capacité de DIRECTRICE DU SCRUTIN pour les ÉLECTIONS TENUES LE 25 AVRIL 1999 PAR LA PREMIÈRE NATION DE LUBICON LAKE

et le CHEF ET LE CONSEIL DE LAPREMIÈRE NATION DE LUBICON LAKE

                                                                                                                                           défendeurs

(défendeurs)


                                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Le 25 avril 1999, la Première nation de Lubicon Lake a tenu une élection pour les postes de Chef et conseillers de bande. Pendant l'élection, la directrice générale des élections, la défenderesse Sharon Venne, a déterminé que 32 personnes n'étaient pas admissibles à voter. Il est soutenu, dans la présente demande de contrôle judiciaire, que la directrice générale des élections a erré lorsqu'elle a pris cette décision. Par conséquent, les demandeurs sollicitent une ordonnance ayant les effets suivants :

i)           annulant l'élection;

ii)          déclarant que les personne en question étaient, le 25 avril 1999, membres de la Première nation de Lubicon Lake et avaient le droit de voter à l'élection;

iii)          fixant des dates pour la réunion électorale et une nouvelle élection;

iv)         ordonnant la nomination d'un directeur général des élections et lui ordonnant d'élaborer une liste électorale qui sera utilisée pour l'élection;

v)          ordonnant qu'un nouveau scrutin secret ait lieu.

[2]                 Les motifs suivants sont invoqués pour solliciter le redressement susmentionné :

i)           la directrice générale des élections a erré lorsqu'elle a disqualifié des électeurs admissibles;

ii)          la directrice générale des élections a erré lorsqu'elle a permis à certaines personnes de voter alors qu'elles n'étaient pas admissibles à le faire;

iii)          la directrice générale des élections a manqué d'objectivité dans son application des règles portant sur l'admissibilité des électeurs.


CONTEXTE

[3]                 Avant l'élection du 25 avril 1999, un groupe de membres de la Première nation de Lubicon Lake a présenté, en vain, une requête au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pour la formation d'une nouvelle bande qui porterait le nom de Bande crie de Little Buffalo. Cette bande aurait été une bande dissidente de la Première nation de Lubicon Lake.

[4]                 En septembre 1996, un certain nombre des demandeurs à la présente demande ont introduit une instance devant la Cour (l'instance de 1996) par laquelle ils sollicitaient, entre autres, une déclaration aux termes de laquelle ils constituaient une bande indienne en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 ainsi qu'une déclaration selon laquelle le ministre fédéral avait agi illégalement en n'approuvant pas ou en refusant d'approuver leur demande de formation de la Bande crie de Little Buffalo.

[5]                 Il est admis que, dans une déclaration sous serment de 1996 déposée devant la Cour, Michael Ominayak a déclaré :

[traduction]

En septembre 1994, les demandeurs et moi-même avons décidé de former une nouvelle bande indienne appelée la Bande crie de Little Buffalo. J'ai toujours eu l'impression qu'en vertu du Traité 8, nous avions le droit de choisir avec qui nous souhaitons être associés et qui devrait nous représenter. Nous nous sommes toujours considérés comme une communauté différente de la Bande indienne de Lubicon Lake et nous avons décidé, en tant que groupe, de négocier notre traité et nos droits de revendication territoriale séparément et indépendamment de la Bande indienne de Lubicon Lake.

et :


[traduction]

Comme pour la Bande crie de Woodland, et la Bande crie de Loon River, nous avons toujours considéré notre groupe comme une communauté distincte de la Bande indienne de Lubicon Lake.

[6]                 L'instance de 1996 n'a jamais été entendue. Par lettre en date du 12 avril 1999 répondant à un avis d'examen de l'état de l'instance, l'avocat a informé la Cour que les questions soulevées dans la demande pourraient être réglées par l'élection d'avril 1999. L'avocat a demandé une prorogation jusqu'au 1er juin 1999 pour déposer des observations en réponse à l'avis d'examen de l'état de l'instance. La prorogation a été accordée.

[7]                 Après l'élection, aucune observation n'a été déposée en réponse à l'avis d'examen de l'état de l'instance. Par une ordonnance en date du 24 juin 1999, l'instance de 1996 a été rejetée pour retard.

[8]                 En mars 1999, Mme Venne a été nommée directrice générale des élections pour le scrutin du 25 avril 1999 par le Chef et le Conseil de la Première nation de Lubicon Lake. Elle a été informée de l'existence de l'instance de 1996 et elle a reçu et examiné les copies des documents déposés devant la Cour pour ladite instance.


[9]                 La Première nation de Lubicon Lake organise ses élections en vertu de la coutume et non en vertu de la Loi sur les Indiens. Traditionnellement, le processus de nomination et d'élection pour les postes de Chef et de membres du Conseil a lieu lors d'une réunion communautaire ouverte d'une journée. La coutume a été codifiée, pour sa plus grande part, dans deux documents, l'un intitulé « Government of the Lubicon Lake People » (le Document de régie) et l'autre intitulé « Membership Code of the Lubicon Lake Indian Nation » (Code d'appartenance). Le Document de régie prévoit que le Chef et le Conseil de la Bande élaborent une liste initiale des membres de la Première nation de Lubicon Lake et que les membres la ratifie. Le Code d'appartenance prévoit alors ce qui suit :

[traduction]

4.)             Les critères devant être employés pour ajouter des personnes sur la liste initiale des membres de la Première nation de Lubicon Lake ou les en radier sont les suivants :

a.)             les personnes admissibles à devenir membres de la Première nation de Lubicon Lake après l'établissement de la liste initiale des membres de la Première nation de Lubicon Lake doivent satisfaire aux critères établis dans l'article 2.) et résider habituellement sur le territoire traditionnel de la Bande au 4 janvier 1989;

b.)            les personnes inscrites sur la liste des membres de la Première nation de Lubicon Lake mais qui choisissent de devenir membres d'une autre Première nation ou « Bande » en vertu de la Loi sur les Indiens seront radiées de la liste des membres de la Première nation de Lubicon Lake et ne seront plus membres de la Première nation de Lubicon Lake;

[...]

4.) [sic]    Une personne dont l'appartenance est contestée a le droit d'être entendue par le Chef et le Conseil élus de la Première nation de Lubicon Lake dans les 30 jours de la demande d'une telle audience. Si, après avoir été entendue par le Chef et le Conseil élus de la Première nation de Lubicon Lake, cette personne n'est toujours pas satisfaite de la détermination de son statut, elle a le droit d'être entendue par les personnes ayant qualités d'électeur de la Première nation de Lubicon Lake participant à une Assemblée générale dont l'avis de convocation a été affiché sur le mur du bureau de l'administration centrale de la Première nation de Lubicon Lake au moins 20 jours francs avant le jour prévu pour l'assemblée.

[10]            En ce qui concerne les élections, le Document de régie prévoit ce qui suit :


[traduction]

19.)           Admissibilité des électeurs

Un membre reconnu de la Première nation de Lubicon Lake âgé au moins de dix-huit ans et qui réside habituellement sur les terres traditionnelles de la Première nation de Lubicon Lake peut voter à des élections pour les postes de Chef et de conseillers.

[...]

21.)           Élection du Chef et des conseillers

L'élection du Chef et des conseillers sera décidée par un vote à la majorité simple de personnes ayant qualité d'électeur lors d'une réunion dûment convoquée des électeurs admissibles dont l'avis de convocation aura été affiché sur le mur du bureau du Conseil Bande à un endroit réservé à l'affichage des avis publics, au moins vingt jours francs avant le jour prévu de la réunion au cours de laquelle le scrutin aura lieu. Les élections seront décidées à main levée, à moins qu'un scrutin ne soit demandé ou exigé par le président de la séance ou par dix personnes ayant qualité d'électeur. Un scrutin demandé ou exigé de cette façon se déroulera de la manière indiquée par le président. Chaque personne ayant qualité d'électeur aura une voix et le résultat du scrutin constituera la décision des membres.

[11]            Étant donné que le Document de régie exige qu'une personne soit un [traduction] « membre reconnu de la Première nation de Lubicon Lake » pour être admissible à voter, la directrice générale des élections était préoccupée à l'idée que, sur la base des déclarations assermentées déposées devant la Cour en 1996, [traduction] « si les gens décidaient de ne pas être membres de la Première nation de Lubicon Lake mais d'appartenir à une autre communauté s'appelant Bande Crie de Little Buffalo, ils ne seraient pas admissibles à la qualité d'électeur » .

[12]            La directrice générale des élections a agi sur la base de cette préoccupation lors de l'élection.


[13]            Après l'élection, la directrice générale des élections a rédigé un rapport final détaillé portant sur la tenue de l'élection (le rapport final). Les extraits ci-dessous reproduits font ressortir l'essence de ce qui s'est passé, dans la mesure où cela est pertinent à la présente instance :

[traduction]

Sharon Venne a déclaré qu'elle avait été informée de l'action en justice signée par des personnes se trouvant dans la pièce déclarant qu'elles voulaient être membres d'une autre bande. Afin de pouvoir continuer, elle a déclaré qu'elle avait dû s'assurer que les personnes présentes dans la salle étaient admissibles à voter et pouvaient se présenter au poste de Chef et de membre du Conseil.

Sharon Venne a brièvement expliqué la nature de l'action en justice et a lu à haute voix les passages de l'action qui indiquaient que les personnes y participant ne sont pas des Indiens de Lubicon Lake et souhaitent créer une autre bande. Si une personne choisit d'appartenir à une autre bande, a déclaré Mme Venne, elle n'est pas admissible à voter à une élection de la Première nation de Lubicon Lake en vertu des règles de la Première nation de Lubicon Lake en matière d'élections.

[...]

Sharon Venne a déclaré que certaines personnes avaient signé des affidavits dans le cadre de cette action en justice, déclarant qu'elles ne sont pas des Indiens de Lubicon Lake et qu'elles ont choisi de se joindre à une autre bande. Elle a déclaré que ces personnes ne sont pas admissibles à voter ou à se présenter à des élections en vertu des règles de la Bande indienne de Lubicon Lake sur les élections. Si vous voulez voter à cette élection, a-t-elle dit, ces gens devront signer un affidavit selon lequel vous ne souhaitez pas faire partie de cette action en justice et réaffirmer que vous souhaitez être membre de la Première nation de Lubicon Lake.

Sharon Venne a déclaré que l'action en justice comporte également une liste de personnes qui ont choisi le nom de Bande crie de Little Buffalo et qui déclarent ne pas faire partie de la Première nation de Lubicon Lake. Sharon Venne a déclaré que les personnes dont le nom figure sur ladite liste ne sont pas admissibles à voter. Elle a dit que, le cas échéant, elle pouvait lire la liste et que, si votre nom s'y trouve, vous ne pourrez pas voter.

[...]


Sharon Venne a déclaré que les gens qui ne voulaient pas que leur nom figure sur la liste de la Bande crie de Little Buffalo peuvent signer un affidavit réaffirmant leur appartenance à la Première nation de Lubicon Lake. Elle a déclaré qu'elle serait alors prête à déclarer qu'elles peuvent voter lors des élections. Cependant, a-t-elle déclaré, les gens devraient savoir que le fait de signer un affidavit faisant partie de poursuites devant les tribunaux peut entraîner des conséquences si cet affidavit n'est pas respecté.

[...]

Pendant l'après-midi, la directrice générale des élections a cherché à déterminer si les personnes dont le nom était associé à cette action en justice étaient prêtes à s'en dissocier et à réaffirmer leur appartenance à la Première nation de Lubicon Lake. Ce processus était complexe et est relaté en détail dans le présent rapport afin d'indiquer la chronologie des événements conduisant à la décision de la directrice générale des élections de disqualifier certaines personnes qui avaient signé des affidavits ou dont le nom apparaissait dans une action en justice déclarant qu'elles ne sont pas des Indiens de Lubicon Lake et qu'elles souhaitent la création d'une nouvelle bande appelée la Bande crie de Little Buffalo.

Billy Joe Laboucan : « Mon nom figure sur cette liste (de personnes qui participent à l'action en justice) et je suis un membre à part entière de la Bande de Lubicon Lake. Vous n'avez aucun droit de nier mon droit de vote. La seule façon dont vous pouvez vous débarrasser de moi, c'est en me tuant. » a-t-il déclaré. Il a ensuite posé la question : « Voulez-vous me tuer? »

Sharon Venne : « Avez-vous signé un affidavit déclarant que vous souhaitez vous joindre à une autre bande? »

Billy Joe a répondu : « Ce que j'ai signé n'a aucune importance. Je suis un membre à part entière et j'ai le droit de voter. Ce document que vous lisez n'a jamais été accepté par le gouvernement fédéral. Êtes-vous prête à accepter la scission? Le Chef et le Conseil sont-ils prêts à signer une lettre déclarant que vous reconnaissez la scission? »

Sharon Venne : « Avez-vous signé cet affidavit déclarant que vous souhaitez vous joindre à une autre bande? »

Billy Joe : « Je l'ai signé mais cela ne veut pas dire que j'ai choisi de me retirer de la Bande de Lubicon Lake. Nous n'avons pas été reconnus. Si vous voulez signer une lettre de reconnaissance de la scission, alors, c'est bon. »

Sharon Venne : « Si vous avez signé un affidavit déclarant que vous n'êtes pas un Indien de la Première nation de Lubicon Lake, alors - - »

Interruption par Billy Joe : « Allez-vous nous reconnaître? Parce qu'autrement, je dois faire mon devoir civique et voter. Nous voulons consulter la liste des membres. »

Une autre personne présente : « Cette action n'est pas reconnue. »

Sharon Venne : « J'essaie de savoir qui sont les électeurs - - »

Billy Joe : « Vous ne répondez pas à ma question. Puis-je consulter la liste des membres? »


Sharon Venne : « C'est une élection ouverte dans la communauté. Nous n'avons pas besoin d'une liste de membres. »

Quelqu'un dans l'assistance : « Vous dites que nous devons figurer sur la liste. »

Sharon Venne : « J'ai une liste des gens qui participent à l'action en justice. »

Quelqu'un dans l'assistance : « Le tribunal ne nous a pas reconnus. »

[...]

Sharon Venne : « Je ne suis pas ici pour discuter autre chose que la question de savoir qui peut voter à cette élection. Si vous avez signé un affidavit disant que vous avez choisi de vous joindre à une autre bande, êtes-vous prêt à signer un affidavit par lequel vous renoncez à cette action en justice? »

Billy Joe : « Êtes-vous prête à me donner une lettre disant que vous reconnaissez la scission? »

Sharon Venne : « Je ne suis pas en train de rédiger une lettre. Je m'occupe d'une élection. Si vous avez signé un affidavit disant que vous souhaitez vous joindre à une autre bande, vous n'êtes pas une personne ayant qualité d'électeur dans cette élection. Je rédigerai un rapport qui expliquera ma décision sur l'admissibilité. »

[...]

Après avoir montré à Mike Ominayak et à Billy Joe Laboucan des copies de leurs affidavits, Sharon Venne est retournée à l'avant de la salle et a déclaré : « Mike Ominayak et Billy Joe Laboucan ont affirmé avoir reconnu leur signature sur ces affidavits. J'ai été informée par leur avocat que cette nouvelle bande n'a pas été reconnue en tant que nouvelle bande. »

Sharon Venne a ensuite déclaré : « Permettez-moi de souligner deux points pour vous. Dans les affidavits, il est déclaré : "en septembre 1994, les demandeurs et moi-même avons décidé de former une nouvelle bande indienne appelée la Bande crie de Little Buffalo." »

[...]

Sharon Venne a continué : « Le Code d'appartenance de la Première nation de Lubicon Lake prévoit que "les personnes inscrites sur la liste des membres de la Première nation de Lubicon Lake mais qui choisissent de devenir membres d'une autre Première nation ou 'bande' en vertu de la Loi sur les Indiens seront radiées de la liste des membres de la Première nation de Lubicon Lake et ne seront plus membres de la Première nation de Lubicon Lake". Il ne parle pas d'une bande reconnue par l'État canadien. Il déclare que lorsqu'une personne choisit de se joindre à une autre bande, elle n'est pas considérée comme un membre et (par conséquent) n'a pas le droit de voter à cette élection. »

Sharon Venne : « Je vais décider que les gens qui ont signé cet affidavit dans le cadre de cette action en justice... - que l'État canadien reconnaisse ou non cette (nouvelle) bande n'est pas en cause - n'ont pas le droit de voter à la présente élection. »


[...]

Sharon Venne a déclaré : « Votre nom fait partie de l'action en justice déclarant que vous souhaitez vous joindre à une autre bande. Si vous n'êtes pas prêt à signer un affidavit déclarant que vous ne voulez pas faire partie de cette action en justice, je vais décider que vous ne pouvez pas voter à la présente élection. »

Yvonne Buc : « Je ne signerai aucun affidavit car je soutiens la cause de la bande distincte. J'aimerais faire partie d'une bande distincte, mais je suis membre de celle-ci. Donnez-moi une lettre déclarant que vous reconnaissez la Bande crie de Little Buffalo. »

Sharon Venne : « Je vais décider que vous ne représentez pas une personne ayant qualité d'électeur. »

[...]

Sharon Venne : « Je vais lire la liste (des demandeurs à l'action en justice), si vous voulez être admissible à voter, vous devrez signer un affidavit déclarant que vous n'êtes pas partie à l'action en justice à l'échelle fédérale. À mon avis, l'affidavit sera alors envoyé à la Cour fédérale. »

[...]

Sharon Venne a ensuite lu les noms des autres personnes en âge de voter qui apparaissent comme des demandeurs à l'action en justice en tant que membres de la Bande crie de Little Buffalo. La même question à été posée à chaque personne. Souhaite-t-elle signer un affidavit selon lequel elle se dissocie de l'action en justice et réaffirme son appartenance à la Première nation de Lubicon Lake? Les gens qui ont signé un affidavit selon lequel ils se dissociaient de l'action en justice et réaffirmaient leur appartenance à la Première nation de Lubicon Lake ont été déclarés admissibles à voter à l'élection tenue par la Première nation de Lubicon Lake. Les personnes qui ont refusé de signer un affidavit selon lequel ils se dissociaient de l'action en justice et réaffirmaient leur appartenance à la Première nation de Lubicon Lake ont été déclarés inadmissibles à voter à l'élection tenue par la Première nation de Lubicon Lake.                                                                                                [non souligné dans l'original]


[14]            En fin de compte, 32 personnes ont été déclarées inadmissibles au statut d'électeur pour ladite élection, car elles étaient parties à l'action devant la Cour fédérale et qu'elles avaient refusé de signer un affidavit par lequel elles renonçaient à cette action en justice et s'en dissociaient et par lequel elles réaffirmaient leur appartenance à la Première nation de Lubicon Lake. Neuf personnes ont signé des affidavits de renonciation à l'action en justice ou de dissociation par rapport à ladite action et ont réaffirmé leur appartenance à la Première nation de Lubicon Lake. Ces personnes ont été réputées admissibles au statut d'électeur.

[15]            Après que les personnes déclarées inadmissibles au statut d'électeur aient quitté le lieu du scrutin, le vote a eu lieu. Les demandeurs soutiennent que certaines personnes qui n'étaient pas admissibles sont restées.

[16]            Au terme de l'élection, Bernard Ominayak était la seule personne nommée au poste de Chef alors que [traduction] « la plupart des gens dans la salle » avaient voté pour clore la nomination du Chef. La directrice générale des élections a donc déclaré que Bernard Ominayak était réélu par acclamation. Sept personnes ont été nommées aux cinq postes vacants au Conseil. Le résultat du vote est le suivant :

Candidat                                    Nombre de votes

Larry Ominayak                                  108

Walter Whitehead                                  98

Dwight Gladue                         95

Steve Noskey                                         92

John Letendre                                         91

John Auger                                             61

George Whitehead                                 33

Les cinq candidats ayant obtenu le nombre de votes le plus élevé ont été déclarés élus. Cent vingt-neuf électeurs ont été déclarés présents au moment du vote (bien qu'avec les allées et venues de certains, le total s'élevait à 128 à un moment et à 130 à un autre).


QUESTIONS

[17]            En plus des trois questions soulevées par les demandeurs, la défenderesse soulève deux questions liées au statut et au motif des demandeurs ainsi qu'à la portée des recours possibles. Par conséquent, les questions devant être tranchées sont les suivantes :

1.          La qualité pour agir des demandeurs, la preuve déposée et les ordonnances sollicitées démontrent-elles que les demandeurs abusent de la Cour à des fins politiques?

2.          La directrice générale des élections a-t-elle erré lorsqu'elle a décidé que les électeurs n'étaient pas admissibles à voter?

3.          La directrice générale des élections a-t-elle erré lorsqu'elle a permis à certaines personnes n'ayant pas qualité d'électeur de voter?

4.          La directrice générale des élections manquait-elle d'objectivité dans son application des règles portant sur l'admissibilité des électeurs?

5.          Quels sont les recours qui peuvent ou devraient être accordés?

ANALYSE

(i) Les demandeurs ont-ils qualité pour agir et abusent-ils du processus de la Cour?

[18]            Les défendeurs se fondent sur trois arguments pour répondre à la présente question.


[19]            Les défendeurs soutiennent tout d'abord que 30 des 50 demandeurs dans la présente instance devraient être radiés car ils sont trop jeunes pour voter, n'étaient pas présents lors de l'élection, étaient des membres inscrits d'autres bandes, résidaient hors des terres traditionnelles de la Première nation de Lubicon Lake, n'étaient pas visés par une décision concernant l'admissibilité des électeurs ou sont des personnes qui ne souhaitent plus être demanderesses. Les défendeurs soutiennent qu'il faut inférer, de cet état de faits, que 30 des 50 demandeurs ne souhaitaient avoir ce statut que pour des raisons purement politiques.

[20]            Selon le deuxième argument des défendeurs, pour reprendre les termes utilisés par l'avocat du Chef et du Conseil dans sa plaidoirie, les demandeurs se sont présentés au moment de l'élection [traduction] « prêts à poser un piège » : ils ont décidé, la nuit précédant l'élection, de ne signer aucun document qui pourrait être exigé pour leur conférer le statut d'électeur et les 20 demandeurs affectés [traduction] « auraient facilement pu voter et effectuer des nominations pour l'élection s'ils avaient signé [présenté comme preuve] des affidavits visant à clarifier la situation. » Cela est déclaré pour prouver la mauvaise foi.

[21]            Enfin, les défendeurs soutiennent que les demandeurs demandent à la Cour de changer la coutume de la Première nation de Lubicon Lake.


[22]            En réponse à ces arguments, je remarque tout d'abord qu'alors que les défendeurs soutiennent que 30 demandeurs devraient être radiés de l'instance, aucune requête officielle n'a été déposée à cet effet au moment où la demande de contrôle judiciaire a été débattue sur le fond. Étant donné que 20 demandeurs possèdent sans aucun doute le statut pour déposer la présente demande à la suite de la décision concluant à leur inadmissibilité à voter, que tous les demandeurs étaient représentés par le même avocat pour limiter les coûts et qu'aucune requête en radiation telle qu'elle est prévue par les Règles de la Cour fédérale n'a été déposée, je ne vois aucune nécessité de radier l'un ou l'autre des demandeurs. Dans ce cas, la radiation de certains des demandeurs ne répondrait à aucun objectif pratique.

[23]            La réponse au reste des préoccupations des défendeurs, à mon avis, comporte deux volets. Premièrement, au moins 20 demandeurs avaient le droit d'ester sur la base de leur compréhension de leurs droits. Ayant présenté leurs arguments, et la directrice générale des élections ayant répondu auxdits arguments, les demandeurs ont le droit de solliciter une décision portant sur l'exactitude de la réponse. La preuve n'établit pas que les questions soulevées en l'espèce sont frivoles ou vexatoires ou que l'instance est si dépourvue de chances de succès qu'elle peut être réputée avoir été motivée par un objectif incorrect.

[24]            Deuxièmement, toute préoccupation quant au fait qu'il est demandé à la Cour de modifier la coutume de la Première nation de Lubicon Lake fait partie de l'argument portant sur la portée des recours possibles.


(ii) La directrice générale des élections a-t-elle erré lorsqu'elle a déclaré que des électeurs admissibles ne l'étaient pas?

[25]            Dans leur plaidoirie, tant les demandeurs que le Chef et le Conseil se sont fondés sur le fait que la décision de la directrice générale des élections en ce qui avait trait à l'admissibilité des électeurs devrait être examinée par rapport à la norme du caractère manifestement raisonnable. Je suis prête à accepter, sans trancher, que cela constitue la norme d'examen applicable car, étant donné la façon dont j'examine l'affaire, le résultat serait le même, quelle que soit la norme d'examen appliquée.


[26]            Passons maintenant à la décision de la directrice générale des élections. Il est utile d'examiner les préceptes saillants du système coutumier de choix des dirigeants. Pour voter, une personne doit être un membre reconnu de la Première nation de Lubicon Lake. Cependant, comme l'a fait remarquer la directrice générale des élections, il ne suffit pas de satisfaire au critère de l'appartenance prévu par le Code d'appartenance pour être admissible à voter. Une fois la liste initiale des membres établie, les personnes admissibles à l'inscription doivent être ajoutées à la liste si elles satisfont au critère prévu par le Code d'appartenance. De même, les radiations de la liste des membres doivent être effectuées en fonction des critères prévus par le Code d'appartenance. Il est important de remarquer que les personnes dont l'appartenance est contestée ont le droit d'être entendues lors d'une audience devant le Chef et le Conseil et, le cas échéant, lors d'une audience devant les personnes ayant qualité d'électeur de la Première nation de Lubicon Lake. Ce droit à une audience reflète le fait qu'au sein d'un processus autonome pour l'élection des gouvernements de bande, des normes minimales de justice naturelle ou d'équité procédurale doivent être respectées. Consulter : Sparvier c. Cowessess Indian Band, [1993] 3 C.F. 142 (1re inst.) au paragraphe 48.

[27]            Au regard de ce système d'élection coutumier, il est difficile de voir comment la directrice générale des élections aurait pu conduire l'élection sans utiliser la liste des membres pour déterminer si un électeur proposé était un membre reconnu de la Première nation de Lubicon Lake. Il ne fait aucun doute, à la lumière du contre-interrogatoire du conseiller de bande Gladue, qu'il n'y avait aucune liste des membres lors de l'élection.

[28]            Le Chef et le Conseil, avant l'élection, avaient compris l'importance de la liste des membres. On peut s'en rendre compte à la lecture de la note qu'ils ont envoyée aux membres de la Première nation de Lubicon Lake le 15 avril 1999, dont voici un extrait :

[TRADUCTION]

Le 25 avril 1999, les élections de la Première nation de Lubicon Lake auront lieu conformément au processus normal d'élections de la Première nation de Lubicon Lake. Ce jour-là, les membres de cette Première nation qui n'ont pas prévu consulter la liste des membres à une date antérieure pourront le faire sur place.


[29]            Il est soutenu que la coutume électorale de la Première nation de Lubicon Lake n'exige pas la présence de la liste des membres lors d'une élection. Cependant, en droit, ceux qui se fondent sur la coutume doivent établir celle-ci ainsi que les règles qui en sont tirées. Les preuves n'ont pas établi de façon satisfaisante la coutume portant sur le respect, l'absence ou la non-pertinence d'une liste de membres. En outre, le contenu de la note du Chef et du Conseil reproduite ci-dessus semble contredire l'existence d'une telle coutume car la coutume exige que les pratiques soient généralement acceptables aux yeux des membres de la bande et qu'elles constituent des pratiques largement acceptées. Consulter la décision Mohawk of Kanesatake c. The Mohawk Council of Kanesatake, 2003 FCT 115 dans laquelle M. le juge Martineau a récemment passé en revue les principes généraux applicables aux coutumes de bande aux paragraphes 20 et suivants.


[30]            En ce qui concerne la décision rendue par la directrice générale des élections, elle a attesté sous serment, dans son affidavit déposé dans la présente instance, que [traduction] « J'ai dû m'assurer que [les demandeurs] avaient le droit de voter aux élections de la Première nation de Lubicon Lake. » Il semble, à la lecture du rapport final de la directrice générale des élections, que le commis à l'appartenance à la Première nation de Lubicon Lake était présent lors de l'élection. Lorsqu'une personne a demandé à la directrice générale des élections si elle (la personne) pouvait voter, la directrice générale des élections a vérifié auprès du greffier chargé des questions relatives aux membres et a été informée que la personne qui avait posé la question avait demandé à devenir membre de la Première nation de Lubicon Lake et avait été acceptée. La directrice générale des élections a alors déclaré à la personne que [traduction] « Vous êtes acceptée comme membre. Vous pouvez voter. » Cependant, aucune demande semblable n'a été présentée concernant les demandeurs et, lorsque l'un d'entre eux a demandé à voir la liste des membres, la demande a été rejetée. La directrice générale des élections a déclaré : [traduction] « Nous n'avons pas besoin d'une liste des membres. [...] J'ai une liste des gens qui participent à l'action en justice. »

[31]            Au lieu de demander si, au cours de la période de trois années qui a suivi le début de l'instance de 1996, des demandeurs avaient été éliminés de la liste des membres au motif qu'ils avaient choisi de devenir membres d'une autre Nation indienne ou bande, un processus qui aurait comporté le droit à une ou plusieurs audiences, la directrice générale des élections a contourné le processus prévu par le Code d'appartenance en décidant simplement qu'un certain nombre de demandeurs n'étaient pas admissibles, car ils avaient choisi de devenir membres d'une autre bande indienne.

[32]            La décision de la directrice générale des élections de disqualifier certains des demandeurs car ils avaient choisi de devenir membres d'une autre bande sans égard à la liste des membres pose problème à au moins deux égards supplémentaires.


[33]            D'abord, à mon humble avis, il était manifestement déraisonnable de conclure que les demandeurs étaient devenus des membres d'une autre bande indienne au sens du Code d'appartenance alors que ladite bande n'existait pas. La directrice générale des élections a lu les documents déposés dans le cadre de l'instance de 1996 et savait, ou aurait dû savoir, que la bande en question n'existait pas. Lors de l'élection, elle a été informée par l'avocat des demandeurs qu'aucune bande n'avait été formée. En présence de ces renseignements, la directrice générale des élections a conclu que l'absence d'existence de la bande n'était pas pertinente. Cela se reflète dans la partie suivante de son contre-interrogatoire portant sur son affidavit :

[traduction]

Q              Savez-vous si, en fait, une bande légale appelée Bande crie de Little Buffalo a jamais été créée?

R              Ce n'est pas mon problème.

Q              Donc, cela vous est égal si cette bande existe légalement ou non?

R              Ce n'est pas ce qui est inscrit ici, dans le droit de la Première nation de Lubicon Lake.

Q              Permettez-moi de vous poser une question. Selon votre interprétation du droit de la Première nation de Lubicon Lake, il importe donc peu qu'il ait existé ou non une bande appelée Bande crie de Little Buffalo?

R              Effectivement.

[34]            En raison de cette approche, une personne a été privée de son droit de vote à une élection de la bande car elle espérait la création d'une nouvelle bande.

[35]            L'opinion selon laquelle l'existence d'une bande n'est pas pertinente ne correspond pas au libellé de l'alinéa 4b) du Code d'appartenance qui renvoie à des personnes qui [traduction] « choisissent de devenir membres d'une autre Première nation ou "Bande" en vertu de la Loi sur les Indiens [...]. » Le terme « bande » est défini dans la Loi sur les Indiens et le renvoi à ladite loi effectué à l'alinéa 4b) du Code d'appartenance signifie, à mon avis, que selon l'intention du texte, pour perdre son appartenance à la Première nation de Lubicon Lake, une personne doit choisir de se joindre à une entité qui constitue une bande telle que la Loi sur les Indiens la définit.


[36]            Selon le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, une bande est :

un groupe d'Indiens, selon le cas :

a)             à l'usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;

b)             à l'usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d'argent;

c)              que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l'application de la présente loi.

[37]            Par conséquent, même si la directrice générale des élections avait le droit de disqualifier de possibles électeurs figurant sur la liste des membres de la Première nation de Lubicon Lake, avant de le faire, la directrice générale des élections devait déterminer que l'électeur était membre d'une entité qui répondait à la définition légale de « bande » . Cette considération, contrairement à ce qu'avait conclu la directrice générale des élections, n'était pas sans pertinence.


[38]            Avant d'en terminer avec cette question, le Chef et le Conseil soutiennent que les demandeurs avaient, en fait, formé une « Nation indienne » et que, par conséquent, la directrice générale des élections avait le droit de les déclarer inadmissibles car ils étaient devenus membres d'une autre Nation indienne. Alors que je reconnais qu'une bande n'est pas la même chose qu'une Première nation, (voir : Blueberry River Indian Band c. Canada (Department of Indian Affairs and Northern Development) (1999), 171 F.T.R. 91 (T.D.) au paragraphe 25), cette observation n'est pas étayée par la preuve déposée en l'espèce. Sans aucun doute, la directrice générale des élections n'a pas examiné la question de savoir si les personnes devraient être déclarées inadmissibles au motif qu'elles s'étaient jointes à une autre Nation indienne. Elle désirait davantage savoir s'ils avaient formé une nouvelle bande. Les paragraphes 6 et 8 de l'affidavit de la directrice générale des élections le prouve à loisir, tout comme les extraits de son rapport final ci-dessus reproduits et soulignés.

[39]            En ce qui concerne l'aspect problématique de l'approche de la directrice générale des élections, pour qu'il soit conclu qu'une personne associée à l'instance de 1996 puisse voter, la directrice générale des élections exigeait qu'elle signe un affidavit par lequel elle réaffirmait qu'elle souhaitait être membre de la Première nation de Lubicon Lake et se dissocier de l'action en justice. La directrice générale des élections, dans son rapport, a décrit cette seconde exigence dans les termes suivants : [traduction] « Le présent affidavit déclare que vous ne souhaitez pas être partie à cette action en justice » . L'importance de cette exigence aux yeux de la directrice générale des élections était telle qu'elle a déclaré qu'elle était prête à envoyer les dits affidavits à la Cour fédérale du Canada.


[40]            Même si la directrice générale des élections avait le droit de procéder sans égard particulier pour la liste des membres, l'exigence aux termes de laquelle les personnes devaient renoncer à l'instance de 1996 dans un affidavit ne constituait pas une exigence liée de façon rationnelle au Code d'appartenance. Pour être admissible à l'inscription sur la liste des membres, une personne doit répondre aux critères prévus par le Code d'appartenance. Ces critères sont liés aux antécédents autochtones connus, aux liens familiaux et historiques, et toute décision portant sur l'appartenance revient, en dernier lieu, au Chef et au Conseil ou aux électeurs admissibles.

[41]            La directrice générale des élections a erré en exigeant des personnes qu'elles renoncent à leur participation à des poursuites en justice comme condition d'obtention de leur droit de vote car cette action, en elle-même, ne pouvait pas rendre le statut de membre à une personne qui en avait été dépossédée à juste titre.

[42]            Par conséquent, pour ces motifs, en ne tenant pas compte de la liste des membres de la Première nation de Lubicon Lake, en ne reconnaissant pas à certaines personnes le droit de voter du fait qu'elles s'étaient jointes à une autre bande légale qui n'existait pas et en appliquant un critère non pertinent à la question de l'admissibilité des électeurs, la directrice générale des élections a commis des erreurs susceptibles de révision qui exigent l'intervention de la Cour.

(iii) La directrice générale des élections a-t-elle erré lorsqu'elle a permis à des personnes non admissibles à voter de le faire?


[43]            Les demandeurs soutiennent que lorsque la directrice générale des élections leur a demandé de quitter la pièce pour qu'on puisse procéder à l'élection, certaines personnes, dont ils pensent qu'elles n'étaient pas admissibles, sont restées. Ils déclarent, pour reprendre les termes utilisés par Violet Ominayak et Loreen Ominayak, qu'ils pensent que ces personnes [traduction] « pourraient avoir été autorisées à voter. »

[44]            Cette preuve n'établit pas que les personnes restantes ont voté ou qu'elles n'avaient pas le droit de le faire. En l'absence de preuve établissant que des personnes inadmissibles ont réellement voté, il n'existe aucun fondement pour remettre en question les actes de la directrice générale des élections à cet égard.

(iv) La directrice générale des élections manquait-elle d'objectivité dans son application des règles sur l'admissibilité des électeurs?

[45]            Les demandeurs soutiennent que l'élection était une parodie et déclarent que les faits suivants montrent le manque d'objectivité ou une crainte raisonnable de manque d'objectivité de la part de la directrice générale des élections :

i)           Elle est une amie personnelle du Chef, de deux conseillers, du commis à l'appartenance et de l'expert-conseil de la bande;

ii)          Son interprétation du Code d'appartenance est absurde. Cette absurdité est soulignée par le fait que la directrice générale des élections possède une formation juridique;       


iii)          Elle a déterminé, avant la tenue de l'élection, qu'elle refuserait le droit de vote aux personnes ayant exprimé le désir de former une nouvelle bande;

iv)         Elle a fait fi des demandes visant à consulter la liste des membres et n'a pas demandé à la voir elle non plus;

v)          Elle a fait preuve d'une déférence inconditionnelle au Chef lorsque ce dernier a déclaré qu'une personne n'avait pas déposé de demande officielle d'appartenance;

vi)         Elle a renoncé à son devoir de déterminer l'admissibilité des électeurs en se fiant au fait que les personnes présentes à l'élection allaient attirer son attention sur les électeurs non admissibles.

[46]            En ce qui concerne chacun de ces points, la preuve n'a pas établi une solide amitié entre la directrice générale des élections et le Chef, des conseillers, le commis à l'appartenance ou l'expert-conseil de la bande. La directrice générale des élections connaît l'expert-conseil de la bande depuis 20 ou 25 ans et les autres comme [traduction] « des gens avec lesquels je prends un café de temps à autre » , la disqualification pour manque d'objectivité ne résulte pas normalement de relations d'affaires ou professionnelles précédentes et la preuve n'étaye pas la conclusion de l'existence d'une solide relation personnelle.


[47]            En ce qui concerne l'interprétation du Code d'appartenance par la directrice générale des élections, sa position concernant le respect de la liste des membres et le fait qu'elle se fiait aux oppositions des personnes présentes, de tels actes correspondent à une interprétation de bonne foi de la coutume de la Première nation de Lubicon Lake portant sur les élections. Alors que je ne partage pas cette interprétation, l'erreur, en elle-même ne signifie pas ou ne prouve pas un manque d'objectivité.

[48]            En ce qui concerne la plainte de préjugé, pour disqualifier une personne qui prend des décisions au motif de préjugé, la preuve doit conduire à une inférence raisonnable aux termes de laquelle la personne avait décidé, à l'avance, que toute déclaration effectuée lors de l'audience n'aurait sans doute aucun effet. La preuve ne me convainc pas que la directrice générale des élections n'était pas ouverte à la persuasion lors de l'élection. Aucune observation ne lui a été faite quant à la pertinence de la portée des affidavits qu'elle exigeait (c'est-à-dire que personne ne s'est plaint que l'affidavit allait trop loin en exigeant une dissociation de l'instance de 1996 par opposition à une simple réaffirmation de l'appartenance). Le reste de sa décision constituait, au fond, une interprétation juridique de l'application appropriée du Code d'appartenance. S'en tenir à son interprétation n'établit pas nécessairement le préjugé.


[49]            Enfin, le seul incident sur lequel se fondent les demandeurs ne prouve pas la déférence inconditionnelle au Chef. La directrice générale des élections a accepté une fois les conseils du Chef sur une question de fait dont il avait connaissance. Personne n'a contredit ce conseil.

[50]            Ayant rapidement examiné la preuve avancée par les demandeurs pour étayer leur argument d'un manque d'objectivité, je me penche sur le principe juridique devant être appliqué. Le critère du manque d'objectivité exige que la Cour demande ce qu'une personne informée conclurait après avoir examiné la question de façon réaliste et pratique et après y avoir réfléchi. Appliquant ce critère, je ne suis pas convaincue qu'une personne raisonnable et informée qui aurait examiné, de façon réaliste et pratique, les questions avancées par les demandeurs et après y avoir réfléchi en détail, aurait conclu que la directrice générale des élections manquait d'objectivité ou qu'il existait une crainte raisonnable d'un manque d'objectivité.

(v) Les recours appropriés devant être accordés.

[51]            Comme M. le juge Muldoon l'a fait remarquer dans la décision Grand Rapids First Nation c. Nasikapow (2000), 197 F.T.R. 184 au paragraphe 79, la jurisprudence de la Cour démontre qu'elle peut créer un recours approprié pour la situation. Cela reflète le fait que les recours possibles lors du contrôle judiciaire dépendent du pouvoir discrétionnaire.


[52]            Une demande de contrôle judiciaire constitue une instance de droit public. Par conséquent, le recours accordé par la Cour devrait se conformer à l'intérêt public. Consulter : Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1re inst) aux paragraphes 220 et suivants.

[53]            Dans le cadre de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, je considère que le fait le plus important est que l'élection contestée a eu lieu il y a quatre ans. Les demandeurs ont entamé la présente action en mai 1999. En janvier 2000, un Avis d'examen de l'état de l'instance a été émis par la Cour, exigeant des demandeurs qu'ils établissent des motifs pour lesquels la demande devrait ne pas être rejetée pour retard car 180 jours s'étaient écoulés depuis la délivrance de l'avis de demande et qu'aucune demande d'audience n'avait été déposée. Alors que l'instance a ensuite été autorisée à continuer, une demande d'audience n'a pas été déposée avant janvier 2002, soit deux années après l'avis d'examen de l'état de l'instance et deux années et neuf mois après l'élection. Aucune demande n'a été déposée pour que l'instance soit traitée sans délai ou qu'une date d'audience soit rapidement fixée.

[54]            En outre, étant donné que, selon la coutume, les élections ont lieu tous les cinq ans, la prochaine aura sans doute lieu au cours de l'année à venir. (L'élection précédant celle en litige avait eu lieu le 24 mai 1994.)


[55]            De la même façon, alors qu'il n'existe aucune preuve directe sur ce point, on peut raisonnablement inférer que depuis quatre ans que le Chef et les conseillers sont élus, ils ont pris un certain nombre de décisions dont la validité pourrait être remise en question si l'élection était annulée. Les tiers, y compris le Chef, le Conseil et les membres de la Première nation de Lubicon Lake, pourraient avoir pris des mesures fondées sur la décision de la directrice générale des élections à leur détriment.

[56]            Étant donné la longue période qui s'est écoulée depuis l'élection, l'imminence des prochaines élections et les perturbations qui découleraient d'une annulation du résultat de l'élection quatre ans après sa survenance, je ne suis pas prête à annuler les résultats de l'élection de 1999. Il s'ensuit qu'aucun recours n'est nécessaire ou approprié en ce qui concerne le processus à suivre dans toute nouvelle élection que susciterait l'annulation de l'élection de 1999. Quoi qu'il en soit, je suis convaincue qu'un recours, comme la déclaration de l'admissibilité de tout électeur dans une élection future, l'exigence de l'élaboration d'une liste électorale et l'élection au scrutin secret, ne devrait pas être accordé pour les motifs suivants. En ce qui concerne l'admissibilité des électeurs, il se peut que des facteurs tels que la résidence et l'appartenance aient changé ou changent à l'avenir, rendant une telle déclaration fausse, maintenant ou au moment d'une future élection. Le recours supplémentaire sollicité concernant une liste électorale et un scrutin secret serait contraire aux preuves déposées devant la Cour en l'espèce concernant la coutume de la bande applicable aux élections.


[57]            Je ne suis pas prête à déclarer, comme les demandeurs le sollicitent, qu'ils étaient des membres de la Première nation de Lubicon Lake le 25 avril 1999. Cette question doit être tranchée selon la coutume de la Première nation de Lubicon Lake. Il est suffisant, aux fins de la présente instance, de déclarer que la directrice générale des élections a erré lorsqu'elle a conclu que des personnes n'étaient pas admissibles à voter sur la base qu'elle a indiqué. Quoi qu'il en soit, il n'existe aucune preuve que l'ensemble des demandeurs satisfaisaient, par ailleurs, aux critères de l'appartenance le 25 avril 1999, c.-à-d. par exemple, vivaient-ils tous sur les terres traditionnelles de la Première nation de Lubicon Lake?

[58]            L'unique ordonnance devant être rendue sera une ordonnance annulant la décision de la directrice générale des élections, qui déclare que des personnes ne sont pas admissibles à voter aux élections de la Première nation de Lubicon Lake car elles étaient parties à l'instance de 1996 et ont refusé de signer un affidavit les dissociant de cette action en justice.

DÉPENS


[59]            Lors de l'audience, l'avocat a demandé la chance de déposer des observations écrites concernant les dépens après la publication des présents motifs. Par conséquent, l'avocat des demandeurs peut signifier et déposer des observations écrites portant sur les dépens dans les 14 jours de la réception des présents motifs. Ensuite, l'avocat des défendeurs pourra signifier et déposer des observations en réponse dans les 14 jours. Les demandeurs peuvent alors signifier et déposer des observations en réponse à la réponse dans les 7 jours de la réception des observations signifiées au nom des défendeurs.

[60]            Après examen desdites observations, une ordonnance sera rendue telle que cela est décrit ci-dessus et tranchant la question des dépens liés à la demande.

« Eleanor R. Dawson »

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                                                                                                                                                      Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 14 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-875-99

INTITULÉ :                              MICHAEL OMINAYAK ET AL.

C. SHARON VENNE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :      EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 2 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :           LE 14 MAI 2003

COMPARUTIONS :0

Ronald Johnson                          DEMANDEURS

Richard Gariepy                         DÉFENDERESSE, Sharon Venne

Nancy Kleer                                DÉFENDEURS, Chef et Conseil

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Johnson                          DEMANDEURS

Avocats

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                       DÉFENDEURS

Procureur général du Canada


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