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Date : 20040830

Dossier : T-864-03

Référence : 2004 CF 1184

Ottawa (Ontario), le 30 août 2004     

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                                             

                                         LA SUCCESSION DE MILDRED DUBLIN

                                                                                                                                        défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                             

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal de révision, créé en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9 (la Loi), lequel a autorisé la défenderesse à déposer une demande de prestations post mortem plus d'un an après le décès de la conjointe.


CONTEXTE

[2]                L'épouse, Mme Mildred Josephine Dublin, a été victime d'un grave accident en 1947, et a conséquemment souffert d'amnésie presque totale. Elle ne se souvenait que de son nom. Elle est décédée le 21 février 1999. Plusieurs jours avant sa mort, Mme Dublin a fait part à son mari d'une adresse en Nouvelle-Écosse. L'information lui a postérieurement permis de découvrir que son épouse était originaire du Cap-Breton, et qu'elle était passablement plus âgée qu'elle et sa famille le croyaient. Compte tenu de son âge, Mme Dublin était admissible à des prestations sociales, mais n'avait rien perçu avant sa mort.

[3]                Le 7 mars 2000, la défenderesse (le mari agissant comme liquidateur de la succession) a rempli une demande de prestations. La demande a été jugée incomplète. Le 15 novembre 2001, le mari a produit une demande de prestations contenant toute l'information désirée.

[4]                Le 22 novembre 2001, le demandeur a informé la défenderesse du fait que sa demande ne pouvait être acceptée étant donné qu'elle n'avait pas été produite à l'intérieur du délai d'un an prévu à l'article 29 de la Loi. L'appel de la décision, interjeté par la défenderesse, a été rejeté par le ministre le 5 février 2002. La défenderesse a par la suite sollicité une révision de la décision du ministre auprès du tribunal de révision.

[5]                La question à trancher devant le tribunal était de savoir si l'article 29 de la Loi permet au ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'accepter, en certaines circonstances particulières, des demandes soumises plus d'un an après le décès du prestataire potentiel.

[6]                Dans ses motifs, en date du 24 avril 2003, le tribunal a conclu que l'article 29 était ambigu à ce propos, et que l'ambiguïté devrait être tranchée en faveur de la requérante. Conséquemment, le tribunal a décidé que la demande de la défenderesse aurait dû être acceptée et a ordonné au ministre de verser les prestations post mortem applicables. Le ministre demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision du tribunal de révision.

QUESTION EN LITIGE

[7]                Dans la présente affaire, il n'y a qu'une question en litige : le tribunal de révision a-t-il compétence selon l'article 29 de la Loi pour ordonner le versement à la défenderesse de prestations post mortem?

ANALYSE

[8]                La question centrale en l'espèce est de savoir quel est le sens à donner aux mots « peuvent » ou « may » qu'on trouve à l'article 29 de la Loi. Le critère de contrôle pour des questions d'interprétation législative de cette nature est celui de la décision correcte (Canada (M.D.R.H.) c. Skoric, [2000]_3 C.F. 265 (C.A.)).


[9]                Le paragraphe 29(1) de la Loi dispose :

29. (1) Par dérogation à la présente loi mais sous réserve du paragraphe (4), les personnes désignées par règlement, les ayants cause, le représentant ou l'héritier d'une personne qui, avant son décès, aurait eu droit, une fois sa demande agréée, au versement des prestations visées par la présente loi peuvent demander celle-ci dans l'année qui suit le décès.

29. (1) Notwithstanding anything in this Act but subject to subsection (4), an application for a benefit that would have been payable to a deceased person who, prior to his death, would have been entitled, on approval of an application, to payment of that benefit under this Act may be made within one year after the person's death by the estate, the representative or heir of that person or by such person as may be prescribed by regulation.

[10]            Appuyant la décision du tribunal de révision, la défenderesse soutient que l'article 29 est ambigu puisque, au-delà de la teneur du texte, il est permis de penser que, suivant cet article, le ministre a le pouvoir, en présence de circonstances particulières, de verser des prestations après la production d'une demande faite plus d'un an après le décès.

[11]            Dans l'arrêt Rizzo c. Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, la Cour suprême a adopté le raisonnement de Driedger relativement à l'interprétation législative à privilégier :

[Traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Conséquemment, le rôle de la Cour en l'espèce est de donner à l'article 29 son sens ordinaire en tenant compte du contexte global de la Loi.


[12]              L'article 29 est une disposition générale conçue pour donner à la succession ou à l'héritier d'une personne qui était admissible à des prestations la possibilité de produire une demande de prestations dans une période de temps donné après le décès. Même si l'intention est d'accorder un avantage, la disposition énonce clairement que de telles prestations ne peuvent être versées que si la demande est produite dans l'année suivant le décès. Plus précisément le paragraphe 29(1) dispose que les prestations « peuvent [être demandées] dans l'année qui suit le décès » et « ... an application for a benefit ... may be made within one year after the person's death... » (non souligné dans l'original).

[13]            Les mots « peuvent » ou « may » du paragraphe en question se rapportent clairement et uniquement à la possibilité de recevoir des prestations. Le paragraphe précise quand une demande peut être produite, sans donner à penser que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de considérer les demandes produites plus d'un an après le décès du prestataire potentiel. Le tribunal de révision s'est donc trompélorsqu'il a conclu que cette disposition était ambigüe et qu'il a exigé en conséquence que les prestations soient versées à la défenderesse.


[14]            Néanmoins, il semble probable que la décision était motivée par le désir d'accorder des prestations à un requérant autrement admissible, mais dont la demande a été déposée après le délai d'un an en raison de circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté. Je comprends la motivation derrière la décision et, bien que je n'aie d'autre choix que de conclure que le tribunal de révision n'avait pas le pouvoir de prononcer l'ordonnance pour le motif invoqué, il m'apparaît que nous sommes en présence de circonstances exceptionnelles. Compte tenu de circonstances tragiques, Mme Mildred Dublin ne savait rien de son passé ou de son âge jusqu'à ce qu'elle ait été sur le point de mourir. De plus, il a fallu un temps et des efforts considérables à son mari pour retrouver sa parenté en n'ayant comme indice qu'une adresse vieille de cinquante ans. Il n'est donc pas surprenant que, dans ces circonstances, il n'ait pas respecté le délai d'un an. Un peu de compassion s'impose. En conséquence, le ministre serait totalement justifié d'exercer son pouvoir de manière à accorder en l'espèce le versement de prestations à titre gracieux. La Cour invite fortement le ministre à agir de la sorte.

[15]            Malgré ces remarques, la demande est accueillie.

ORDONNANCE

La décision du tribunal de révision en date du 24 avril 2003 est rejetée, et l'affaire est renvoyée pour réexamen.

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., dipl. tradu.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-864-03

INTITULÉ :               Le ministre du Développement des ressources humaines c.                                                                 La succession de Mildred Dublin

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 15 juin 2004

MOTIFS [DE L'ORDONNANCE OU DU JUGEMENT] : LE JUGE VON FINKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   le 30 août 2004

COMPARUTIONS :

Michel Mathieu                                                  POUR LE DEMANDEUR

John D. Waddell, c.r.                                         POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS AU DOSSIER :

Michel Mathieu                                                  POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

Waddell Raponi                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)                                  


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