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Date : 20050308

Dossier : T-2222-03

Référence : 2005 CF 328

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                         BLOOD TRIBE DEPARTMENT OF HEALTH

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

               LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

                                                            et ANNETTE J. SOUP

                                                                                                                                            défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Au cours d'une enquête sur une plainte déposée par Annette J. Soup, une ancienne employée du Blood Tribe Department of Health (le Service), la commissaire adjointe à la protection de la vie privée du Canada a ordonné la production de certains dossiers en application des alinéas 12(1)a) et c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE). Le Service sollicite le contrôle judiciaire de l'ordre de la commissaire adjointe. Il dit que les documents sont des communications pour lesquelles existe le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, un privilège auquel il n'est pas disposé à renoncer.

LES FAITS

[2]                Les événements à l'origine de la présente affaire ne sont pas contestés. Mme Soup voulait obtenir la communication de renseignements personnels qui la concernaient et que détenait le demandeur. Elle voulait contester l'exactitude de certains documents qui, croyait-elle, avaient été recueillis irrégulièrement et utilisés, selon elle, pour la discréditer devant le conseil chargé d'administrer le Service. Mme Soup s'est heurtée au refus de communication du dossier et elle a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée.

[3]                Selon la clause 4.9 « Neuvième principe - Accès aux renseignements personnels » , dans l'annexe 1 de la LPRPDE, Mme Soup avait le droit d'être informée de l'existence des renseignements personnels la concernant, de l'usage qui en était fait et de leur divulgation à des tiers, et le droit de les consulter afin d'en contester l'exactitude et l'intégralité et d'y faire apporter les corrections appropriées. Le droit de consultation n'est pas absolu. Des exceptions sont énoncées dans l'article 9 de la Loi. Le paragraphe 9(3) prévoit que l'organisation n'est pas tenue de communiquer à l'intéressé des renseignements protégés par le secret professionnel liant l'avocat à son client.

[4]                En novembre 2002, un membre du personnel du Commissariat à la protection de la vie privée a écrit au premier dirigeant du Service, M. Charles Weasel Head, pour l'informer qu'une plainte avait été reçue de Mme Soup et qu'une enquête avait été entreprise. La lettre décrivait la procédure qui serait suivie. Un double des notes ou pièces de correspondance relatives à l'emploi de Mme Soup était demandé. La lettre renfermait l'assurance que le dossier [traduction] « ne sera en aucun cas communiqué à la plaignante, et la plaignante ne sera pas informée de son contenu » . Cette assurance fut réitérée dans des lettres ultérieures échangées entre le Commissariat et le Service et son avocat.

[5]                En réponse à la demande, les documents détenus par le Service ont été assemblés et transmis au Commissariat, à l'exception d'une liasse de lettres provenant des avocats du Service, le cabinet Walsh Wilkins Creighton LLP. L'existence de ces lettres fut signalée au Commissariat le 9 avril 2003.

[6]                Dans un affidavit daté du 5 juin 2003, Mme Katie Rabbit-Young Pine affirmait, au nom du Service, que [traduction] « l'information est protégée par le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, et le Blood Tribe Department of Health n'est pas disposé à renoncer à ce privilège et ne peut donc communiquer ces documents à une partie tierce, y compris au Commissariat à la protection de la vie privée » .

[7]                Les documents étaient plus précisément décrits ainsi dans l'affidavit de Mme Rabbit-Young Pine :

[TRADUCTION]

a.              lettres écrites par nos conseillers juridiques, Walsh Wilkins Creighton LLP, au Blood Tribe Department of Health;

b.             les communications étaient confidentielles;

c.             les communications ont été reçues en conséquence directe de la consultation d'un avocat par le Blood Tribe Department of Health et elles avaient la forme d'avis juridiques donnés par le cabinet Walsh Wilkins Creighton LLP.

[8]                Dans des communications ultérieures échangées entre le Service et le Commissariat, le Service proposait que l'affidavit de Mme Rabbit-Young Pine tienne lieu de preuve prima facie selon laquelle il existait un privilège à l'égard de la liasse de lettres. Le personnel du Commissariat était quant à lui d'avis que la revendication du privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client devait être vérifiée par examen des lettres.


[9]                Le 27 octobre 2003, M. Weasel Head recevait signification d'une ordonnance lui enjoignant de produire les documents. Elle était signée par Heather Black, commissaire adjointe à la protection de la vie privée du Canada, à qui le pouvoir d'ordonner la production de documents avait été délégué par le commissaire[1]. L'ordonnance, délivrée en vertu des alinéas 12(1)a) et c) de la LPRPDE, exigeait la production [TRADUCTION] « des documents formant une liasse de lettres reçues du cabinet Walsh Wilkins Creighton LLP [...]    » .

[10]            M. Weasel Head n'a pas produit la liasse de lettres et le Service a présenté la présente demande de contrôle judiciaire pour contester la légalité de l'ordonnance délivrée par la commissaire adjointe. Le commissaire n'a pas émis d'opinion sur le point de savoir s'il existe ou non un privilège à l'égard des documents.

[11]            La liasse de lettres ne fait pas partie du dossier dont la Cour est saisie. La Cour n'a pas été invitée à dire si la revendication de privilège est ou non fondée en ce qui a trait au contenu des documents en cause, et le dossier ne renferme non plus aucun élément précisant l'effet que le contenu des lettres pourrait avoir sur l'enquête du commissaire.

POINT LITIGIEUX

[12]            Je formule ainsi le point soulevé dans la présente instance :

Le Commissaire à la protection de la vie privée a-t-il, lorsqu'il enquête sur une présumée violation d'obligations prévues par la LPRPDE, le pouvoir de contraindre à la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, et cela pour s'assurer du bien-fondé de la revendication?


DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[13]            La partie 1 de la LPRPDE traite de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. L'article 3 décrit l'objet de la partie 1 :

3. La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l'échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels d'une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l'égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

3. The purpose of this Part is to establish, in an era in which technology increasingly facilitates the circulation and exchange of information, rules to govern the collection, use and disclosure of personal information in a manner that recognizes the right of privacy of individuals with respect to their personal information and the need of organizations to collect, use or disclose personal information for purposes that a reasonable person would consider appropriate in the circumstances.

[14]            Le pouvoir de contraindre à la production de documents une organisation qui est l'objet d'une enquête selon la partie l du texte est prévu dans l'article 12. Les portions applicables de l'article 12 sont les alinéas 12(1)a) et c), ainsi rédigés :

12. (1) Le commissaire procède à l'examen de toute plainte et, à cette fin, a le pouvoir :

12. (1) The Commissioner shall conduct an investigation in respect of a complaint and, for that purpose, may

a) d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents ou pièces qu'il juge nécessaires pour examiner la plainte dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives; [...]

(a) summon and enforce the appearance of persons before the Commissioner and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce any records and things that the Commissioner considers necessary to investigate the complaint, in the same manner and to the same extent as a superior court of record; ...

c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements -- fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment -- qu'il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux; [...]

(c) receive and accept any evidence and other information, whether on oath, by affidavit or otherwise, that the Commissioner sees fit, whether or not it is or would be admissible in a court of law; ...

[Non souligné dans l'original.]

[emphasis added]

Norme de contrôle

[15]            Il n'y avait pas de divergence de vues entre les parties sur cet aspect, mais, avant de faire l'analyse de la question, il est nécessaire de dire quelle norme de contrôle est applicable. Selon l'approche pragmatique et fonctionnelle, la Cour doit examiner quatre facteurs pour savoir quelle norme de contrôle est applicable à une décision administrative donnée : (1) l'existence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi, (2) la spécialisation du tribunal administratif par rapport à celle de la juridiction de contrôle en ce qui concerne le point à décider, (3) l'objet du texte législatif dans son ensemble, et en particulier des dispositions en cause, et (4) la nature de la question - question de droit, question de fait ou question mixte de droit et de fait : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.


[16]            S'agissant du premier facteur, aucune clause privative ni aucun droit d'appel d'origine législative ne s'attachent à l'exercice du pouvoir conféré au commissaire par l'article 12. Ce facteur serait donc de portée neutre. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'arrêt Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2003 CAF 270, que, lorsque le contrôle d'une décision administrative est possible en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la norme de contrôle est une norme de niveau intermédiaire.

[17]            Deuxièmement, bien qu'il faille déférer à la spécialisation du commissaire en ce qui a trait à la conduite de ses enquêtes, la question essentielle à décider dans la présente instance concerne la manière d'interpréter la Loi dans la mesure où elle intéresse les pouvoirs exercés par le commissaire au cours d'une enquête. La Cour est aussi à même de répondre à cette question que le Commissaire à la protection de la vie privée, ce qui signale une retenue moindre.

[18]            Le troisième facteur concerne l'objet du texte législatif dans son ensemble et en particulier celui des dispositions en cause. Ainsi que l'a fait observer la Cour d'appel fédérale, un objet au moins de la LPRPDE est « certes axé sur la protection de la vie privée des personnes » : Englander c. Telus Communications Inc. (2004), 328 N.R. 297, au paragraphe 38.


[19]            Cet objet doit être mis en équilibre avec l'intérêt des organisations commerciales pour la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels. La question de savoir où réside cet équilibre ou si le Service, ici demandeur, a le droit de recueillir et de conserver des renseignements personnels ne se pose pas dans la présente instance, même si, me semble-t-il, Mme Soup affirmait dans sa plainte que des renseignements la concernant avaient été irrégulièrement obtenus et utilisés par le Service.

[20]            La Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur la protection des renseignements personnels préserve et renforce l'autonomie de la personne dans une société libre et démocratique et qu'elle jouit par conséquent d'un statut quasi constitutionnel : Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles) (1998), 157 F.T.R. 15, jugement confirmé (2000), 261 N.R. 19 (C.A.F.), arrêt confirmé [2002] 2 R.C.S. 773. On ne sait pas si la Cour suprême reconnaîtra un jour ce même statut à la LPRPDE, mais mon collègue le juge Lemieux n'a eu aucune hésitation à tirer cette conclusion dans la décision Eastmond c. Canadien Pacifique Limitée et Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (2004), 254 F.T.R. 169, au paragraphe 100. Je partage son avis, dans la mesure où le texte législatif protège la vie privée.


[21]            S'agissant de l'objet de la disposition particulière en cause, l'article 12 de la LPRPDE a été promulgué, à mon avis, pour donner au Commissaire à la protection de la vie privée les instruments qui lui permettront d'enquêter indépendamment sur une plainte et de rédiger un rapport sur ses conclusions et recommandations. En l'espèce, l'objectif de l'enquête est de dire si le droit d'une personne d'examiner ses renseignements personnels, sous réserve des limites prévues par la loi, a été violé. Ici, la limite est en l'occurrence l'exception prévue par le paragraphe 9(3), qui exclut les renseignements protégés par le secret professionnel liant l'avocat à son client. Il semblerait à première vue nécessaire que le commissaire examine les renseignements en cause pour savoir si l'exception est applicable. Une certaine retenue devrait donc être montrée envers la décision du commissaire de recourir, comme moyen de mener adéquatement son enquête, à une ordonnance de produire des documents.

[22]            Le dernier facteur concerne la nature de la question - s'agit-il d'une question de fait, d'une question de droit ou d'une question mixte de droit et de fait? Comme l'expliquait la juge Dawson dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), [2004] 4 R.C.F. 181, au paragraphe 169, et de nouveau au paragraphe 350, une pure question de droit et d'interprétation des lois commande une analyse plus rigoureuse et signale un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte. Le point à décider dans la présente instance, formulé plus haut, est une pure question de droit et d'interprétation des lois. Aucune conclusion de fait ou conclusion mixte de droit et de fait n'est en cause.

[23]            Mettant les facteurs en équilibre, j'arrive à la conclusion que la norme de contrôle de la décision du commissaire concernant son pouvoir d'ordonner la production de documents pour lesquels existe prétendument le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client est la norme de la décision correcte. L'ordonnance de produire les documents devrait donc être annulée si le commissaire s'est trompé en disant avoir le pouvoir d'évaluer les renseignements privilégiés.


PRIVILÈGE DU SECRET PROFESSIONNEL LIANT L'AVOCAT À SON CLIENT

[24]            Il est utile de passer en revue les principes qui régissent le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. La règle de fond a été formulée ainsi par le juge Lamer (alors juge à la Cour suprême du Canada) dans l'arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 :

1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consentement du client;

2. À moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;

3. Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;

4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.

[25]            Ces principes ont été réitérés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209. Au paragraphe 36 des motifs des juges majoritaires, la juge Arbour reprenait les propos suivants tenus, au paragraphe 45, par le juge Major dans l'arrêt R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445 :

Toutefois, le secret professionnel de l'avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.


[26]            Dans l'arrêt Lavallee, la Cour suprême a conclu que des normes rigoureuses étaient requises pour assurer la protection du privilège. Toute disposition légale entravant plus qu'il n'est absolument nécessaire le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client serait qualifiée d'abusive. Dans le contexte particulier soumis à la Cour suprême, à savoir une contestation de l'article 488.1 du Code criminel portant sur les fouilles, perquisitions et saisies menées dans des cabinets juridiques, la Cour a jugé que la disposition contrevenait à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'elle ne respectait pas la norme de l'atteinte minimale au droit protégé.

[27]            La Cour suprême du Canada a eu l'occasion d'examiner de nouveau la question dans l'arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809. Cette affaire concernait un avis juridique rédigé par un avocat interne. La Commission ontarienne des droits de la personne avait refusé de communiquer l'avis dans une demande de contrôle judiciaire se rapportant à sa décision de ne pas enquêter sur une plainte. La Cour suprême a conclu que le privilège s'attachait à la protection de cet avis, et cela en dépit de la généralité de l'article 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1, qui exigeait le dépôt du « dossier de l'instance d'où émane la décision » . S'exprimant pour la Cour, le juge Major écrivait, au paragraphe 33 :

33. Un texte législatif visant à limiter ou à écarter l'application du privilège avocat-client sera interprété restrictivement : voir Lavallee, précité, par. 18. Le privilège avocat-client ne peut être supprimé par inférence. Si, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, un organisme administratif est maître de sa procédure, il reste que ces pouvoirs doivent être exercés conformément aux règles de justice naturelle et à la common law.


[28]            Dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), précitée, la juge Dawson, de la Cour fédérale, a eu l'occasion de revoir les principes établis par la jurisprudence, en examinant la portée de l'article 36, et en particulier du paragraphe 36(2), de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1. Le paragraphe 36(1) confère de vastes pouvoirs d'enquête semblables à ceux dont est investi le Commissaire à la protection de la vie privée en vertu de l'article 12 de la LPRPDE, et l'article 34 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, confère lui aussi des pouvoirs d'enquête tout aussi étendus.


[29]            Dans la portion pertinente du cas soumis à la juge Dawson, le Commissaire à l'information avait délivré une assignation pour obtenir du Bureau du Conseil privé la production de certains documents pour lesquels existait prétendument le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Ils reconnaissaient que le commissaire avait à première vue le pouvoir de contraindre à la production de tout document, privilégié ou non, relevant d'une institution fédérale et intéressant une affaire sur laquelle le commissaire enquête. Mais ils ont fait valoir, appliquant le critère Lavallee, que le commissaire ne pouvait pas examiner des documents sujets au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client sauf si cela était absolument nécessaire pour son enquête, et selon eux ce critère n'avait pas été observé. L'article 36, en particulier son paragraphe (2), devait donc être interprété d'une manière restrictive afin d'empêcher le commissaire d'obtenir les documents.

[30]            Le paragraphe 36(2) est ainsi formulé :

(2) Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l'information a, pour les enquêtes qu'il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

(2) Notwithstanding any other Act of Parliament or any privilege under the law of evidence, the Information Commissioner may, during the investigation of any complaint under this Act, examine any record to which this Act applies that is under the control of a government institution, and no such record may be withheld from the Commissioner on any grounds.

[31]            En réponse à l'argument selon lequel le paragraphe 36(2) devait être interprété d'une manière restrictive, la juge Dawson s'est exprimée ainsi, aux paragraphes 356 à 358 :

Premièrement, selon la jurisprudence de la Cour, la Loi doit être interprétée d'une façon libérale et fondée sur l'objet visé. Dans la mesure où la Loi précise que les décisions portant sur la divulgation de renseignements de l'administration doivent être examinées d'une façon indépendante de l'administration, l'interprétation que les demandeurs donnent au paragraphe 36(2) imposerait une restriction importante à la capacité du commissaire de conduire son enquête et de procéder à un examen indépendant.

Deuxièmement, si le législateur avait omis d'édicter le paragraphe 36(2) de la Loi, les principes énoncés dans l'arrêt Lavallee auraient bien pu s'appliquer pour limiter le pouvoir général d'ordonner la production de pièces qui est prévu à l'alinéa 36(1)a) de la Loi. Toutefois, à mon avis, en édictant le paragraphe 36(2), le législateur a employé des mots qui indiquent clairement son intention, à savoir que le commissaire doit, pour les enquêtes, avoir accès à tous les documents indispensables, « [n]onobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve » . Interpréter le paragraphe 36(2) comme les demandeurs le préconisent serait, pour paraphraser les remarques que le juge Létourneau a faites dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), précité, paragraphe 33, incorporer des mots restrictifs qui ne s'y trouvent pas et cela irait à l'encontre de l'intention du législateur.


Troisièmement, à mon avis, cette interprétation est conforme au rôle du commissaire et au régime de la Loi dans son ensemble. Le commissaire est tenu, en vertu de la Loi, de protéger les renseignements privilégiés qui lui sont communiqués en vertu du paragraphe 36(2) de la Loi pour qu'il puisse procéder à un examen indépendant de la plainte. Les renseignements de nature délicate doivent être fournis au commissaire, de façon qu'il puisse exercer ses fonctions comme il se doit. Dans un cas, le commissaire pourrait recommander la communication d'une pièce privilégiée, mais il n'est pas autorisé à communiquer les pièces. Lorsqu'une pièce privilégiée qui ne fait pas l'objet d'une demande de communication est produite, mais qu'il s'agit d'une pièce pertinente ou accessoire à cette demande de communication, les règles et pratiques de la Cour en matière de confidentialité permettent plus facilement au commissaire d'utiliser cette pièce dans les procédures de révision engagées devant la Cour sans la verser au dossier public. L'application de cette pratique est démontrée dans l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. (4th) 127 (C.A.F.) (affaire Ethyl).

[32]            Le pouvoir général de contraindre à la production de documents, un pouvoir conféré par l'article 12 de la LPRPDE, est semblable au pouvoir dont est investi le Commissaire à l'information par le paragraphe 36(1) de la Loi sur l'accès à l'information, mais le texte du paragraphe 36(2), auquel correspond le paragraphe 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, n'est pas reproduit dans l'article 12 de la LPRPDE.

[33]            Le point de savoir si un commissaire nommé sous l'autorité de la Loi de 2001 sur les municipalités de l'Ontario, L.O. 2001, ch. 25, et sous l'autorité de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, ch. P.41, a le pouvoir de contraindre à la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client a été soumis à la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Lyons c. Toronto (Computer Leasing Inquiry - Bellamy Commission) (2004), 70 O.R. (3d) 39.


[34]            Dans l'affaire Lyons, un témoin assigné à comparaître devant la commission d'enquête s'opposait à ce que quiconque, si ce n'est son propre avocat, examine le contenu de 18 boîtes scellées de documents pour savoir si le privilège s'y appliquait. Le commissaire avait décidé que les boîtes seraient ouvertes par l'avocat de la commission, qui examinerait leur contenu pour juger de leur utilité et de l'application d'un possible privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Les documents suscitant un doute seraient soumis à un juge de la Cour supérieure, qui statuerait sur les questions contestées portant sur le privilège. Confirmant cette décision, la Cour divisionnaire a jugé que le processus d'examen préalable adopté par le commissaire portait une atteinte minimale au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client.

[35]            Selon l'article 11 de la Loi sur les enquêtes publiques, était inadmissible en preuve au cours de l'enquête « ce qui serait inadmissible en preuve devant un tribunal judiciaire en raison d'un privilège reconnu en droit de la preuve » . Les documents contenus dans les boîtes, s'ils avaient effectivement été des documents privilégiés, n'auraient donc pas pu être produits aux fins de l'enquête. En revanche, l'alinéa 12(1)c) de la LPRPDE prévoit que le Commissaire à la protection de la vie privée peut recevoir les éléments de preuve ou les renseignements « indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux » .

ANALYSE


[36]            De l'avis du demandeur, il y a dans la présente instance des droits antagonistes, à savoir celui de Mme Soup à la communication de son dossier d'emploi et celui du Service à la confidentialité des documents pour lesquels existe le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Le demandeur fait valoir que le Commissaire à la protection de la vie privée n'a pas un droit inhérent d'examiner les documents pour pouvoir dire s'ils sont privilégiés ou non. Le commissaire, d'affirmer le demandeur, est une tierce partie contre qui le privilège tient lieu de bouclier pour empêcher la communication d'échanges entre un avocat et son client.

[37]            Le commissaire répond que c'est là méconnaître fondamentalement le mandat dont il est investi. Dans l'accomplissement de sa tâche, le commissaire est un médiateur neutre, dont le rôle consiste à établir des faits. Il ne conclut pas à la responsabilité civile ou pénale de quiconque, ni ne conclut à l'existence de droits d'une partie à l'égard d'une autre : Rowat c. Canada (Commissaire à l'information) (2000), 193 F.T.R. 1 (1re inst.), au paragraphe 28.

[38]            Je souscris à l'avis du défendeur selon lequel l'existence de droits antagonistes entre Mme Soup et le demandeur n'est pas déterminante en ce qui concerne le champ des pouvoirs conférés au commissaire dans l'accomplissement de son mandat. Vu le rôle essentiel qu'exerce le Commissaire à la protection de la vie privée pour réaliser les importants objets du texte législatif, les pouvoirs du commissaire doivent être interprétés d'une manière libérale, conforme à l'objet visé.


[39]            Le législateur a attribué au commissaire le pouvoir d'intervenir dans des différends séparant des particuliers et des organismes à propos de la conservation et de l'utilisation de renseignements personnels, la tâche d'établir les faits et l'obligation de rédiger un rapport sur ses constatations. Je reconnais avec le défendeur qu'il ne saurait exercer efficacement ce rôle s'il lui est impossible d'obtenir les renseignements nécessaires pour constater les faits simplement parce qu'un privilège est revendiqué.

[40]            Le demandeur reconnaît que le commissaire est investi d'un large pouvoir de contraindre à la production de documents, mais il fait valoir que, selon l'arrêt Lavallee, le pouvoir du commissaire doit être interprété d'une manière restrictive lorsque les documents que le commissaire voudrait examiner sont présumés être privilégiés. En l'espèce, de dire le demandeur, les documents désignés comme une « liasse de lettres » provenant de ses avocats devraient être réputés relever du champ du privilège, et cela sans examen : Maranda c. Richer, [2003] 3 R.C.S. 193.


[41]            L'affaire Maranda concernait la perquisition menée dans un cabinet d'avocat par la police à l'occasion d'une enquête portant sur un présumé trafic de stupéfiants et un présumé blanchiment d'argent. La police recherchait des éléments attestant un présumé transfert de biens, obtenus criminellement, à l'avocat, pour paiement de ses services. Confirmant la conclusion du juge de première instance selon laquelle la perquisition était abusive aux termes de l'article 8 de la Charte - et le texte législatif habilitant inconstitutionnel - la Cour suprême a jugé que le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client est réputé s'appliquer aux mémoires d'honoraires et de débours des avocats. L'arrêt Maranda a eu pour effet de préciser que, en droit criminel, les seules exceptions au principe de la confidentialité qui seront tolérées seraient limitées, strictement définies et strictement contrôlées afin d'éviter que les avocats deviennent une ressource à exploiter lorsque leurs clients sont poursuivis, compromettant ainsi le droit fondamental de leurs clients de ne pas être contraints de témoigner contre eux-mêmes.

[42]            Le demandeur invoque aussi l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Re Directeur des enquêtes et recherches et Shell Canada Ltée, [1975] C.F. 184. La Cour d'appel fédérale avait jugé dans cette affaire que les vastes pouvoirs d'enquête conférés par le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, n'abrogeaient pas, directement ou implicitement, le principe du privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Cet arrêt était l'un des premiers à dire que le privilège était plus qu'une simple règle de preuve régissant l'utilisation de documents privilégiés comme éléments de preuve. Selon la Cour, le directeur n'avait pas le droit, aux fins de son enquête, d'obtenir communication de documents auxquels s'appliquait le privilège. Ainsi que le disait le juge en chef Jackett au paragraphe 15, ce serait là une « formule obligatoire d'examen antérieur à la poursuite » , qui porterait atteinte à une idée fondamentale de la justice.


[43]            Les arrêts Maranda et Shell Canada concernaient tous deux la collecte de preuves au soutien de poursuites criminelles. Des documents confidentiels risquaient d'être communiqués aux organismes d'enquête eux-mêmes qui pouvaient porter des accusations criminelles contre les clients d'avocats. Ce n'est pas la situation à laquelle nous avons affaire ici. Le Commissaire à la protection de la vie privée n'a pas le pouvoir de porter des accusations ou d'engager des poursuites pour la perpétration d'infractions. Il peut uniquement instruire une plainte et faire rapport sur ses conclusions. Toute mesure ultérieure visant à faire reconnaître le droit du plaignant à la communication de documents requiert une demande adressée à la Cour.

[44]            Les lettres en cause émanaient des avocats du demandeur et cela montre manifestement qu'il faut soigneusement s'assurer que, si les lettres sont sujettes au privilège, leur contenu ne sera pas communiqué à la plaignante ou à quiconque, si ce n'est au commissaire et pour une fin précise. Je ne suis pas persuadé par les arguments du demandeur, qui allègue un risque appréciable et inacceptable de communication élargie.

[45]            Une garantie de confidentialité a été offerte au tout début de l'enquête pour l'ensemble des renseignements que le demandeur était prié de communiquer. Cette garantie est à mon avis appuyée par l'économie de la Loi.

[46]            Le paragraphe 20(1) de la LPRPDE prévoit ce qui suit :

20. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), 13(3) et 19(1), le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance par suite de l'exercice des attributions que la présente partie confère au commissaire.

20. (1) Subject to subsections (2) to (5), 13(3) and 19(1), the Commissioner or any person acting on behalf or under the direction of the Commissioner shall not disclose any information that comes to their knowledge as a result of the performance or exercise of any of the Commissioner's duties or powers under this Part.


[47]            Le demandeur prétend que la communication au commissaire de renseignements confidentiels entraînerait un niveau inacceptable de risque, parce que la législation n'offre aucune protection particulière pour les documents une fois qu'ils se trouvent entre les mains du commissaire et que, au contraire, plusieurs articles de la LPRPDE permettent au commissaire de rendre publics certains renseignements : paragraphes 20(2), (3), (4) et paragraphe 13(3).

[48]            Le demandeur fait reposer son argument sur l'arrêt Legal Services Society c. B.C. (Information and Privacy Commissioner) (2003), 14 B.C.L.R. (4th) 67 (C.A.), dans lequel la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé qu'une décision du commissaire provincial à l'information et à la protection de la vie privée qui mettait en péril le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client n'était pas acceptable, même si telle décision était, à d'autres égards, [TRADUCTION] « raisonnable » . La décision en cause était une ordonnance de communiquer à un journaliste les noms des cinq avocats qui présentaient à la Société des services juridiques les états d'honoraires les plus élevés. Ce qui était en cause, c'était le droit d'obtenir une information détenue par une organisation qui était financée par les deniers publics et qui administrait le programme d'aide juridique de la province. La Cour d'appel, mettant en équilibre le droit à la communication et le principe du secret professionnel liant l'avocat à son client, a estimé qu'une telle divulgation posait un risque inacceptable, celui d'une révélation de renseignements confidentiels concernant les clients d'avocats.


[49]            Ce risque ne se pose pas, à mon avis, en ce qui a trait à la décision du commissaire d'ordonner la production de documents selon la LPRPDE. Le pouvoir du commissaire de divulguer l'information obtenue au cours d'une enquête se limite aux fins exceptionnelles et restreintes exposées dans l'article 20. Ce pouvoir n'englobe pas la communication à la plaignante, contrairement à ce qui a été ordonné dans l'affaire Legal Services Society. Les exceptions de l'article 20 ne s'appliquent pas, selon moi, aux documents relevant du secret professionnel liant l'avocat à son client, et le commissaire n'est pas habilité à les divulguer.

[50]            Le demandeur fait valoir que le pouvoir d'enquête qui est conféré dans l'article 12 doit être interprété d'une manière plus restrictive que les pouvoirs correspondants conférés par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information, et cela en raison de l'absence d'une disposition semblable à leurs paragraphes 34(2) et 36(2) respectivement. Selon le demandeur, cela montre que le législateur a délibérément choisi d'exclure les documents confidentiels du champ des pouvoirs du commissaire aux termes de la LPRPDE et que le commissaire ne peut s'appuyer sur le texte général de l'article 12 pour violer le secret professionnel liant l'avocat à son client : arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), précité.

[51]            Le commissaire répond que le paragraphe 36(2) de la Loi sur l'accès à l'information et le paragraphe 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ont été édictés pour disposer des éventuelles revendications d'immunité de la Couronne lorsque la production de documents est exigée des institutions fédérales auxquelles ces textes s'appliquent. Sans de telles dispositions, il y aurait un conflit entre le pouvoir, conféré par ces textes, de contraindre à la production de documents relevant peut-être de l'immunité de la Couronne, et l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, qui aurait pour effet d'empêcher la communication. Ce conflit ne se pose pas en ce qui concerne le secteur privé, domaine d'application de la LPRPDE.


[52]            Je ne puis déduire du dossier dont je suis saisi que l'immunité de la Couronne est la raison du choix du législateur de ne pas insérer une disposition semblable dans la LPRPDE, encore que selon moi l'argument soit convaincant. Toutefois, je ne puis non plus affirmer que l'intention du législateur était d'exclure les documents confidentiels du champ des pouvoirs du commissaire. Je relève que l'alinéa 12(1)c) prévoit que le commissaire peut recevoir les éléments de preuve ou les renseignements, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux. Ces mots donnent à penser que le législateur ne voulait pas que les enquêtes conduites par le commissaire soient entravées par des questions d'immunité.

[53]            J'observe que, dans l'affaire Pritchard, la plaignante voulait obtenir communication d'un avis juridique rédigé par l'avocate de la Commission ontarienne des droits de la personne. Ce précédent n'intéresse pas directement la présente affaire. Les principes exprimés sont d'application générale, mais il s'agissait de savoir si l'avis juridique devait être inclus dans le dossier afférent à la demande de contrôle judiciaire présentée par la plaignante à l'encontre de la décision de la Commission. Selon moi, l'arrêt Pritchard appuie en l'espèce l'affirmation du Commissaire à la protection de la vie privée, pour qui les documents confidentiels se trouvant entre ses mains seraient à l'abri de toute demande de communication.


[54]            Le demandeur invoque une décision de la Cour d'appel de l'Alberta, Bre-X Minerals Ltd. (Trustee) c. Verchere (2001), 293 A.R. 73. Selon lui, ce précédent permet d'affirmer que la divulgation de renseignements privilégiés ne peut être exigée par un syndic, fonction que le demandeur juge comparable à celle du commissaire dans la présente instance. L'affaire Bre-X avait pour thème les efforts accomplis par un syndic de faillite pour faire lever l'immunité de l'entreprise en faillite afin de pouvoir mettre la main sur ses actifs. La Cour d'appel de l'Alberta a jugé que l'immunité était personnelle et qu'elle n'avait pas été transmise au syndic lorsqu'il avait pris le contrôle des intérêts commerciaux de l'entreprise. Par ailleurs, il n'existait aucune disposition légale précise rendant les communications privilégiées susceptibles de divulgation. Il n'y a aucune analogie avec le rôle du commissaire dans la présente instance.

[55]            Selon moi, il y a une analogie plus étroite à faire avec l'examen de revendications fondées sur la sécurité nationale et avancées par une institution fédérale en vertu de l'article 51 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en réponse à des demandes de communication de renseignements personnels. Dans de tels cas, le Commissaire à la protection de la vie privée a le pouvoir d'examiner les renseignements pour savoir si une exception a été invoquée à juste titre : arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 47. Je reconnais avec le défendeur que c'est là le signe de la confiance du législateur dans la capacité du commissaire de protéger les renseignements sensibles.

[56]            Le commissaire est investi de pouvoirs extraordinaires censés lui permettre de conduire efficacement ses enquêtes. Ces pouvoirs, de nature tant procédurale que fondamentale, peuvent être exercés « de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives » (alinéa 12(1)a)).

[57]            Une cour supérieure a le pouvoir de contraindre à la production de documents afin d'évaluer le bien-fondé de revendications de privilège. Si le législateur avait voulu empêcher le commissaire d'évaluer le bien-fondé d'une revendication de privilège, il aurait pu expressément exclure ce pouvoir, comme il l'a fait dans plusieurs autres lois : Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 20, paragraphes 8(2) et 8(5); Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, paragraphes 50(3) et (4); Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, articles 29.21, 29.22 et paragraphes 250.41(1) et (2); Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, paragraphes 24.1(3) et (6).

[58]            Eu égard à l'économie générale du texte législatif et à l'obligation pour le commissaire de conduire efficacement ses enquêtes, les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lavallee ne requièrent pas à mon avis que l'article 12 de la LPRPDE reçoive l'interprétation restrictive préconisée par le demandeur. En ordonnant au demandeur de produire des documents, le commissaire ne limitera ni ne rejettera aucun privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client dont le demandeur pourrait bénéficier pour les documents en cause. Je suis d'avis que, pour qu'il puisse achever son enquête, le commissaire doit nécessairement évaluer le privilège revendiqué, afin de savoir s'il s'applique ou non aux documents concernés. Cela n'empêchera pas le demandeur de revendiquer encore le privilège dans une instance ultérieure pouvant se rapporter à la plainte.


[59]            Par conséquent, le commissaire a validement exercé son pouvoir d'ordonner la production de documents, et la présente demande sera rejetée. Puisque la question de l'interprétation du champ de la LPRPDE en ce qui a trait au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client semble s'être posée pour la première fois dans la présente instance, j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire et ne rendrai aucune ordonnance d'adjudication de dépens en faveur de la partie qui a obtenu gain de cause.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Chacune des parties supportera ses propres dépens.

                                                                           _ Richard G. Mosley _                    

                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2222-03

INTITULÉ :               BLOOD TRIBE DEPARTMENT OF HEALTH

c.

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE

PRIVÉE DU CANADA et ANNETTE J. SOUP

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Gary Befus                                                        POUR LE DEMANDEUR

Steve Welchner                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Nathalie Daigle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GARY BEFUS                                                 POUR LE DEMANDEUR

Walsh Wilkins Creighton

Avocats

Calgary (Alberta)

STEVE WELCHNER                                                   POUR LES DÉFENDEURS

Nelligan O'Brien Payne

Avocats

Ottawa (Ontario)

NATHALIE DAIGLE

Commissariat à la protection de la vie privée

Ottawa (Ontario)



[1] En application du paragraphe 59(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21. Le paragraphe 12(3) de la LPRPDE renferme une disposition semblable. La délégation consentie n'a pas été mise en doute dans la présente instance.

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