Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020129

Dossier : T-1633-00

                                                       Référence neutre : 2002 CFPI 111

      AFFAIRE INTÉRESSANT LE TRIBUNAL CANADIEN

    DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

ENTRE :                                                                                                        

                                       DAVID F.J. YATES

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE REGISTRAIRE,

   TRIBUNAL CANADIEN DES ANCIENS COMBATTANTS

                                    (RÉVISION ET APPEL)

                                                                                                 défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]    La présente demande de contrôle judiciaire porte sur l'évaluation du degré d'invalidité découlant de la rétinopathie diabétique du demandeur lui ouvrant droit à pension.

[2]    Le demandeur recherche le contrôle de la décision du 18 août 2000 du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA) rendue à l'issue de l'appel de l'évaluation.


Contexte

[3]    Le demandeur est un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). En 1983, il a été diagnostiqué comme diabétique insulino-dépendant de type 1. Le 11 mars 1991, le TACRA a déterminé que l'affection dont souffrait le demandeur, soit le diabète sucré, ouvrait droit à pension à raison d'un cinquième de la partie d'invalidité à laquelle lui donnait droit son service au sein de la GRC. Ce droit partiel à pension a été évalué à 40 %.

[4]    Par la suite, un diagnostic a révélé que le demandeur souffrait de neuropathie diabétique et de rétinopathie diabétique. Le 30 mars 1998, le ministre des Anciens combattants a jugé que ces deux affections ouvraient droit à pension puisqu'elles [TRADUCTION] « étaient le résultat du diabète sucré, une maladie ouvrant droit à pension » . Toutefois, le degré d'invalidité du demandeur causé par sa rétinopathie diabétique a été évalué à zéro.

[5]    Le 15 juillet 1998, un examen des nouveaux renseignements médicaux fournis par l'ophtalmologue du demandeur a confirmé l'évaluation nulle. L'avis du médecin notait que l'acuité visuelle du demandeur, avec la meilleure correction possible, était de 20/20 bilatéralement et que l'évaluation de l'invalidité ouvrant droit à pension est fondée sur le degré d'acuité visuelle.


[6]                 L'examen du ministère effectué le 24 juillet 1998 a également confirmé l'évaluation nulle.

[7]                 Avant la révision de l'évaluation qui s'est tenue le 18 février 2000, le TACRA a ordonné qu'un nouvel examen médical aux fins de la pension soit effectué. Le 21 avril 1999, le demandeur a subi cet examen chez le Dr Hilderman, médecin principal de district auprès du ministère des Anciens combattants. Dr Hilderman a également écrit à l'ophtalmologue du demandeur, Dr Kwan, pour lui demander d'autres renseignements concernant la détérioration des champs visuels du demandeur et les résultats de tous les tests pouvant aider à quantifier le degré de perte de vision périphérique et de perception du relief. Dans sa lettre, Dr Hilderman expliquait également [TRADUCTION] « [qu'] un pensionné qui a une acuité visuelle de 20/20 n'obtient pas d'évaluation au sujet de sa rétinopathie [...] » .

[8]                 Dans sa réponse en date du 29 avril 2000, Dr Kwan a confirmé que l'acuité visuelle du demandeur était de 20/20. Dr Kwan a également fait parvenir à Dr Hilderman les résultats de deux autres tests.

[9]                 Le premier test, qui avait pour but de détecter toute perte de vision périphérique, a produit une représentation graphique des champs visuels de chaque oeil. Les deux diagrammes ont été envoyés à Dr Hilderman sans être interprétés par Dr Kwan.


[10]            Le deuxième test, concernant la perception du relief est connu sous le nom de « test de stéréopsie déterminant » . Il indique ce qui suit : « positive fly, 3/3 animals and 5/9 of the circles » (positif, 3/3 animaux, 5/9 cercles). Dr Kwan a expliqué que les cinq cercles sur neuf correspondaient à 100 secondes de stéréopsie.

[11]            Dans une décision en date du 18 février 2000, la Commission de révision de l'évaluation a confirmé l'évaluation nulle. Au cours de cette audience, le demandeur et son avocat ont fait valoir que [TRADUCTION] « les facteurs concernant la perception du relief, la vision périphérique et l'accumulation de pression à l'intérieur du globe oculaire, étaient tous des facteurs qui causaient certains problèmes au demandeur et devaient être pris en compte dans l'évaluation de la maladie » . La Commission s'est simplement appuyée sur l'opinion du Dr Hilderman, qui, en examinant la preuve fournie par Dr Kwan, n'avait pas recommandé de modifier le niveau d'évaluation.


[12]            Lors d'un appel sur l'évaluation qui s'est tenu à Charlottetown le 13 juillet 2000, la décision de la Commission de révision de l'évaluation a été confirmée. Dans les raisons motivant sa décision du 18 août 2000, le TACRA énonce les prétentions du demandeur, y compris l'inadéquation du test d'acuité visuelle dans son cas, les complications dont il a souffert, et le caractère déraisonnable de la recommandation du médecin principal de district (Dr Hilderman). Le TACRA conclut, après avoir soigneusement examiné l'ensemble de la preuve, que le demandeur [TRADUCTION] « a été évalué de façon appropriée pour le moment au moyen de la Table des invalidités du ministère des Anciens combattants » . C'est cette décision qui fait maintenant l'objet du contrôle.

Analyse

[13]            La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi) et la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, régissent les décisions prises au sujet des pensions des anciens combattants. Les articles 3 et 39 de la Loi sont particulièrement pertinents et sont rédigés dans les termes suivants :


Principe général

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

Construction

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.




Règles régissant la preuve

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve_:

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

Rules of evidence

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


[14]            L'article 35 de la Loi sur les pensions stipule que le calcul du montant de la pension est déterminé par une estimation du degré d'invalidité résultant d'une maladie ouvrant droit à pension. L'estimation du degré d'une invalidité se fonde sur la Table des invalidités établie par le ministre. Les dispositions pertinentes de l'article 35 indiquent ce qui suit :      


Pensions pour invalidité

Montant conforme au degré d'invalidité

35. (1) Sous réserve de l'article 21, le montant des pensions pour invalidité est, sous réserve du paragraphe (3), calculé en fonction de l'estimation du degré d'invalidité résultant de la blessure ou de la maladie ou de leur aggravation, selon le cas, du demandeur ou du pensionné.

Estimation du degré d'invalidité

(2) Les estimations du degré d'invalidité sont basées sur les instructions du ministre et sur une table des invalidités qu'il établit pour aider quiconque les effectue.

Pensions for Disabilities

Pension in accordance with extent of disability

35. (1) Subject to section 21, the amount of pensions for disabilities shall, except as provided in subsection (3), be determined in accordance with the assessment of the extent of the disability resulting from injury or disease or the aggravation thereof, as the case may be, of the applicant or pensioner.

How extent of disability assessed

(2) The assessment of the extent of a disability shall be based on the instructions and a table of disabilities to be made by the Minister for the guidance of persons making those assessments.



En fait, la Table des invalidités offre un mécanisme pour quantifier le degré d'invalidité. Le juge Pelletier a examiné le but de cette Table des invalidités dans la décision King c. Canada (Procureur général) [2000] A.C.F. no 196 (C.F. 1re inst.). Il note au paragraphe 17 que le paragraphe 35(2) fait clairement ressortir que « [...] la Table des invalidités a pour but d'aider les médecins et les chirurgiens, l'objectif visé étant certainement de viser l'uniformité dans les évaluations [...] » .

[15]            Le demandeur soutient qu'une baisse de son acuité visuelle n'est pas une des conséquences de la rétinopathie diabétique, et que ce n'est pas non plus l'aspect invalidant de la maladie dans son cas. Il déclare que sa réclamation est fondée sur la détérioration de son champ de vision et, en particulier, de sa perception du relief. Par conséquent, la conclusion du TACRA arrivant à une « évaluation nulle » est arbitraire puisqu'elle se fonde sur une évaluation du degré d'une invalidité qui n'est pas liée à son état.

[16]            Le demandeur cite une lettre écrite par Dr Kwan en date du 18 novembre 1998. Le Dr Kwan explique ceci :

[traduction]

La rétinopathie diabétique est l'une des causes les plus fréquentes des cas récents de cécité en Amérique du Nord. Il s'agit d'une complication du diabète qui provoque des changements anormaux dans les yeux [...] La rétinopathie diabétique est un état distinct de l'acuité visuelle et le fait d'avoir une vision de 20/20 ne signifie pas qu'il n'y a pas de rétinopathie diabétique [...]

[17]            Le défendeur soutient que le TACRA, aux termes de l'article 35 de la Loi sur les pensions, doit appliquer la Table des invalidités. Il fait valoir que le demandeur a le fardeau de prouver que son degré d'invalidité est visé par la Table des invalidités. Le défendeur s'appuie sur la décision Gavin c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 676 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge McKeown a examiné les paragraphes 35(1) et (2) de la Loi sur les pensions et a conclu comme suit au paragraphe 8 :

Les lignes directrices sont donc spécifiquement autorisées par la loi [...] En suivant les lignes directrices concernant les conditions dans lesquelles un intéressé a droit à une pension, le Tribunal n'a ni abusé de son pouvoir discrétionnaire, ni commis une erreur susceptible de contrôle.

Il continue au paragraphe 11 en notant ce qui suit :

[...] C'est au demandeur qu'il incombe de démontrer que son cas correspond aux lignes directrices et de demander à son médecin de répondre, dans son avis, aux exigences prévues dans les lignes directrices. Sinon il doit demander à un médecin d'exposer dans un rapport médical les raisons pour lesquelles les lignes directrices pourraient ne pas s'appliquer en l'occurrence.

[18]            À mon avis, les motifs donnés dans la décision Gavin, précitée, ne s'appliquent pas aux faits de l'espèce. Dans la décision Gavin, le TACRA avait conclu qu'il n'y avait pas de preuve établissant que le demandeur avait subi une perte de ses facultés auditives au moment où il a quitté la GRC. De même, les audiogrammes du demandeur ne permettaient pas de conclure à une incapacité selon les lignes directrices ministérielles en matière de perte de facultés auditives. Lors du contrôle judiciaire, la Cour a statué que même si la perte de facultés auditives avait été causée par son service au sein de la GRC, le degré de perte ne respectait pas le niveau requis pour obtenir une indemnisation.

[19]            En l'espèce, le demandeur ne prétend pas que son degré d'acuité visuelle justifie une indemnisation, mais il fait plutôt valoir que son degré d'acuité visuelle est un aspect non pertinent.      


[20]            L'article 3 de la Loi sur les pensions définit l'invalidité dans les termes suivants : « la perte ou l'amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d'ordre physique ou mental » . Le demandeur soutient qu'il souffre d'un amoindrissement de la faculté de faire des actes normaux, par exemple jouer au golf, au bowling, conduire la nuit, marcher sur des surfaces inégales et monter sur les trottoirs. Il affirme de plus que ses problèmes sont le résultat d'un amoindrissement de sa perception du relief et de son champ de vision et qu'ils ne sont pas liés à son acuité visuelle.

[21]            En fait, toute la preuve médicale dont était saisi le TACRA appuie la prétention du demandeur selon laquelle un test d'acuité visuelle ne peut traduire avec exactitude le degré d'invalidité résultant de sa rétinopathie diabétique. Selon cette preuve, les hémorragies sont la conséquence la plus importante de cette affection et elles peuvent également conduire à une perte soudaine de la vue. Les symptômes de cette maladie sont notamment les suivants : des épisodes de vision brouillée, une perte soudaine de vision dans un oeil ou dans les deux yeux, des taches noires ou des éclairs lumineux dans le champ de vision. L'ouvrage Cecil's Textbook of Medicine, 20e édition, décrivant à la page 1273, les « exsudats » ou les lésions et l'oedème causé par les hémorragies associées à la rétinopathie note que [ TRADUCTION ] « ces lésions n'ont généralement pas d'effet sur l'acuité visuelle » .

[22]            Après avoir examiné la Table des invalidités et les instructions concernant son utilisation, je ne vois aucune ligne directrice apparente qui oblige le TACRA à utiliser une mesure de l'acuité visuelle pour évaluer le degré de chacune des invalidités associées à l'oeil.


[23]            À mon avis, le TACRA, en confirmant l'évaluation nulle, a ignoré une preuve pertinente et a fondé sa décision sur une considération non pertinente, savoir une mesure de l'acuité visuelle. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée pour nouvel examen par une formation différente.

     

                                                                              « Dolores M. Hansen »         

                                                                                                             Juge                      

Ottawa (Ontario)

le 29 janvier 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

No DU GREFFE :      T-1633-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          David F.J. Yates c. Procureur général du Canada et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 24 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HANSEN

DATE :                        le 29 janvier 2002

   

COMPARUTIONS :

David Yates                                                          EN SON PROPRE NOM

Tracy King                                                            POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.