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Date : 20041126

Dossier : T-492-04

Référence : 2004 CF 1665

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

LA BANQUE MBNA CANADA

demanderesse

et

LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DE LA CONSOMMATION EN MATIÈRE FINANCIÈRE DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA DANS L'AFFAIRE INTÉRESSANT UN CONTRÔLE JUDICIAIRE EN VERTU DE L'ARTICLE 18.1 DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES

défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision rendue par le Commissaire (le Commissaire) de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (l'ACFC) en date du 9 février 2004.


FAITS

[2]                La demanderesse, la Banque MBNA Canada (la MBNA), est une filiale en propriété exclusive de la Banque MBNA Amérique, A.N., qui a commencé à exercer ses activités en 1997. L'entreprise est chef de file dans le domaine de l'émission de cartes de crédit MasterCard parrainées par une autre entreprise et un des plus grands prêteurs indépendants au monde au moyen de cartes de crédit.

[3]                L'ACFC est une agence fédérale constituée en vertu de la Loi sur l'agence de la consommation en matière financière du Canada, L.C. 2001, ch. 9 (Loi sur l'ACFC). L'ACFC a pour mission de superviser les institutions financières pour s'assurer qu'elles se conforment aux dispositions visant les consommateurs suivant diverses lois.

[4]                En juin 2001, MBNA a offert des cartes de crédit par la poste à certains consommateurs potentiels en leur proposant un taux d'intérêt annuel usuel « aussi bas que » (ABQ) 9,99 %. En fait, le taux d'intérêt pouvait être de 9,99 %, 10,99 %, 11,99 %, 12,99 %, 13,99 %, 14,99 %, 15,99 %, 16,99 %, 17,99 %, 18,99 % ou 19,99 %, [traduction] « selon le degré de solvabilité du consommateur » .


[5]                Au printemps 2002, l'ACFC s'est adressée à la MBNA pour vérifier si elle se conformait à la Loi sur les banques et à ses dispositions applicables aux consommateurs en ce qui concerne les exigences relatives au coût d'emprunt pour les prêts sur cartes de crédit. Après avoir examiné les documents de la MBNA, l'ACFC a amorcé une étude plus détaillée des documents relatifs à l'offre de taux ABQ. Le rapport du chargé de dossier de l'ACFC, en date du 1er août 2003, informait la MBNA que son offre de taux ABQ n'était pas conforme au paragraphe 11(1) du Règlement sur le coût d'emprunt (banques), DORS/2002-101, pris en vertu de la Loi sur les banques, parce que l'offre ne faisait pas état d'un « taux d'intérêt réel ou usuel » au moment de la présentation de la demande de crédit.

[6]                Le 15 décembre 2003, a été signifié à la MBNA un procès-verbal dans lequel l'ACFC l'invitait à présenter des observations quant à la violation alléguée. La MBNA a présenté ses observations quant au montant de la pénalité, mais non quant à la violation elle-même.

[7]                Le procès-verbal était signé par le commissaire, et un document intitulé « Motifs de la décision du commissaire » , également daté du 15 décembre 2003, y était joint et portait aussi sa signature. Une copie de ces motifs, l'annexe A, est jointe au présent jugement.

QUESTION EN LITIGE

[8]                La question en litige est simple : il s'agit de savoir si le commissaire a enfreint les règles de justice naturelle (précisées aux articles à caractère procédural 21 à 23 de la Loi sur l'ACFC) du fait qu'il a joint ses motifs de décision à son procès-verbal.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[9]                Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l'ACFC :

21. S'agissant d'un fait visé à l'alinéa 19(1)a) et qualifiable à la fois de violation et d'infraction, la procédure en violation et la procédure pénale s'excluent l'une l'autre.

22. (1) Toute contravention ou tout manquement désigné au titre de l'alinéa 19(1)a) constitue une violation exposant son auteur à une pénalité dont le montant est déterminé en conformité avec les articles 19 et 20.

(2) Le commissaire peut, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une violation a été commise, dresser un procès-verbal qu'il fait signifier à l'auteur présumé.

(3) Le procès-verbal mentionne, outre le nom de l'auteur présumé et les faits reprochés:

a) la pénalité que le commissaire a l'intention de lui imposer;

b) la faculté qu'a l'auteur présumé soit de payer la pénalité, soit de présenter des observations relativement à la violation ou à la pénalité, et ce dans les trente jours suivant la signification du procès-verbal - ou dans le délai plus long que peut préciser le commissaire -, ainsi que les modalités d'exercice de cette faculté;

c) le fait que le non-exercice de cette faculté dans le délai imparti vaut aveu de responsabilité et permet au commissaire d'imposer la pénalité.

23. (1) Le paiement de la pénalité en conformité avec le procès-verbal vaut aveu de responsabilité à l'égard de la violation et met fin à la procédure.

(2) Si des observations sont présentées, le commissaire détermine, selon la prépondérance des probabilités, la responsabilité de l'intéressé. Le cas échéant, il peut imposer, sous réserve des règlements pris au titre de l'alinéa 19(1)b), la pénalité mentionnée au procès-verbal ou une pénalité réduite, ou encore n'imposer aucune pénalité.

(3) Le non-exercice de la faculté mentionnée au procès-verbal dans le délai imparti vaut aveu de responsabilité à l'égard de la violation et permet au commissaire d'imposer, sous réserve des règlements pris au titre de l'alinéa 19(1)b), la pénalité mentionnée au procès-verbal ou une pénalité réduite, ou encore de n'imposer aucune pénalité.

(4) Le commissaire fait signifier à l'auteur de la violation la décision prise au titre des paragraphes (2) ou (3) et l'avise par la même occasion de son droit d'interjeter appel en vertu de l'article 24.               


ANALYSE

[10]            Les parties ont convenu que, nonobstant le droit d'appel prévu par la Loi sur l'ACFC, il est possible de présenter une demande de contrôle judiciaire lorsque les questions en litige concernent un manquement aux principes de justice naturelle ou à une disposition procédurale. Les décisions Rolls Wood Group (Repairs and Overhauls) Ltd. c. M.R.N. (2001), 199 F.T.R. 64 et Syndicat des travailleurs en télécommunications c. C.R.T.C., [1993] 1 C.F. 231, étayent/appuient cette affirmation.

[11]            Examinons maintenant la question de savoir si le commissaire a enfreint les principes de justice naturelle. Il est bien établi que ces principes visent deux objectifs fondamentaux :

-            Personne ne doit être pénalisé par un déni d'audience.

-            Toute décision visant une personne doit être rendue par un tribunal impartial.

[1]                En l'espèce, le paragraphe 22(3) de la Loi exige que le commissaire indique dans le procès-verbal la pénalité qu'il « a l'intention » d'imposer. Si l'intéressé présente des observations, le commissaire a l'obligation de les examiner et de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s'il y a eu une violation de la Loi.

[2]                En l'espèce, le commissaire a joint ses motifs de décision au procès-verbal signé et daté. Ces motifs non seulement résumaient les faits reprochés par l'ACFC et la position de la MBNA, mais présentaient aussi une analyse de la question et exposaient longuement les éléments d'appréciation pour imposer une pénalité adéquate. Même la première ligne parlait de « contravention alléguée » , et qu'à la dernière ligne le commissaire dit qu'il « propose une pénalité de 75 000 $ » , les mots « alléguée » et « propose » n'enlèvent rien au fait qu'il s'agit d'une décision du commissaire. Il ne subsiste aucun doute à ce propos lorsqu'on lit le paragraphe de la page ____ qui se termine sur la phrase affirmative suivante :

[TRADUCTION] En conséquence, je conclus que la MBNA a contrevenu au paragraphe 11(1) du Règlement sur le coût d'emprunt (banques) en ce qu'elle n'a pas communiqué le taux d'intérêt annuel dans ses formulaires de demandes de carte de crédit ou dans la documentation les accompagnant. [Non souligné dans l'original.]

[3]                La procédure soigneusement élaborée aux articles 22 et 23 prévoit :

a)         la délivrance d'un procès-verbal si le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu'une violation a été commise;

b)          la mention au procès-verbal des éléments suivants :

i) les faits reprochés;

                        ii) la pénalité que le commissaire a l'intention d'imposer;

                        iii) la faculté qu'a l'auteur présumé de présenter des observations dans les trente jours suivant la signification du procès-verbal;


c)         après la présentation d'observations, le commissaire détermine, selon la prépondérance des probabilités, la responsabilité de l'intéressé et, le cas échéant, il peut imposer la pénalité nécessaire.

[4]                Cette procédure n'a pas été suivie en l'espèce. Non seulement le commissaire a-t-il rendu ses motifs le 15 décembre 2003, mais encore les documents internes de l'ACFC révèlent l'existence d'un courriel, en date du 12 novembre 2003, qui a été envoyé par le commissaire adjoint au personnel concerné par le dossier MBNA [onglet F - dossier de demande de la demanderesse], lequel est ainsi rédigé :

[Traduction]

Bill [le commissaire] a demandé de l'information détaillée sur cette affaire avant de se prononcer sur la pénalité et son montant.

Tout particulièrement, il souhaiterait que :

- Bernard établisse une chronologie complète du dossier précisant les retards accusés;

- être informé du contenu de tout entretien intervenu avec la MBNA dans la dernière année au sujet du respect des dispositions visant les consommateurs;

-être informé des autres IF (institutions financières) utilisant un taux ABQ et sur le moment où nous amorcerons des enquêtes sur leurs pratiques;

- l'établissement d'un plan de communication (Susan);        

Danielle, votre service pourrait-il préparer l'information nécessaire à la réunion?

Johanne, pourrais-tu organiser une réunion de deux heures aussitôt que Bill sera de retour, peut-être le 26 novembre?


S.V.P. revoir la documentation avec moi avant la réunion. [Non souligné dans l'original.]

[5]                Une seule inférence peut être tirée du contenu du courriel et des motifs de décision du commissaire, soit que, avant de prendre une décision, il a examiné la présente affaire en détail, et notamment la position de la MBNA. De fait, il demande à l'entreprise de commenter sa « décision préliminaire » avant qu'elle ne devienne définitive. Autrement dit, au lieu d'accorder une audience équitable à la MBNA, il lui reconnaît un droit d'interjeter appel. Ce n'est pas là le droit ni la procédure prévus par la Loi sur l'ACFC.

[6]                Même si l'on tenait pour acquis que le commissaire n'a pas encore tranché l'affaire compte tenu des circonstances (à savoir avoir tenu une séance d'information approfondie de deux heures, avoir signé par la suite une lettre détaillée de sept pages résumant la position de l'ACFC et celle de la MBNA, et avoir envisagé et proposé une pénalité adéquate), il est impossible d'établir qu'il gardait encore l'esprit ouvert, et qu'il était en mesure d'accorder une audience impartiale à la MBNA après avoir reçu ses observations.

[7]                À la lumière de ce qui précède, le fait que la MBNA a choisi de ne pas présenter d'observations relativement aux constats de violations, mais seulement quant à la pénalité n'est pas pertinent. Les parties ont convenu que la règle de l'estoppel (préclusion) ne s'applique pas lorsqu'il y a manquement aux règles de justice naturelle.


[8]                À l'avenir, le commissaire ferait bien d'envisager l'adoption d'une procédure différente. Premièrement, tout procès-verbal devrait suivre les préceptes du paragraphe 22(3) de la Loi sur l'ACFC, et ne devrait pas contenir des motifs de décision. Deuxièmement, il pourrait vouloir adopter une procédure suivie par d'autres organismes fédéraux qui ont à la fois un pouvoir d'enquête et de décision, à savoir partager les responsabilités internes d'enquête et de décision. Il est normal dans de tels organismes que le commissaire adjoint délègue le travail d'enquête, supervise les activités du personnel et envoie le procès-verbal. Une fois reçues les observations de l'auteur présumé, le commissaire rend sa décision finale sans parti pris (sur le fondement des observations du personnel et de l'auteur présumé) pour déterminer si une pénalité doit être imposée et, le cas échéant, le montant de celle-ci. Un tel mode de procédure ou une variante pourrait éviter d'éventuelles contestations des décisions du commissaire sous le régime du paragraphe 23(2) de la Loi sur l'ACFC.

CONCLUSION

[9]                En procédant de la façon indiquée précédemment, le Commissaire a enfreint les règles de justice naturelle énoncées dans la Loi sur l'ACFC. En conséquence, sa décision ne peut être maintenue.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         que le procès-verbal du Commissaire de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada, en date du 15 décembre 2003, soit annulé;

2.         que soient adjugés à la demanderesse les dépens de la présente instance fixées par entente des parties à 10 000 $.

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                    

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., D.E.S.S. trad.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER                      

                                                     

DOSSIER :                T-492-04

INTITULÉ :               LA BANQUE MBNA CANADA

c.

LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DE LA CONSOMMATION EN MATIÈRE FINANCIÈRE DU CANADA

                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            26 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   26 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

DEMANDERESSE : J. ALAN AUCOIN

DÉFENDEURS :         IAN DICK

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BLAKE CASSELS & GRAYDON

TORONTO (ONTARIO)

POUR LA DEMANDERESSE

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                     POUR LES DÉFENDEURS


ANNEXE A

[traduction]

                  Motifs de la décision du commissaire

Formulaires de demande de carte de crédit Platinum Plus de la MBNA

Dossier nO 800-21813

La présente affaire porte sur une contravention alléguée à une disposition visant les consommateurs, soit de ne pas avoir indiqué le taux d'intérêt annuel dans un formulaire de demande de carte de crédit ou dans un document l'accompagnant, comme le requiert le paragraphe 11(1) du Règlement sur le coût d'emprunt (banques). Le paragraphe 11(1) est ainsi rédigé :

11. (1) La banque émettrice de cartes de crédit qui distribue des formulaires de demande de carte de crédit doit inclure les renseignements suivants dans le formulaire ou dans un document l'accompagnant, en précisant la date à laquelle chaque renseignement prend effet :

a) dans le cas d'une carte de crédit avec :

(i) un taux d'intérêt fixe, le taux d'intérêt annuel,

(ii) un taux d'intérêt variable déterminé par addition ou soustraction d'un pourcentage à un indice publié, l'indice publié et le pourcentage ajouté ou soustrait;

b) la date à partir de laquelle les intérêts courent et les renseignements concernant tout délai de grâce consenti;

c) le montant des frais non liés aux intérêts.

Contexte de l'examen de conformité

En avril 2002, un membre du personnel de l'ACFC a commencé à étudier les activités de la banque MBNA Canada (ci-après la MBNA) pour ce qui est de sa communication du taux d'intérêt applicable à ses cartes de crédit. Au cours de ce mois, l'ACFC a reçu différents documents modèles d'offres de cartes de crédit MBNA. Il s'agissait de documentation promotionnelle avec formulaire de demande détachable.


Le 31 mai 2002, le chargé de dossier de l'ACFC a rencontré les représentant de la MBNA pour connaître leur avis sur la façon dont certains formulaires de cartes de crédit MBNA Platinum Plus, que l'entreprise appelle les offres de taux « aussi bas que » ), respectaient les exigences de communication du Règlement.

À la suite de ces discussions, MBNA a modifié sa documentation devant être envoyée par la poste. Malgré ces modifications, la situation demeurait problématique. Par lettre, en date du 19 juillet 2002, MBNA a été informée que le commissaire procédait à un examen, en vertu de l'article 659 de la Loi sur les banques, de la documentation envoyée par la poste. Trois rapports portant sur le respect de la réglementation ont été produits par la suite (dossiers 800-21801, 800-6958 et 800-21813).

Dans une lettre en date du 5 septembre 2003, MBNA a commenté deux rapports de l'ACFC portant sur le respect de la réglementation, dont celui produit dans le cadre du présent dossier.

Il appert du rapport du chargé de dossier de l'ACFC que les formulaires de demande de carte de crédit Platinum Plus de la MBNA(ci-après nommé les « offres de taux ABQ » ), postés entre août 2002 et avril 2003, étaient rédigés comme suit :

« Taux d'intérêt annuel de lancement de 1,9 % sur AVANCE DE FONDS PAR CHÈQUE et TRANSFERTS DE SOLDE. Aussi le TAUX D'INTÉRÊT EST-IL aussi bas que 9,99 %. »

À l'endos de la documentation, il était inscrit :

« Le taux d'intérêt applicable à votre contrat de crédit sera soit de 9,99 %, 10,99 %, 11,99 %, 12,99 %, 13,99 %, 14,99 %, 15,99 %, 16,99 % , 17,99 %, 18,99 %, ou 19,99 % selon votre solvabilité. »

À l'endos du formulaire de demande détachable il était inscrit :

« Le taux d'intérêt usuel pour les achats et autres avances de fonds est le taux applicable à votre contrat de crédit (aussi bas que 9,99 %). Le taux d'intérêt usuel annuel s'appliquera à la fois aux nouvelles avances de fonds et aux soldes subsistants (que ce soit une avance de fonds par chèque ou des transferts de solde) si vous ne remplissez pas les conditions requises pour pouvoir bénéficier de notre taux d'intérêt de lancement. Reportez-vous à votre contrat de carte de crédit pour plus de détails. »

Dans le cadre de ces offres, le consommateur se voit attribuer un taux d'intérêt annuel parmi une gamme de taux et ce, selon sa solvabilité selon l'évaluation de la MBNA. Le taux est fixé une fois le formulaire de demande complété et envoyé à la MBNA. Il est indiqué que le taux d'intérêt annuel pour utiliser la carte peut être aussi bas que 9,99 %.


Position de la MBNA

La MBNA affirme dans ses observations, en date du 5 septembre 2003, que ces indications sont des « hypothèses » raisonnables au sens du paragraphe 6(3) du Règlement. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

6. (3) Les renseignements figurant dans la déclaration peuvent être fondés sur une estimation ou une hypothèse dans la mesure où celle-ci est raisonnable et où, à la fois :

a) les renseignements ne peuvent être connus de la banque au moment où elle fait la déclaration;

b) la déclaration comporte une mention indiquant que les renseignements sont fondés sur une estimation ou une hypothèse.

La MBNA se reporte à l'interprétation de l'ACFC quant à l'expression « hypothèse » , soit plus précisément aux définitions suivantes : [traduction] « chose qu'on présume vraie » , « admettre sans preuve » , « supposition tenue pour vraie » et « fait ou énoncé (proposition, axiome, postulat ou notion) tenu pour acquis » . Dans sa lettre du 5 septembre, la MBNA affirme :

Nous croyons que ces définitions s'appliquent au produit financier ABQ. On présume vrai ou on admet sans preuve que celui qui fait une demande de carte remplira nos exigences de crédit les plus élevées et sera admissible au taux de 9,99 % . Si cette hypothèse est erronée, alors on suppose que celui qui fait la demande de crédit remplira les exigences de crédit pour un des autres taux mentionnés.

La MBNA prétend également que si l'hypothèse portant que le consommateur sera admissible au taux le plus bas se révèle inexacte, on présumera que le demandeur sera admissible à un taux d'intérêt annuel supérieur.

Analyse

L'hypothèse voulant que celui qui demande une carte de crédit remplisse les exigences les plus élevées de la MBNA est déraisonnable. En effet, seulement 8,56 % des clients avaient une solvabilité suffisante pour être admissibles au taux d'intérêt de 9,99 %. Compte tenu de l'expérience de la MBNA à titre d'important émetteur de cartes de crédit, l'entreprise était bien placée pour tracer de façon réaliste les profils de crédit des différentes catégories de consommateurs et ce, avec suffisamment de précision pour savoir que la plupart des consommateurs ne seraient pas admissibles au plus bas taux annoncé.


Pour ce qui est de l'argument selon lequel le consommateur qui n'est pas admissible au taux de 9,99 % est « présumé » être admissible à un taux supérieur, il ne s'agit pas là de l'hypothèse prévue au paragraphe 6(3). La MBNA soutient que le consommateur qui n'est pas admissible au taux de 9,9.9 % sera néanmoins admissible, par défaut, à un taux plus élevé. Toutefois, le consommateur n'a pas d'idée du taux qui lui sera applicable, ni de la façon dont sera évaluée sa solvabilité, tout comme il ignore sur quelle source d'information sera fondée cette évaluation. Le consommateur ne sait pas davantage quels critères seront utilisés pour établir sa solvabilité, il ne connaît pas leur importance relative ni comment ils donnent lieu à l'attribution d'un taux plutôt qu'un autre.

Il importe de garder à l'esprit que l'objet du paragraphe 11(1) du Règlement est de veiller à ce que le consommateur ait accès aux renseignements financiers essentiels dès le moment de la demande de crédit de sorte qu'il fasse des choix financiers avertis. Cette disposition est entrée en vigueur en septembre 2001; elle emporte un changement important par rapport au règlement antérieur. Une bonne communication des renseignements tend à encourager l'égalité des chances entre les fournisseurs de services financiers, et doit permettre aux consommateurs de comparer les produits. Par ailleurs, cela favorise le développement de meilleurs produits financiers.

Compte tenu de cet objectif d'intérêt public important, le paragraphe 6(3) ne permet pas d'envisager des hypothèses dont tous les éléments relèvent de la connaissance exclusive ou du pouvoir discrétionnaire de l'institution financière.

Pour être raisonnable, une hypothèse doit avoir un certain fondement objectif et vérifiable, de sorte que le consommateur puisse évaluer par lui-même le contenu des renseignements dont la réglementation exige la communication. Dans le cas des offres ABQ, on demande au consommateur de spéculer sur le taux d'intérêt annuel applicable compte tenu des conclusions unilatérales de la MBNA quant à sa solvabilité.

MBNA s'appuie sur le paragraphe 6(3) du Règlement pour ne pas communiquer le taux d'intérêt annuel; selon elle, la communication n'est pas nécessaire parce que les renseignements sont fondés sur une « hypothèse raisonnable » . Pour les motifs qui précède, je n'accepte pas cet argument. En conséquence, je conclus que la MBNA a contrevenu au paragraphe 11(1) du Règlement sur le coût d'emprunt (banques) en ce qu'elle n'a pas communiqué le taux d'intérêt annuel dans ses formulaires de demande de carte de crédit ou dans la documentation les accompagnant.

Étant donné que la violation en l'espèce est liée à un vaste envoi promotionnel étalé sur plusieurs mois qui revêt un caractère généralisé et qu'il s'agit là d'une contravention relative à la communication de renseignements essentiels selon la Loi sur les banques et le Règlement, un procès-verbal sera dressé à l'encontre de MBNA en vertu du paragraphe 22(2) de la Loi sur l'agence de la consommation en matière financière du Canada.

Quant au montant de pénalité, je dois le considérer à la lumière des trois critères énoncés à l'article 20 de la Loi sur l'agence de la consommation en matière financière du Canada : 1) la nature de l'intention ou de la négligence de l'auteur, 2) la gravité du tort causé 3) les antécédents de l'auteur au cours des cinq ans précédant la violation.

S'agissant de la nature de l'intention ou de la négligence, l'ACFC a ouvert antérieurement deux dossiers concernant les offres ABQ de la MBNA.


Le dossier no 800-21801 concernait la version française d'une offre de carte de crédit Platinum Plus de la MBNA. Une lettre de réprimande a été proposée parce que la publicité apparaissant sur l'enveloppe de cette version française annonçait un taux d'intérêt annuel de « seulement 9,99 % » . La documentation accompagnant cette offre postale précisait que le taux était aussi bas que 9,99 %. Ce taux y est présenté comme étant le taux applicable et non le taux potentiel.

Dans le dossier no 800-6958, il y a une lettre de réprimande reprochant à la MBNA deux violations en ce qui a trait à des offres de cartes de crédit postées pendant les mois de mai, juin et juillet 2002. Dans ce cas, les formulaires de demande de carte de crédit et la documentation les accompagnant n'énonçaient pas le taux d'intérêt sur les achats faits pendant la période de lancement. Les documents n'indiquaient pas non plus le ­taux d'intérêt annuel pour utiliser la carte, mais faisaient état d'un « taux aussi bas que 9,99 % » .

La MBNA n'indiquait pas la gamme de taux d'intérêt applicables dans l'éventualité où le consommateur ne pouvait bénéficier du faible taux de lancement. La MBNA a arrêté d'envoyer la documentation lorsque l'ACFC l'a avisée de ses préoccupations relativement à la promotion des taux ABQ.

Malgré tout, la MBNA a lancé un nouvel envoi postal, dont la stratégie consistait à ajouter une gamme de taux d'intérêt annuel possibles au taux de 9,99 % annoncé dans sa publicité antérieure. Comme il a été indiqué précédemment, la MBNA n'a pas, dans cet envoi, corrigé les défauts fondamentaux de la stratégie ABQ. Elle déclare que, dès le 30 mai 2002, elle a informé l'ACFC son intention de procéder à un envoi postal présentant essentiellement le produit financier sous la forme soumise, qu'elle a demandé au chargé de dossier de confirmer le caractère acceptable de l'envoi, et que cet employé s'est engagé à se prononcer. La MBNA prétend que lorsque, le 15 juin, elle s'est enquise des suites de l'affaire auprès de l'ACFC, l'employé chargé du dossier a dit que l'affaire était toujours « à l'étude » . La MBNA soutient que l'offre qu'elle se proposait d'envoyer par la poste a encore donné lieu à des discussions avec ce même employé en juillet 2002. Elle affirme l'avoir avisé de son intention d'aller de l'avant et dit que l'employé [traduction] « n'a pas laissé entendre que cette façon de faire devait être abandonnée » . La MBNA fait valoir que l'affaire a encore été soulevée avec le chargé de dossier à de nombreuses occasions entre juillet 2002 et la fin mars 2003 (23 mars), mais qu'elle n'a reçu aucune directive de l'ACFC. Enfin, la MBNA prétend qu'elle a agi avec diligence et bonne foi en tentant de connaître la position de l'ACFC concernant ce produit.


Or, dès le 30 mai 2002, le chargé de dossier avait exprimé ses réserves à la MBNA quant aux offres ABQ. En juin 2002, il avait indiqué qu'il ne pouvait se prononcer sur l'acceptabilité du produit, et que la politique de l'ACFC ne permettait pas de fournir des conseils de cette nature aux institutions financières. Une lettre demandant un examen des activités de la MBNA suivant la Loi sur les banques a été envoyée le 19 juillet 2002 relativement au produit ABQ. Ce geste aurait dû lui faire comprendre que l'affaire n'était pas réglée. Le 25 octobre 2002, le chargé de dossier a informé la MBNA qu'aucune décision n'avait encore été prise.

Compte tenu de la complexité grandissante des produits financiers et des pressions de la concurrence sur les institutions financières, l'ACFC ne peut se placer dans une situation où il se ferait le partenaire de ces institutions pour ce qui est du développement et du marketing de leur produits financiers. Agir ainsi risquerait de placer l'ACFC en conflit avec le dispositif réglementaire dont elle doit assurer le respect. La façon d'agir du chargé de dossier est en accord avec ces préoccupations. La charge de respecter la loi incombe à l'institution financière. En l'espèce, la MBNA a agi à ses propres risques : elle avait été avertie antérieurement des problèmes inhérents à sa stratégie promotionnelle dans deux dossiers antérieurs, et elle a reçu une lettre d'examen de ses activités très tôt dans le cadre des discussions engagés avec l'ACFC.

S'agissant du tort causé, la MBNA rapporte avoir posté 5 905 500 offres ABQ entre les mois d'août et septembre 2002. Avec un taux de réponse de 0,13 % (estimation de la MBNA), cela aurait entraîné 8770 contrats de crédit. Des 8770 contrats de crédit conclus, environ 742 (8770 x 8,56%) auraient été admissibles au taux de 9,99 %.

Je suis prêt à tenir pour acquis que les consommateurs ont été incités à présenter une demande de carte de crédit Platinum Plus de la MBNA et à l'utiliser du fait qu'ils croyaient bénéficier d'un taux d'intérêt annuel de 9,99 %.

Par ses actes, la MBNA a porté atteinte à l'importante politique d'intérêt public dont j'ai traité précédemment. La loi expose clairement que les consommateurs ont droit à des renseignements précis en ce qui concerne le taux d'intérêt annuel applicable à leur contrat de carte de crédit et que ces renseignements doivent leur être fournis au moment où la demande de carte de crédit est faite. Cela permet au consommateur de prendre des décisions financières éclairées et de comparer avant de s'engager. Sans ces renseignements, les consommateurs prennent des décisions moins éclairées. En présentant le taux d'intérêt annuel comme elle l'a fait, la MBNA a détourné les consommateurs de ses concurrents qui respectent les exigences réglementaires, contribuant ainsi à créer une inégalité des chances entre fournisseurs de services financiers de détail et compromettant le développement et la fourniture de meilleurs produits et services. Sans vérification de la part de l'ACFC, les pratiques illégales d'une institution financière concernant une importante ligne de produits dans l'industrie du crédit sont susceptibles d'avoir une incidence dissuasive sur les institutions qui investissent dans des produits respectueux des dispositions visant les consommateurs, sapant ainsi leur détermination à s'orienter vers une pratique de conformité.


S'agissant des antécédents en matière de violation, les violations reprochées dans les dossiers no 21801 et no 6958 étaient à peu près concomitantes avec la violation dans le présent dossier et, en conséquence, j'attacherais une importance moindre à cet élément aux fins de détermination de la pénalité applicable en l'espèce.

Pour les motifs susmentionnés, et compte tenu de la gravité de violation dans la présente affaire et de son incidence sur un grand nombre de consommateurs et sur le marché, je propose une pénalité de 75 000 $.

OTTAWA, 15 décembre 2003

William (Bill) G. Knight

Commissaire de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada.


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