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     Date : 19981216

     Dossiers : IMM-3294-98

     IMM-3298-98

     IMM-3299-98

     IMM-3294-98

Entre

     LUCINA REBOLLEDO DE VEGA

     et MOISES VEGA REBOLLEDO

     et IMER VEGA REBOLLEDO,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     Imm-3298-98

Et entre

     IRENE VEGA REBOLLEDO,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur


     IMM-3299-98

Et entre

     ROCIO VEGA REBOLLEDO,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le protonotaire JOHN A. HARGRAVE

[1]      Le 15 octobre 1998, j'ai fait droit à trois demandes de prorogation du délai de signification et de dépôt des dossiers des demandeurs, tout en ordonnant que leur avocate en assume elle-même les dépens, à raison de 100 $ par demande.

[2]      Par requête en date du 28 octobre 1998, celle-ci s'est fondée sur la règle 397 pour demander le réexamen de mon ordonnance et, implicitement, la prorogation du délai d'introduction de cette requête. La Cour fait droit à ce dernier chef de requête car, dans les circonstances de la cause, il était peut-être indiqué de consulter le principal avocat chargé du contentieux, qui n'était pas immédiatement disponible; il s'agit donc d'un motif légitime de prorogation du délai en l'espèce.

[3]      Le réexamen prévu à la règle 397 et demandé dans les circonstances de la cause, est soumis à des conditions fort restrictives : une partie peut, dans les 10 jours de l'ordonnance ou dans le délai accordé par la Cour, demander le réexamen de cette ordonnance parce qu'" une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement ".

[4]      À l'appui de sa requête, l'avocate cite la règle 404(2) qui figure dans la partie 11 des Règles de la Cour fédérale et aux termes de laquelle la Cour ne rend l'ordonnance enjoignant à un avocat d'assumer lui-même des dépens qu'après lui avoir donné la possibilité de se faire entendre. Ma décision relative aux dépens était fondée sur la règle 22 des Règles en matière d'immigration, qui autorise à ordonner le paiement de dépens pour des raisons spéciales. En l'espèce, ces raisons spéciales ont été clairement reconnues dans le dossier de la requête du 18 septembre 1998 des demandeurs. J'ai pensé qu'il valait mieux ne pas prendre des motifs par écrit pour ne pas embarrasser l'avocate des demandeurs, me contentant de lui expliquer que de manquer un détail par ignorance d'une règle était bien malencontreux, mais d'en manquer trois par une méconnaissance déplorable des Règles de la Cour fédérale était de la négligence pure et simple. La question mérite donc une analyse plus détaillée.

[5]      L'excuse donnée par l'avocate pour manquer le délai de dépôt est au mieux tangente. Cette excuse était que celle-ci, qui s'occupe régulièrement d'affaires d'immigration devant la Cour, pensait que la Cour fédérale excluait encore les grandes vacances du calcul des délais. Elle pensait plus particulièrement que la règle 3(1)b), ensemble la règle 4, qui excluait les mois de juillet et d'août du calcul des délais, était toujours en vigueur. En fait, cette partie de la règle relative aux grandes vacances, qui arrêtait le calcul des délais, a été abrogée par l'article 1 du règlement DORS/94-41 du 13 janvier 1994. Que cette avocate soit également dans l'ignorance de la disposition actuellement en vigueur, savoir la règle 6 des Règles de la Cour fédérale (1998), est tout aussi malencontreux. Celle-ci, qui prévoit le calcul des délais, ne dit rien non plus des grandes vacances, appelées maintenant vacances judiciaires d'été.

[6]      Dans la grande majorité des cas, on ne dissocie pas les faits et gestes de l'avocat de ceux du client. Cette règle pourrait être draconienne à l'occasion, car un client innocent peut avoir à subir les conséquences s'il a retenu les services d'un avocat incompétent. Elle a été parfaitement exprimée par Mme le juge Reed en page 2 de Jouzichin c. M.C.I., IMM-1686-94, décision non rapportée en date du 9 décembre 1994 :

     Il est par ailleurs difficile de dissocier le comportement de l'avocat de celui de son client. Je sais bien que dans certaines affaires en matière d'immigration où l'avocat a manifestement fait preuve d'incompétence, certains de mes collègues ont affirmé que cette incompétence était telle que les règles de justice naturelle avaient été violées. Mais, en règle générale, il ne faut pas dissocier le comportement de l'avocat de celui de son client. L'avocat est le mandataire de son client et, aussi sévère que cela puisse paraître, si le client a retenu les services d'un avocat médiocre, il doit en subir les conséquences.         

[7]      Il y a une exception étroite à cette règle fort sévère, savoir le cas exceptionnel où les défauts spécifiques et manifestes qui trahissent l'incompétence de l'avocat mettent en jeu les règles de justice naturelle, y compris celle posant qu'il ne suffit pas que justice soit faite, il faut encore que tous s'en rendent compte. Cette exception a été évoquée en ces termes par le juge Rothstein dans Drummond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 33 Imm. L.R. (2d) 258, page 259 :

     La jurisprudence dit cependant que règle générale, lorsqu'un avocat est librement choisi, c'est l'organisme d'accréditation tel le Barreau du Haut-Canada ("le Barreau"), et non les tribunaux, qui a le mandat de s'occuper de l'incompétence d'un avocat; voir l'arrêt Williams v. M.E.I. (1994), 74 F.T.R. 34. Cependant, dans des cas extraordinaires, la compétence de l'avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que les faits soient précis et clairement prouvés "         

C'est bien extraordinaire que cette avocate, qui s'occupe régulièrement d'affaires d'immigration en Cour fédérale, affaires dans lesquelles le calcul des délais est un facteur primordial, ne sache pas que ces délais continuaient à courir pour ses clients en juillet et août.

[8]      Puisque chacun des demandeurs semblait justifier d'une cause défendable et afin que justice puisse être faite, j'ai accordé la prorogation du délai, malgré la faiblesse de l'excuse donnée pour expliquer la non-observation du délai de dépôt. La prorogation était cependant assortie de l'ordonnance à l'avocate en question de payer elle-même les 100 $ de dépens pour chaque dossier, car je pense que ce cas relève bien des raisons spéciales prévues à la règle 22 des Règles en matière d'immigration. Ces raisons spéciales sont à la fois l'ignorance chez elle d'une modification très claire et très spécifique des Règles, qui a eu lieu il y a quelque quatre ans et demi, et la nécessité d'y attirer son attention. Qu'elle nous informe qu'elle s'occupe maintenant bénévolement de ces trois dossiers, voilà qui est digne d'éloges mais n'excuse pas une ignorance manifeste des Règles.

[9]      Ma conclusion initiale et peut-être trop précipitée a été que la règle 22 des Règles en matière d'immigration, qui prévoit les dépens pour des raisons spéciales, était le texte nécessaire et suffisant me permettant d'exercer mon pouvoir discrétionnaire en la matière pour ordonner à l'avocate de payer elle-même les dépens en l'occurrence. Je pensais que le paragraphe 404(2) des Règles de la Cour fédérale, qui permet à l'avocat en cause de se défendre contre une condamnation aux dépens, ne s'appliquait pas à cause de la règle 4 des Règles en matière d'immigration. J'oubliais que cette dernière appliquait à toutes les demandes introduites sous le régime de la Loi sur l'immigration, les diverses dispositions des Règles de la Cour fédérale, y compris celles relatives aux dépens, " sauf dans les cas où ces dispositions sont incompatibles " avec la Loi sur l'immigration ou les Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration. La " demande " fait l'objet d'une définition large dans ce dernier texte. La règle 404 des Règles de la Cour fédérale , prévoyant la responsabilité de l'avocat en matière de dépens et son droit de se faire entendre à ce sujet, n'est pas incompatible avec la règle 22 des Règles en matière d'immigration. L'avocate des demandeurs a donc proposé à ce sujet un argument valide.

[10]      Je ne vois aucune raison logique de lui demander de présenter des conclusions pour se défendre de l'obligation de payer elle-même les dépens fixés au montant nominal de 100 $ pour chacun des trois dossiers. Elle doit savoir maintenant qu'elle aura à étudier les Règles de la Cour fédérale (1998) et les comparer avec les anciennes Règles afin de se pénétrer de la procédure en vigueur dans le domaine où elle exerce. En conséquence, la disposition de chacune des ordonnances du 15 octobre 1998, relative aux dépens, est annulée par suite de l'oubli accidentel d'un texte applicable.

[11]      L'avocate du défendeur soutient qu'il y a lieu d'annuler intégralement chacune des ordonnances du 15 octobre 1998, apparemment par ce motif que l'excuse de l'ignorance d'une modification apportée il y a plusieurs années aux Règles n'est pas une bonne excuse justifiant une prorogation des délais. Ce serait cependant injuste que les demandeurs pâtissent de ce manquement extraordinaire de leur avocate, qui consistait à être en retard d'un grand nombre d'années dans sa compréhension des Règles de la Cour.

[12]      Je remercie l'avocate du défendeur qui a pris le temps de présenter par écrit des conclusions fort utiles.

     Signé : John A. Hargrave

     ________________________________

     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 16 décembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA, SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS No :              IMM-3294-98

                     IMM-3298-98

                     IMM-3299-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lucina Rebolledo de Vega et al.

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                     Irene Vega Rebolledo

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                     Rocio Vega Rebolledo

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

REQUÊTE INSTRUITE SUR PIÈCES SANS LA COMPARUTION DES AVOCATS

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

LE :                      16 décembre 1998

MÉMOIRES SOUMIS PAR :

Mme Brenda Y. Muliner              pour les demandeurs

Mme Emilia Pech                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brenda Y. Muliner                  pour les demandeurs

Avocate

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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