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Date : 19980618


Dossier : IMM-2363-97


OTTAWA (ONTARIO), LE 18 JUIN 1998.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :



BILLAL AHMAD YASSIN,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,



défendeur.



ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L"affaire est renvoyée à un agent d"immigration pour qu"il statue de nouveau sur l"admissibilité du demandeur conformément au Règlement tel qu"il existait avant les modifications apportées le 1er mai 1997.



" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, LL.B.




Date : 19980618


Dossier : IMM-2363-97

ENTRE :



BILLAL AHMAD YASSIN,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,



défendeur.




MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER


[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d"immigration a déterminé que le demandeur n"appartenait pas à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la catégorie des DNRSRC) définie au paragraphe 2(1) du Règlement sur l"immigration de 19781 ( le Règlement).

[2]      Le demandeur, un national de l"Afghanistan, a revendiqué le statut de réfugié au Canada. Sa revendication a été rejetée par la section du statut de réfugié le 15 mai 1996, au motif qu"il était exclu en vertu de l"alinéa 1Fa ) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Le demandeur a cherché à faire examiner la décision de la section du statut de réfugié, mais la Cour a refusé de lui accorder l"autorisation nécessaire.

[3]      À l"époque où la revendication du statut de réfugié du demandeur a été rejetée, le Règlement prévoyait que le demandeur débouté était réputé avoir soumis une demande d'établissement à titre de personne appartenant à la catégorie des DNRSRC le jour où la section du statut de réfugié a rendu sa décision2. En conséquence, conformément au Règlement, le demandeur a déposé des observations sur les risques au soutien de sa demande fondée sur la catégorie des DNRSRC, dans une lettre datée du 15 novembre 1996. Aucune décision n"a été rendue en ce qui concerne sa demande avant le 30 mai 1997.

[4]      À ce moment-là cependant, le Règlement avait été modifié. En effet, il a été modifié le 1er mai 19973 de façon à exclure de la catégorie les personnes qui, comme le demandeur, étaient visées par l"alinéa 1Fa ) de la Convention. La demande du demandeur a été examinée en vertu de ces nouvelles règles et, en conséquence, elle a automatiquement été rejetée. Le demandeur soutient que sa demande aurait dû être appréciée en fonction de l"ancien Règlement .

[5]      Au cours des derniers mois, la Cour a traité à deux occasions de la question de savoir s"il fallait appliquer l"ancien ou le nouveau Règlement . Dans la décision Say c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)4, le juge Rothstein a conclu que le nouveau Règlement s"appliquait " à tous les demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, que leur demande soit réputée avoir été présentée au plus tard le 30 avril 1997 ou qu'elle ait été présentée après cette date ". À son avis, les demandeurs n"ont aucun droit acquis quant au maintien de la loi en vigueur à la date à laquelle ils étaient réputés avoir présenté leur demande.

[6]      Le juge Reed est parvenue à une autre conclusion dans l"affaire Nasser Hirbod c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration5. Elle était d"avis qu"en vertu du libellé du nouveau Règlement , la nouvelle définition s"appliquait aux demandes relativement auxquelles des observations n"avaient pas encore été faites. Aucun des paragraphes 11.4(3) et suivants ne s"appliquaient expressément dans le cas où les observations sur les risques avaient été déposées avant l"entrée en vigueur du Règlement modifié. Elle a dit :

Le législateur a libellé le Règlement d'une manière très étrange et maladroite s'il souhaitait que la nouvelle définition du demandeur non reconnu du statut de réfugié s'applique à toutes les demandes présentées avant le 1er mai 1997, y compris celles au sujet desquelles le requérant a pris toutes les mesures exigées de lui avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions et attend simplement que l'agent d'immigration compétent rende sa décision. Si le législateur voulait retenir l'interprétation que l'avocat de l'intimé propose, pourquoi alors n'a-t-il pas déclaré de façon explicite dans le Règlement que, dans tous les cas, l'agent d'immigration chargé de se prononcer sur une demande d'établissement ou sur l'attribution au demandeur de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié, selon le cas, doit appliquer la nouvelle définition?
Je suis persuadée que le Règlement n'a pas été rédigé de cette façon pour éviter que l'on soutienne que, ce faisant, on porterait atteinte au droit du requérant de faire juger sa demande en conformité avec l'état du droit à la date de sa demande. De cette façon, nul ne peut prétendre qu'un droit substantiel existe à cet égard. On écarte également toute possibilité de se retrouver avec la situation anormale qui existerait si la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié était attribuée au requérant en fonction de la date " avant ou après le 1er mai 1997 " à laquelle l'agent d'immigration chargé de son dossier rend une décision à son sujet.

[7]      C"est sur ce fondement que le juge Reed a établi une distinction entre l"affaire dont elle était saisie et l"affaire Say . Dans cette affaire, aucune observation sur les risques n'avait encore été présentée.

[8]      Je suis d"accord avec la décision du juge Reed. La loi n"a pas d"application rétroactive à moins que le Parlement ne l"ait expressément prévu. En ce qui concerne le nouveau Règlement , les dispositions décrites par le juge Reed n"étayent pas la prétention selon laquelle le Parlement a voulu que le Règlement s"applique rétroactivement aux demandeurs qui ont mis leur demande en état et déposé leurs observations sur les risques avant l"entrée en vigueur du nouveau Règlement .

[9]      Cette conclusion s"accorde bien avec l"arrêt Choi c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)6 de la Cour d"appel fédérale. En l"absence de législation rétroactive valide, toute demande fondée sur une catégorie particulière doit être appréciée en fonction des exigences en matière d"admissibilité qui existaient à la date du dépôt de la demande ou à la date à laquelle le demandeur a fait le nécessaire pour mettre sa demande en état.

[10]      À première vue, cette discussion peut sembler théorique. En effet, il se pourrait que le demandeur ne soit pas admissible à obtenir le droit de s"établir en vertu de l"ancien Règlement , comme ce serait le cas en vertu du nouveau Règlement. L"alinéa 11.4(1)a ) refuse le droit de s"établir à toute personne qui appartient à la catégorie des DNRSRC et qui est visée par l"alinéa 19(1)j ) de la Loi sur l"immigration7 (la Loi), lequel renvoie aux personnes qui ne sont pas admissibles au Canada au motif que


[...] there are reasonable grounds to believe [they] have committed an act or omission outside Canada that constituted [...] a crime against humanity within the meaning of subsection 7(3.76) of the Criminal Code and that, if it had been committed in Canada, would have constituted an offence against the laws of Canada in force at the time of the act or omission.

[...] pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant [...] un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration.

[11]      Dans l"arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)8, la Cour d"appel fédérale a conclu que la disposition est très semblable à l"alinéa 1Fa ). Les deux dispositions exigent une norme moindre que la prépondérance de preuve9. Cependant, je reconnais que vu que l"al. 19(1)j ) exige que le crime commis dans le pays d"origine " aurait constitué [...] une infraction au droit canadien " s"il avait été commis au Canada, le demandeur pourrait peut-être se prévaloir de certains moyens de défense prévus au Code criminel10 pour éviter d"être déclaré non admissible.

[12]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L"affaire est renvoyée à un agent d"immigration pour qu"il statue de nouveau sur l"admissibilité du demandeur conformément au Règlement tel qu"il existait avant les modifications apportées le 1er mai 1997.

[13]      Compte tenu de cette conclusion, il n"est pas nécessaire de traiter de l"argument du demandeur concernant le délai déraisonnable.

[14]      Le demandeur a demandé que soient certifiées les questions suivantes :

Les modifications du 1er mai 1997 concernant la catégorie des DNRSRC sont-elles rétroactives et, dans l"affirmative, s"appliquent-elles à la personne qui a fait des observations avant leur entrée en vigueur?
L"article 7 de la Charte des droits et libertés s"applique-t-il lorsqu"il s"agit de trancher la question de savoir si la personne appartient à la catégorie des DNRSRC? Dans l"affirmative, les principes de la justice fondamentale ont-ils été violés en l"espèce?

[15]      Le défendeur a soumis une troisième question qui, à mon avis, n"est que la reformulation de la première question proposée par le demandeur :

Lorsque la personne décrite à l"alinéa 5(2)a ) du Règlement sur l"immigration dépose des observations au soutien d"une demande du droit d"établissement invoquant la catégorie des DNRSRC avant le 1er mai 1997, l"agent qui examine la demande doit-il appliquer les critères relatifs aux DNRSRC qui existaient avant le 1er mai 1997?
[16]      Je ne suis pas convaincue qu"il faille certifier la première question proposée par le demandeur. La réponse à cette question n"ayant pas d"incidence sur un nombre important d"affaires, aucune question de portée nationale n"a été soulevée.
[17]      La deuxième question ne mérite pas non plus d"être certifiée, vu la conclusion que j"ai tirée en ce qui concerne la question du délai.


" Danièle Tremblay-Lamer "
                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)
Le 18 juin 1998.


Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.
__________________

1      DORS/78-171, mod. par DORS/91-182.

2      Paragraphe 11.4(2).

3      Voir DORS/91-182.

4      (1997), 139 F.T.R. 165 (1re inst.).

5      (6 avril 1998), IMM-2463-97 (C.F. 1re inst.).

6      [1992] 1 C.F. 763 (C.A.).

7      L.R.C. (1985), ch. I-2.

8      [1992] 2 C.F. 306 (C.A.).

9      La Cour d"appel a conclu, dans l"arrêt Ramirez , précité, qu"il n"existait pas de différences importantes entre le critère prévu à l"alinéa 1Fa ) (" raisons sérieuses de penser ") et celui prévu à l"alinéa 19(1)j ) (" dont on peut penser, pour des motifs raisonnables "). Le juge MacGuigan a écrit, à la p. 312 : " Il ne me semble pas y avoir de différences importantes entre les mots " raisons sérieuses de penser " et " dont on peut penser, pour des motifs raisonnables " et, du reste, je ne crois pas qu"il faille établir un parallèle exact entre les deux expressions. J"estime toutefois qu"elles exigent toutes deux une norme moindre que la prépondérance de preuve ".

10      L.R.C. (1985), ch. C-46.

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