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     IMM-2124-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 JUILLET 1997

DEVANT LE JUGE CULLEN

ENTRE

     SAFI MOHAMUD DIRSHE,

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     Une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 31 mai 1996, que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ayant été présentée.

     L'avocat de la requérante ayant soumis la question suivante pour certification :

     [TRADUCTION]

     La question de savoir si la revendicatrice est tenue de se réclamer de la protection d'une milice qui n'a pas encore établi toutes les institutions civiles gouvernementales, qui se livre à une guerre intestine et qui commet régulièrement des crimes contre l'humanité.         
     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ :
1.      que l'affaire soit déférée à un tribunal composé de membres différents pour nouvel examen de la question de la PRI mentionnée dans les motifs d'ordonnance ci-joints;
2.      que la question précitée ne soit pas certifiée, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une question de portée générale, mais d'une question de fait qui doit être tranchée sur une base individuelle.

     "B. Cullen"

     Juge

Traduction certifiée conforme     

     C. Delon, LL.L.

     IMM-2124-96

ENTRE

     SAFI MOHAMUD DIRSHE,

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après appelée le "tribunal"] a conclu, le 31 mai 1996, que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

     La requérante sollicite une ordonnance annulant la décision du tribunal et prévoyant qu'elle a droit à une nouvelle audience conformément aux directives que la Cour juge opportun de donner.

LES FAITS

     La requérante est une femme âgée de 34 ans qui vient de la Somalie et qui est membre de la tribu hawiyé et du clan Habr Gedir. À l'heure actuelle, elle est mariée (il s'agit de son deuxième mariage) et elle réside avec son mari à Toronto, ce dernier s'étant vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention en 1992.

     La requérante est arrivée au Canada en 1991 et a revendiqué le statut de réfugiée au sens de la Convention. Il a été jugé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La Cour d'appel fédérale a annulé cette décision et l'affaire a été déférée au tribunal pour nouvelle audience. La requérante a revendiqué le statut de réfugiée au sens de la Convention du fait de sa race, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, soit celui de la tribu hawiyé et du clan Habr Gedir. Par suite des changements survenus dans la situation du pays, le tribunal a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La requérante sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à la suite de la nouvelle audience.

     La requérante a témoigné qu'en 1989, son clan avait été persécuté par les troupes gouvernementales. La requérante et sa famille, ainsi que d'autres Hawiyés vivant à Galcayo, ont été attaqués par l'armée somalienne. Le fils de quatre ans de la requérante, et par la suite le père de celle-ci, ont été tués par l'armée somalienne. La requérante s'est enfuie dans diverses régions de refuge en Somalie avant de venir au Canada. Le tribunal a retenu le témoignage de la requérante, en ce qui concerne ses tribulations en Somalie, comme étant crédible et digne de foi. Il a retenu la preuve documentaire montrant que, lorsque le régime de Siyad Barre, qui a été évincé, tirait à sa fin, les Hawiyés faisaient face à de graves dangers à cause du clan auquel ils appartenaient et qu'ils étaient victimes d'actes de persécution.

     Toutefois, le tribunal a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention parce que la situation qui existait en Somalie était telle que la requérante ne risquait plus raisonnablement d'être persécutée. Elle ne risquait plus raisonnablement d'être persécutée parce qu'une possibilité de refuge intérieur s'offrait à elle [ci-après appelée la "PRI"], parmi les membres de son clan, dans des régions comme Hobio, ou dans le sud de Mogadiscio. Le tribunal a conclu qu'objectivement, il serait raisonnable pour la requérante de chercher refuge dans ces deux régions, parce qu'elle y avait déjà vécu pendant qu'elle essayait d'échapper aux attaques des Darods.

     Étant donné qu'il existait une PRI parmi les membres du clan de la requérante, les Habr Gedir, le tribunal a rejeté la crainte que la requérante avait d'être violée en Somalie si elle y retournait. Le tribunal a conclu que les membres du clan Habr Gedir, ainsi que d'autres clans, avaient violé des femmes d'autres clans, mais que rien ne prouvait que le viol posait un problème au sein du clan Habr Gedir lui-même. Le tribunal a fait remarquer que, selon la preuve documentaire, [TRADUCTION] "le viol d'une femme est considéré comme portant atteinte à la virilité tant du mari que des autres hommes du clan". Sur cette base, le tribunal a conclu qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse que la revendicatrice soit violée, si on la retournait en Somalie et si elle vivait parmi les membres du sous-clan Habr Gedir.

     Le tribunal a en outre conclu que la requérante, en tant que femme retournant seule en Somalie, ne serait probablement pas en danger parce que, selon la preuve documentaire, la situation des femmes s'était nettement améliorée en Somalie.

     La requérante déclare que des secteurs du sud de la Somalie sont à l'heure actuelle sous la tutelle du sous-clan Habr Gedir, mais que ce sous-clan est partagé en deux factions qui se font la guerre. La preuve documentaire dont dispose le tribunal étayait cette assertion. La requérante s'oppose au chef d'un des sous-clans, le général Mohamed Farah Aideed, et elle s'est élevée contre lui pendant qu'elle était au Canada. La requérante croit qu'elle serait persécutée par la milice du général Aideed si elle retournait dans un territoire contrôlé par celui-ci. Elle ne dispose donc d'aucune PRI dans les régions désignées comme telles par le tribunal.

     La requérante déclare en outre qu'elle ne peut pas se déplacer en toute sécurité en Somalie, étant donné que des bandes armées et des membres de sexe masculin d'autres clans attaquent les femmes qui essaient de se déplacer dans le pays.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     Il s'agit principalement ici de savoir si le tribunal a commis une erreur en concluant que la requérante dispose d'une PRI en Somalie.

     Une question secondaire se pose, à savoir si la décision du tribunal est étayée par la preuve dont celui-ci disposait. A-t-il adéquatement été tenu compte des éléments de preuve contredisant les conclusions tirées par le tribunal?

ANALYSE

     "La possibilité de refuge intérieur"

     Il est maintenant de droit constant au sein de la Cour fédérale du Canada que, pour qu'il existe une PRI, la région sûre doit être une région dans laquelle on ne risque pas réellement d'être sérieusement en danger et que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, il ne doit pas être déraisonnable pour la personne concernée de se rendre dans cette région1. En plus de la qualité de la protection fournie à la personne concernée dans la région sûre, il faut notamment tenir compte, en déterminant s'il existe une PRI, de la possibilité pratique pour la personne concernée de se rendre dans la région en cause, de sa capacité de s'y rendre légalement et de la stabilité de ladite région2.

     En d'autres termes, pour qu'il existe une PRI viable, il n'est pas nécessaire de "risquer la mort".

     Le tribunal a-t-il appliqué le bon critère en déterminant que la requérante disposait d'une PRI dans le sud de Mogadiscio et à Hobio? Je crois que les conclusions tirées par le tribunal au sujet de la qualité de la sécurité offerte dans la région visée par la PRI, de la possibilité pratique de se rendre dans la région en question et du caractère raisonnable de la PRI compte tenu de la situation particulière de la revendicatrice sont en litige en l'espèce.

     1. Crainte de persécution dans la région visée par la PRI : la qualité de la sécurité : la décision du tribunal est fondée sur l'hypothèse selon laquelle, dans une région Habr Gedir contrôlée par le général Aideed, il n'existe aucun danger véritable pour la requérante.

     La requérante a présenté une preuve documentaire montrant que le clan Habr Gedir est divisé en diverses factions et que cela donne lieu à des luttes internes. La requérante déclare que son propre sous-clan est visé par les forces plus puissantes du général Aideed. Le propre rapport d'expert du tribunal préparé par le professeur Cassanelli dit que les membres du sous-clan Habr Gedir sont vulnérables à cause d'un conflit interne. Le tribunal avait tenu compte du fait que la requérante s'opposait au général Aideed, mais il estimait que la requérante "n'a[vait] pas démontré que sa soi-disant opposition était fondée sur de véritables convictions politiques, religieuses ou morales, ou encore qu'elle faisait opposition par scrupule de conscience".

     À l'appui de la conclusion selon laquelle, en tant que femme n'ayant pas de soutien familial en Somalie, la requérante ne serait pas en danger, le tribunal a cité une preuve documentaire concernant l'amélioration de la condition de la femme en Somalie ainsi que les valeurs culturelles traditionnelles décourageant le viol.

     Le tribunal a retenu la preuve documentaire concernant le viol au sein des clans et dans les camps de réfugiés, en particulier par des bandits et des voleurs. Le tribunal n'a accordé aucune importance à cette preuve, en ce qui concerne la requérante, parce qu'il a également conclu qu'aucune preuve documentaire ne montrait que le viol était chose courante parmi les membres du clan Habr Gedir lui-même.

     La requérante a cité une preuve documentaire qui contredit directement la preuve citée par le tribunal, en particulier sur les questions de viol, de violence contre les femmes, d'érosion des droits de la femme, et sur la nécessité que la personne en cause, pour obtenir une protection adéquate, soit fortement appuyée par sa famille. Le tribunal n'a absolument pas fait mention d'éléments de preuve contradictoires concernant la condition de la femme en Somalie. Le tribunal disposait des éléments de preuve contradictoires dans le rapport même qu'il avait cité à l'appui de sa conclusion. Les questions de poids de la preuve relèvent de la compétence du tribunal, mais ce dernier doit du moins mentionner pourquoi il accorde peu d'importance aux éléments de preuve documentaire contradictoires qui influent profondément sur la revendication ou pourquoi il les rejette.

     La preuve documentaire que le tribunal a citée à l'appui de la conclusion selon laquelle la requérante disposait d'une PRI viable n'étaye pas vraiment cette position. Ainsi, le tribunal cite le passage suivant de Human Rights Watch Africa :

     [TRADUCTION]

     [...] La situation, en ce qui concerne les droits de la personne reconnus au Somalien ordinaire, dépend en bonne partie de la place que celui-ci occupe dans cet ensemble hétéroclite et en bonne partie du clan et du sous-clan auxquels appartiennent une bonne partie des membres de la société somalienne. Chacun de ces clans, qui sont des fragments définis de l'appareil politique dont la capacité de protéger les droits de leurs membres ou de porter atteinte aux droits des autres, est plus ou moins grande, possède certains pouvoirs.         
     [...] [Ces autorités] peuvent en même temps mobiliser les forces visant à exclure les autres de l'exercice de leurs droits fondamentaux ou à être l'instrument par lequel pareils droits sont niés3.         

Il est difficile de croire, compte tenu de ce genre de preuve, que le tribunal a conclu que la crainte de persécution de la requérante n'était pas objectivement fondée.

     2. Possibilité physique de se rendre dans la région visée par la PRI : La requérante cite une preuve documentaire selon laquelle les déplacements, en Somalie, présentent leurs propres dangers, parce que de nombreux Somaliens peuvent uniquement se déplacer à pied, de sorte que les gens qui s'enfuient peuvent être attaqués. Cela veut dire qu'on marche à travers un territoire qui risque d'être dangereux, compte tenu en particulier du risque que les femmes courent d'être violées par des membres d'autres clans et d'être victimes d'une violente attaque.

     Le tribunal avait conclu que le fait que la requérante craignait les voleurs et les bandes n'équivaut pas à une crainte de persécution au sens de la définition de "réfugié au sens de la Convention".

     Le tribunal a commis une erreur de droit relativement à la PRI dans son appréciation de la crainte que la requérante avait à l'égard des bandes et de la milice qui rôdent dans le pays. Pour qu'une PRI soit viable, il doit être physiquement possible pour le requérant de se rendre dans la région en cause. Cela comporte une appréciation de la façon dont le requérant doit se rendre dans cette région. S'il est dangereux pour le requérant de se rendre dans la région en question, il est impossible de dire que la PRI est une possibilité pratique. Rien ne montre que le tribunal se soit arrêté à la possibilité pratique pour la requérante de se rendre en fait dans la région visée par la PRI.

     S'il existe une PRI dans un pays, il est essentiel que la personne qui doit s'en prévaloir puisse se rendre dans la région en cause en toute sécurité. On a présenté au tribunal une preuve selon laquelle, habituellement, c'est en marchant qu'on se déplace en Somalie. Par conséquent, la requérante devrait fort probablement se rendre à pied dans la région visée par la PRI. On a également présenté au tribunal une preuve tendant à montrer qu'il y a des bandes de voleurs et de miliciens armés qui rôdent dans le pays et que les femmes risquent d'être violées par des hommes n'appartenant pas à leur propre clan.

     Le tribunal n'a pas tenu compte du risque d'être persécutée pour des motifs prévus par la Convention que courrait la requérante si elle essayait de se rendre dans la région visée par la PRI, en Somalie. Le tribunal a donc omis de tenir compte de la crainte subjective de la requérante. Ces conclusions sont toutes les deux erronées en droit.

     Lorsque le tribunal a conclu que la requérante ne serait pas en danger en tant que femme retournant en Somalie sans le soutien ou la protection de sa famille, il a encore une fois négligé d'appliquer son analyse à la possibilité pratique pour la requérante de réussir à se rendre dans la région visée par la PRI. Cela constitue une autre erreur de droit. Le tribunal a tenu compte de la sécurité des femmes uniquement dans la région visée par la PRI contrôlée par les Habr Gedir. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, il fallait examiner la crainte de la requérante compte tenu du fait qu'elle devait se rendre dans la région visée par la PRI. Il est à supposer que la requérante n'aurait pas été parachutée dans la région en question. La preuve dont disposait le tribunal et que ce dernier a mentionnée dans ses motifs était que les femmes risquent en fait d'être violées par des hommes de clans différents. Par conséquent, il existait une preuve de persécution des femmes pour des motifs prévus par la Convention, et le tribunal a rendu sa décision sur ce point sans tenir compte de cet élément de preuve.

     3. La PRI est-elle raisonnable dans le cas de la requérante? Il s'agit de savoir si la requérante peut "raisonnablement et sans préjudice excessif, trouver dans son propre pays un refuge" dans une région envisagée aux fins de la PRI4. En outre, comme je l'ai dit dans le jugement Hussain c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (4 mai 1994) A-1312-92 (C.F. 1re inst.), [inédit], à la page 7, une PRI dans une région particulière est déraisonnable s'il y a une "absence de structures et d'organisations auxquelles le demandeur pouvait s'adresser pour obtenir la protection".

     En l'espèce, le tribunal estimait que la milice du général Aideed fournissait une PRI sûre.

     En concluant qu'il ne serait pas déraisonnable pour la requérante de se prévaloir de la PRI, le tribunal ne semble pas avoir tenu compte du témoignage que cette dernière a présenté au sujet du fait que son père et son fils en bas âge avaient été tués. Les liens familiaux intimes de la requérante en Somalie ont tragiquement été rompus. Il existe une preuve d'hostilités continues entre les clans, et même de lutte à l'intérieur des clans eux-mêmes. La requérante serait jetée seule dans pareil milieu sans l'appui ou la protection de sa famille. La conclusion du tribunal n'est pas étayée par la preuve dont il disposait. Il s'agit d'une erreur de droit.

     4. Changements survenus dans la situation du pays : Le tribunal a conclu que les changements qui étaient survenus dans la situation du pays étaient suffisants pour influer sur le bien-fondé de la crainte qu'a la requérante d'être persécutée si on la retournait en Somalie.

     La Cour d'appel fédérale a parlé comme suit des changements qui surviennent dans la situation d'un pays dans l'arrêt Yusuf, Sofia Mohamed c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (9 janvier 1995), A-130-92 [inédit] :

     [...] Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun "critère" juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme "important", "réel" et "durable" n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté?         

     Les tribunaux ont toujours statué que les changements qui surviennent dans la situation d'un pays doivent être appréciés selon les répercussions qu'ils ont sur la situation du revendicateur5.

     Le fait que le tribunal conclut que des changements sont survenus dans la situation d'un pays ne met pas pour autant un terme à la revendication. C'est ce qui est expliqué au paragraphe 2(3) de la Loi, qui se lit comme suit :

     (3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.         

Cette disposition est à peu près identique au paragraphe 136 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (1979) Genève : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés :

     [La clause] prévoit le cas particulier d'une personne qui a fait l'objet de violentes persécutions dans le passé et qui, de ce fait, ne cesse pas d'être un réfugié même si un changement fondamental de circonstances intervient dans son pays d'origine. [...] Il est fréquemment admis que l'on ne saurait s'attendre qu'une personne qui a été victime " ou dont la famille a été victime " de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. Même s'il y a eu un changement de régime dans le pays, cela n'a pas nécessairement entraîné un changement complet dans l'attitude de la population ni, compte tenu de son expérience passée, dans les dispositions d'esprit du réfugié.         

     La personne qui, à cause d'un changement qui est survenu dans la situation du pays, ne peut plus craindre avec raison d'être persécutée pour un motif prévu par la Convention peut néanmoins être un réfugié au sens de la Convention et refuser de se réclamer de la protection de son pays s'il existe des motifs impérieux de le faire. Tel est l'effet du paragraphe 2(3) de la définition de "réfugié au sens de la Convention" figurant dans la Loi sur l'immigration . S'il existe pareils motifs impérieux, conformément au paragraphe 2(3), la clause de cessation de la définition, soit l'alinéa 2e), ne s'applique pas et le changement qui est survenu dans la situation du pays ne fera donc pas échouer la revendication.

     Toutefois, la jurisprudence peu abondante qui existe en ce qui concerne le paragraphe 2(3) montre que cette disposition ne doit s'appliquer que dans des circonstances exceptionnelles. La principale décision sur ce point a été rendue par le juge Hugessen dans Obstoj c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (12 mai 1992) A-1109091 (C.A.F.) [inédit]. Le juge Hugessen a dit que le paragraphe 2(3) s'applique à "ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution".

Toutefois, il a ajouté que "[l]es circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels." Ni le tribunal, dans sa décision, ni la requérante, dans les observations qu'elle a faites devant cette cour, n'ont parlé du paragraphe 2(3) de la Loi .

CONCLUSION

     Le tribunal a commis une erreur de droit relativement à plusieurs éléments cruciaux de la PRI. Les conclusions erronées influaient profondément sur la revendication de la requérante. Cela constitue une erreur de droit sérieuse qui a donné lieu à une décision manifestement déraisonnable justifiant l'intervention de cette cour. La décision du tribunal est annulée et l'affaire est déférée à un tribunal composé de membres différents pour nouvel examen de la question de la PRI, compte tenu du raisonnement figurant dans la présente décision.

     À la fin de la présente audience, l'avocat de la requérante a proposé la certification de la question suivante :

     [TRADUCTION]         
     La question de savoir si la revendicatrice est tenue de se réclamer de la protection d'une milice qui n'a pas encore établi toutes les institutions civiles gouvernementales, qui se livre à une guerre intestine et qui commet régulièrement des crimes contre l'humanité.         

Il ne s'agit pas d'une question de portée générale, mais d'une question de fait qui doit être tranchée sur une base individuelle. Par conséquent, cette question ne sera pas certifiée.

     "B. Cullen"

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 2 juillet 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2124-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SAFI MOHAMUD DIRSHE
                     ET
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le mercredi 25 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      du juge Cullen en date du 2 juillet 1997

ONT COMPARU :

     Raoul Boulakia,                      pour la requérante

     Sadian Campbell,                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Raoul Boulakia                      pour la requérante

     Toronto (Ontario)

     George Thomson                      pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada


__________________

1      Rasaratnum c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (5 décembre 1991) A-232-91 (C.A.F.) [inédit].

2      Voir par exemple Savaratham.

3      "Somalia Faces the Future", Human Rights Watch Africa , avril 1995.

4      Ahmed c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (14 juillet 1993) A-89-92 (C.A.F.) [inédit], à la page 4.

5      Rahman, Faizur c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (14 mai 1993), A-1224-91 (C.A.F.) juges Marceau, Desjardins et Létourneau [inédit].

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