Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020911

Dossier : IMM-648-02

Référence neutre : 2002 CFPI 952

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                        NATALIA VOITSEKHOVSKY

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 4 février 2002 par laquelle un agent chargé des renvois a refusé de surseoir au renvoi de Mme Voitsekhovsky.

LES FAITS


[2]                 Mme Voitsekhovsky est une citoyenne d'Israël âgée de 48 ans qui est née en Moldavie, dans l'ex-Union Soviétique. Elle est arrivée munie d'un visa de visiteur au Canada en 1993 en compagnie de son mari et de sa fille. Peu de temps après son arrivée au Canada, Mme Voitsekhovsky a revendiqué le statut de réfugié en provenance d'Israël. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé sa revendication en mai 1995. Le contrôle judiciaire de cette décision a été refusé. À la suite d'une décision défavorable au sujet de la révision de la revendication refusée, Mme Voitsekhovsky et les membres de sa famille ont été renvoyés en Israël en 1996.

[3]                 En 1998, Mme Voitsekhovsky, son mari et sa fille sont revenus au Canada munis de nouveaux visas de visiteur et, peu de temps après leur arrivée, ils ont présenté une seconde revendication du statut de réfugié. L'autre fille de Mme Voitsekhovsky, qui est résidente permanente au Canada, a déposé une demande de parrainage de sa mère le 2 novembre 2000. Le 27 novembre 2000, Mme Voitsekhovsky a présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

[4]                 La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la seconde revendication du statut de réfugié en décembre 2000. La demande de parrainage de Mme Voitsekhovsky et la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de cette dernière ont toutes les deux été refusées en août 2001. Une décision négative a par ailleurs été rendue en décembre 2001 au sujet de la révision de la revendication refusée.

[5]                 En octobre 2001, Mme Voitsekhovsky et sa fille se sont présentées à leur première entrevue d'évaluation du risque avant le renvoi.

[6]                 Mme Voitsekhovsky affirme qu'en octobre et novembre 2001, elle s'est présentée à plusieurs entrevues de ce genre devant l'agent Dickie, un étudiant d'université qui travaillait à Immigration Canada à titre de participant au Programme d'enseignement coopératif. Mme Voitsekhovsky affirme que l'agent Dickie l'a encouragée à déposer une seconde demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, en se disant d'avis que sa première demande humanitaire était mal fondée. Mme Voitsekhovsky explique qu'en raison de ces encouragements et de ce conseil, elle a déposé en décembre 2001 une seconde demande en invoquant des raisons d'ordre humanitaire.

[7]                 L'agent Dickie nie avoir fait ces commentaires et avoir donné ce conseil.


[8]                 Le 4 février 2002, Mme Voitsekhovsky s'est présentée à une entrevue relative à son renvoi en présence d'un agent chargé des renvois qui lui a fait savoir qu'en dépit de sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en instance, elle serait renvoyée du Canada au cours de la semaine du 24 février 2002. L'agent chargé des renvois a signalé qu'il n'y avait aucune note au dossier au sujet de l' « encouragement » donné par l'agent Dickie. Le 14 février 2002, Mme Voitsekhovsky a rencontré de nouveau l'agent chargé des renvois pour discuter des dispositions en vue de son renvoi. À ce moment-là, Mme Voitsekhovsky a signifié à l'agent chargé des renvois l'avis de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'elle avait déposée dans la présente instance.

[9]                 Le 22 février 2002, la Cour a sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre Mme Voitsekhovsky jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au sujet de la présente demande.

QUESTION EN LITIGE

[10]            Une seule question est en litige dans la présente demande : celle de savoir si l'agent chargé des renvois a manqué au devoir d'équité qui lui imposait la théorie des attentes légitimes en refusant de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi en attendant l'issue de la seconde demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire déposée par Mme Voitsekhovsky.

ANALYSE

[11]            L'analyse part de la prémisse que la conduite qui donnerait lieu à une attente légitime doit être claire, sans équivoque et inconditionnelle (voir Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, à la page 7-41, cité et approuvé par le juge en chef McLachlin et le juge Binnie dans l'arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, au paragraphe 29).

[12]            Les éléments de preuve fournis par Mme Voitsekhovsky à l'appui de son argument au sujet des attentes légitimes sont contenus dans trois affidavits souscrits respectivement par Mme Voitsekhovsky, sa fille et un ami. Voici l'intégralité de ces éléments de preuve :

1.          Mme Voitsekhovsky a déclaré ce qui suit sous serment :

[TRADUCTION] En octobre et novembre 2001, à la suite de la décision négative rendue au sujet de ma première demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, j'ai eu plusieurs entrevues avec l'agente d'immigration Ambra Dickie. Lors de l'une de ces entrevues, l'agente d'immigration Ambra Dickie m'a suggéré d'engager un avocat et de soumettre une nouvelle demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. L'agente d'immigration Ambra Dickie a également dit que la décision rendue au sujet de ma première demande humanitaire comportait de nombreuses erreurs.

2.          La fille de Mme Voitsekhovsky a déclaré sous serment dans son affidavit :

[TRADUCTION] En octobre et novembre 2001, je me suis présentée à trois entrevues devant l'agent d'immigration Ambra Dickie et j'ai eu de nombreuses conversations téléphoniques avec elle. Dans l'une de ces entrevues, l'agente d'immigration Ambra Dickie m'a expliqué que ma mère avait d'excellentes chances d'obtenir gain de cause et qu'elle devait produire une nouvelle demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Elle a dit que nous devions engager un avocat pour remplir la demande en question. Lors de l'entrevue subséquente, l'agente d'immigration Ambra Dickie nous a demandé où nous en étions avec nos démarches en vue de retenir les services d'un avocat et de déposer une nouvelle demande. Elle nous a suggéré de ne pas tarder à déposer la demande.

3.          L'amie de Mme Voitsekhovsky a déclaré ce qui suit dans son affidavit :


[TRADUCTION] Après cela, nous avons commencé à discuter de la décision humanitaire. Je me rappelle bien que nous avons beaucoup parlé de la question de savoir si les revenus étaient suffisants pour justifier un parrainage. Nous avons aussi abordé d'autres sujets, notamment des prestations pour enfant que la demanderesse était censée avoir reçues mais qu'elle n'avait pas reçues. Cet échange a duré entre 45 minutes et une heure. Mark et moi avons ensuite dit à l'agente d'immigration que la décision humanitaire comportait de nombreuses erreurs. Elle en a convenu et elle a répondu qu'elle avait constaté que beaucoup d'erreurs avaient été commises dans cette affaire. J'ai demandé à l'agente d'immigration Dickie s'il serait possible de réexaminer l'affaire. L'agente d'immigration Dickie a répondu que cela n'était pas possible et que, même s'il y avait des erreurs, il n'était pas possible de réviser le dossier. L'agente d'immigration Dickie a cependant ajouté que nous pouvions présenter une autre demande. Je lui ai demandé comment nous pouvions être sûres que, la prochaine fois, aucune erreur ne serait commise. L'agente d'immigration Dickie a répondu que l'erreur est humaine. Elle a expliqué que la demanderesse avait le droit d'engager un avocat et de présenter une nouvelle demande. Elle a également dit que la demanderesse avait des chances d'obtenir gain de cause si elle présentait une nouvelle demande. Je ne puis affirmer avec certitude si l'agente d'immigration Dickie a bien dit que la demanderesse avait de bonnes chances d'obtenir gain de cause, mais je suis certaine qu'elle a dit que la demanderesse avait des chances d'avoir gain de cause. L'agente d'immigration Dickie a répondu qu'elle continuerait à préparer les documents de départ du Canada, mais qu'il lui faudrait un certain temps. Elle a ajouté que la demanderesse aurait assez de temps pour engager un avocat et pour présenter une autre demande humanitaire [Non souligné dans l'original.]

[13]            Aucun de ces affidavits ne renferme d'éléments de preuve permettant de penser que quelqu'un a affirmé - et encore moins affirmé de façon claire, sans équivoque et inconditionnelle - que l'exécution de la mesure de renvoi serait suspendue tant que la seconde demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire n'aurait pas été présentée et jugée. Il ressort d'ailleurs du témoignage le plus détaillé au sujet des événements qui se sont produits, en l'occurrence l'affidavit d'une amie de la demanderesse, que l'agente Dickie a déclaré qu'elle continuerait à préparer les documents d'expulsion.

[14]            L'agente Dickie a déclaré ce qui suit sous serment :

[TRADUCTION] En réponse au paragraphe 3 de l'affidavit de Natalia Voitsekhovsky, je nie avoir tenu les propos qu'elle m'attribue. Je me souviens lui avoir dit qu'il ne m'appartenait pas de dire si la décision rendue au sujet de sa demande humanitaire était entachée d'une erreur. Je lui ai dit qu'elle pouvait engager un avocat pour soumettre une nouvelle demande mais qu'entre-temps, les dispositions prises en vue de son renvoi suivraient leur cours.


[15]            Même en ne tenant compte que du témoignage de Mme Voitsekhovsky, de sa fille et de son amie, la preuve est trop partielle pour qu'on puisse conclure qu'on a expressément ou tacitement déclaré à la demanderesse qu'elle ne serait pas expulsée, de sorte que la théorie des attentes légitimes s'appliquerait.

[16]            L'avocat de Mme Voitsekhovsky affirme qu'une invitation à déposer une seconde demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire comporte implicitement la promesse qu'en cas de présentation de cette demande, la mesure de renvoi ne sera pas exécutée tant que la demande n'aura pas été examinée. Sinon, le dépôt d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ne comporterait, selon l'avocat de Mme Voitsekhovsky, aucun avantage. En toute déférence, même en acceptant que Mme Voitsekhovsky ait été encouragée à déposer une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, j'accepte le témoignage de l'agente Dickie, qui soutient qu'elle a informé Mme Voitsekhovsky que les dispositions prises en vue de son renvoi suivraient leur cours même si une nouvelle demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire était déposée, parce que ce témoignage est corroboré par l'amie de Mme Voitsekhovsky. Cette affirmation expresse exclut nécessairement toute déclaration contradictoire implicite.


[17]            Qui plus est, le dépôt d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire confère effectivement des avantages même si la mesure de renvoi est exécutée, parce que la demande sera de toute façon instruite même après le renvoi et que, si elle obtient gain de cause, la demanderesse sera alors autorisée à revenir au Canada pour présenter une demande d'établissement en sol canadien.

[18]            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]            L'avocat de Mme Voitsekhovsky a formulé la question suivante qu'il demande à la Cour de certifier :

Est-il nécessaire que la promesse ait été faite expressément pour qu'il y ait attente légitime ou une promesse tacite suffit-elle?

[20]            Le ministre s'oppose à la certification de cette question et soutient qu'il n'y a aucun élément de preuve au dossier qui justifie l'examen de cette question.

[21]            Je suis d'accord avec l'avocate du ministre pour dire que cette question ne découle pas des éléments de preuve versés au dossier soumis à la Cour parce que j'ai conclu, vu l'ensemble de la preuve, qu'il n'existe aucune déclaration tacite contraire aux paroles explicites formulées par l'agente Dickie.


                                           ORDONNANCE

[22]            LA COUR :

1.          REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.          NE CERTIFIE aucune question.

                 « Eleanor R. Dawson »                                                                                                                                          Juge     

     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

No DU GREFFE :                                              IMM-648-02

  

INITULÉ :                                                           Natalia Voitsekhovsky c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 28 août 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS :                                     Le 11 septembre 2002

  

COMPARUTIONS :

  

Me Martin J. Bauer                                               POUR LA DEMANDERESSE

  

Me Helen Park                                        POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

Hobson & Company                                            POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

  

Me Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.