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Date : 20020305

Dossier : T-1509-99

Référence neutre : 2002 CFPI 236

ENTRE :

   LA SOCIETY PROMOTING ENVIRONMENTAL CONSERVATION

                                 en son nom et au nom de ses membres

                                                                                                           demanderesse

                                                               et

                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                 défendeur

                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL


[1]                 Sur la côte ouest du Canada, on s'oppose vigoureusement à la présence d'armes nucléaires et de navires propulsés par un réacteur nucléaire. L'expropriation envisagée du fond de mer et de biens-fonds en Colombie-Britannique, en 1999, aux fins de leur utilisation continue comme champ de tir d'essai pour torpilles par le militaire canadien et américain a donc soulevé une forte opposition de la part de certaines personnes et de certains groupes, et ce, pour de nombreuses raisons, et notamment une opposition vigoureuse de la part des personnes qui préconisent la non-prolifération des armes nucléaires. Le gouvernement fédéral a néanmoins procédé à l'expropriation, qui est maintenant contestée dans cette demande par une organisation clé.

[2]                 La demande soulève des questions fondamentales au sujet des exigences établies quant à la forme et au fond dans la législation fédérale en matière d'expropriation, exigences auxquelles il n'a à mon avis pas été satisfait, et ce, pour les motifs qui seront ci-dessous énoncés. En fin de compte, je conclus que l'expropriation est viciée et qu'elle ne peut pas être maintenue.

I. Historique

[3]                 L'analyse non contestée de l'historique de l'affaire que la demanderesse a effectuée fournit des détails utiles au sujet du contexte dans lequel s'inscrit l'expropriation du fond de mer et des biens-fonds en question, sur lesquels est situé le centre d'expérimentation et d'essais maritimes des Forces canadiennes (le CEEMFC) à Nanoose Bay (Colombie-Britannique) :

[TRADUCTION] Nanoose Bay et le champ de tir actuel situé dans le détroit de Georgia ont depuis de nombreuses années été utilisés comme emplacements pour l'essai de torpilles et d'autres armes et systèmes de détection sous-marins. La baie est peu profonde et son fond est sableux (mais non boueux), ce qui facilite le retrait des torpilles qui coulent (soit environ 0,6 p. 100 des torpilles qui sont mises à l'essai). Le CEEMFC est utilisé par le Canada et par ses alliés de l'OTAN, y compris les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que par d'autres pays comme le Chili.

Le ministère de la Défense nationale a installé un certain nombre de moniteurs et de dispositifs de détection sur le fond de mer pour les utiliser dans les essais qui sont effectués dans cette installation. En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, le fond des mers intérieures, et notamment Nanoose Bay et le détroit de Georgia, relèvent de la compétence de la Colombie-Britannique. En 1984, la Cour suprême du Canada a statué que le fond du détroit de Georgia appartient à la province de la Colombie-Britannique.


Le gouvernement fédéral a établi le CEEMFC en 1965. Il a ensuite demandé et obtenu un permis de la Colombie-Britannique l'autorisant à continuer à exploiter le CEEMFC. Les conditions du permis étaient énoncées dans un bail en date du 5 septembre 1989, qui a pris fin le 5 septembre 1999.

Depuis plusieurs années, des groupes de citoyens, y compris la demanderesse, ont exprimé de graves préoccupations sur le plan de l'environnement, de la sécurité publique, de la stratégie et ainsi de suite, au sujet de la présence d'armes nucléaires et de navires américains et britanniques propulsés par un réacteur nucléaire au CEEMFC et dans d'autres ports canadiens en général. En partie à cause des pressions exercées par le public, l'assemblée législative de la Colombie-Britannique a adopté une déclaration faisant de la Colombie-Britannique une zone libre d'armes nucléaires.

Le 23 mai 1997, par suite des préoccupations manifestées par le public au sujet de la présence de navires propulsés par un réacteur nucléaire et de navires de capacité nucléaire dans les eaux canadiennes, la province de la Colombie-Britannique a exercé son droit en vue d'annuler le bail. Toutefois, le gouvernement fédéral a contesté la légalité de l'annulation devant la Cour fédérale.

En 1999, le bail étant sur le point d'expirer, les gouvernements fédéral et provincial ont entamé des négociations en vue de conclure un nouveau bail. Le 5 mai 1999, ces négociations ont abouti à la signature d'une entente de principe par les négociateurs principaux des deux gouvernements, laquelle comprenait des dispositions relatives à l'indemnisation, à la bonne intendance de l'environnement et à une interdiction relative à la présence d'ogives nucléaires au CEEMFC.

Le lendemain, le négociateur en chef du gouvernement fédéral a informé son homologue provincial que l'interdiction relative aux armes nucléaires ne convenait pas au gouvernement fédéral.

Selon le gouvernement fédéral, les négociations ont cessé principalement parce que le gouvernement de la Colombie-Britannique avait menacé de ne pas renouveler le bail comme moyen de négociation dans un différend l'opposant aux États-Unis au sujet de la pêche au saumon. Par contre, le gouvernement provincial maintient que les négociations ont cessé lorsque le gouvernement fédéral est revenu sur un engagement figurant dans l'entente au sujet de l'interdiction relative à la présence d'ogives nucléaires dans la zone visée par le permis (Exposé des faits et du droit de la demanderesse, pages 1 et 2, adapté, renvois omis).

Pour une raison ou une autre, il est certain que la rupture des négociations a vivement attiré l'attention du public.


[4]                 Peu de temps après la rupture des négociations, des procédures d'expropriation ont été engagées aux fin de l'acquisition de l'emplacement du CEEMFC par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (le ministre) en vertu de la Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21 (la Loi). La première mesure a été prise le 14 mai 1999 : un avis d'intention d'exproprier a été enregistré et cet avis a été publié dans la Gazette du Canada le 22 mai 1999. À la suite de cet enregistrement, environ 3 000 avis d'opposition ont été signifiés au ministère fédéral des Travaux publics et des Services gouvernementaux.

[5]                 Le 5 juillet 1999, le procureur général du Canada a nommé l'honorable Michael Goldie (l'enquêteur), juge à la retraite de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, pour qu'il tienne des audiences et fasse rapport au ministre au sujet des oppositions. Les audiences relatives à l'expropriation ont eu lieu du 19 au 30 juillet 1999 à Nanaimo; elles se sont poursuivies du 3 au 17 août 1999, à Vancouver. Plus de 220 opposants ont comparu. Le 2 septembre 1999, l'enquêteur a déposé son rapport auprès du ministre. Après avoir examiné le rapport de l'enquêteur, le 10 septembre 1999, le ministre a confirmé l'expropriation d'une partie de l'emplacement en question. Le ministre a publié un énoncé de ses motifs le 13 septembre 1999.

[6]                 Par conséquent, du début à la fin, la procédure d'expropriation a duré moins de quatre mois, et a généré trois séries de litiges parallèles, mais distincts.


[7]                 La demanderesse, dans le présent contrôle judiciaire, est une organisation environnementale créée en 1969 qui est établie à Vancouver; elle a toujours activement défendu une vaste gamme de questions liées à l'environnement et à la sécurité. La demanderesse n'a pas d'intérêt propriétal dans l'emplacement du CEEMFC, mais étant donné qu'elle s'est opposée avec véhémence à l'expropriation et qu'elle a participé activement aux audiences, elle est bien placée pour présenter cette demande et pour faire valoir le point de vue d'autres organisations similaires défendant l'intérêt public.

[8]                 Comme nous l'expliquerons ci-dessous en détail, la contestation de l'expropriation en l'espèce ne vise aucunement l'exercice du pouvoir discrétionnaire que possède le ministre lorsqu'il s'agit de confirmer l'expropriation: la contestation est plutôt axée sur l'argument selon lequel l'enquêteur n'a pas satisfait aux exigences de la Loi. Pour que cette contestation à portée étendue puisse faire l'objet d'un seul contrôle judiciaire, la demanderesse a obtenu une déclaration portant que les diverses mesures prises en vertu de la Loi constituent une seule procédure qui a abouti à l'expropriation (SPEC c. La Reine, Cour fédérale, T-1509-99, ordonnance du protonotaire John Hargrave en date du 6 décembre 1999).


[9]                 La province de la Colombie-Britannique, par l'entremise de son Department of Intergovernmental Relations, a fait des efforts considérables pour encourager le public à s'opposer et à participer aux audiences, mais elle n'est pas partie à la présente demande. Toutefois, la province de la Colombie-Britannique a entamé un litige de nature constitutionnelle devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique par suite de l'expropriation; de plus, l'Institut canadien des droits humains, avec d'autres particuliers et organisations, a intenté des actions parallèles devant la Cour fédérale en vue de contester la validité de l'expropriation.

[10]            En ce qui concerne la présente demande, les dispositions de la Loi seront analysées en détail ci-dessous, mais il importe avant tout de comprendre les pressions auxquelles l'enquêteur était assujetti compte tenu des dispositions rigoureuses de la Loi.

[11]            L'enquêteur, qui avait obtenu une prorogation d'au plus 30 jours, a mené les audiences à bonne fin et a déposé son rapport, comme l'exigeait la Loi, dans les 60 jours qui ont suivi sa nomination. Il a fait les remarques suivantes au sujet de cette exigence légale et de la situation qui existait en pratique :

[TRADUCTION] Le grand nombre d'oppositions qui ont été soulevées au sujet de l'expropriation proposée a eu un effet sur toute la procédure.

[...]

Les délais prévus par la Loi sur l'expropriation (la Loi) à l'égard de l'audience et de la remise du rapport de l'enquêteur ont posé de plus en plus de problèmes au fur et à mesure que le nombre d'opposants augmentait.

[...]

De toute évidence, la procédure normale, compte tenu des délais prévus par la Loi, ne permettait pas de répondre d'une façon adéquate à ce problème; la première mesure à prendre consistait donc à obtenir le délai maximal autorisé par la Loi (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, addenda joint au rapport, pages 1, 2 et 4).


De toute évidence, les pressions indues auxquelles était assujetti l'enquêteur ont eu des répercussions importantes sur la façon dont les audiences ont été tenues ainsi que sur la présentation et le contenu du rapport. Toutefois, comme nous l'expliquerons ci-dessous, ce facteur compréhensible ne saurait corriger ce qui, selon moi, constitue une tentative viciée visant à assurer l'observation de la Loi.

II. Les dispositions de la Loi

[12]            La Loi confère au ministre un pouvoir étendu important lui permettant d'acquérir des droits de propriété sans le consentement du titulaire de ces droits (E.C.E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1992) (Todd). Ce pouvoir extraordinaire est conféré à l'article 4, qui est ainsi libellé :


Pouvoir d'exproprier

4. (1) La Couronne peut exproprier, en conformité avec les dispositions de la présente partie, tout droit réel immobilier, y compris l'un des droits mentionnés à l'article 7, dont elle a besoin, de l'avis du ministre, pour un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public.

Authority to expropriate

4. (1) Any interest in land, including any of the interests mentioned in section 7, that, in the opinion of the Minister, is required by the Crown for a public work or other public purpose may be expropriated by the Crown in accordance with the provisions of this Part.


Le pouvoir qui est conféré est exercé au moyen de l'observation de dispositions prévoyant sept étapes distinctes qui seront ci-dessous décrites. Il importe de noter l'accent qui est mis sur le mot « shall » dans la version anglaise des dispositions aux fins de l'analyse qui sera ci-dessous effectuée.


A. Un avis public de l'expropriation proposée doit être donné

[13]            La procédure d'expropriation commence lorsque le ministre enregistre un « avis d'intention d'exproprier » les biens-fonds en question. Le paragraphe 5 (1) régit le contenu de l'avis; il est ainsi libellé :


Avis d'intention d'exproprier

5. (1) Chaque fois que, de l'avis du ministre, la Couronne a besoin d'un droit réel immobilier pour un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public, le ministre peut demander au procureur général du Canada d'enregistrer un avis d'intention d'exproprier ce droit, signé par le ministre, et qui, à la fois:

a) décrit le bien-fonds;

b) précise la nature du droit dont l'expropriation est proposée et détermine si ce droit sera assujetti à un droit préexistant sur le bien-fonds;

c) indique l'ouvrage public ou autre fin d'intérêt public pour lequel ou laquelle ce droit est requis;

d) déclare que la Couronne a l'intention d'exproprier le droit.

Notice of intention to expropriate

5. (1) Whenever, in the opinion of the Minister, any interest in land is required by the Crown for a public work or other public purpose, the Minister may request the Attorney General of Canada to register a notice of intention to expropriate the interest, signed by the Minister, setting out

(a) a description of the land;

(b) the nature of the interest intended to be expropriated and whether the interest is intended to be subject to any existing interest in the land;

(c) an indication of the public work or other public purpose for which the interest is required; and

(d) a statement that it is intended that the interest be expropriated by the Crown.


[14]            Une fois que le ministre décide d'enregistrer un avis d'intention, il doit se conformer aux exigences de l'article 8 de la Loi. L'article 8 prévoit ce qui suit en ce qui concerne la publication de l'avis :



Envoi de copies de l'avis et publication de l'avis

8. (1) Lorsqu'un avis d'intention d'exproprier un droit réel immobilier a été enregistré, le ministre:

a) fait publier une copie de l'avis dans au moins un numéro d'une publication ayant une circulation générale dans la région où se trouve le bien-fonds, s'il existe une telle publication, dans les trente jours qui suivent l'enregistrement de l'avis;

b) fait envoyer une copie de l'avis à chacune des personnes dont les noms sont indiqués dans le rapport du procureur général du Canada mentionné au paragraphe 5(2), aussitôt que possible après l'enregistrement de l'avis.

Immédiatement après en avoir fait envoyer par courrier recommandé une copie à chacune des personnes mentionnées à l'alinéa b), le ministre fait publier cet avis dans la Gazette du Canada.

Quand l'avis est réputé être donné

(2) Un avis d'intention est réputé avoir été donné à la date à laquelle il est publié dans la Gazette du Canada en vertu du paragraphe (1), et lorsqu'il y a dans un avis ainsi publié une omission, un exposé inexact ou une description erronée un avis corrigé avec effet rétroactif à la date de publication du premier avis peut être publié dans la Gazette du Canada.

Énoncé relatif au droit de faire opposition

(3) Tout avis, sous forme d'original ou de copie, publié ou envoyé comme prévu au paragraphe (1) comporte un énoncé des dispositions de l'article 9 dans la mesure où cet article s'applique à l'expropriation envisagée du droit visé par l'avis.

L.R.C., ch. 16 (1er supp.), art. 6.

Sending of copies and publication of notice

8. (1) Where a notice of intention to expropriate an interest in land has been registered, the Minister shall cause a copy of the notice

(a) to be published in at least one issue of a publication, if any, in general circulation within the area in which the land is situated, within thirty days after the registration of the notice, and

(b) to be sent to each of the persons whose names are set out in the report of the Attorney General of Canada referred to in subsection 5(2), as soon as practicable after the registration of the notice, and forthwith after causing a copy thereof to be sent by registered mail to each of the persons referred to in paragraph (b), shall cause the notice to be published in the Canada Gazette.

When notice deemed given

(2) A notice of intention shall be deemed to be given on the day on which it is published in the Canada Gazette under subsection (1), and where any notice so published contains an omission, mis-statement or erroneous description, a corrected notice may be published in the Canada Gazette, which shall be deemed to relate back to the day the original notice was published therein.

Statement re right to object

(3) There shall be included in any notice or copy thereof published or sent as described in subsection (1) a statement of the provisions of section 9 as that section applies to the intended expropriation of the interest to which the notice relates.

R.S., c. 16 (1st Supp.), s. 6.



[15]            En ce qui concerne l'énoncé prévu au paragraphe 8 (3), les dispositions de l'article 9 prévoient ce qui suit :


Opposition

9. Toute personne qui s'oppose à l'expropriation envisagée d'un droit réel immobilier visé par un avis d'intention peut, dans un délai de trente jours à compter du jour où l'avis est donné, signifier au ministre une opposition par écrit indiquant ses nom et adresse et indiquant la nature et les motifs de son opposition et son intérêt à s'opposer à l'expropriation envisagée.

L.R.C., ch. 16 (1er supp.), art. 7.

Objections

9. Any person who objects to the intended expropriation of an interest in land to which a notice of intention relates may, within thirty days after the day the notice is given, serve on the Minister an objection in writing stating the name and address of that person and indicating the nature of the objection, the grounds on which the objection is based and the nature of the interest of that person in the matter of the intended expropriation.

R.S., c. 16 (1st Supp.), s. 7.


B. Une audience publique doit être tenue

[16]            Si une opposition est signifiée, le ministre doit ordonner la tenue d'une audience publique. Cette exigence est énoncée comme suit au paragraphe 10(1) de la Loi :


Audience publique

10. (1) Immédiatement après l'expiration du délai de trente jours visé à l'article 9, le ministre ordonne, si une opposition lui a été signifiée en vertu de cet article, qu'une audience publique soit tenue au sujet de cette opposition et de toute autre opposition à l'expropriation envisagée qui lui a été ou peut lui être signifiée.

Public hearing

10. (1) Forthwith after the expiration of the period of thirty days referred to in section 9, the Minister shall, if the Minister has been served with an objection under that section, order that a public hearing be conducted with respect to the objection and any other objection to the intended expropriation that has been or may be served on the Minister.


Conformément au paragraphe 10(2), en ordonnant la tenue d'une audience publique, le ministre demande immédiatement au procureur général du Canada de nommer un enquêteur, soit une personne compétente qui n'est pas employée dans la fonction publique.


C. L'avis de la tenue d'une audience publique doit être donné

[17]            Une fois qu'il est nommé, l'enquêteur doit satisfaire à des exigences procédurales précises. Les fonctions de l'enquêteur, notamment en ce qui concerne la signification d'un avis, sont énoncées comme suit au paragraphe 10 (4) :



Fonctions de l'enquêteur

(4) L'enquêteur nommé en vertu du présent article

a) fixe, dès que possible après sa nomination et en tout cas au plus tard sept jours à compter de la date de celle-ci, les date, heure et lieu convenables pour l'audience publique et fait donner avis de ces date, heure et lieu en le publiant dans au moins un numéro d'une publication ayant une circulation générale dans la région où se trouve le bien-fonds, s'il existe une telle publication, et en envoyant cet avis à chacune des personnes dont les noms sont indiqués dans le rapport du procureur général du Canada mentionné au paragraphe 5(2), et à toute autre personne qui a signifié une opposition au ministre;

b) donne, aux date, heure et lieu fixés pour l'audience publique, l'occasion de se faire entendre à chaque personne y comparaissant qui a signifié une opposition au ministre ou à celles de ces personnes qu'il estime nécessaire d'entendre de manière à faire rapport au ministre sur la nature et les motifs des oppositions;

c) inspecte le bien-fonds comme il le juge nécessaire et reçoit et examine toutes observations écrites qui lui sont soumises avant ou pendant l'audience par toute personne qui a signifié une opposition au ministre;

d) prépare et soumet au ministre, dans les trente jours après sa nomination, un rapport écrit sur la nature et les motifs des oppositions présentées.

Duties of hearing officer

(4) A hearing officer appointed under this section shall

(a) as soon as possible after the appointment of the hearing officer and in any case not later than seven days after the date thereof, fix a suitable time and place for the public hearing and cause notice of the time and place to be given by publishing it in at least one issue of a publication, if any, in general circulation within the area in which the land is situated and by sending it to each of the persons whose names are set out in the report of the Attorney General of Canada referred to in subsection 5(2) and each other person who served an objection on the Minister;

(b) at the time and place fixed for the public hearing, provide an opportunity to be heard to each person appearing thereat who served an objection on the Minister or such of those persons as the hearing officer deems necessary in order to report to the Minister on the nature and grounds of the objections;

(c) make such inspection of the land as the hearing officer deems necessary and receive and consider any written representations filed with the hearing officer before or at the hearing by any person who served an objection on the Minister; and

(d) within thirty days after the appointment of the hearing officer, prepare and submit to the Minister a report in writing on the nature and grounds of the objections made.


D. Une audience doit être tenue

[18]            Tel qu'il est énoncé, l'alinéa 10(4)b) est une disposition disjonctive qui confère à l'enquêteur le pouvoir discrétionnaire de décider de donner l'occasion de se faire entendre à chaque personne qui a signifié une opposition, ou à celles de ces personnes qu'il estime nécessaire d'entendre pour indiquer la nature et les motifs des oppositions. Dans les dispositions ci-après énoncées, des directives additionnelles sont données à l'enquêteur et des pouvoirs discrétionnaires sont conférés à celui-ci sur le plan de la procédure en ce qui concerne la tenue d'une audience :



Idem

10(5) S'il lui apparaît qu'une opposition signifiée au ministre en vertu de l'article 9 est vexatoire ou peu sérieuse ou qu'elle n'est pas faite de bonne foi, l'enquêteur n'est pas tenu de donner d'avis, de tenir des audiences ni de prendre toute autre mesure requise par le paragraphe (4) en ce qui concerne cette opposition et peut toujours ne tenir aucun compte d'une telle opposition.

Conseiller juridique

10(6) Toute personne qui, en vertu du présent article, peut être entendue à une audience publique, peut s'y faire représenter par un conseiller juridique.

Tenue de l'audience

10(7) Une audience publique en vertu du présent article est tenue, sous réserve des dispositions contraires du présent article, de la manière que peut déterminer l'enquêteur.

Idem

10(5) A hearing officer is not required to give any notice, hold any hearing or take any other action required by subsection (4) with respect to any objection served on the Minister under section 9 and may at any time disregard any such objection if it appears to the hearing officer that the objection is frivolous or vexatious or is not made in good faith.

Right to counsel

10(6) Any person who may be heard at a public hearing under this section may be represented by counsel at the hearing.

Conduct of hearing

10(7) A public hearing under this section shall, subject to this section, be conducted in such manner as may be determined by the hearing officer.


E. Un rapport doit être soumis

[19]            Conformément à l'alinéa 10(4)d), le but primordial de l'audience publique est de permettre à l'enquêteur de recueillir des renseignements au sujet des oppositions qui ont été signifiées et de faire rapport au ministre à ce sujet. L'enquêteur se voit conférer un pouvoir discrétionnaire au sujet de la façon dont le rapport doit être préparé; toutefois, en vertu de l'alinéa 10(4)d), il doit préparer un rapport écrit « sur la nature et les motifs des oppositions présentées » . Cette norme minimale en ce qui concerne le contenu du rapport est également énoncée à l'alinéa 10(4)b).

F. Le ministre doit agir pour corriger une irrégularité de la procédure

[20]            Le paragraphe 10(10) de la Loi impose comme suit au ministre l'obligation de veiller à ce que la procédure d'audience et d'établissement du rapport soit suivie :



Omission de tenir une audience ou d'en faire rapport

(10) Lorsque, pour une raison quelconque, un enquêteur, nommé en vue de tenir une audience publique en vertu du présent article, omet de le faire ou omet de préparer et de soumettre au ministre un rapport comme il en est requis par le présent article, et dans le délai qui lui est imparti, le ministre notifie le fait au procureur général du Canada qui doit immédiatement nommer un autre enquêteur à cette fin.

Failure to conduct or report hearing


G. Le ministre doit procéder à un examen et confirmer ou abandonner l'expropriation

[21]            Le paragraphe 11(1) et l'article 14 énoncent comme suit les mesures finales à prendre avant que le pouvoir d'expropriation puisse être exercé :



Confirmation de l'intention ou renonciation

11. (1) Si un avis d'intention a été donné, le ministre peut :

a) soit confirmer l'intention de la manière prévue à l'article 14 si :

   (i) aucune opposition ne lui est faite en vertu de l'article 9 dans le délai de trente jours mentionné dans cet article,

   (ii) une opposition lui a été faite en vertu de l'article 9 dans le délai de trente jours mentionné dans cet article, après avoir reçu et examiné le rapport d'un enquêteur nommé pour tenir une audience publique à ce sujet,

   (iii) la déclaration prévue au paragraphe 10(11) a été incluse dans l'avis d'intention, qu'une opposition lui ait été faite ou non en vertu de l'article 9;

b) soit renoncer à cette intention.

Avis de confirmation d'intention

14. (1) Le ministre peut confirmer une intention d'exproprier un droit réel immobilier visé par un avis d'intention, ou un droit plus restreint y afférent, en demandant au procureur général du Canada d'enregistrer un avis de confirmation, signé par le ministre, contenant:

a) si le droit exproprié est le même que le droit visé par l'avis d'intention, une déclaration que l'intention d'exproprier ce droit est confirmée;

b) si le droit exproprié est un droit plus restreint que celui visé par l'avis d'intention, une déclaration portant que l'intention d'exproprier le droit visé par l'avis d'intention est confirmée, avec les réserves expressément spécifiées dans la déclaration.

Enregistrement de l'avis

(2) En recevant du ministre une demande d'enregistrer un avis de confirmation mentionné au présent article, le procureur général du Canada fait enregistrer cet avis au bureau du registrateur où l'avis d'intention a été enregistré, et si le bien-fonds visé par l'avis de confirmation est plus restreint en superficie que celui visé dans l'avis d'intention, il fait enregistrer avec l'avis de confirmation un plan révisé du bien-fonds visé par ce dernier avis.

L.R.C., ch. 16 (1er supp.), art. 12.

Confirmation or abandonment of intention

11. (1) Where a notice of intention has been given, the Minister may

(a) confirm the intention, in the manner provided in section 14,

   (i) if no objection is filed with him under section 9 within the period of thirty days referred to in that section,

   (ii) if an objection has been filed with him under section 9 within the period of thirty days referred to in that section, after receiving and considering the report of a hearing officer appointed to conduct a public hearing with respect thereto, or

   (iii) whether or not an objection has been filed with him under section 9, if a statement to the effect described in subsection 10(11) has been included in the notice of intention; or

(b) abandon the intention.

Notice of confirmation of intention

14. (1) The Minister may confirm an intention to expropriate an interest in land to which a notice of intention relates, or a more limited interest therein, by requesting the Attorney General of Canada to register a notice of confirmation, signed by the Minister, setting out,

(a) if the interest expropriated is the same as the interest to which the notice of intention relates, a statement that the intention to expropriate that interest is confirmed; or

(b) if the interest expropriated is a more limited interest than the interest to which the notice of intention relates, a statement that the intention to expropriate the interest to which the notice of intention relates is confirmed except as expressly specified in the statement.

Registration of notice

(2) On receiving from the Minister a request to register a notice of confirmation described in this section, the Attorney General of Canada shall cause the notice to be registered in the office of the registrar where the notice of intention was registered, and if the land to which the notice of confirmation relates is more limited in area than the land described in the notice of intention, shall cause a revised plan of the land to which the notice of confirmation relates to be registered therewith.

R.S., c. 16 (1st Supp.), s. 12.


III. Le point litigieux


[22]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, la contestation de l'expropriation ne vise pas l'exercice lui-même du pouvoir discrétionnaire du ministre de confirmer l'expropriation. La demanderesse conteste plutôt la confirmation de l'expropriation par le ministre en vertu du sous-alinéa 11(1)a)(ii) en soutenant que l'enquêteur n'a pas observé certaines dispositions impératives de la Loi quant au fond et à la forme; cette omission constitue une erreur influant sur la compétence du ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Je souscris à cette prétention. Le paragraphe 10(10) prévoit que le ministre est tenu d'agir en vue de corriger les irrégularités procédurales flagrantes, mais dans la présente demande, c'est l'observation elle-même par l'enquêteur des dispositions détaillées de la Loi qui est réellement en cause.

[23]            Il s'agit donc de savoir si l'enquêteur a correctement interprété les dispositions de la Loi et, dans l'affirmative, s'il les a observées de la façon prescrite.

IV. La contestation de la demanderesse sur le plan de la procédure

[24]            Je conclus que l'enquêteur a observé à la lettre les dispositions procédurales de la Loi, à l'exception de l'alinéa 10(4)a). La portée de la question se rapportant à la contestation procédurale se trouve donc rétrécie, la question étant de savoir si l'enquêteur a correctement interprété l'alinéa 10(4)a) et s'il a observé cette disposition de la façon prescrite.

A. Inobservation de l'alinéa 10(4)a) de la Loi

[25]            En vertu de cette disposition, l'enquêteur doit ( « shall » dans la version anglaise) faire un certain nombre de choses, et notamment envoyer à toute personne qui a signifié une opposition au ministre, dans les sept jours qui suivent la date de sa nomination, un avis de la date, de l'heure et du lieu fixés pour l'audience publique. La demanderesse invoque une erreur administrative qui a amené l'enquêteur à ne pas signifier à tous les opposants l'avis d'audience publique dans le délai imparti de sept jours.


[26]            L'enquêteur a été nommé le 5 juillet 1999; il a fixé la date, l'heure et le lieu des audiences et il a envoyé les avis dans le délai prévu de sept jours, soit le 12 juillet 1999, comme il était tenu de le faire. Toutefois, par erreur, à cette date, on n'avait pas envoyé d'avis à environ 570 opposants. L'enquêteur et son personnel ont découvert l'erreur et ont tenté de la corriger en envoyant à ces 570 personnes, le 27 juillet 1999, un avis modifié d'audience publique et en ajoutant aux dates prévues deux dates d'audience supplémentaires.

[27]            Il importe de noter que, dans le discours d'ouverture qu'il a prononcé aux audiences qui ont eu lieu à Nanaimo le 19 juillet 1999, l'enquêteur a exprimé comme suit l'avis selon lequel les dispositions de la Loi sont impératives :

[TRADUCTION] Lorsque des directives impératives détaillées sont données, il faut s'y conformer à la lettre; pareilles directives ne peuvent pas être modifiées et l'on ne peut pas omettre d'en tenir compte si ce n'est au moyen d'une autre loi du Parlement. Lorsqu'un pouvoir discrétionnaire doit être exercé, ce pouvoir est clairement défini (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, Rapport, Lettres et documents, page 275).

[28]            L'approche adoptée par l'enquêteur lorsqu'il s'est agi de tenir l'audience consistait à observer strictement la Loi. Ainsi, l'enquêteur s'est fondé sur cette approche pour refuser les oppositions qui n'avaient pas été envoyées par courrier recommandé comme l'exigeait le paragraphe 3(2) de la Loi. De fait, la tentative que l'enquêteur a faite pour corriger l'omission de signifier l'avis d'audience publique constituait l'unique dérogation à l'approche fondée sur une interprétation stricte de la part de l'enquêteur. Aucun fondement n'est énoncé à l'appui de cette dérogation; il semble que l'on ait simplement tenté de protéger l'intégrité de la procédure d'expropriation, qui en était à un stade fort avancé.


[29]            L'enquêteur avait-il raison de dire que les dispositions de la Loi sont impératives? Il est intéressant de noter que le défendeur affirme qu'indépendamment de la façon dont l'enquêteur envisageait la chose, la disposition relative à l'avis figurant à l'alinéa 10(4)a) du moins n'est pas réellement impérative, mais qu'il s'agit simplement d'une disposition de nature « directive » .

B. Les dispositions de l'alinéa 10(4)a) sont-elles « impératives » ou « directives » ?

1. Dispositions impératives?

[30]            Étant donné le libellé impératif des dispositions précitées, en l'absence de quelque autre preuve contraire convaincante, il peut être conclu d'une façon générale que les dispositions en question sont impératives.

[31]            De plus, cette conclusion est renforcée par les auteurs qui ont examiné les principes généraux d'interprétation à appliquer aux procédures d'expropriation :

[TRADUCTION] L'exercice du pouvoir d'expropriation porte gravement atteinte aux droits de propriété privés; par conséquent, les tribunaux interprètent généralement les lois en matière d'expropriation d'une façon stricte et en faveur du particulier dont les droits sont touchés (Todd, page 26).

Le pouvoir d'expropriation devrait être exercé conformément aux dispositions procédurales de la loi habilitante; en règle générale, on peut dire qu'à moins de se conformer strictement aux dispositions procédurales, l'organisme qui procède à l'expropriation agit sans être autorisé à le faire [...] (Todd, page 29).

L'atteinte peut-être la plus sérieuse aux droits de propriété est l'expropriation, domaine dans lequel les tribunaux veillent d'une façon toute particulière à imposer une interprétation stricte. (F.A.R. Bennion, Statutory Interpretation, A Code, 3e éd. (Butterworths, Royaume-Uni, 1997) page 653).


[32]            À l'appui de la conclusion selon laquelle les dispositions de la Loi sont impératives, il existe également une décision judiciaire dans laquelle il a été statué que l'expropriation d'un bien-fonds doit être conforme quant au fond et à la forme au libellé précis et à l'esprit de la loi habilitante (Minister of Industry and Natural Resources c. MacNeill (1964), 49 D.L.R. (2d) 190, pages 191 et 192); les tribunaux ont généralement fait preuve d'un degré élevé de retenue à l'égard de la décision même d'une autorité gouvernementale de procéder à une expropriation, mais les procédures d'expropriation peuvent être invalidées lorsque les conditions procédurales de l'exercice du pouvoir d'expropriation ne sont pas remplies (Costello et autres c. Ville de Calgary (1983), 143 D.L.R. (3d) 385 (C.S.C.), et Thorcon Enterprises Ltd. c. West Vancouver (District), [1988] B.C.J. no 323 (C.S.C.-B.).

2. Dispositions directives?

[33]            Néanmoins, le défendeur soutient que le délai prévu à l'alinéa 10(4)a) doit être considéré comme une disposition « directive » , plutôt que comme une disposition impérative. Cela étant, est-il soutenu, l'inobservation technique de la disposition n'influe pas sur la compétence du ministre de confirmer l'expropriation.

[34]            À l'appui de l'argument, le défendeur cite le critère classique permettant de déterminer si une disposition est impérative ou directive, tel qu'il est énoncé dans l'arrêt Montreal Street Railway Co. c. Normandin, [1917] A.C. 170, à la page 175 :


[TRADUCTION] Lorsque les dispositions d'une loi se rapportent à l'exécution d'un devoir public et que, dans un cas donné, déclarer nulles et non avenues des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait, pour des personnes qui n'ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir, une injustice ou des inconvénients généraux graves, et en même temps n'aiderait pas à atteindre l'objet principal visé par le législateur, on conclut habituellement que ces dispositions ne sont que directives.

[35]            Le critère énoncé dans l'arrêt Normandin a été appliqué par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 41, où, comme dans la présente espèce, il fallait tirer une conclusion au sujet de la question de savoir si le mot « shall » figurant dans la version anglaise avait un effet impératif ou un effet directif. Au paragraphe 148, Monsieur le juge Iacobucci a fait remarquer que le résultat découlant de l'application du critère dépend des circonstances individuelles du cas en question :

Il ne peut y avoir de doute quant à la nature de l'examen en l'espèce. Les étiquettes « impérative » et « directive » ne sont elles-mêmes d'aucun secours magique pour définir la nature d'une fonction prévue par la loi. L'examen lui-même est plutôt incontestablement axé sur le résultat. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, notre cour cite, à l'appui de son point de vue, l'arrêt R. ex rel. Anderson c. Buchanan (1909), 44 N.S.R. 112 (C.A.), motifs du juge Russell, à la p. 130. Je crois utile de citer de nouveau ce passage :

[TRADUCTION] Je ne prétends pas être capable de faire la distinction entre ce qui est directif et ce qui est impératif, et je conclus que je ne suis pas le seul à avoir le sentiment que, selon la jurisprudence, une disposition peut devenir directive s'il est très souhaitable qu'on n'y ait pas dérogé, alors que la même disposition aurait été déclarée impérative s'il n'avait pas été nécessaire de conclure en sens contraire.

Lorsque la conclusion qu'une loi est impérative entraîne des inconvénients graves, on est grandement tenté de faire une exception en faveur de la prétention qu'elle est simplement directive [...]

Ainsi, l'application de la distinction entre ce qui est impératif et ce qui est directif est, la plupart du temps, fondée sur une question de fin et non de moyens. En ce sens, pour citer de nouveau le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, le principe est « vague » et « utilisé comme expédient » (p. 742). Cela signifie que le tribunal appelé à décider ce qui est impératif ou directif ne recourt à aucun outil spécial pour prendre sa décision. La décision repose sur le processus habituel d'interprétation législative. Cependant, ce processus suscite peut-être une préoccupation spéciale pour les inconvénients tant publics que privés auxquels donnera lieu l'interprétation adoptée.


En fin de compte, la majorité a conclu que le paragraphe 268(2) de la Loi sur les chemins de fer, L.R.C., 1985, ch. R-3 est une disposition directive puisque les compagnies privées de chemin de fer pourraient faire face à des difficultés financières sans que ce soit leur faute.

[36]            Par conséquent, le résultat découlant de l'application du critère énoncé dans l'arrêt Normandin dépend de la façon dont un juge individuel, ou une formation de juges, considère la qualité des inconvénients ou de l'injustice que causerait censément la conclusion selon laquelle une disposition légale précise est impérative. Une analyse purement subjective est donc nécessaire et reconnue. Comme on peut s'y attendre, les deux parties au présent contrôle judiciaire, devant la même situation, soumettent des arguments différents au sujet de la nature des inconvénients et de l'injustice résultant d'une interprétation selon laquelle les dispositions de l'alinéa 10(4)a) sont impératives.

[37]            Le défendeur soutient que les dispositions de l'alinéa 10(4)a) devraient être interprétées comme étant « directives » parce que l'erreur administrative compréhensible qui a été commise du fait que l'avis n'a pas été signifié à 570 opposants a été corrigée et que l'expropriation ne devrait donc pas être invalidée à cause d'une irrégularité aussi peu importante. À l'appui de ce dernier argument, le défendeur a soumis les arguments écrits suivants :


[TRADUCTION] Premièrement, si l'omission d'observer le délai procédural prévu à l'alinéa 10(4)a) pouvait entraîner l'annulation d'une expropriation fédérale, cela causerait des inconvénients généraux graves. Par définition, pareilles expropriations peuvent uniquement être effectuées si « la Couronne a besoin d'un droit réel immobilier pour un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public » . Or, l'expropriation à Nanoose Bay a été effectuée « à une fin visant la protection ou la sécurité du Canada ou d'un pays allié du Canada ou associé avec lui » et « au fins de la défense » . Dans les motifs par lesquels il confirmait l'expropriation, le ministre a déclaré ce qui suit : « Le CEEMFC est important pour la sécurité nationale du Canada et fait partie intégrante de la capacité du Canada de s'acquitter de ses engagements envers l'alliance. Il est essentiel à notre sécurité et à notre défense » [...]

Annuler une expropriation par suite d'une inobservation procédurale de l'alinéa 10(4)a) nuirait aux fins publiques et, en l'espèce, cela constituerait un risque compromettant l'intégrité d'une installation militaire qui est essentielle à la sécurité nationale du Canada. Il ne serait pas conforme à l'intérêt public d'agir ainsi, et de fait cela pourrait nuire à l'intérêt public. L'observation suivante de la Cour d'appel fédérale, qui a été faite dans le contexte d'injonctions contre la Couronne, est ici pertinente :

Lorsqu'on empêche un organisme public d'exercer les pouvoirs que la loi lui confère, on peut alors affirmer [...] que l'intérêt public, dont cet organisme est le gardien, subit un tort irréparable.

Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of B.C. (1985), 61 N.R. 128, page 130.

Voir également R. c. F, précité, page 360 (le risque pour le grand public milite en faveur d'une interprétation directive).

(Exposé des faits et du droit du défendeur, pages 30 et 31, adapté, renvois omis).

[38]            La demanderesse soutient qu'un certain nombre des 570 opposants sinon tous ont subi un préjudice par suite de l'erreur, soit en étant privés du droit de se faire entendre aux audiences qui ont eu lieu à Nanaimo soit en disposant de beaucoup moins de temps pour préparer leurs arguments. Selon le principal argument de la demanderesse, les dispositions de l'alinéa 10(4)a) sont impératives et doivent être interprétées d'une façon stricte conformément à la jurisprudence en matière d'expropriation.

C. Conclusion

[39]            La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le critère énoncé dans l'arrêt Normandin s'applique aux procédures d'expropriation.


[40]            Dans l'arrêt Costello, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que les dispositions relatives à l'avis figurant dans l'Expropriation Procedure Act de l'Alberta étaient impératives et que l'omission de les observer avait pour effet d'invalider l'expropriation en cause. En arrivant à cette conclusion, Monsieur le juge McIntyre a fait une remarque importante, à la page 395, au sujet de l'inobservation de dispositions apparemment impératives :

On peut dire que l'erreur de l'intimée est légère et que l'omission relative aux dispositions légales concernant la signification de l'avis n'est pas très importante en l'espèce. On peut dire que la mise à la poste de l'avis devait être faite le 30 ou le 31 octobre (elle a été faite le 3 novembre, un retard de trois jours seulement) et que les cours devraient remédier à une omission aussi légère. Mais la question se pose alors : jusqu'où les cours peuvent-elles aller pour dégager les municipalités de l'obligation de suivre les dispositions impératives concernant la signification lorsqu'il y a atteinte aux droits des particuliers? Si une erreur de trois jours peut être pardonnée, qu'en est-il d'une erreur de quatre, cinq ou dix jours? Il est nécessaire, pour la protection des particuliers, de tirer une ligne quelque part. À mon avis, la ligne doit être tirée là où le législateur a choisi de la mettre et non là où l'arbitraire de chaque juge pourrait la fixer selon chaque cas d'espèce. [Non souligné dans l'original.]

[41]            L'avis exprimé par le juge McIntyre m'amène à conclure que l'analyse intrinsèquement subjective nécessaire aux fins de l'application du critère énoncé dans l'arrêt Normandin ne saurait être effectuée dans une procédure d'expropriation.

[42]            Cependant, même si l'on supposait que le critère énoncé dans l'arrêt Normandin s'applique aux procédures d'expropriation, l'analyse est de nature contextuelle, les inconvénients tant pour le public que pour un particulier devant être appréciés. Pour que le critère s'applique, trois éléments doivent être établis :


1. L'existence d'une injustice ou d'inconvénients généraux graves;

2. Les inconvénients ou l'injustice sont subis par des personnes qui n'exercent aucun contrôle;

et

3. Une conclusion selon laquelle une disposition est impérative ne favoriserait pas l'objet principal de la législation en cause.

Eu égard aux faits de la présente espèce, je conclus que ces éléments n'ont pas été établis.

[43]            Premièrement, les 570 personnes touchées se sont opposées à l'expropriation; il peut certainement être supposé que ces personnes ne souscriraient pas à une tentative visant à remédier à l'omission d'observer une disposition impérative de la Loi qui permettrait l'expropriation; ces personnes considéreraient que les efforts visant à corriger la situation plutôt qu'à observer des dispositions impératives leur sont préjudiciables.


[44]            En vertu de l'alinéa 10(4)d), l'avis devait être signifié au plus tard le 12 juillet 1999; toutefois, les 570 opposants n'ont reçu l'avis que deux semaines plus tard. Étant donné les délais serrés prévus par la Loi, et en particulier l'exigence selon laquelle l'audience doit être tenue et le rapport doit être déposé dans un délai maximum de 60 jours, le retard de deux semaines peut être considéré comme important. La demanderesse soutient qu'il est raisonnable d'inférer que la perte de temps a causé un préjudice à un certain nombre des 570 opposants. Je suis d'accord. À mon avis, l'erreur se rapportant à l'avis devrait être considérée comme nuisant effectivement à la capacité des 570 opposants d'exercer les droits de participation qui leur sont conférés par la Loi.

[45]            La Loi fixe des délais précis stricts et aucun élément de preuve ne donne à entendre que le mot « shall » figurant dans la version anglaise doive être interprété de quelque autre façon que comme étant impératif. Dans les limites de cette exigence procédurale établie, le législateur voulait clairement encourager la participation publique aux procédures d'expropriation sauf dans des circonstances spéciales telles que celles qui sont énoncées au paragraphe 10(11) de la Loi. Le public doit recevoir avis de l'intention d'exproprier, tout membre du public peut signifier une opposition, la procédure d'audience est déclenchée par une seule opposition, et tous les opposants doivent recevoir signification d'un avis de l'audience publique. À mon avis, ces droits de participation ne peuvent pas être compromis une fois qu'ils ont été invoqués.

[46]            Deuxièmement, en ce qui concerne les deux premiers éléments, le critère n'est clairement pas destiné à libérer le gouvernement du Canada, qui exerce un contrôle complet sur l'expropriation par l'entremise de la personne nommée par le procureur général (l'enquêteur) et du décideur politique (le ministre).


[47]            Troisièmement, le défendeur invoque les [TRADUCTION] « inconvénients » évidents qu'occasionnerait l'annulation de l'expropriation, soit le gaspillage possible de temps et d'argent qu'entraînerait la tenue d'une autre audience et l'obtention d'un autre rapport conformément à la Loi, cet argument étant présenté uniquement du point de vue de la partie qui a choisi la procédure afin d'acquérir le bien-fonds en question et qui exerce effectivement le contrôle sur cette procédure. Comme il en été fait mention, le critère énoncé dans l'arrêt Normandin n'est pas destiné à remédier à pareil inconvénient.

[48]            Quatrièmement, je ne suis pas convaincu de l'urgence implicite invoquée selon l'argument du défendeur lié à « la protection ou [à] la sécurité du Canada » . Si pareille condition existait au moment où les négociations avec la province de la Colombie-Britannique ont été rompues, il était loisible au ministre d'agir en vertu du paragraphe 10(11) de la Loi, qui est ainsi libellé :



Décret lorsque la possession par la Couronne est requise d'urgence

(11) Lorsque, avant qu'un avis d'intention ne soit enregistré, le gouverneur en conseil est d'avis que la possession matérielle ou l'usage par la Couronne du bien-fonds dans les limites du droit dont l'expropriation est proposée sont, en raison de circonstances spéciales, requis d'urgence et que le fait d'ordonner la tenue d'une audience publique à ce sujet entraînerait un retard préjudiciable à l'intérêt public, le gouverneur en conseil peut requérir le ministre de ne pas donner l'ordre prévu au paragraphe (1) quant à l'expropriation envisagée et, dans un tel cas, une déclaration à cet effet est incluse dans l'avis d'intention.

Order where possession by Crown urgently required

(11) Where, before a notice of intention is registered, the Governor in Council is of the opinion that the physical possession or use by the Crown of the land to the extent of the interest intended to be expropriated is, by reason of special circumstances, urgently required and that to order that a public hearing be conducted with respect thereto would occasion a delay prejudicial to the public interest, the Governor in Council may direct that no order be made by the Minister under subsection (1) with respect to the intended expropriation and, in which case, a statement to that effect shall be included in the notice of intention.


[49]            Les motifs pour lesquels la procédure d'expropriation a été entamée sont énoncés dans la lettre que l'honorable Arthur Eggleton, ministre de la Défense, a envoyée le 14 mai 1999 à l'honorable Glen Clark, Premier ministre de la Colombie-Britannique, laquelle est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Le 14 mai 1999

L'honorable Glen Clark, MAL

Premier ministre de la Colombie-Britannique

Bureau 166, annexe ouest

Édifices du Parlement

Victoria (C.-B.) V8V 1X4

Monsieur,

La présente vise à vous informer que le gouvernement du Canada a entrepris les démarches officielles en vue d'exproprier le fond de mer à Nanoose Bay de façon à préserver, pour le Canada et nos alliés, le Centre d'expérimentation et d'essais maritimes des Forces canadiennes et les champs de tir. Il est essentiel que cette installation importante soit exploitée sans interruption. Étant donné que les baux prennent fin le 4 septembre 1999, nous nous voyons obligés de procéder immédiatement à l'expropriation. L'installation militaire à Nanoose est une installation de formation clé de la défense. Elle est importante afin de préparer et de former les forces navales canadiennes.

Nous avons clairement indiqué à maintes reprises par le passé que les activités assurées par cette installation sont fort importantes pour l'effort de défense et que, dans l'intérêt de tous les Canadiens, elles doivent être préservées. Les événements actuels montrent que la capacité de défense du Canada est une question importante et il m'est fort difficile de comprendre pourquoi votre gouvernement prendrait des mesures si contraires à la responsabilité qui incombe clairement au gouvernement fédéral dans le domaine de la défense nationale.


Nous sommes également conscients des répercussions économiques possibles qu'aurait la fermeture de cette installation pour la petite collectivité côtière de Nanoose Bay. Les soixante emplois, et un montant d'environ 6 000 000 à 8 000 000 $ au titre de l'activité économique annuelle associée à cette installation dans la région, sont importants pour la santé économique de cette collectivité.

L'expropriation n'était pas notre façon préférée de régler le différend qui nous oppose à votre gouvernement. Nous avons fait savoir depuis plusieurs mois que nous étions prêts à négocier. Il y a quelques semaines, vous avez accepté de rencontrer nos représentants et nous avons entamé des discussions de bonne foi.

Comme vous le savez, nos représentants ont paraphé la semaine dernière les principes concernant une entente en vertu de laquelle le gouvernement fédéral devait verser chaque année à la Colombie-Britannique, pour une période de 30 ans, une somme beaucoup plus élevée que ce que le fond de mer vaut réellement. Afin de conclure une entente plutôt que de nous voir obligés de procéder à une expropriation, nous étions prêts à effectuer des paiements fort généreux.

Vous avez décidé que vous ne pouviez pas approuver les principes de l'entente que les négociateurs recommandaient aux deux gouvernements parce que vous insistiez pour qu'une question n'ayant rien à voir avec l'affaire, à savoir une question en matière des pêches, soit réglée.

La position du gouvernement fédéral a été énoncée fort clairement : le règlement à Nanoose ne peut pas avoir lieu sous réserve d'autres questions qui n'ont rien à voir avec la Défense nationale. Toutefois, on vous a malgré tout offert de rencontrer le Premier ministre quand bon vous semblera après la signature d'un accord concernant Nanoose en vue de discuter, selon les faits qui lui sont propres, de toute autre question que vous pourriez soulever. Vous avez rejeté l'offre. Nous croyons que le gouvernement du Canada a fait tout son possible pour arriver à une bonne entente au sujet de Nanoose et pour vous assurer que toute autre question importante pour votre gouvernement serait soulevée et examinée au fond avec le Premier ministre.

Comme je l'ai dit au début, c'est avec regret que nous intentons cette action. L'installation à Nanoose Bay est importante pour nos alliances de défense, nos obligations conventionnelles et la bonne formation du personnel naval canadien, au cas où ils seraient appelés à se défendre. Cette installation est également importante pour la Colombie-Britannique et elle est essentielle au bien-être économique de la collectivité locale. Vous reconnaîtrez que nous n'avons procédé à l'expropriation qu'en dernier ressort et uniquement lorsqu'il était clair que nous n'avions pas le choix si nous voulons assurer l'exploitation continue de cette installation après l'expiration du permis.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

Arthur Eggleton

(Dossier de la demanderesse, affidavit d'A. Welch, pièce 31, page 92) [Non souligné dans l'original.]


[50]            Comme il en est fait mention dans la lettre, le CEEMFC est une installation de formation. Je reconnais que les motifs d'expropriation énoncés dans la lettre se rapportent à la protection et à la sécurité du Canada, mais à mon avis, on n'a pas établi l'existence d'une situation qui, au moment où les procédures d'expropriation ont été engagées, ou maintenant, peut accroître l'importance des motifs énoncés à un point tel qu'il est effectivement de quelque façon possible de ne pas tenir compte des dispositions impératives de la Loi.

[51]            Cinquièmement, conclure que le délai prévu à l'alinéa 10(4)a) ne s'applique pas aux 570 opposants donne lieu à une interprétation absurde de la disposition, à savoir que le délai s'appliquerait à deux obligations procédurales imposées à l'enquêteur, mais non à la troisième. À mon avis, s'il était conclu que cette disposition est directive plutôt qu'impérative, les délais prévus par la disposition en question n'auraient aucun sens (Regional Municipality of Ottawa-Carleton c. Canada Employment and Immigration Commission (1986), 86 CLLC 14,053, page 12 308). Je conclus donc que l'argument du défendeur doit également être rejeté conformément au troisième élément du critère énoncé dans l'arrêt Normandin parce que, selon le sens clair des mots employés, le législateur voulait clairement que tous les délais prévus par la Loi, y compris ceux qui étaient prévus à l'alinéa 10(4)a), soient considérés comme impératifs.


[52]            En réponse à la question qui a en premier lieu été posée dans cette section, je conclus que l'enquêteur a correctement interprété l'alinéa 10(4)d), mais qu'il ne l'a pas suivi, comme il était tenu de le faire.

[53]            Je conclus donc que l'omission de signifier l'avis d'audience au 570 opposants dans le délai imposé à l'alinéa 10(4)a) constitue une erreur qui empêche le ministre d'avoir compétence pour exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du sous-alinéa 11(1)a)(ii) de la Loi.

V. La contestation de la demanderesse quant au fond

[54]            En ce qui concerne les obligations de faire rapport qui incombent à l'enquêteur, il n'est pas contesté que les dispositions de l'alinéa 10(4)d) de la Loi sont impératives. Toutefois, la question de savoir si en l'espèce l'enquêteur s'est acquitté de son obligation est un point crucial.

[55]            La demanderesse soutient également que la décision du ministre de confirmer l'expropriation est si contraire à la volonté de la population canadienne qu'elle ne peut pas être maintenue. Je me rends bien compte que la demanderesse a soutenu que l'expropriation envisagée soulevait une vive opposition, mais je ne puis souscrire à l'avis selon lequel l'argument avancé est fondé en droit.


A. Le but de la disposition de l'alinéa 10(4)d) relative à l'établissement d'un rapport

[56]            Il importe de se rappeler que la Loi entre uniquement en jeu après que le ministre est pleinement informé de la situation et que, sur cette base, il a pris une décision politique en vue de procéder à l'expropriation. Par conséquent, la question générale est de savoir ce que le rapport de l'enquêteur devrait dire au sujet de « la nature et [d]es motifs » des oppositions. Le passage ci-après reproduit de Todd, page 45, où il est question du but de l'audience, nous aide dans une certaine mesure à tirer une conclusion :

[TRADUCTION] Le but visé par l'enquête du Canada a été indiqué par le ministre de la Justice au cours des débats qui ont eu lieu en troisième lecture au sujet du projet lorsqu'il a dit ce qui suit :

L'audience n'est pas une enquête judiciaire; il ne s'agit pas d'une procédure accusatoire opposant le ministre aux propriétaires expropriés ou à d'autres intéressés. L'audience vise à attirer l'attention du public sur les oppositions et sur les motifs y afférents. Elle ne vise pas à forcer le ministre des Travaux publics, pour le compte de la population du Canada, à débattre la nécessité de l'expropriation. Le ministre de Travaux publics sera responsable de l'expropriation envers ses collègues et envers le Parlement du pays, et c'est une responsabilité qu'il devra accepter. Sa responsabilité sera de nature politique et non de nature judiciaire parce que la décision d'exproprier est avant tout une décision administrative pour laquelle il assume une responsabilité politique. [Non souligné dans l'original.]

[57]            L'exigence relative à la tenue d'une audience comporte donc un élément d'intérêt public important. L'audience et la procédure générale d'opposition visent principalement à servir d'enceintes permettant au public de participer et d'obtenir des renseignements substantiels au sujet des effets réels possibles de l'expropriation et, par conséquent, à permettre au ministre d'apprécier la réaction du public sous tous ses angles.


[58]            Il semble évident que le rapport de l'enquêteur doit fournir des renseignements exacts et utiles au sujet de « la nature et [d]es motifs » des oppositions à l'expropriation envisagée de façon à donner au ministre la possibilité de déterminer si la décision politique qui a déjà été prise doit être confirmée. À mon avis, la nature publique de la procédure de dépôt des oppositions crée légitimement cette attente dans l'esprit du public, c'est-à-dire que les membres du public qui soulèvent des oppositions ont le droit de s'attendre à un examen sérieux de leurs griefs et de croire que ces griefs empêcheront ou modifieront peut-être l'expropriation en cours ou encore y mettront peut-être fin. Le rapport devrait donc idéalement fournir au ministre des renseignements qu'il ne connaît peut-être pas déjà, et qui peuvent faire une différence.

[59]            Par conséquent, l'obligation qui est acceptée par l'enquêteur est de nature informationnelle, tant pour le public que pour le ministre.

B. Le sens des mots « nature » et « motifs » figurant à l'alinéa 10(4)d)

[60]            En exigeant que l'enquêteur fasse rapport tant sur la « nature » que sur les « motifs » des oppositions, le législateur impose clairement une exigence à deux volets quant au contenu du rapport soumis au ministre. Afin de déterminer si l'enquêteur a observé l'alinéa 10(4)d), il faut donc déterminer le sens ordinaire des mots « nature » et « motifs » .


[61]            Le New Oxford Dictionary of English (Oxford: Clarendon Press, 1998, page p.1235) définit le mot « nature » (nature) de diverses façons. La définition qui s'applique le mieux au présent examen est la suivante : [TRADUCTION] « Aspects fondamentaux ou intrinsèques de quelque chose, en particulier au point de vue des caractéristiques. » La définition du mot « grounds » (motifs) qui s'applique aux fins qui nous occupent est la suivante : [TRADUCTION] « Facteurs servant de fondement à une action ou de justification à une croyance » (New Oxford Dictionary of English,précité, page 811). Dans le contexte juridique, Black's Law Dictionary (6e éd. St. Paul Minnesota: West Publishing Co., 1990, pages 704 et 1027) définit le mot « nature » (nature) comme suit : [TRADUCTION] « Genre, sorte, type, ordre; caractère général » et le mot « grounds » (motifs) comme suit : [TRADUCTION] « Fondement » .

[62]            Les définitions précitées étayent la prétention de la demanderesse selon laquelle, dans le contexte des procédures d'expropriation, le mot « nature » s'entend de la description de l'opposition et le mot « motifs » s'entend d'une explication de la raison d'une opposition. Je conclus qu'il s'agit d'une interprétation correcte des exigences qui s'appliquent au rapport visé à l'alinéa 10(4)d) de la Loi.

C. Le rapport de l'enquêteur


[63]            Le rapport compte près de 300 pages, les renseignements étant classés sous six onglets différents. Les onglets 3 à 5 comportent 200 pages de tableaux fournissant des renseignements au sujet des oppositions relatives à l'expropriation envisagée. À l'onglet 6, l'enquêteur inclut des [TRADUCTION] « Documents et lettres » .

1. La lettre d'envoi

[64]            Au premier onglet se trouve la lettre d'envoi de l'enquêteur, qui est importante au point de vue des énoncés qui y figurent. Sauf pour les pages où des explications sont données au sujet des frais allégués par les opposants conformément au paragraphe 10(9) de la Loi, la lettre est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Monsieur,

Objet :    Expropriation à Nanoose Bay

À la demande du procureur général du Canada, comme il en est fait mention dans sa lettre du 5 juillet 1999, je soumets par les présentes mon rapport sur la nature et les motifs des 2 369 oppositions qui ont été faites au sujet de l'expropriation envisagée de certains bien-fonds à Nanoose Bay, la description y afférente ayant été publiée dans la Gazette du Canada le 22 mai 1999.

Mon rapport est présenté sous la forme de tableaux, qui se trouvent dans deux relieurs gris. Chacun renferme les mêmes renseignements. Le premier, sur lequel figure l'inscription « SELON LE NOM » est organisé en ordre alphabétique selon le nom de famille de l'opposant. Le deuxième, sur lequel figure l'inscription « SELON LE NUMÉRO D'IDENTIFICATION » , est organisé selon l'ordre numérique adopté par vos représentants aux bureaux d'Ottawa et de Vancouver.

Pour expliquer le mode de consultation des tableaux, je joins ici une page type tirée du relieur intitulé « SELON LE NOM » . De gauche à droite, on trouve la première colonne verticale, qui indique le numéro d'identification (no d'id.) que votre personnel a attribué à un avis d'opposition. Toutes les oppositions de la page type ont été traitées à Vancouver.

La deuxième colonne verticale indique le nom de famille de l'opposant, suivi de son prénom ou de ses initiales.

L'inscription « D » figurant dans la colonne verticale suivante, à côté du nom de l'opposant, indique que le document ainsi désigné se rapporte à des dépôts multiples du même document ou au dépôt de deux documents ou plus par la même personne. Je parlerai dans les deux cas des « doubles » .


Le nombre final d'opposants ne pouvait pas être prévu au cours de la période de 30 jours qui a suivi la date de la publication de votre avis d'intention d'exproprier, le 22 mai 1999. Un grand nombre d'avis d'opposition ont été remis en main propre à Vancouver le 21 juin. Vos représentants se sont vus obligés d'enregistrer chaque document qui était reçu. Ils n'ont pas eu la possibilité de déterminer si un avis d'opposition était le double d'un autre avis. Sur la page type ci-jointe, les documents portant les nos d'id. 10 et 83 sont des doubles. Lorsque des doubles étaient découverts, ils étaient enregistrés comme tels et seul un avis d'opposition était compté, de façon à éviter de faire croire qu'il y avait deux opposants alors qu'en fait, il n'y en avait qu'un. Au 17 août, soit le dernier jour de l'audience, il a été conclu que sur les 2 733 avis d'opposition par ailleurs valides qui avaient été traités dans vos bureaux, 364 étaient des doubles.

La colonne verticale suivante, « Groupes 1 à 4 » , se rapporte aux caractéristiques des opposants et, avec les chefs d'opposition, elle indique mon appréciation de la nature et des motifs des oppositions. Des explications plus détaillées sont données dans l'addenda qui est joint au présent rapport.

Lorsque figure la lettre « C » dans la colonne verticale intitulée « Remarques » , le lecteur doit consulter la section « Remarques » dans l'addenda. Dans la section intitulée « Généralités » se trouvent entre autres choses des observations au sujet des relations existant entre les opposants. Dans la section intitulée « Particularités » , des observations sont faites au sujet de certains opposants.

Quatre-vingt-quinze opposants se sont prévalus de la possibilité de se faire entendre aux audiences publiques, à Nanaimo, au cours des semaines du 19 et du 26 juillet. Cent vingt autres opposants ont été entendus à Vancouver aux cours des semaines du 2 août (à part le 3 août) et du 9 août et pendant deux jours la semaine suivante -- les 16 et 17 août.

De toute évidence, pour examiner le présent rapport, vos conseillers et vous-même devez comprendre la méthodologie employée dans les tableaux d'où la page type est tirée.

Dans l'addenda, j'examinerai le problème que le nombre d'oppositions a suscité, les solutions qui ont été adoptées pour résoudre ce problème et la méthodologie sous-jacente. Je parlerai également plus en détail de la nature et des motifs de l'opposition soulevée par la province de la Colombie-britannique et par la Première nation de Nanoose. En ce qui concerne la province, je note que, dans l'exposé, il est déclaré à titre subsidiaire que l'étendue des bien-fonds qui sont expropriés est excessive et que la nature des droits devrait être limitée. Ces arguments figurent dans le volume 4 de l'exposé de la province à l'onglet G et ils sont mentionnés dans les remarques que je fais au sujet de cet exposé.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

D.M.M. Goldie

Enquêteur

(Dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 11). [Non souligné dans l'original.]

Une copie de la page type jointe à la lettre d'envoi est annexée aux présents motifs.


2. Les tableaux

[65]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, l'enquêteur dit que le rapport qui doit être soumis en vertu de l'alinéa 10(4)d) est en fait constitué des 200 pages de tableaux qui sont incluses. Pour déterminer si le rapport satisfait aux exigences de l'alinéa 10(4)d), il faut donc absolument comprendre comment et pourquoi les quatre [TRADUCTION] « caractéristiques des opposants » et les 21 [TRADUCTION] « chefs d'opposition » ont été élaborés, et de quelle façon on a appliqué ces descriptions aux opposants et aux oppositions reçues par l'enquêteur. L'addenda fournit ces renseignements.

3. L'addenda

[66]            Un addenda figure à l'onglet 2 du rapport. Dans cette partie du document, l'enquêteur examine les problèmes suscités par le nombre d'oppositions et les mesures qui ont été prises pour résoudre ces problèmes et il donne plus de détails au sujet des oppositions de la Colombie-Britannique et de la Première nation de Nanoose.

a. Les 21 chefs d'opposition

[67]            L'enquêteur fournit les explications suivantes :

[TRADUCTION] L'examen initial des [oppositions] qui a été effectué lorsque le bureau du ministre à Vancouver les a remises a révélé que les motifs d'opposition pouvaient être définis et classés sous environ 21 chefs, dont l'exactitude a en bonne partie été confirmée à Nanaimo. Cela a permis un emploi plus étendu de cette base de données. À l'exception de la colonne verticale intitulée « Groupes 1 à 4 » , cela a servi de fondement pour la désignation des autres colonnes verticales figurant dans les tableaux (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 26).


[68]            Par conséquent, en ce qui concerne environ 3 000 oppositions qui ont été déposées, l'enquêteur et son personnel ont examiné les oppositions et ils les ont classées comme suit sous 21 chefs :

1      Présence de sous-marins à armement nucléaire et d'armes nucléaires dans les eaux de la Colombie-Britannique

2      Exercice illégitime du pouvoir d'expropriation par le gouvernement fédéral

3      Dommage environnemental causé par l'emploi de la région comme champ de tir d'essai

4      Danger d'accident nucléaire

5      Questions relatives à la souveraineté canadienne

6      Violation de la décision de la Cour internationale de justice -- Droit international applicable aux armes nucléaires

7      Opposition générale

8      Contestation de la proposition selon laquelle les armes nucléaires sont nécessaires

9      Les États-Unis devraient effectuer leurs essais dans leurs propres eaux

10    Atteinte au droit de libre passage

11    Atteinte aux droits des peuples des Premières nations ou omission de consulter les peuples des Premières nations

12    Possibilité que la région devienne une cible nucléaire

13    Absence de compensation économique pour l'expropriation -- sous-marin chilien

14    Divulgation incomplète des fins de l'expropriation

15    Coûts trop élevés que comporte le maintien du champ de tir

16    Préoccupations relatives aux effets défavorables sur le tourisme

17    Emplacements plus appropriés pour les essais

18    Les États-Unis désignent Nanoose Bay en tant que base américaine

19    Effet défavorable sur la valeur des propriétés

20    Menace d'agression américaine contre le Canada

21    Les États-Unis sont l'unique pays qui nous a envahi au cours des 220 dernières années


[69]            L'enquêteur déclare que la formulation de ces chefs permet d'effectuer une analyse quantitative des motifs d'opposition (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 11). L'addenda renferme une analyse préalable à l'audience et une analyse postérieure à l'audience au sujet d'un certain nombre d'oppositions visées par chacun des chefs d'opposition.

b. Les caractéristiques collectives

[70]            Dans l'addenda, l'enquêteur déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] Aux fins de mon appréciation de la nature et des motifs d'opposition de chaque particulier (ou dans quelques cas d'une organisation), j'ai jugé pertinent de comprendre dans une certaine mesure le lien qui existe entre les opposants. C'est l'une des fins auxquelles j'ai essayé d'arriver en effectuant le regroupement (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 32).

[71]            L'enquêteur a donc élaboré et appliqué aux oppositions qu'il avait reçues l'analyse des [TRADUCTION] « caractéristiques collectives » suivantes :

[TRADUCTION] J'ai établi quatre groupes. Je n'entends faire aucune recommandation, que ce soit implicitement ou autrement. Je crois que mon analyse fournit un fondement raisonnablement uniforme à l'égard du groupe particulier dans lequel j'ai rangé chaque opposant. Les caractéristiques sont ci-après énoncées :

Caractéristiques du groupe 1

1. L'opposition à l'utilisation de champs de tir par des sous-marins américains propulsés par un réacteur nucléaire s'était manifestée avant le litige qui oppose actuellement le Canada et la Colombie-Britannique au sujet des conditions de reconduction du bail.

2. L'opposant a eu un rôle directeur prestigieux en ce qui concerne l'opposition organisée à l'existence de la base.

3. À cette fin, l'opposant a été actif à tous les paliers -- communautaire, provincial et fédéral.

4. L'opposition se distinguait par le fait que l'on ne croyait pas les déclarations des sources militaires américaines et canadiennes, lorsqu'elles minimisaient le danger découlant de l'utilisation de navires propulsés par réacteur nucléaire et d'armes nucléaires.

5. L'opposant était susceptible d'exprimer certaines convictions au sujet du pouvoir et de la dominance du militaire américain lorsqu'il s'agissait de promouvoir l'utilisation continue de la base dans le cadre de son alliance avec l'industrie de la défense dans ce pays et dans une moindre mesure au Canada.


Caractéristiques du groupe 2

1. L'opposition à l'utilisation de champs de tir par des sous-marins américains propulsés par un réacteur nucléaire s'était fort probablement manifestée avant que le litige qui oppose actuellement le Canada et la Colombie-Britannique au sujet des conditions de reconduction du bail ait pris naissance.

2. L'opposant a probablement eu un rôle de participant en ce qui concerne l'opposition organisée à l'existence de la base.

3. L'opposant a été actif aux paliers politiques local et communautaire.

4. L'opposant était susceptible de ne pas croire les déclarations des sources américaines et canadiennes, lorsqu'elles minimisaient les risques nucléaires en général, et plus précisément les risques à Nanoose.

5. L'opposant était susceptible d'exprimer certaines convictions au sujet du pouvoir et de la dominance du militaire américain lorsqu'il s'agissait de promouvoir l'utilisation continue de la base dans le cadre de son alliance avec l'industrie de la défense dans ce pays et dans une moindre mesure avec le Canada.

Caractéristiques du groupe 3

1. L'opposition à la continuation des utilisations actuelles à Nanoose était susceptible d'être d'origine plus récente que dans le cas des groupes 1 et 2.

2. L'opposant appuyait une opposition organisée, sans toutefois y participer nécessairement.

3. L'opposition était susceptible d'être davantage axée sur le danger que présente, pour la paix mondiale, le recours continu aux armes nucléaires.

4. L'opposant avait de la suspicion à l'égard du militaire américain et des liens existant entre le militaire et l'industrie américaine de la défense ainsi qu'à l'égard de la crédibilité des garanties canadiennes relatives à la présence d'armes nucléaires dans les eaux canadiennes.

5. L'opposant était susceptible de mettre davantage l'accent sur le fait que l'exercice du pouvoir fédéral d'expropriation à l'égard de bien-fonds de la Couronne provinciale constituait un mauvais précédent et que cela nuisait aux relations intergouvernementales et au Canada en tant qu'État.

Caractéristiques du groupe 4

1. L'opposition à l'expropriation envisagée était susceptible d'être davantage liée aux préoccupations existant au sujet de la prolifération des armes nucléaires et du danger en résultant pour la paix mondiale.

2. Les motifs invoqués étaient susceptibles d'être davantage axés sur des préoccupations personnelles et notamment sur des préoccupations religieuses ou spirituelles en ce qui concerne l'utilisation continue des armes nucléaires.


3. L'opposant était susceptible de considérer comme acquis les motifs pour lesquels on s'opposait à l'utilisation continue de champs de tir. L'opposant était dans une certaine mesure prêt à accepter les explications données par les sources canadiennes.

4. L'opposition à l'expropriation envisagée pouvait être exprimée au point de vue du tort qu'un mauvais précédent pourrait causer au Canada malgré la conduite provocante des dirigeants de la Colombie-Britannique.

5. Certains opposants appartenant à ce groupe favorisaient l'examen de compromis.

Dans cette formulation, j'ai tenté d'indiquer la différence entre l'homogénéité apparente de l'opposition aux sous-marins propulsés par un réacteur nucléaire dans les eaux canadiennes et l'absence d'homogénéité des raisons ou motifs sous-jacents, sans faire de distinctions dans chaque cas individuel.

Dans le cadre de mon mandat, je crois qu'il est possible de faire les inférences suivantes :

Les opposants appartenant au groupe 1 continueront à manifester leur opposition à moins qu'il ne soit renoncé à l'expropriation envisagée.

Les opposants du groupe 2 continueront également à manifester leur opposition et à appuyer les démarches que les dirigeants appartenant au groupe 1 auront entreprises.

Les opposants appartenant au groupe 3 continueront à manifester leur opposition.

Les opposants appartenant au groupe 4 continueront peut-être à manifester leur opposition, mais ils seraient en faveur de la modification des conditions de l'expropriation envisagée indiquant un compromis (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, pages 28 à 31). [Non souligné dans l'original.]

[72]            La description qui précède explique comment l'enquêteur a traité les oppositions, et la déclaration suivante tirée de l'addenda explique les circonstances dans lesquelles ce genre de rapport a été adopté :

[TRADUCTION] Pour mener à bonne fin mon rapport sur les avis d'opposition individuels, à l'exception de ceux de la province de la Colombie-Britannique et de la Première nation de Nanoose, il fallait regrouper les caractéristiques ou la situation des opposants, de façon à pouvoir préparer un rapport, malgré le grand nombre d'opposants, dans le délai imparti par la Loi. J'ai essayé de préparer des rapports individuels. Toutefois, cette tâche prenait trop de temps (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 28) [Non souligné dans l'original.]

Il est donc clair que la forme et la substance du rapport de l'enquêteur étaient dans une large mesure fonction des contraintes de temps imposées par la Loi.


[73]            Comme il en est fait mention à la troisième page de la lettre d'envoi, les [TRADUCTION] « caractéristiques des opposants » , si elles sont considérées avec les [TRADUCTION] « chefs d'opposition » , et s'il est en outre tenu compte des explications plus détaillées figurant dans l'addenda, indiquent l'appréciation par l'enquêteur de « la nature et [d]es motifs des oppositions présentées » conformément à l'alinéa 10(4)d) de la Loi. Il s'agit maintenant de savoir si l'enquêteur s'est acquitté des obligations qui lui étaient imposées par l'alinéa 10(4)d) de la Loi.

D. Inobservation de l'alinéa 10(4)d) de la Loi?

1. Arguments

[74]            Le défendeur soutient d'une façon convaincante que la Loi confère à l'enquêteur un pouvoir discrétionnaire considérable au sujet des modalités de préparation et de présentation du rapport et que le législateur voulait permettre une grande souplesse dans la préparation du rapport, notamment lorsqu'il s'agissait de synthétiser et de classer les oppositions ainsi que de faire des généralisations.


[75]            Toutefois, le principal argument invoqué par la demanderesse est le suivant : en adoptant une approche axée sur une étude préliminaire qui est fondée sur des chefs d'opposition trop simples par suite de l'accent qui est mis sur une présentation sous forme de tableaux, le rapport ne satisfait pas aux exigences de la Loi en ce sens qu'il ne communique pas au ministre, d'une façon utile, la nature et les motifs des oppositions, c'est-à-dire que l'approche fondée sur les [TRADUCTION] « chefs d'opposition » est intrinsèquement limitée et n'indique pas le contexte et l'historique dont le ministre a besoin pour prendre une décision éclairée en vertu de la Loi. En particulier, la demanderesse soutient que le rapport ne renferme presque aucun examen des motifs d'opposition.

[76]            Le défendeur répond que le rapport de l'enquêteur est conforme à l'alinéa 10(4)d) de la Loi en ce sens qu'il renferme bon nombre de détails au sujet de la nature et des motifs des oppositions qui ont été déposées, y compris les chefs d'opposition, un examen de quatre groupes d'opposants ainsi que des remarques générales et des remarques particulières au sujet des opposants.

2. Conclusion

[77]            Je puis dire sans réserve que je souscris aux prétentions de la demanderesse. À mon avis, l'enquêteur a mal compris les dispositions de l'alinéa 10(4)d) ; il a donc effectué une analyse subjective discutable inutile et il a omis de fournir les renseignements exigés par la Loi.

a. Mauvaise compréhension

[78]            À mon avis, l'approche adoptée par l'enquêteur, lorsqu'il a classifié les caractéristiques des opposants et mis l'accent sur ces caractéristiques au lieu d'examiner le contenu des oppositions, est erronée.


[79]            L'obligation de l'enquêteur consiste à faire rapport sur des renseignements; son rôle est celui d'un scribe ou d'un appareil d'enregistrement humain (Todd, précité, page 49). Il n'y a rien à l'article 10 de la Loi qui lui permette de faire autre chose.

[80]            Dans l'addenda, l'enquêteur déclare que [TRADUCTION] « l'autre exigence » nécessaire aux fins de l'achèvement du rapport consistait à regrouper les caractéristiques ou les situations respectives des opposants (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 28). Comme il en a été fait mention, l'enquêteur a rangé les opposants en quatre groupes et il a décrit les caractéristiques de chaque groupe, y compris leurs convictions probables et la possibilité qu'ils continuent à s'opposer à l'expropriation. Comme je l'ai déjà dit, l'enquêteur commence ses remarques en disant ce qui suit :

[TRADUCTION] Aux fins de mon appréciation de la nature et des motifs d'opposition de chaque particulier (ou dans quelques cas d'une organisation), j'ai jugé pertinent de comprendre dans une certaine mesure le lien qui existe entre les opposants. C'est l'une des fins auxquelles j'ai essayé d'arriver en effectuant le regroupement (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 32).

[81]            Les notes d'ouverture de l'enquêteur lors des audiences, lesquelles ont été préparées et distribuées afin d'expliquer le rôle de l'enquêteur aux opposants, indiquent la façon dont celui-ci envisageait les obligations qui lui étaient imposées par la Loi. La déclaration suivante figurait dans les notes qui ont été distribuées lors des audiences tenues à Nanaimo :

[TRADUCTION] Le rôle de l'enquêteur consiste à définir la nature des droits touchés par l'avis d'intention d'exproprier ainsi que les motifs de l'opposition (dossier du défendeur, affidavit de Theresa Johannsen, page 283). [Non souligné dans l'original.]


[82]            À mon avis, le passage précité démontre l'existence d'un malentendu. En vertu de l'article 9 de la Loi, les personnes qui décident de signifier une opposition doivent indiquer leur intérêt en ce qui concerne l'expropriation envisagée, mais contrairement à ce que l'enquêteur a conclu, la Loi n'impose pas l'obligation de faire rapport sur ces renseignements.

[83]            Il semble que le malentendu ait amené l'enquêteur à préparer et à inclure une analyse subjective inutile au sujet des opposants. Ainsi, la section intitulée [TRADUCTION] « Remarques » de l'addenda renferme des détails au sujet des motifs d'opposition de certains opposants, y compris la province de la Colombie-Britannique et la Première nation Snaw-naw-as, mais la remarque est principalement axée sur la classification des opposants, ce qui n'est pas nécessaire, plutôt que sur le contenu de leurs oppositions, ce qui est nécessaire.

b. L'analyse subjective

[84]            Il pourrait avec raison être soutenu qu'il n'y a rien de mal à faire rapport sur l'intérêt des divers opposants, mais je conclus que l'analyse précitée fondée sur les [TRADUCTION] « caractéristiques collectives » constitue une remarque politique subjective qui pourrait non seulement être erronée, mais qui risque aussi de nuire à la réputation des particuliers et des organisations ainsi désignés et qui pourrait donc influer d'une façon défavorable sur l'importance à accorder aux oppositions.


c. L'omission de faire rapport

[85]            Le rapport donne des renseignements au sujet de la nature des oppositions au moyen de la désignation des 21 chefs d'opposition, et des renseignements sont fournis et des conclusions sont tirées au sujet des opposants, mais il existe fort peu de renseignements au sujet des « motifs » sous-tendant les 21 chefs d'opposition en question.

[86]            Une description des motifs de certains opposants est incluse dans la section intitulée [TRADUCTION] « Remarques » de l'addenda, mais à mon avis le rapport ne traite pas de la totalité des motifs des oppositions à l'expropriation. L'enquêteur a décidé de mettre l'accent sur les oppositions de groupes ou de particuliers précis; certaines de ces remarques renferment une description des motifs des oppositions invoqués par ces opposants, mais d'autres remarques réitèrent simplement les chefs d'opposition sans donner de précisions. Par conséquent, le contenu total de tous les éléments descriptifs du rapport ne fournit pas de motifs pour tous les chefs d'opposition qui sont décrits. À mon avis, une fois que l'enquêteur avait défini 21 genres ou types d'oppositions, il devait donner une description correspondante du motif, ou du fondement, de chacun. Or, il a omis de la faire.


[87]            Le défendeur soutient qu'imposer l'obligation de fournir des détails au sujet de chaque opposition n'est pas conforme à la Loi. À mon avis, cette appréciation est correcte étant donné que la Loi exige simplement une description de la nature et des motifs des oppositions dans leur ensemble. Toutefois, à mon avis, une présentation sous forme de tableaux des 21 chefs d'opposition sans aucune description détaillée des motifs correspondants ne satisfait pas à la norme minimale exigée par la Loi.

[88]            À mon avis, le rapport ne renferme donc pas de renseignements cruciaux au sujet des motifs des oppositions reçues dont le public et le ministre ont besoin. Deux exemples aideront à illustrer la chose.

[89]            Les tableaux élaborés par l'enquêteur indiquent que les objections de la demanderesse appartiennent à cinq des 21 chefs d'opposition, notamment la [TRADUCTION] « Présence de sous-marins à armement nucléaire et d'armes nucléaires dans les eaux de la Colombie-Britannique » et le [TRADUCTION] « Danger d'accident nucléaire » . L'analyse quantitative effectuée par l'enquêteur indique que les objections de la demanderesse sont partagées par de nombreux autres opposants. Les objections relatives aux sous-marins à armement nucléaire et aux armes nucléaires dans les eaux de la Colombie-Britannique sont mentionnées 1 693 fois par d'autres opposants, alors que les préoccupations relatives au risque d'un accident nucléaire sont mentionnées 969 fois. Même si les opposants se concentrent énormément sur ces deux chefs d'opposition, le rapport ne traite que sporadiquement des préoccupations fondamentales sur lesquelles ces chefs d'opposition étaient fondés.


[90]            La Georgia Strait Alliance, un groupe environnemental qui a été constitué en 1990 pour s'occuper expressément du bien-être environnemental et écologique du détroit de Georgia et des eaux adjacentes, a comparu à l'audience et a présenté des arguments oraux et écrits sur les sujets suivants: armes nucléaires, réacteurs nucléaires de la marine, absence de mesures d'urgence, effets non nucléaires sur l'environnement marin, accès et sécurité maritime, réaction du public au champ de tir de Nanoose (recueil de documents de la demanderesse, onglet 3).

[91]            L'enquêteur a rangé l'opposition de l'Alliance sous huit chefs d'opposition, notamment la [TRADUCTION] « Présence de sous-marins à armement nucléaire et d'armes nucléaires dans les eaux de la Colombie-Britannique » et le [TRADUCTION] « Danger d'accident nucléaire » . L'examen des arguments de l'Alliance montre que, même si ces chefs indiquent la nature générale de ses oppositions, les motifs correspondants mettent en cause des questions extrêmement complexes fondées sur une vaste gamme de renseignements obtenus de diverses sources, Or, le rapport ne fait pas vraiment état de cette complexité.

[92]            Les passages suivants des arguments de l'Alliance illustrent la chose:


[TRADUCTION] Une étude effectuée par M. Jackson Davis, de l'université de la Californie, comportait une analyse des répercussions de deux scénarios d'accident nucléaire à la BFC d'Esquimalt. Le premier scénario se rapportait aux armes nucléaires: l'incinération (plutôt que la détonation) d'une seule ogive nucléaire à l'occasion d'un incendie à bord d'un navire. M. Davis a conclu que le nuage radioactif en résultant contiendrait des concentrations de plutonium excédant les limites imposées par la Nuclear Regulatory Commission plus de 10 000 fois pour la contamination de l'air et plus d'un million de fois pour la contamination du sol. Par conséquent, plus de 3 400 personnes de la région pourraient mourir d'un cancer. Étant donné que dans notre région la densité de la population a énormément augmenté depuis que cette étude a été effectuée, on pourrait supposer en toute sécurité que le nombre de décès attribuables au cancer serait maintenant beaucoup plus élevé. Nous notons que Nanoose est situé en plein milieu du bassin de Georgia, où vivent les deux tiers de la population de la Colombie-Britannique.

Il y a certains accidents attribuables à des armes nucléaires qui se sont produits ailleurs et dans lesquels des bombes nucléaires se sont désagrégées et ont émis des substances rétroactives dans l'environnement. Au cours des années 1960, au Groenland, il a fallu enlever des centaines de tonnes de glace et de terre rétroactives après l'écrasement d'un bombardier B-52. Dans ce cas-ci et lors d'un autre accident qui a eu lieu en Espagne, le gouvernement américain a d'abord nié que des armes nucléaires étaient en cause de sorte que des gens ont inutilement été contaminés afin de protéger le caractère secret des activités de la marine américaine. Divers manuels d'instruction de la flotte de la marine américaine publiés au fil des ans disent qu'en cas d'accident mettant en cause des armes, les commandants qui sont sur les lieux devraient « recouvrer ou éliminer [...] toute preuve d'accident lié à des armes nucléaires » , et que les officiers des affaires publiques devraient décrire l'accident comme étant de nature « non nucléaire » . Selon un analyste éminent de la marine, on cherche à maintenir le secret parce qu'admettre qu'un accident mettant en cause des armes nucléaires s'est produit dans une nation hôte ou même en mer nuirait sérieusement à l'accès stratégique des États-Unis aux ports du Pacifique. En d'autres termes, l'accès de la marine américaine est plus important que la vie ou la santé de la population locale. [Sources : « OPNAVINST 3040.5B » (1992) et « USCINCPACINST S8110.4C » (1984).] (Recueil de documents de la demanderesse, onglet 3).

[93]            Cet exposé ne constitue que l'un des nombreux exemples de la façon dont les opposants ont exprimé les préoccupations qu'ils avaient au sujet des effets de la présence d'armes nucléaires ou de navires propulsés par un réacteur nucléaire dans les eaux de la Colombie-Britannique. Il n'incombait pas à l'enquêteur de déterminer si les motifs invoqués étaient en fait fondés; l'enquêteur devait uniquement transmettre ces motifs d'une façon exacte et utile.


[94]            Le fait que les renseignements n'ont pas été communiqués au ministre est apparent même pour les chefs d'opposition moins complexes. Ainsi, il a été fait mention quatre cent trente fois du chef d'opposition intitulé [TRADUCTION] « Violation de la décision de la Cour internationale de justice -- Droit international applicable aux armes nucléaires » . Dans ses plaidoiries, la demanderesse a mentionné une vaste gamme de documents internationaux qui étaient cités par différents opposants, et notamment le Traité sur le droit de la mer, la Convention relative aux peuples indigènes et les Principes et objectifs de la non-prolifération et du désarmement nucléaires. L'enquêteur n'a même pas mentionné ces instruments du droit international.

[95]            À mon avis, l'enquêteur a également commis une erreur en refusant d'accepter les oppositions fondées sur des allégations de mauvaise foi de la part du gouvernement du Canada. Dans l'addenda, l'enquêteur déclare ce qui suit : [TRADUCTION] « À mon avis, la mauvaise foi ne constitue pas un motif d'opposition valable lorsque l'autre partie ne peut pas se faire entendre » (page 17). À mon avis, l'enquêteur ne disposait d'aucun fondement juridique l'autorisant à refuser cette opposition.

[96]            Le paragraphe 10(5) de la Loi confère à l'enquêteur le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de certaines oppositions, mais uniquement si ces oppositions sont vexatoires ou peu sérieuses ou si elles ne sont pas faites de bonne foi. Il n'était pas loisible à l'enquêteur de refuser une opposition sous le prétexte que le gouvernement du Canada n'était pas présent pour répondre à l'allégation. L'opposition n'exige pas que l'enquêteur se prononce sur son bien-fondé; au contraire, l'enquêteur est uniquement tenu de faire rapport de la façon prévue à l'alinéa 10(4)d).


[97]            Le défendeur soumet qu'un examen du rapport devrait tenir compte des restrictions importantes résultant des délais stricts imposés par la Loi. Comme il en a déjà été fait mention, je comprends les difficultés auxquelles fait face l'enquêteur, mais à mon avis les difficultés qui existent en pratique ne permettent pas de compromettre les exigences de la Loi. Le ministre a choisi la procédure, et il est lié par les contraintes qui lui sont imposées.

[98]            Par conséquent, en plus de l'omission de l'enquêteur d'observer les dispositions relatives à l'avis figurant à l'alinéa 10(4)a), tel qu'il en est fait mention ci-dessus dans la section IV, je conclus que l'omission de l'enquêteur de faire rapport conformément aux dispositions impératives de l'alinéa 10(4)d) constitue une erreur qui empêche le ministre d'avoir la compétence voulue pour exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du sous-alinéa 11(1)a)(ii) de la Loi.


                                                                     Annexe


                                                         O R D O N N A N C E

Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, j'annule, pour défaut de compétence, la confirmation que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada a enregistrée en l'espèce en vertu du sous-alinéa 11(1)a)(ii) de la Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21.

Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

     

                             « Douglas R. Campbell »                  

       Juge

  

OTTAWA (Ontario)

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                                      T-1509-99

INTITULÉ :                                                                     Society Promoting Environmental Conservation et autres

c.

Le procureur général du Canada

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                          LE 29 JANVIER 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                                        MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 5 MARS 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Andrew Gage/M. David Wright                                               POUR LES DEMANDEURS

M. John Hunter/M. K. Michael Stephens                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

West Coast Environmental Law Assoc.                                        POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (C.-B.)

Davis & Company                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (C.-B.)

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