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     Date: 19990826

     Dossier: IMM-5049-98


ENTRE


ALVARO BENITO MORALES SOVALBARRO

MARIBEL EDITH SANDOVAL De MORALES

SARAH MARIBEL MORALES SANDOVAL

OSCAR BENITO MORALES SANDOVAL


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur,


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE McDONALD

[1]      Les demandeurs sont des citoyens guatémaltèques qui sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 11 septembre 1998 par laquelle l'agent d'immigration a rejeté la demande qu'ils avaient présentée en vue de résider en permanence au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration1 (la Loi).

Les faits

[2]      Les demandeurs sont arrivés au Canada en novembre 1994; ils ont revendiqué le statut de réfugié peu de temps après. Au mois de mai 1997, il a été conclu que les demandeurs n'étaient pas des " réfugiés au sens de la Convention " au sens du paragraphe 2(1) de la Loi . Les demandeurs ont demandé l'autorisation d'interjeter appel contre cette décision, mais leur demande a été rejetée. De même, l'examen de leur demande à titre de membres de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) a été rejetée.

[3]      Lorsqu'ils sont arrivés au Canada, M. et Mme Morales ont commencé à suivre des cours d'anglais et, en 1996, M. Morales a obtenu son certificat d'équivalence d'études secondaires. Depuis lors, M. Morales participe aux activités de plusieurs groupes bénévoles; il s'est vu décerner de nombreuses citations, distinctions et récompenses. Le deuxième fils des demandeurs est né au Canada en 1995.

[4]      Pour subvenir à leurs besoins, les demandeurs ont touché des prestations d'assistance sociale du mois de décembre 1994 au mois de mars 1998. En janvier 1998, M. Morales a commencé à travailler comme chef de bureau. Il continue à travailler au même endroit et il a récemment obtenu une importante augmentation de salaire, son salaire annuel ayant été porté à 48 000 $.

[5]      Le 21 janvier 1998, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. M. Morales et sa conjointe ont eu une entrevue avec un agent d'immigration le 18 août 1998, pendant que leurs enfants étaient dans la salle d'attente. Leur demande a été rejetée le 11 septembre 1998 sans que des motifs soient donnés. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

Analyse

[6]      Dans la décision qu'elle a récemment rendue dans l'affaire Baker2, la Cour suprême du Canada a énoncé l'approche que cette cour doit adopter lorsque le contrôle judiciaire d'une décision fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi est demandé. Dans cette affaire-là, la Cour a statué que la norme de contrôle appropriée en pareil cas est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le fondement de cette norme est exprimé comme suit3 :

[...] Je conclus qu'on devrait faire preuve d"une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l"analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d"appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d"aussi grande retenue que celle du caractère "manifestement déraisonnable". Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter .

[7]      En l'espèce, il s'agit donc principalement de savoir si la décision de rejeter la demande que l'agent d'immigration a prise était déraisonnable. Comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Southam4 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.
     [Je souligne]
[8]      En l'espèce, aucun motif n'a été donné dans la lettre5 par laquelle on informait les demandeurs du rejet de leur demande. Dans l'arrêt Baker, supra, la Cour a fait remarquer que les répercussions profondes pour les personnes touchées par une décision concernant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire exigent que des motifs soient donnés. Toutefois, étant donné qu'il n'existe aucun autre compte rendu des motifs de la décision de l'agent d'immigration, les notes du préposé à l'entrevue (soit dans ce cas-ci l'agent d'immigration qui a pris la décision) devraient être assimilées aux motifs de la décision6. La partie pertinente des notes de l'agent d'immigration se lit comme suit7 :
[TRADUCTION]
L'examen complet des observations, des renseignements versés au dossier et des déclarations qui ont été faites à l'entrevue montre que l'intéressé et sa famille n'ont pas donné des raisons suffisantes justifiant que la demande soit accueillie pour des raisons d'ordre humanitaire. Ils ne sont au Canada que depuis quelque temps et ils n'ont pas fourni d'éléments de preuve convaincants de leur installation. L'intéressé a consacré énormément de temps et d'efforts à du travail bénévole, mais ses antécédents professionnels laissent à désirer. Les demandeurs n'ont pas de parents au Canada (si ce n'est le fils qui est né au Canada) et ils ont longtemps été des assistés sociaux. Ils ont cessé de toucher des prestations d'assistance sociale il y a cinq mois seulement; le revenu actuel du demandeur ne satisfait pas aux conditions d'accueil qui s'appliquent à une famille de cinq personnes. (Le SFR est de 36 618 $ par année, alors que le revenu brut du demandeur ne s'élève qu'à 28 000 $). En outre, leur revendication a été rejetée, l'appel a été rejeté et un examen par l'ARRR leur a été défavorable, et ce, pour le motif qu'ils n'avaient pas donné de raisons suffisantes permettant de croire que leur vie serait en danger. Ils ont de nombreux parents dans leur pays et ailleurs.
Compte tenu de ces renseignements, je recommanderais le rejet de la demande que l'intéressé Alvaro Morales, sa conjointe Maribel Morales, ainsi que leurs enfants, Sarah et Oscar Morales, ont présentée en vertu du paragraphe 114(2).
     [Je souligne.]

[9]      Pour les motifs énoncés ci-dessous, ces notes et le dossier révèlent que la décision de rejeter la demande était déraisonnable pour le motif que l'agent d'immigration n'a pas tenu compte de la façon appropriée de l'intérêt du fils des demandeurs qui est né au Canada et de leurs autres enfants.
[10]      Dans l'arrêt Baker, supra, on avait demandé à la Cour suprême de considérer que la question ci-après énoncée avait été certifiée par la Section de première instance de la Cour fédérale :
Vu que la Loi sur l'immigration n"incorpore pas expressément le langage des obligations internationales du Canada en ce qui concerne la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, les autorités d'immigration fédérales doivent-elles considérer l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada comme une considération primordiale dans l'examen du cas d'un requérant sous le régime du paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration?
[11]      Madame le juge L'Heureux-Dubé, au nom de la majorité de la Cour (les juges Iacobucci et Cory étant dissidents sur ce point), a répondu à la question comme suit8 :
[...] l'attention et la sensibilité à l'importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l'épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu'une décision d"ordre humanitaire soit raisonnable. Même s'il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d'immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d'une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles-mêmes soutiennent cette approche. La décision en l'espèce était incompatible avec cette approche.
La question certifiée demande s'il faut donner la primauté à l'intérêt supérieur des enfants dans l'examen du cas d'un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l"exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n"y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.
[12]      En l'espèce, il est clair que l'agent d'immigration a accordé peu d'importance ou n'a pas accordé d'importance à l'intérêt des enfants des demandeurs. De fait, dans les notes qu'il a prises, il est fort peu question des enfants. Selon les notes, les demandeurs allèguent qu' [TRADUCTION] " un enfant est né au Canada et que la situation est meilleure ici pour les enfants "9. Il est également fait mention, entre parenthèses, du fait que les demandeurs ont un fils qui est né au Canada, dans la section intitulée [TRADUCTION] " Recommandation de l'agent "10. En outre, rien ne montre que la question de l'intérêt des enfants ait été examinée, et ce, même s'ils étaient dans la salle d'attente pendant l'entrevue. Cela n'est clairement pas suffisant pour démontrer que l'agent d'immigration a vraiment tenu compte de l'intérêt des enfants. Comme la Cour l'a dit dans l'arrêt Baker, supra, ce manque d'attention en ce qui concerne l'intérêt des enfants est " incompatible avec la tradition humanitaire du Canada " et avec les lignes directrices du ministre. Je conclus donc que la décision de l'agent d'immigration était déraisonnable.
Conclusion
[13]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agent d'immigration est infirmée et l'affaire est renvoyée au ministre pour réexamen par un agent d'immigration différent.
[14]      Ni l'un ni l'autre avocat n'a soutenu que cette affaire devrait donner lieu à la certification d'une question grave de portée générale conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Je suis d'accord; par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

     " F. J. McDonald "

     J.C.A.

Toronto (Ontario),
le 26 août 1999.
Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :          IMM-5049-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ALVARO BENITO MORALES SOVALBARRO
         MARIBEL EDITH SANDOVAL De MORALES
         SARAH MARIBEL MORALES SANDOVAL
         OSCAR BENITO MORALES SANDOVAL
         et
         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :          LE JEUDI 26 AOÛT 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE McDONALD en date du jeudi 26 août 1999


ONT COMPARU :          Juan F. Carranza

             pour les demandeurs

         Marcel Larouche

             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Juan F. Carranza

         Avocat

         301-1315, avenue Finch ouest

         North York (Ontario)

         M3J 2G6

             pour les demandeurs

         Morris Rosenberg

         Sous-procureur général du Canada


__________________

     1 L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée.

     2 Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (9 juillet 1999), dossier no 25823 (C.S.C.).

     3 Baker, supra, note 2, au par. 62, juge L'Heureux-Dubé.

     4 Canada (Directeur des Enquêtes et Recherches) c. Southam Inc. [1997] 1 R.C.S. 748, aux p. 776-777.

     5 Lettre de T. Le, conseiller de la Citoyenneté et de l'Immigration, à Alvaro Morales et sa famille (11 septembre 1998).

     6 Baker, supra, note 2, aux par. 43-44.

     7 Dossier des demandeurs, onglet 2 à 6.

     8 Baker, supra, note 3, aux par. 74-75.

     9 Dossier du demandeur, onglet 3 à 4.

     10 Ibid. à 5.

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