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     T-2702-96

MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 21 MARS 1997

EN PRÉSENCE DU PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

ENTRE :

     LEVI STRAUSS & CO. et

     LEVI STRAUSS & CO. (CANADA) INC.,

     demanderesses,

     ET

     THE TIMBERLAND COMPANY (INC.) et

     TIMBERLAND FOOTWEAR & CLOTHING INC.,

     défenderesses.

     ORDONNANCE

     Les paragraphes 23 et 24 et l'alinéa 29d) de la défense et demande reconventionnelle sont radiés parce qu'ils ne révèlent aucune cause d'action (ou de défense) raisonnable au sens de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, sous réserve du droit des défenderesses de déposer et de signifier une modification de leur défense et demande reconventionnelle au plus tard le 21 avril 1997 ou dans un délai dont les parties pourront convenir, alléguant des faits importants qui, s'ils étaient prouvés, établiraient une cause d'action au sens de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

     Les dépens sont adjugés en faveur des demanderesses.

                             Richard Morneau
                        
                             Protonotaire
Traduction certifiée conforme :         
                             Raymond Trempe, B.C.L.

     T-2702-96

ENTRE :

     LEVI STRAUSS & CO. et

     LEVI STRAUSS & CO. (CANADA) INC.,

     demanderesses,

     ET

     THE TIMBERLAND COMPANY (INC.) et

     TIMBERLAND FOOTWEAR & CLOTHING INC.,

     défenderesses,

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

RICHARD MORNEAU

     La présente requête présentée par les demanderesses en vertu de la règle 419 des Règles de la Cour fédérale vise à faire radier les paragraphes 23 et 24 et l'alinéa 29d) de la défense et demande reconventionnelle des défenderesses au motif qu'à première vue, ils ne révèlent aucune cause raisonnable d'action ou de défense, qu'ils ne sont pas pertinents ou sont redondants, qu'ils sont futiles ou vexatoires ou qu'ils peuvent causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action.

     Les deux parties fabriquent et vendent des vêtements. Il semble que les deux affichent bien en vue leurs marques de commerce sur toute la marchandise qu'elles vendent en cousant une étiquette le long d'une couture de tous les vêtements.

     C'est relativement à cela que les demanderesses allèguent dans leur déclaration que les défenderesses ont usurpé leurs différentes marques de commerce relatives aux étiquettes et qu'elles ont fait passer leurs marchandises pour celles des demanderesses. Les défenderesses nient ces allégations et présentent une demande reconventionnelle par laquelle elles sollicitent une déclaration d'invalidité des marques de commerce des demanderesses ainsi que des dommages-intérêts.

     Les paragraphes contestés se lisent comme suit :

         [TRADUCTION]         
         23.      Pendant de nombreuses années, les demanderesses ont adopté et suivi au Canada (mais non aux États-Unis, le pays d'origine de la demanderesse L.S. & Co.) un usage qui consiste à avoir recours au processus judiciaire ou à la menace d'y avoir recours pour intimider ou contraindre leurs concurrents à cesser d'utiliser des étiquettes pour afficher les marques de commerce desdits concurrents qui ne créent pas de la confusion alors qu'elles savaient ou auraient dû savoir que les enregistrements de marques de commerce sur lesquels elles se fondaient pour menacer leurs concurrents n'avaient pas été violés et étaient invalides pour les raisons exposées ci-dessus.         
         24.      Au Canada, depuis 1982, les demanderesses ont intenté devant la présente Cour plus d'une vingtaine d'actions dans lesquelles elles allèguent l'usurpation de marques de commerce, le passing off ou la diminution de la valeur de l'achalandage relative aux marques de commerce concernant le dessin de l'étiquette de la demanderesse L.S. & Co. À la connaissance des défenderesses, aucune de ces affaires n'a abouti à un procès, parce que les demanderesses n'ont pas procédé ou parce qu'elles ont réussi à intimider leurs concurrents pour qu'ils cessent d'utiliser ces étiquettes même si elles n'étaient pas fondées en droit de le faire. Les défenderesses font valoir que les demanderesses ont comme politique d'intimider ou de contraindre injustement leurs concurrents à cesser d'utiliser des griffes de style étiquette afin de les mettre dans une situation de désavantage concurrentiel par rapport à elles.         
         29.      Les défenderesses demandent respectueusement le redressement suivant :         
              [...]         
              d)      des dommages-intérêts punitifs de 25 000 000 $;         

     Lors de l'audition de la présente requête, l'avocat des défenderesses a porté à l'attention de tous certaines modifications que les défenderesses entendaient apporter à leur demande reconventionnelle, lesquelles modifications serviraient à valider davantage les paragraphes contestés. Par conséquent, aux fins de mon analyse, j'accepte d'examiner lesdites modifications proposées, rédigées comme suit :

         [TRADUCTION]         
         27.      Les défenderesses répètent les allégations faites dans leur défense. Les déclarations trompeuses publiques et fréquentes au sujet de ses droits présumés sur des marques de commerce que la demanderesse a faites en vue d'empêcher d'autres d'attacher des étiquettes de nom commercial sur leurs vêtements, particulièrement au moyen des gestes mentionnés aux paragraphes 23 et 24, a nui à la capacité de la défenderesse de vendre au Canada ses produits portant une étiquette de nom commercial à l'extérieur. La défenderesse a subi des dommages et la demanderesse a réalisé un profit du fait de ces gestes.         
         28.      Les demanderesses invoquent et se fondent sur les articles 2, 4, l'alinéa 7a), les articles 12, 30 et 57 de la Loi sur les marques de commerce.         
         REDRESSEMENT DEMANDÉ         
         29.d)      dommages-intérêts généraux pour déclaration trompeuse dont la présente Cour déterminera le montant et dommages-intérêts punitifs de 25 000 000 $; et         

     Les avocats des demanderesses indiquent que l'ajout des modifications proposées ne change pas leur position au sujet de la requête.

     Selon ce que je comprends de la situation, les paragraphes contestés et les modifications proposées constituent le fondement de la cause d'action des défenderesses en vertu de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13. Le paragraphe 7a) dispose :

         7.      Nul ne peut :         
         a)      faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;         

     Si l'on fait abstraction de toutes les répétitions des paragraphes 23 et 24 et du paragraphe 27 proposé lus ensemble, le fond de l'unique et principale allégation des défenderesses est que, depuis 1982, les demanderesses ont intenté plus d'une vingtaine d'actions devant la présente Cour dans le seul but d'intimider leurs concurrents ou de les contraindre à cesser d'utiliser des étiquettes pour afficher leurs marques de commerce.

     Il s'agit manifestement là d'une allégation à l'appui d'une cause d'action relative à un abus de procédure.

     Dans Tsiopoulos v. Commercial Union Assurance Co., (1986) 32 D.L.R. (4th) 614, à la page 616, le juge Henry définit ainsi le délit d'abus de procédure :

              [TRADUCTION]         
              Il est bien établi qu'il existe en droit un délit appelé abus de procédure. Cette cause d'action survient lorsque les processus judiciaires sont employés pour un motif secret ou accessoire. Ce délit est défini comme l'usage à mauvais escient du processus judiciaire en vue de contraindre une personne d'une manière qui est tout à fait hors de la portée de la demande juridique sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer. Ce délit survient lorsque le processus judiciaire est employé pour une fin irrégulière et lorsqu'un geste défini est posé ou une menace définie est faite en vue d'une telle fin.         

     Je ne crois absolument pas que l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, ainsi qu'il a été interprété et appliqué, inclut le délit d'abus de procédure comme le soutiennent en l'espèce les défenderesses.

     Dans S. & S. Industries Inc. c. Rowell, [1966] 1 R.C.S. 419, à la page 424 (S. & S.), le juge Martland, en son propre nom et en celui de trois de ses collègues, décrit ainsi l'objectif et l'effet de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce :

         [TRADUCTION]         
              L'alinéa 7a) et l'article 52 de la Loi sur les marques de commerce ont pour effet de créer une cause d'action légale pour laquelle des dommages-intérêts peuvent être octroyés si une personne subit un préjudice du fait de déclarations fausses ou trompeuses de la part d'un concurrent qui tendent à discréditer les activités, les marchandises ou les services du demandeur. Les éléments essentiels d'une telle action sont :         
              1.      une déclaration fausse ou trompeuse;         
              2.      qui tend à discréditer les activités, les marchandises ou les services d'un concurrent;         
              3.      des dommages qui en résultent.         

     En l'espèce, je suis d'avis que le fait que les demanderesses aient introduit de nombreuses actions ne peut être considéré comme équivalant à des déclarations fausses ou trompeuses au sens du premier élément essentiel de l'alinéa 7a).

     Dans S. & S., à la page 429, le juge Spence indique clairement que l'introduction d'une action est la façon directe de procéder pour une personne qui cherche à protéger son brevet. Par conséquent, une déclaration ne peut guère être considérée comme contenant des déclarations fausses ou trompeuses aux fins de l'alinéa 7a).

     En outre, il semble qu'en common law, les déclarations contenues dans des actes de procédure sont considérées comme faisant l'objet d'une immunité et, en conséquence, même si elles se révèlent fausses en fin de compte, elles ne peuvent faire en sorte que l'alinéa 7a) s'applique à l'auteur d'une telle déclaration.

     À cet égard, dans Diamond Shamrock Corp. c. Hooker Chemicals & Plastics Corp., (1981) 60 C.P.R. (2d) 166, à la page 171, le juge Walsh a dit ce qui suit :

              Ceci nous amène à la question de l'immunité et, certes, les déclarations faites par la demanderesse aux paragraphes 13, 14 et 16 de son action selon lesquelles les défenderesses ont contrefait son brevet sont diffamatoires mais couvertes par l'immunité. La défenderesse essaie de raisonner qu'une disposition légale telle que l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce doit l'emporter sur toute règle de common law relative à l'immunité, faisant valoir que l'alinéa 7a) est une question d'intérêt public puisque figurant dans la loi sous la rubrique générale traitant de concurrence déloyale. À mon avis, une déclaration faite de bonne foi dans des procédures judiciaires et selon laquelle la défenderesse contrefait le brevet de la demanderesse ne vise pas à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services de la défenderesse même si, après instruction, elle s'avérait fausse. Je suis aussi d'avis que le fait d'ajouter comme défenderesses les deux sociétés qui ont acheté à la défenderesse les articles en question ou les ont utilisés ne rend pas l'alinéa 7a) applicable ni ne l'emporte sur la règle de common law relative aux déclarations diffamatoires couvertes par l'immunité qui sont faites dans des plaidoiries.         

(Voir aussi Teledata Communications Inc. c. Westburne Industrial Enterprises Ltd., (1990) 71 O.R. (2d) 466, à la page 470).

     Quand aux types de déclarations auxquelles l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce pourrait s'appliquer, je suis d'avis que les affaires S. & S., précitée, à la page 431, et Diamond Shamrock, précitée, à la page 170, appuient la thèse selon laquelle si, dans les faits, des déclarations de la nature de menaces de recourir aux processus judiciaires sont faites à des tiers faisant le commerce ou l'usage, directement ou au moyen d'un intermédiaire, du produit d'un défendeur et qu'en fin de compte le brevet de la demanderesse est jugé invalide par suite d'une demande reconventionnelle, ces déclarations donneraient lieu à une réclamation en dommages-intérêts de la part dudit défendeur en vertu de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

     En ce qui concerne l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, les menaces de recourir aux processus judiciaires et l'introduction en soi d'une action en justice sont deux choses différentes.

     En l'espèce, le paragraphe 23 contesté traite de la menace de recourir au processus judiciaire. Toutefois, comme dans Diamond Shamrock, précitée, à la page 171, la mention du paragraphe 23 n'est qu'une simple allégation ne renfermant aucun des faits importants essentiels pour fonder une cause d'action au sens de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

     Par conséquent, les paragraphes 23 et 24 contestés seront radiés parce qu'ils ne révèlent aucune cause d'action (ou de défense) raisonnable au sens de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

     Étant donné que l'alinéa 29d) de la demande reconventionnelle dépend des paragraphes 23 et 24, il doit lui aussi être radié. Il s'agit là du résultat évident et manifeste auquel il faut parvenir en l'espèce (Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740).

     Étant donné qu'à l'audition de la requête, les défenderesses ont brièvement fait allusion à d'autres modifications projetées sans les mettre par écrit au profit de la Cour et des avocats des demanderesses, je réserve aux défenderesses le droit de déposer et de signifier une modification de leur défense et demande reconventionnelle au plus tard le 21 avril 1997, ou dans le délai dont les parties pourront convenir, alléguant des faits importants qui, s'ils étaient prouvés, établiraient une cause d'action au sens de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

     Les dépens de la présente requête sont adjugés en faveur des demanderesses.

                             Richard Morneau
                        
                             Protonotaire

Montréal (Québec)

21 mars 1997

Traduction certifiée conforme :         
                             Raymond Trempe, B.C.L.

             T-2702-96

LEVI STRAUSS & CO.,

-et-

LEVI STRAUSS & CO. (CANADA) INC.,

             demanderesses,

THE TIMBERLAND COMPANY (INC.),

-et-

TIMBERLAND FOOTWEAR & CLOTHING INC.,

             défenderesses.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  T-2702-96
INTITULÉ DE LA CAUSE:          LEVI STRAUSS & CO. et LEVI STRAUSS & CO. (CANADA) INC.,

     demanderesses,

                         ET
                         THE TIMBERLAND COMPANY (INC.) et TIMBERLAND FOOTWEAR & CLOTHING INC.,

     défenderesses.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          6 mars 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR le protonotaire Richard Morneau en date du 21 mars 1997

ONT COMPARU :

Me Brian P. Isaac                  pour les demanderesses
Me Robert McFarlane              pour les défenderesses

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Brian P. Isaac/Me Elliott S. Simcoe

Smart & Biggar

Ottawa (Ontario)                  pour les demanderesses

Me Daniel R. Bereskin/Me Cynthia Rowden

Bereskin & Parr

Toronto (Ontario)                  pour les défenderesses

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