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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Rezaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.) [2003] 3 C.F. 421

Date : 20021205

Dossier : IMM-1367-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1259

ENTRE :

                                                                       IRAJ REZAEI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                              - et -

LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION

ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

                                                                                                                                                  intervenante

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE BEAUDRY


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR), présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Le demandeur vise à obtenir le contrôle judiciaire d'une décision rendue par Mme Sherry Wiebe, vice-présidente adjointe (VPA) de la Section d'appel de l'immigration (la SAI), refusant de rouvrir les conclusions factuelles formulées relativement à la pratique du demandeur devant la CISR. Le demandeur vise, entre autres réparations, l'annulation de sa décision.

[2]                 La CISR a obtenu le statut d'intervenante sur la question de compétence seulement, en vertu d'une ordonnance de M. le juge Rouleau, datée du 25 octobre 2002.

  

LES QUESTIONS EN LITIGE

La question de compétence

[3]                 Est-ce que la VPA a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle elle avait compétence pour décider que le demandeur ne pouvait pas pratiquer devant la Section du statut de réfugié (la SSR) et qu'elle avait compétence, en vertu du pouvoir délégué par le président, pour prendre des mesures disciplinaires à l'encontre du demandeur concernant des plaintes qui auraient été déposées?

La question d'équité procédurale

[4]                 Est-ce que la VPA a commis une violation de la justice naturelle?

[5]                 Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


LE CONTEXTE

[6]                 Le demandeur agit en tant que consultant en immigration, représentant des clients devant la CISR, en particulier devant la Section du statut de réfugié (la SSR) de la CISR. Il n'est pas membre du Barreau et ne prétend pas l'être. Il agit comme représentant qui n'est pas avocat au nom de clients.

[7]                 À partir de la fin de 2000, la conduite du demandeur devant la CISR a fait surgir des doutes. Indépendamment de l'enquête de la CISR concernant la conduite du demandeur, celui-ci a été accusé de quatre chefs de tentative d'aide à certaines personnes devant leur permettre d'entrer au Canada au moyen de faux visas canadiens, une infraction prévue par l'article 94.1 de la Loi. Il a été déclaré coupable, mais les déclarations de culpabilité sur tous les chefs ont été par la suite annulées en appel.

[8]                 Le 8 mars 2001, Peter Showler, président de la CISR (le président), a avisé le demandeur que la CISR avait des réserves concernant sa pratique et qu'il déléguait à la VPA le pouvoir d'enquêter à ce sujet :

[traduction]

En ma qualité de président [...], j'ai délégué à Mme Sherry Wiebe, vice-présidente adjointe de la Section d'appel de l'immigration à Vancouver, mon pouvoir d'enquêter sur les faits et de prendre toute mesure corrective qu'elle peut estimer nécessaire relativement à votre pratique devant la Commission afin de sauvegarder et de protéger l'intégrité et l'efficacité des instances [de la SSR].


[9]                 La VPA a donné suite à cela en envoyant une lettre datée du 21 mars 2001. Dans cette lettre, elle énumérait les dossiers dans lesquels le demandeur avait travaillé. Par ses actes ou ses omissions, le demandeur se serait rendu coupable d'inconduite relativement à ces dossiers. Chacune des fautes alléguées renvoyait au numéro de dossier et à la date de l'omission ou de l'acte présumé.

[10]            Le 23 juillet 2001, l'avocat du demandeur a écrit au président et il a fait parvenir une copie de cette lettre à la VPA. Dans sa lettre, il a accusé réception de la lettre du 8 mars, mentionné que les déclarations de culpabilité à l'encontre du demandeur faisaient alors l'objet d'un appel et a dénoncé le comportement diffamant que le personnel de la CISR aurait adopté envers le demandeur.

[11]            Le 2 août 2001, la VPA a expédié une lettre au demandeur, dont elle a envoyé une copie à son avocat, où elle exposait ses conclusions de fait relativement aux omission ou aux actes reprochés. Elle concluait sa lettre en énonçant les sanctions réparatrices qu'elle se proposait d'adopter et invitait le demandeur à lui répondre au plus tard le 20 août 2001.

[12]            L'avocat du demandeur a répondu à la VPA le 9 août 2001. Sa réponse préliminaire traitait de quelques-unes des questions de compétence et de procédure que le demandeur a soulevées dans sa demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi.


[13]            D'autres observations ont été formulées par l'avocat du demandeur dans une lettre envoyée à la VPA le 17 août 2001. Jointes à cette lettre, il y avait plusieurs lettres censées être des lettres de référence de clients satisfaits du demandeur ou d'autres personnes dans sa collectivité pouvant parler de ses qualifications ou de sa réputation. L'avocat du demandeur a également joint deux exemples de décisions disciplinaires rendues par la Law Society of British Columbia, afin d'appuyer l'argument selon lequel l'interdiction de comparaître devant la CISR pendant trois ans que l'on se proposait d'imposer au demandeur était excessivement longue comparée aux suspensions prononcées contre les membres du Barreau pour des infractions disciplinaires. L'avocat a également demandé la communication des renseignements qui l'aideraient à comprendre la conduite faisant l'objet de la plainte et lui feraient connaître l'identité de ceux qui ont déposé les plaintes.

[14]            Le 3 octobre 2001, l'avocat du demandeur a de nouveau demandé que lui soient communiqués les faits détaillés de la conduite reprochée à son client. L'avocat a mentionné que sans les renseignements demandés, le demandeur ne pourrait pas répondre comme on l'a invité à le faire.

[15]            Dans sa réponse du 11 octobre 2001, la VPA a déclaré que, bien que l'avocat ait antérieurement représenté le demandeur dans une instance appelée conférence R39, le processus de détermination des faits alors en cours constituait une instance séparée et qu'il était de la responsabilité du demandeur d'aviser la CISR qu'il était représenté dans cette instance.

[16]            Le 25 octobre 2001, l'avocat a fait signifier ce qui suit à l'agent chargé de la revendication (l'ACR), à la SSR : un avis de requête, l'affidavit du demandeur et un exposé sommaire des faits et du droit. La requête visait à obtenir réparation en vertu des articles 28, 39 et 40 des Règles de la section du statut de réfugié (les Règles).

[17]            Parmi les mesures de réparation demandées devant la SSR, il y avait une déclaration selon laquelle l'une ou l'autre de la conférence R39 dont il a été question plus haut ou de l'enquête administrative de la VPA soit réputée abandonnée ou retirée, parce que cela constituait un dédoublement du processus. Le demandeur visait également à obtenir la communication des noms des plaignants dont les plaintes avaient été mentionnées dans la lettre du 21 mars, de même que la correspondance antérieure dont il avait été question dans la lettre du 3 octobre.

[18]            Le demandeur désirait aussi une déclaration selon laquelle le président et sa déléguée n'ont pas compétence pour suspendre un consultant ou pour lui refuser la capacité de pratiquer devant la CISR. En outre, le demandeur visait à obtenir une déclaration selon laquelle, si une telle compétence existe, la VPA l'avait perdue du fait des violations à l'équité procédurale.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[19]            À la suite d'une audience tenue devant la VPA le 4 décembre 2001, à laquelle le demandeur et son avocat étaient présents, la VPA a rendu une décision le 14 mars 2002. Dans sa décision, elle a exprimé son refus de rouvrir les conclusions factuelles qui avaient été formulées à l'encontre du demandeur et a exprimé son intention de prendre la mesure disciplinaire prévue.

[20]            La VPA a conclu que la SSR avait compétence pour empêcher quiconque de comparaître devant elle au nom des revendicateurs. Il n'était pas nécessaire d'attendre certaines audiences pour exclure des représentants sur la base du cas par cas.

[21]            L'équité procédurale et la justice naturelle ont été discutées sur deux fronts. L'un avait trait au caractère adéquat de l'avis de l'instance donné au demandeur et l'autre, à la crainte de partialité.

[22]            La VPA a conclu que le demandeur avait reçu un avis adéquat de l'instance où des conclusions factuelles avaient été formulées et de la date à laquelle il devait répondre. La VPA a conclu que les explications du demandeur concernant son omission de répondre n'étaient pas acceptables et qu'un avis adéquat avait été donné. On ne pouvait donc pas prétendre, de ce fait, qu'il y avait eu un manquement à l'équité procédurale.

[23]            La VPA a rejeté l'argument qu'il y aurait une crainte raisonnable de partialité du fait qu'elle était [traduction] « enquêteuse, accusatrice et juge des faits » (décision de la VPA, 14 mars 2002, à la page 13). La VPA a tranché que son seul rôle avait été celui de juge des faits et qu'elle n'avait pas participé de quelque façon que ce soit à la cueillette des éléments de preuve. Des soupçons avaient été portés à l'attention de la SSR et on lui avait délégué la responsabilité de l'instance en cause et fourni les documents constituant la preuve. Les rôles étaient donc divisés d'une manière qui apaisait toute crainte raisonnable de partialité.

[24]            Le demandeur a eu l'occasion de répondre dans le délai imposé par la VPA. S'il désirait une audience au cours de laquelle il pourrait confronter et contre-interroger ses accusateurs, il avait amplement l'occasion de le faire; il lui suffisait de faire des demandes en ce sens avant l'expiration du délai pour répondre. Son omission de répondre en temps opportun aux premières lettre de mars 2001 a été la cause des lacunes procédurales qu'il allègue maintenant.


[25]            La VPA a conclu, en se fondant sur ce qui est mentionné ci-dessus, que les conclusions factuelles avaient résulté d'une procédure équitable et qu'elles relevaient de la compétence de la SSR. La requête visant à faire rouvrir les conclusions a donc été rejetée.

LES RÈGLES ET LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[26]            L'article 28 des Règles permet les requêtes qui ne sont pas prévues autrement dans les Règles :


28. (1) Toute demande d'une partie qui n'est pas prévue par les présentes règles est présentée à la section du statut par voie de requête, sauf si elle est présentée au cours d'une audience et que les membres décident d'une autre façon de procéder dans l'intérêt de la justice.

28. (1) Every application that is not provided for in these Rules shall be made by a party to the Refugee Division by motion, unless, where the application is made during a hearing, the members decide that, in the interests of justice, the application should be dealt with in some other manner.

(2) La requête consiste en :

(2) The motion shall consist of

a) un avis précisant les motifs de la requête;

(a) a notice specifying the grounds on which the motion is made;

b) un affidavit énonçant les faits sur lesquels repose la requête;

(b) an affidavit setting out the facts on which the motion is based; and

c) un exposé succinct du droit et des arguments sur lesquels le requérant se fonde.

(c) a concise statement of the law and of the arguments that are relied on by the applicant.


[27]            Les autres paragraphes de l'article 28, les paragraphes (3) à (9), prévoient des règles additionnelles régissant ces requêtes et il n'est pas nécessaire de les reproduire ici. Les articles 39 et 40 sont des dispositions « fourre-tout » :



39. Les présentes règles ne sont pas exhaustives; en l'absence de dispositions sur des questions qui surviennent dans le cadre d'une procédure, la section du statut peut prendre les mesures voulues pour assurer une instruction approfondie de l'affaire et le règlement des questions de façon expéditive.

39. These Rules are not exhaustive and, where any matter that is not provided for in these Rules arises in the course of any proceeding, the Refugee Division may take whatever measures are necessary to provide for a full and proper hearing and to dispose of the matter expeditiously.

40. En cas d'inobservation d'une exigence des présentes règles par une partie ou l'agent d'audience, la section du statut peut, sur réception d'une demande de la partie ou de l'agent d'audience, conforme à l'article 27, soit lui permettre de remédier au défaut, soit le dispenser de l'exigence, si elle est convaincue qu'une telle mesure ne risque pas de causer d'injustice aux parties ni d'entrave sérieuse à la procédure.

40. Where a party or a refugee hearing officer does not comply with a requirement of these Rules, the Refugee Division, on application made by the party or refugee hearing officer in accordance with rule 27, may permit the party or refugee hearing officer to remedy the non-compliance or may waive the requirement, where it is satisfied that no injustice is thereby likely to be caused to any party or the proceeding will not be unreasonably impeded.


[28]            Le demandeur cite le paragraphe 65(1) de la Loi et soumet que cette disposition ne permet pas au président de déléguer son pouvoir d'établissement de règles. Cette disposition prévoit :


65. (1) Le président peut, sous réserve de l'agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec le vice-président de la section du statut, le vice-président de la section d'appel et le directeur général de la section d'arbitrage, établir des règles :

65. (1) Subject to the approval of the Governor in Council, the Chairperson, in consultation with the Deputy Chairperson (Convention Refugee Determination Division), the Deputy Chairperson (Immigration Appeal Division) and the Director General (Adjudication Division) may make rules

a) régissant les travaux, la procédure et la pratique de chacune des sections et définissant les fonctions des conseils de la Commission;

(a) governing the activities of, and the practice and procedure in, the Refugee Division, the Appeal Division and the Adjudication Division, including the functions of counsel employed by the Board;

b) fixant un ordre de priorité pour l'étude des cas;

(b) prescribing a system of priorities for dealing with matters before the Refugee Division, Appeal Division or Adjudication Division;

c) précisant la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d'examen des renseignements prévus au paragraphe 46.03(2);

(c) prescribing the information that may be required under subsection 46.03(2) and the manner and the time within which it must be provided;

d) régissant la procédure de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention prévue au paragraphe 69.1(7.1);

(d) governing the determination under subsection 69.1(7.1) of claims of persons who claim to be Convention refugees; and


e) en vue des autres mesures à prendre par ce moyen aux termes de la présente loi.


LES OBSERVATIONS

La compétence - le demandeur

[29]            Les pouvoirs des agents administratifs sont définis par la loi créant leur fonction et se trouvent nécessairement dans cette loi, de manière expresse ou implicite. Il n'existe pas de compétence générale pour empêcher quelqu'un de comparaître devant la SSR; une telle ordonnance ne peut être rendue que dans le contexte d'une cause en particulier. En plus, le président ne peut déléguer son pouvoir d'établir des règles en vertu du paragraphe 65(1) de la Loi relativement à la pratique et à la procédure de la CISR.

[30]            La VPA a invoqué l'arrêt Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, à l'appui de la conclusion selon laquelle la SSR est maître de sa propre procédure. Cependant, l'arrêt Prassad, précité, n'a fait qu'établir que l'ajournement d'une instance faisait partie du pouvoir discrétionnaire de l'arbitre. En plus, il existe des restrictions, y compris la Constitution et la justice naturelle, affectant le pouvoir d'un organisme de décider de sa procédure.


[31]            La décision R. c. Lemonides (1997), 151 D.L.R. (4th) 546 (C. Ont. Div. gén.) concernait le pouvoir des représentants de comparaître dans les poursuites par procédure sommaire devant les cours criminelles. Contrairement à ce que donne à entendre la décision de la VPA, la décision Lemonides, précitée, n'a pas établi que la question de savoir si une personne en particulier pouvait être empêchée de comparaître devant un tribunal constituait simplement une question de procédure. Il revient au tribunal d'examiner cette question dans chaque cause.

[32]            En général, la décision quant à savoir qui peut comparaître devant une commission ou un tribunal ne constitue pas une simple question de procédure. Il s'agit d'une décision quasi judiciaire, puisqu'il s'agit d'une décision exécutoire qui affecte les droits substantiels d'une personne. La VPA a donc mal interprété la nature de la décision.

La compétence - le défendeur

[33]            Le demandeur n'a pas fourni de fondement de principe permettant d'affirmer que la CISR ne peut pas, en général, empêcher un représentant de comparaître devant elle lorsque ce représentant a constamment démontré une indifférence à l'égard de la CISR et de l'intégrité de son processus.

[34]            Il est bien établi en droit qu'un tribunal est maître de sa propre procédure et a l'obligation de garantir l'intégrité et l'équité du processus d'audience. Le demandeur n'a pas fourni de jurisprudence adéquate pour justifier sa position à cet égard. De simples affirmations ne peuvent constituer une cause raisonnablement défendable.

[35]            Le défendeur renvoie aux arrêts The Law Society of British Columbia c. Mangat (1998), 167 D.L.R. (4th) 723 (C.A.C.-B.); conf. par 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, Prassad et R. c. Romanowicz (1999), 45 O.R. (3d) 532 (C.A. Ont.).

[36]            Le défendeur soutient également que la CISR possède la compétence inhérente de maintenir sa dignité et d'imposer le respect.

[37]            Le défendeur affirme que d'adopter les arguments du demandeur n'aurait aucun sens en pratique et que cela constituerait un abus de procédure si chaque membre de la Commission devait régler les cas d'incompétence un à un.

[38]            La délégation de pouvoir du président vers la VPA est légale.

La compétence - l'intervenante

[39]            L'intervenante adopte l'argument du défendeur selon lequel la CISR est maître de sa propre procédure et de son processus d'audience.

[40]            La CISR possède le pouvoir d'examiner la conduite d'une personne afin de garantir son intégrité et aussi parce qu'un représentant peut comparaître devant toutes les sections de la CISR. La meilleure façon de le faire est de déléguer son pouvoir à la VPA comme cela a été fait en l'espèce.

[41]            Une disposition légale n'est pas nécessaire, puisqu'il est de la compétence inhérente de la CISR de faire ce qu'elle a fait.

L'équité procédurale

Le demandeur

[42]            Plusieurs principes de justice naturelle ont été exposés dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang au Canada) (1996), 37 Admin. L.R. (2d) 260 (C.F. 1re inst.). On n'a jamais fourni au demandeur le nom de chacun des plaignants; on ne lui a donné que de brefs résumés des allégations soulevées contre lui.

[43]            Les principes de communication de la preuve énoncés dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, ont été confirmés dans la décision Nrecaj c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 630 (1re inst.) comme s'appliquant à la CISR et, en particulier, à la SSR. La CISR a une obligation positive de communiquer toute la documentation qu'elle utilisera ou qu'elle pourra utiliser dans la procédure de révocation du demandeur ou qui constitue le fondement de la plainte. Cette obligation n'a pas été respectée.

[44]            Les facteurs qui, selon la jurisprudence, donnent à penser qu'une audience constitue un élément nécessaire de l'équité procédurale, sont présents en l'espèce. La procédure adoptée par le tribunal dans la lettre du 21 mars 2001 violait le droit du demandeur à une audience équitable. Son droit à une défense pleine et entière a été limité à une possibilité de répondre à des résumés écrits de ce qui était allégué contre lui. Il n'était pas absolument nécessaire qu'il demande que les éléments de justice fondamentale adéquats soient appliqués.


[45]            Le fait d'invoquer des éléments de preuve provenant d'autres instances constitue également une violation des principes de justice naturelle. La VPA a commis une telle violation en notant ce que les plaignants avaient déclaré lors de leurs propres audiences et en invoquant ces déclarations dans la lettre adressée au demandeur.

[46]            La CISR a mentionné dans une de ses communications qu'elle serait en contact avec l'avocat concernant une affaire qui était d'abord prévue pour novembre 2000, puis s'est désistée par la suite. La CISR a brisé cet engagement et elle ne peut pas simplement dire qu'il s'agit d'une nouvelle instance et qu'elle ne pouvait pas deviner qui le demandeur retiendrait comme avocat. La CISR est liée par ses engagements.

Le défendeur

[47]            Les arguments ayant trait à la justice naturelle sont sans fondement en fait ou en droit. Le demandeur a été avisé par écrit dans des termes très précis relativement aux soupçons de la CISR et aux renseignements que la VPA invoquerait dans son enquête sur les faits. Le demandeur ne s'est donné la peine de répondre qu'après qu'une décision a été rendue. La VPA n'a pas violé les principes de justice naturelle; il s'agit plutôt d'une cause où le demandeur a négligé de voir à ses intérêts. Le demandeur est l'[traduction] « artisan de son propre malheur dans cette affaire » . La demande devrait être rejetée.

ANALYSE


[48]            Il va clairement de soi qu'un tribunal comme la CISR, ou l'une ou l'autre de ses sections constituantes, doive être en mesure de réglementer sa propre procédure. La Commission doit également réglementer le privilège de comparaître devant elle pour la représentation d'un revendicateur.

[49]            En toute déférence pour les observations de l'avocat du demandeur, on ne peut pas dire que la question relative à la capacité de servir de représentant pour un revendicateur n'est pas procédurale parce que cela affecte les droits substantiels de la personne qui vise à agir à ce titre. Au cours d'une audience donnée, les seuls droits qui préoccupent le tribunal, ce sont ceux des parties; c'est-à-dire, le revendicateur et le ministre. Dans la mesure où la représentation par avocat affecte la procédure qui conduira à une décision relative aux droits substantiels au coeur du litige, cette question est de nature procédurale et est donc de la compétence de la CISR.

[50]            Dans ses observations, la CISR a soumis qu'elle avait compétence, en tant que maître de sa propre procédure, pour interdire au représentant de comparaître devant la CISR. Ce pouvoir particulier, selon la CISR, faisait partie de son pouvoir général de protéger l'intégrité de son processus.

[51]            La CISR a cité l'arrêt Prassad à l'appui de son observation selon laquelle un tribunal a le contrôle de ses propres règles de procédure. Elle soutient qu'en dépit de l'absence de tout pouvoir qui lui aurait été conféré expressément, elle peut empêcher une personne de comparaître comme représentant si cela s'avère nécessaire dans le but de maintenir l'intégrité de son processus.

[52]            En exerçant le pouvoir de contrôler son processus, la CISR doit l'exercer de manière impartiale au regard des circonstances présentes dans une cause donnée. La CISR soutient que c'est ce qu'elle a fait en l'espèce. Dans la mesure où la protection de l'intégrité du processus de la CISR exige une interdiction plus générale, elle soutient qu'elle possède le pouvoir d'imposer une telle sanction et qu'elle n'a pas besoin d'attendre des audiences particulières pour interdire au demandeur l'accès à ces audiences. Faire cela perturberait beaucoup le processus.

[53]            Le président peut déléguer n'importe lequel de ses pouvoirs ou fonctions, sauf certaines exceptions. Une de celles-ci est le pouvoir d'établir des règles en vertu du paragraphe 65(1). C'est le paragraphe 58(4) de la Loi qui confère au président le droit de déléguer ses pouvoirs :


(4) Le président peut déléguer ses pouvoirs, à l'exception du pouvoir conféré par le paragraphe 65(1), des pouvoirs en matière d'arbitrage et du pouvoir de délégation visé au présent paragraphe, aux vice-président et vice-présidents adjoints de la section du statut et de la section d'appel et aux membres coordonnateurs de la section du statut.

(4) The Chairperson may authorize any Deputy Chairperson or Assistant Deputy Chairperson of the Refugee Division or Appeal Division and any coordinating member of the Refugee Division to exercise any power or perform any duty or function of the Chairperson under this Act, other than

(a) the power to make rules under subsection 65(1),

(b) any power, duty or function in relation to the Adjudication Division, or

(c) the power to delegate under this subsection,

and, if so exercised or performed, the power, duty or function shall be deemed to have been exercised or performed by the Chairperson.


[54]            Deux questions sont abordées ci-dessous : la CISR a-t-elle rempli ses obligations relatives à la justice naturelle; la CISR a-t-elle compétence pour prendre les mesures qu'elle a prises en l'espèce?


L'équité procédurale

[55]            Je ne peux pas accepter les observations du demandeur selon lesquelles il n'a pas reçu une communication adéquate de la preuve ou qu'il s'est vu refuser sans droit la possibilité d'avoir une audience complète et équitable. Les fautes relatives à la communication de la preuve qui avaient justifié que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie dans l'affaire Nrecaj, précitée, ne sont pas présentes en l'espèce.

[56]            Le demandeur a été clairement informé des plaintes déposées contre lui. Les renseignements reçus de la VPA comprenaient les numéros de dossier et les dates d'audience en rapport avec lesquels une conduite suspecte de la part du demandeur était alléguée. Cela était suffisant et il n'était pas nécessaire de fournir les noms des revendicateurs. Le demandeur aurait pu recueillir ces renseignements en faisant une recherche plus approfondie dans ses dossiers.

[57]            De plus, dans la décision Nrecaj, la communication avait été refusée malgré le fait qu'elle avait été demandée en temps opportun. Par contre, dans sa conduite à l'égard du processus qu'il conteste maintenant, le demandeur est loin d'avoir agi en temps opportun. Il n'a répondu d'aucune façon aux observations de la CISR avant le 9 août 2001. Il avait été avisé de répondre avant le 23 avril 2001. Si la communication des renseignements demandés était si importante pour le demandeur, la présente demande aurait eu davantage de fondement s'il avait demandé cette communication avant que la décision de la VPA ne soit rendue, plutôt que d'attendre le présent contrôle judiciaire pour dénoncer l'absence de cette communication.

[58]            La ligne de conduite du demandeur laisse voir son manque de diligence à répondre à la correspondance de la CISR. Il prétend s'être fié à son avocat pour s'occuper de cette affaire en son nom, mais il n'a pas communiqué avec son avocat avant le délai fixé afin de s'assurer qu'il s'en occuperait. Les explications qu'il a données quant au fait d'avoir omis d'agir plus tôt n'étaient pas plausibles, compte tenu de son expérience de comparution devant la CISR.

[59]            En conclusion, le demandeur a reçu un avis clair relativement aux réserves de la CISR au sujet de sa conduite. Dans la mesure où le demandeur n'a pas eu la possibilité de présenter sa cause à la CISR, cela est dû aux omissions dont il est responsable. Par conséquent, je conclus qu'il n'y a pas eu de violation de l'équité procédurale.

La compétence

[60]            Le demandeur prétend que la VPA a outrepassé sa compétence lorsqu'elle lui a imposé une interdiction de comparaître devant la CISR. Il a exprimé l'avis, entre autres observations, que la VPA avait exercé sans droit un pouvoir qui ne pouvait pas lui être délégué. Il a également prétendu qu'en l'absence d'une autorisation expresse, légale ou réglementaire, la VPA ne pouvait pas lui imposer la sanction prévue.

[61]            Le demandeur a soumis que la VPA s'était appuyée sur l'arrêt Prassad de manière incorrecte pour justifier sa conclusion selon laquelle la SSR est maître de sa propre procédure. Selon le demandeur, l'arrêt Prassad n'a fait qu'établir le point limité que l'ajournement de l'instance fait partie du pouvoir discrétionnaire de l'arbitre.

[62]            Il est exact que l'effet immédiat, en pratique, de l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Prassad a été de confirmer le fait que l'arbitre avait le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser un ajournement. Toutefois, restreindre la valeur jurisprudentielle de cet arrêt à ce seul point précis va à l'encontre de l'interprétation judiciaire large qui a été donnée à cette cause depuis le prononcé de l'arrêt.

[63]            L'opinion que M. le juge Sopinka a exprimée au nom de la majorité dans l'arrêt Prassad a été mentionnée dans plusieurs autres décisions. Parmi celles-ci, il faut mentionner la conclusion de M. le juge McKeown dans la décision Chong c. Canada (Procureur général) (1995), 104 F.T.R. 253 (1re inst.). Au paragraphe 40, il a interprété Prassad comme étant un examen complet du contenu de l'obligation relative à l'équité procédurale :

[...] À mon avis, la procédure établie par le Conseil du Trésor est conforme aux conditions d'équité définies par le juge Sopinka dans Prassad, précité. Les plaignants ont la possibilité de se faire entendre. Leur participation n'est soumise à aucune restriction. [...]

[64]            En ce qui a trait à la compétence, le juge Sopinka a énoncé et appliqué un principe général relatif à la compétence en arrivant à la conclusion précise s'appliquant à la compétence des arbitres. Au paragraphe 16, il a déclaré :

Afin d'interpréter correctement des dispositions législatives susceptibles de sens différents, il faut les examiner en contexte. Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif àl'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure àla condition de respecter les règles de l'équitéet, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. [...] [Non souligné dans l'original.]

[65]            Le contexte de compétence dans lequel l'arrêt Prassad a été prononcé était simplement l'un de ceux envisagés par cet énoncé général du juge Sopinka.

[66]            En l'espèce, aucune disposition légale précise ni aucun règlement ne restreint la capacité de la VPA de suspendre le droit de quiconque de comparaître devant la CISR au nom d'une autre personne. Le paragraphe 65(1) ne peut avoir pour application d'empêcher la VPA d'imposer une interdiction à l'égard du demandeur. Sa décision n'est pas de la nature d'une règle qui ne peut être imposée que par le président de la CISR. Entre autres exemples de telles règles, les Règles de la section du statut de réfugié, lesquelles s'appliquent à toutes les parties et leurs représentants comparaissant devant la CISR. La décision de la VPA est une décision individuelle rendue en relation avec une affaire qui lui a été expressément déléguée par le président.

[67]            Par conséquent, la VPA n'était pas tenue de suivre d'une manière stricte le processus qui a conduit à la décision contestée. Sa seule obligation était de respecter les règles d'équité et les principes de justice naturelle. Comme je l'ai mentionné ci-dessus, c'est ce qu'elle a fait.

[68]            Sur la question précise du retrait du privilège de représenter d'autres personnes, le demandeur a renvoyé à l'arrêt R. c. Romanowicz, précité. Il a noté que la cour dans cette cause-là avait déclaré que le pouvoir de rendre inhabiles des représentants, tels que lui-même, devrait être exercé de manière impartiale, selon les circonstances de l'espèce. Sa prétention était que la CISR avait omis de tenir compte des circonstances dans son cas à lui.


[69]            Je conclus que la VPA a examiné correctement les circonstances entourant la conduite du demandeur avant de rendre sa décision. Elle a également considéré la valeur probante des explications du demandeur concernant le fait qu'il avait tardé à agir, avant de prendre la décision d'accueillir ou non sa requête en réouverture de sa cause. Je conclus que la CISR n'a pas perdu la compétence, telle qu'elle a été exercée par la VPA, de rendre inhabile le demandeur à agir à titre de représentant, compétence qu'elle aurait perdue parce qu'elle aurait rendu le demandeur inhabile sans tenir compte de ses circonstances particulières.

[70]            Étant donné le cadre procédural de la CISR, j'accepte son observation comme intervenante sur le fait qu'elle possède la compétence inhérente pour contrôler sa propre procédure dans le but d'en assurer l'intégrité. En fait, nier à la CISR la compétence de protéger l'intégrité de ses processus desservirait ses intéressés. Ceux-ci sont non seulement les revendicateurs qui comparaissent devant la Commission et ses sections, mais également les membres de la population canadienne en général, qui a un intérêt dans l'efficacité des mécanismes d'application de la politique d'immigration. À cet égard, voir Les conseillers en immigration : le temps est venu d'agir, neuvième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration (Eleni Bakopanos, présidente; décembre 1995) [dossier de requête de la CISR, onglet 2, page 37].

[71]            J'accepte également l'observation de l'intervenante selon laquelle elle n'est pas limitée à interdire au demandeur des audiences particulières sur la base du cas par cas, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur dans ses observations. Si la CISR est d'avis qu'une interdiction plus large est nécessaire afin de préserver l'intégrité de son processus en tant que tribunal, elle peut utiliser un tel recours. Elle peut imposer une interdiction générale pourvu que sa conclusion selon laquelle la sanction est nécessaire soit basée sur l'examen de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés.


[72]            En l'espèce, la VPA, agissant au nom de la CISR, a donné, en rendant sa décision, amplement de preuves de la rigueur avec laquelle elle a examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Elle pouvait donc avoir recours à une interdiction empêchant le demandeur de comparaître devant la CISR.

[73]            Ne permettre à la CISR d'empêcher le demandeur de comparaître que dans certaines audiences données causerait de fréquentes perturbations de son processus. De telles perturbations iraient à l'encontre du but qui est de permettre à la CISR d'exercer sa compétence quant à sa propre procédure. Il n'existe aucune raison de principe selon laquelle la CISR devrait infliger cette sanction au demandeur en demandant aux membres de ses sections de refuser de l'entendre à chaque comparution, alors que l'interdiction proposée par la VPA aurait le même effet, mais d'une manière plus efficace.

[74]            Forcer la CISR à délivrer des refus de comparaître cas par cas au demandeur au lieu d'une interdiction pour une période déterminée a au moins deux effets nuisibles. Cela ajouterait des délais inutiles vu le temps passé par les membres à aviser le demandeur qu'il ne serait pas entendu et cela occasionnerait également des perturbations en raison du fait que les revendicateurs auraient à demander des ajournements afin de retenir les services de représentants remplaçants, après avoir retenu ceux du demandeur sans savoir qu'il ne lui serait pas permis de comparaître. Une telle méthode serait alors intenable.

[75]            Pour les motifs mentionnés ci-dessus, je conclus que la demande sera rejetée.

[76]            L'avocat du demandeur a demandé qu'on lui permette de fournir, en se fondant sur les présents motifs, des observations écrites concernant la certification. Par conséquent, l'avocat peut faire signifier et déposer des observations concernant la certification dans les sept jours de la réception des présents motifs. Par la suite, des observations en réponse pourront être signifiées et déposées dans les trois jours de la signification des observations de la partie adverse.

[77]            Après examen de ces observations, une ordonnance sera délivrée rejetant la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                   « Michel Beaudry »             

                                                                                                             Juge                         

OTTAWA (Ontario)

Le 5 décembre 2002

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                 IMM-1367-02

INTITULÉ :              IRAJ REZAEI c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 6 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                     Le 5 décembre 2002

  

COMPARUTIONS :                                                    

Robert J. Kincaid                                                 POUR LE DEMANDEUR

Brenda Carbonell                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Joseph J. Arvay, c.r.                                             POUR L'INTERVENANTE

Mark G. Underhill                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation                                 POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                   

Arvay Finlay                                                          POUR L'INTERVENANTE

Victoria (Colombie-Britannique)

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