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Date : 1998.02.18

T-2398-96

E n t r e :

                                                         IRENE McCUTCHEON,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                          - et -

                                                           LUTZ HAUFSCHILD,

                                          MELANIE GOLD ARTADVISORY LTD.,

                                      MELANIE GOLD, BOLLUM'S BOOKS LTD.,

                                                  STARBUCKS CORPORATION,

                                THE VANCOUVER ART GALLERY ASSOCIATION,

                   WIC TELEVISION LTD. (ANCIENNEMENT BRITISH COLUMBIA

                                   TELEVISION BROADCASTING SYSTEM LTD.),

                       BC TELECOM INC., PETER CUNDILL & ASSOCIATES LTD.,

                                    HEMLOCK PRINTERS LTD., CHAPTERS INC.,

                                     W.H. SMITH CANADA INC., THE CANADIAN

                              CRAFT MUSEUM ASSOCIATION et THE CANADIAN

                                                CRAFT MUSEUM FOUNDATION,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

1           Il s'agit d'une action en violation de droit d'auteur. La demanderesse allègue que le défendeur Lutz Haufschild a plagié deux de ses oeuvres en tout ou en partie en réalisant avec succès plusieurs collages. L'enquête préalable a eu lieu en février 1997. Depuis lors, la demanderesse a consacré beaucoup d'énergie à tenter de dépister d'autres cas de publication des oeuvres de M. Haufschild, qui se présentent sous la forme de collages consistant principalement en des vitraux, dont certains se présentent sous la forme d'une série de panneaux. Elle affirme que ces vitraux contrefont ses oeuvres. Les deux parties soumettent maintenant des questions d'ordre procédural à l'examen de la Cour afin de pouvoir poursuivre l'instance.

2           La demanderesse désire modifier sa déclaration et sa réponse dans le but de réclamer d'autres documents et d'obtenir d'autres réponses du défendeur, M. Haufschild, et de poursuivre l'interrogatoire préalable de ce dernier.

3           Le défendeur Haufschild désire pour sa part poursuivre l'interrogatoire préalable de Mme McCutcheon pour traiter des nouvelles allégations articulées dans la déclaration et des cent trois documents et des liasses de documents récemment produits qui complètent les vingt-neuf documents qui avaient été produits en même temps que l'affidavit initial de la demanderesse.

4           Le présent procès soulève plusieurs difficultés. Tout d'abord, il dure depuis trop longtemps, bien que cette situation soit imputable aux deux parties. Ensuite, sans une certaine gestion de son déroulement, le procès risque de ne pas aboutir dans un avenir rapproché, ce qui est déplorable, étant donné que les frais qu'il implique risquent fort de dépasser la somme que la demanderesse peut, de façon réaliste, espérer obtenir. Finalement, la situation se complique du fait que M. Haufschild vit maintenant en Allemagne.

ANALYSE

5           Les oeuvres en litige de la demanderesse intitulées Sand Scribble no 108 et Sand Scribble no 109 font partie d'une série d'oeuvres qui se caractérisent par un assemblage abstrait imaginatif de croix, de coeurs et de rayures. Elles ont été exposées à la galerie Bau-Xi de Vancouver, en 1985. Certes, nul ne peut revendiquer de droit de propriété sur des coeurs ou des croix comme tels, mais il peut fort bien exister un droit de propriété sur des coeurs et des croix déterminés et sur leur arrangement spatial sous forme d'oeuvre artistique, en l'occurrence les oeuvres intitulées Sand Scribble no 108 et Sand Scribble no 109. Il semble que le défendeur ait beaucoup profité commercialement des adaptations qu'il aurait faites de la totalité ou d'une partie de Sand Scribble no 108 et de Sand Scribble no 109. Dans certains cas, le plagiat est évident; dans d'autres, il l'est moins. Et dans d'autres cas, il se peut que les prétentions de la demanderesse soient excessives. Il ne m'appartient cependant pas de comparer les oeuvres de Mme McCutcheon avec celles de M. Haufschild et de décider quels éléments de ces dernières sont originaux. Mon rôle consiste plutôt à me prononcer sur le bien-fondé des modifications considérables que la demanderesse désire apporter à sa déclaration et sur les droits découlant de ces modifications en ce qui concerne l'enquête préalable.

Modification de la déclaration

6           En règle générale, une modification légitime faite en temps opportun devrait être autorisée si elle aide à cerner les véritables questions en litige et l'essence du différend qui oppose les parties sur le fond, à condition que cette mesure n'ait pas pour effet de créer une injustice qui ne saurait être réparée au moyen de dépens. Toutefois, la modification qui, en supposant qu'elle soit vraie, n'ajoute rien d'utile ou qui est incontestablement futile ne devrait pas être autorisée.

7           Les avocats ont invoqué plusieurs facteurs en faveur et à l'encontre de la modification. Ils ont notamment discuté de la question de savoir si la demanderesse aurait dû présenter sa demande de modification beaucoup plus tôt, peut-être après avoir appris un grand nombre de faits nouveaux lors de l'interrogatoire préalable du défendeur Haufschild en février 1997, ou du moins avant que M. Haufschild ne quitte le Canada pour aller vivre en Allemagne en novembre 1997. Ils ont également débattu la question de savoir si les modifications étaient, en général, trop spéculatives, si elles risquaient de retarder l'instruction de l'action, compte tenu du fait qu'elles n'apporteraient aucun élément nouveau, si le refus d'autoriser les modifications à cette étape-ci entraînerait d'autres procédures parallèles et si les modifications proposées sont tellement vagues que l'affaire ne serait pas instruite en temps opportun. Ce sont tous des facteurs dont il faut tenir compte. La modification sollicitée est également contestée sur un fondement plus objectif, en l'occurrence la question de savoir si elle est bien fondée en droit.

8           Dans sa rédaction actuelle, la déclaration est un texte lisible de quarante paragraphes auquel sont jointes quatre annexes illustrant deux des oeuvres de la demanderesse et deux des panneaux en verre gravé à l'eau-forte et des vitraux du défendeur Haufschild. Il ressort de ces documents que la demanderesse posséderait une forte apparence de droit. La demanderesse désire maintenant ajouter quarante-huit paragraphes à sa déclaration. Le défendeur Haufschild conteste trente-sept des paragraphes supplémentaires proposés, mais c'est surtout le paragraphe 79, qui a plus de deux pages de longueur, qui lui cause le plus de difficulté.

9           Pour résumer le paragraphe 79, la demanderesse y affirme que M. Haufschild a [TRADUCTION] « [...] produit et distribué des copies et s'est présenté comme étant le titulaire du droit d'auteur sur : [...] » une vingtaine d'oeuvres, dont certaines consistent en une série de dessins de vitraux ou en des vitraux. Au paragraphe 79, la demanderesse poursuit en disant que M. Haufschild [TRADUCTION] « [...] a, en conséquence, autorisé et permis [...] » la publication, l'impression, la vente ou la location, la distribution au préjudice de la demanderesse et la promotion et la publicité des oeuvres contrefaites et que M. Haufschild a [TRADUCTION] « autorisé et permis » une trentaine de reproductions, d'expositions et d'installations en sachant que toutes ces activités portaient atteinte au droit d'auteur de la demanderesse.

10         L'avocat de M. Haufschild affirme que le paragraphe 79 est erroné, étant donné que la demanderesse y met sur le même pied la propriété d'une oeuvre avec l'autorisation de publication. Il ressort du témoignage de M. Haufschild, qui est contenu dans l'affidavit souscrit le 23 janvier 1998 par M. Brian Lee, témoignage auquel j'accorde une valeur raisonnable, qu'il a effectivement autorisé certaines publications et certaines expositions, mais que, dans de nombreux cas, il n'a pas autorisé la publication de ses oeuvres. D'ailleurs, après la naissance du présent différend, M. Haufschild a demandé qu'une de ses oeuvres ne serve pas de toile de fond à un vidéo. Il ressort des pièces versées au dossier que M. Haufschild n'était probablement pas au courant d'autres diffusions.

11         L'avocat du défendeur soutient que, pour qu'on puisse conclure à une contrefaçon, il faut que le défendeur ait autorisé ou publié quelque chose. « Autoriser » signifie habituellement consentir, approuver ou encourager activement, ainsi qu'il a été précisé dans le jugement Apple Computer Inc. c. MacIntosh Computers Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 1, à la page 46 (C.F. 1re inst.) :

Quant au droit d'auteur, une personne y porte atteinte aux termes du paragraphe 17(1) et de l'article 3 en autorisant ou en tentant « d'autoriser » l'exécution d'un acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'exécuter. Selon la jurisprudence, « autoriser » signifie [TRADUCTION] « consentir, approuver et encourager » . (Le paragraphe 17(1) correspond au paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d'auteur actuelle.)

Le concept de consentir, d'approuver et d'encourager est actif. En l'espèce, l'avocat affirme qu'il n'y a pas eu d'autorisation active. Ainsi, il fait valoir que lorsqu'un journal écrit un article sur une oeuvre qui fait partie d'une exposition, ce n'est pas un acte qui est consenti ou approuvé par M. Haufschild. Toutefois, dans le jugement Apple Computer, le juge Reed poursuit en citant l'arrêt C.B.S. Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd. (1981), 2 W.L.R. 973, aux pages 987 et 988, une décision de la Cour de chancellerie d'Angleterre, à l'appui de la proposition que l'indifférence peut être telle qu'on peut l'interpréter comme une autorisation ou une permission. Dans l'affaire Apple Computer, l'inactivité ou l'indifférence étaient telles qu'elles avaient permis au juge Reed de déduire que la contrefaçon avait été autorisée ou permise.

12         L'avocat du défendeur cite également l'arrêt Muzak Corporation v. Composers, Authors and Publishers Association of Canada Ltd., [1953] 2 S.C.R. 182, à la page 193, qui n'ajoute rien au jugement rendu par le juge Reed dans l'affaire Apple Computer, si ce n'est qu'il confirme que le terme « autoriser » doit être interprété selon le sens courant que lui donnent les dictionnaires, à savoir consentir, approuver et encourager. L'avocat cite également le jugement de Tervagne c. Ville de Beloeil (1994), 50 C.P.R. (3d) 419 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge Joyal se penchait sur le type d'agissements permettant de conclure qu'une personne a effectivement autorisé une contrefaçon. Parmi les facteurs dont il faut tenir compte, mentionnons la question de savoir si une personne raisonnable serait amenée à conclure qu'un défendeur a consenti à la contrefaçon ou l'a approuvée ou encouragée et si le défendeur aurait dû savoir que ses actions ou son inaction seraient perçues par une personne raisonnable comme un consentement, une approbation ou un encouragement (à la page 434). Le juge Joyal a ensuite cité l'arrêt Performing Right Society Ltd. v. Ciryl Theatrical Syndicate Ltd. (1924), 1 K.B. 1 (C.A.), à l'appui de la proposition que quelqu'un ne donne pas son autorisation s'il ne peut exercer de contrôle et que quelqu'un ne permet pas l'utilisation d'une oeuvre s'il ne sait pas que l'oeuvre va être exécutée ou représentée (arrêt Ciryl Theatrical, aux pages 12 et 13).

13         Dans l'affaire Ciryl Theatrical, le directeur-gérant d'une compagnie qui était locataire d'un théâtre avait engagé un orchestre qui, en son absence, avait exécuté certaines oeuvres protégées par le droit d'auteur. Le tribunal a jugé que le directeur n'avait pas autorisé la violation du droit d'auteur. Le juge Bankes souligne toutefois, à la page 9, [TRADUCTION] « que l'indifférence, exhibée par des actes de perpétration ou d'omission, peut atteindre un degré d'où on peut déduire une autorisation ou une permission » . Le juge Bankes a poursuivi en soulignant que le directeur n'avait aucune raison de prévoir ou de soupçonner que l'orchestre jouerait des pièces protégées par le droit d'auteur. De fait, de toutes les pièces qu'il pouvait jouer, l'orchestre a choisi deux oeuvres qui ne faisaient pas partie du domaine public. Certes, c'est une chose pour un directeur de théâtre de s'attendre à ce qu'un orchestre, qui constitue un entrepreneur autonome possédant son propre chef, évite de jouer des oeuvres protégées par le droit d'auteur. C'en est une toute autre lorsqu'un artiste s'attend à ce que l'exposition et l'installation de ses oeuvres, dans un contexte largement médiatisé, ne soient pas remarquées, commentées et publiées par des tiers. On s'attendrait plutôt à ce que tout artiste ayant le moindrement d'ambition souhaite ce genre de publicité et l'accueille avec enthousiasme.

14         Si l'on applique tout ce qui précède au cas qui nous occupe, on doit raisonnablement considérer que l'artiste qui réussit sait bien qu'une fois qu'elles ont été exposées, ses oeuvres seront reproduites dans des catalogues et qu'elles feront l'objet de commentaires non seulement dans des publications consacrées aux arts, mais également dans ce que j'appellerais les magazines intéressant les gens du métier (en l'occurrence, le métier de verrier), ainsi que dans la presse à grand tirage. M. Haufschild, qui gagne sa vie comme artiste, n'a pas réalisé les collages pour son propre plaisir, mais plutôt pour les exposer dans un but commercial. Une fois ses collages ainsi exposés, toute personne raisonnable s'attendrait à ce que le travail de M. Haufschild soit publié non seulement dans des catalogues, mais également dans des magazines consacrés aux arts, dans des magazines intéressant les gens du métier et dans la presse à grand tirage. La demanderesse peut certainement défendre ce point de vue. Qui plus est, il y a non seulement cette publication secondaire, par des tiers, mais également la publication directe faite par M. Haufschild lui-même, ce qui fait ressortir une autre faille dans l'argument que le paragraphe 79 de la déclaration modifiée est mal fondée en droit.

15         Bien qu'on puisse concevoir qu'un artiste ne soit pas au courant de la publication de toutes ses oeuvres dans divers magazines et journaux, au moins la moitié des publications dont il est question en l'espèce sont soit des installations d'oeuvres, des vidéos et des présentations destinées à des acheteurs éventuels, soit des expositions et des catalogues d'exposition et, dans un cas, une publication faite à l'occasion d'une demande de bourse. Toutes ces activités ont certainement été autorisées activement par M. Haufschild. Quant aux autres publications, qui n'ont selon toute probabilité pas été autorisées activement, il incombe à l'avocat du défendeur de démontrer que, suivant cette analyse, les modifications ne devraient pas être autorisées parce qu'elles ne réussiront pas. Cela revient à demander la radiation d'un acte de procédure. Suivant une certaine jurisprudence, les questions de droit sérieuses, les points de droit contestés et les points de droit incertains ne doivent pas être tranchés dans le cadre d'une requête sommaire en radiation, mais plutôt au procès, lorsque tous les faits seront connus (voir, par exemple, le jugement Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 8, à la page 18 (C.F. 1re inst.), et l'arrêt Vulcan Equipment Co. Ltd. c. Coats Co. Inc. (1982), 58 C.P.R. (2d) 47, à la page 48 (C.A.F.), autorisation de former un pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée à (1982), 63 C.P.R. (2d) 261). En l'espèce, il s'agit d'un point de droit contesté et incertain.

16         Pour en revenir aux assertions plus conventionnelles, le défendeur soutient que le paragraphe 79, de même d'ailleurs que plusieurs autres paragraphes, sont des modifications qui auraient dû être faites et qui auraient probablement pu être faites il y a plusieurs mois. La plupart des modifications auraient probablement pu être faites immédiatement après l'interrogatoire préalable que M. Haufschild a subi en février 1997 et ce, même s'il n'était pas au courant de toutes les reproductions de ses oeuvres. L'avocate de la demanderesse affirme que, lors de l'interrogatoire préalable, M. Haufschild a pu oublier ou négliger certaines publications de ses oeuvres. Tout bien considéré, il ne s'agit pas là d'un élément déterminant, car l'affidavit que Mme McCutcheon a souscrit au sujet de la découverte d'autres oeuvres après que M. Haufschild eut été interrogé lors de son interrogatoire préalable au sujet de toutes les reproductions qu'il connaissait est pour le moins quelque peu réservé (voir le paragraphe 31 de l'affidavit souscrit par Mme McCutcheon le 11 décembre 1997) et s'apparente davantage à une embuscade qu'à une démarche entreprise dans le but de révéler les faits de manière à permettre à la Cour de tirer des conclusions et de permettre aux parties de transiger ou de passer sans délai au procès.

17         L'avocat du défendeur formule au sujet de certaines des modifications des observations que j'accepte. Les modifications relatives à la contrefaçon portent sur la reproduction [TRADUCTION] « en tout ou en grande partie » des oeuvres intitulées Sand Scribble. L'avocat du défendeur affirme que le manque de précisions au sujet de la ou des parties contrefaites défavorise le défendeur et que la demanderesse devrait, par conséquent, être plus précise. Ainsi que la Cour d'appel le déclarait, sous la plume du juge en chef Thurlow dans l'arrêt Northern Telecom Ltd. c. Reliable Electric Company, [1986] 1 F.C. 211, à la page 213, le demandeur doit, en règle générale, décrire avec minutie à la personne qu'il poursuit le droit qu'il prétend pouvoir revendiquer et que, selon lui, le défendeur a enfreint :

Le demandeur doit, en règle générale, décrire avec minutie à la personne qu'il poursuit le droit qu'il prétend pouvoir revendiquer et que, selon lui, le défendeur a enfreint. Ce principe de plaidoirie s'applique dans une action pour contrefaçon de brevet tout comme il s'applique dans une action pour violation de tout autre genre de droit.

L'avocat du défendeur a tenté d'aborder cette idée de « grande partie » lors de l'interrogatoire préalable, mais la demanderesse a refusé de le suivre sur ce terrain. Dans certains cas, la contrefaçon est assez évidente, mais dans d'autres, elle ne l'est pas. Les parties feraient gagner beaucoup de temps à la Cour, en supposant qu'un procès ait effectivement lieu, si elles pouvaient préciser davantage la partie ou partie importante des collages contrefaits du défendeur. En l'espèce, je suppose que la demanderesse sera de nouveau interrogée au préalable, compte tenu des modifications considérables qu'elle réclame. Comme la demanderesse affirme que ses oeuvres ont été contrefaites par suite de leur utilisation en raison de leur reproduction totale ou partielle, cette affirmation devient une question qui peut à juste titre faire l'objet d'un interrogatoire préalable et, bien qu'elle ne soit pas tenue de fournir des précisions dans son acte de procédure modifié, la demanderesse devra répondre aux questions légitimes qui lui seront posées lors de l'interrogatoire préalable.

18         Dans mon analyse des modifications proposées au paragraphe 79, j'ai, à une exception près, déjà examiné toutes les modifications que la demanderesse désire faire et auxquelles le défendeur s'oppose. Le paragraphe 83, qui est distinct, porte par inadvertance le numéro 4, à la page 18 de la déclaration modifiée provisoire, sous la rubrique [TRADUCTION] « droits moraux » . Au paragraphe 83, la demanderesse réclame la prorogation du délai prévu à l'alinéa 41(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur, au motif qu'elle ne connaît aucune contrefaçon qui serait survenue plus de trois ans avant le dépôt de la déclaration. La question en litige sera donc celle de savoir si, en faisant preuve de diligence raisonnable, la demanderesse aurait pu découvrir plus tôt cette contrefaçon (voir, par exemple, le jugement Warner Bros.-Seven Arts Inc. c. CESM - TV (1971), 65 C.P.R. 215, à la page 246. Dans ces conditions, la modification demandée est légitime.

19         À tout prendre, j'ai décidé de permettre à la demanderesse de procéder aux modifications précisées à l'annexe A de son mémoire de requête. Si les modifications avaient été demandées plus tôt, elles auraient été accueillies plus favorablement. Or, il semble que la méthode suivie actuellement par la demanderesse consiste à procéder à des recherches sans fin au lieu de cesser de rechercher d'autres contrefaçons et de faire instruire l'action. Je suis par ailleurs conscient du fait que le défendeur a, lors de son interrogatoire préalable, peut-être minimisé l'importance de sa productivité, de la diffusion de ses oeuvres et de son succès commercial, ce qui a pu contribuer à la date tardive de la demande de modification. Ainsi que je l'ai déjà dit, les modifications sont autorisées, mais à des conditions visant à permettre de tenir compte du préjudice subi par le défendeur en raison des modifications tardives qui, en dernière analyse, retarderont probablement le déroulement de l'instance et augmenteront les frais.

20         La demanderesse sollicite également l'autorisation de modifier sa réponse. Les modifications considérables apportées à la déclaration obligeront le défendeur à modifier sa défense. Il ne serait pas utile de produire une réponse modifiée à cette étape-ci.

21         Je passe maintenant aux autres documents réclamés par la demanderesse. Certains découlent de l'interrogatoire préalable, alors que d'autres seraient des documents qui auraient dû figurer dans l'affidavit du défendeur.

Production des déclarations de revenus

22         La demanderesse réclame des copies des déclarations de revenus de M. Haufschild pour les années 1985 à 1997. La demanderesse affirme que la production de déclarations de revenus, notamment de toutes déclarations de revenus étrangères, convient lorsqu'il doit y avoir une reddition de compte de profits. L'avocat du défendeur a produit sous le sceau du secret à l'avocate de la demanderesse des déclarations de revenus concernant ce qu'il croit être les années pertinentes. L'avocate de la demanderesse semble dire que le revenu de M. Haufschid a été augmenté indirectement, que les oeuvres contrefaites l'ont rendu célèbre, ce qui a ainsi augmenté les ventes et les profits réalisés grâce aux oeuvres non contrefaites.

23         M. Haufschild a produit des oeuvres qui ne sont manifestement pas contrefaites : voir, à titre d'exemple, les annexes DD et EE de l'affidavit souscrit le 3 décembre 1997 par M. Brian Lee. Si la demanderesse affirme que des déclarations de revenus devraient être produites pour établir que M. Haufschild a mieux réussi certaines années parce qu'un acheteur inconnu a vu une oeuvre contrefaite produite par M. Haufschild et a ensuite acheté autre chose, ce raisonnement est trop conjectural pour pouvoir être retenu. Bien que chaque cas soit un cas d'espèce, dans le cas qui nous occupe, il n'est pas nécessaire de produire des déclarations de revenus.

Liste des lieux d'exposition

24         La demanderesse réclame ensuite une liste complète de tous les lieux où ont été exposées les oeuvres de M. Haufschild. L'avocat du défendeur cite des lettres en date du 6 novembre et du 1er décembre 1997 (annexes R et W de l'affidavit souscrit le 3 décembre 1997 par M. Lee) et l'annexe A de l'affidavit souscrit le 10 décembre 1997 par M. Lee, qui confirment que l'avocate de la demanderesse, ou son représentant, a visionné des diapositives de toute l'oeuvre de M. Haufschild et qui indiquent où se trouvent les oeuvres et les reproductions de M. Haufschild, suivant les souvenirs de celui-ci. M. Haufschild n'a peut-être pas fait preuve de la plus grande franchise lors de son interrogatoire préalable, en février 1997, mais il semble qu'il ait fait des efforts sincères depuis pour communiquer des renseignements et des documents. De simples soupçons, de la part de la demanderesse, qu'il existe peut-être d'autres oeuvres ne constituent pas un motif suffisant pour réclamer une autre liste d'oeuvres et de lieux d'exposition.

Production des demandes de bourse

25         La demanderesse désire obtenir la liste de toutes les bourses que M. Haufschild a demandées et obtenues. La demanderesse soutient qu'elle a le droit de connaître ces faits pour pouvoir ensuite déterminer si ses oeuvres ont déjà été utilisées pour demander ou obtenir une commission ou une bourse. Cette demande est raisonnable. La liste, qui remontera à la date de la première exposition des oeuvres intitulées Sand Scribble no 8 et Sand Scribble no 109, devra donc être fournie.

Production des vidéos

26         La demanderesse réclame une copie de tout vidéo montrant ou expliquant la technique employée par M. Haufschild pour réaliser ses collages. M. Haufschild est au courant de l'existence d'un vidéo, mais affirme qu'il n'en a pas de copie. Voilà qui clôt le débat, sauf dans la mesure où la demanderesse pourrait bien chercher à découvrir, lors de la reprise de la communication préalable de documents dont M. Haufschild fera l'objet, la provenance du vidéo et à se le procurer elle-même.

Interrogatoire préalable complémentaire de M. Haufschild

27         La demanderesse désire également, comme complément verbal de sa requête, interroger de nouveau au préalable M. Haufschild. Compte tenu de la nature des modifications et des documents supplémentaires que l'on peut maintenant consulter, cette demande est raisonnable.

28         Interroger de nouveau au préalable M. Haufschild aurait été une mesure simple et peu coûteuse si la demanderesse avait demandé de modifier en profondeur sa déclaration en temps utile, peu de temps après l'enquête préalable. Si la demanderesse avait par la suite découvert d'autres éléments d'information pertinents, il lui aurait été facile de modifier à nouveau sa déclaration. Le résultat de la modification tardive est que M. Haufschild se trouve maintenant en Allemagne. Les frais que représenterait son retour au Canada pour y être interrogé au préalable seraient disproportionnés si l'on considère les avantages de son interrogatoire préalable par rapport à un interrogatoire préalable par écrit effectué conformément à l'article 466.1 des Règles. L'interrogatoire préalable écrit aura donc lieu conformément à l'échéancier fixé dans mon ordonnance.

Nouvel interrogatoire préalable de Mme McCutcheon

29         Le défendeur réclame un nouvel interrogatoire préalable de la demanderesse en raison de la modification de la déclaration et du nombre considérable de documents que la demanderesse a déclarés à la suite de l'enquête préalable de février 1997.

30         Il est dans l'intérêt de la justice d'examiner à fond les nouveaux actes de procédure et les documents supplémentaires pour circonscrire le débat, déterminer la pertinence de certains documents dont l'avocate de la demanderesse reconnaît qu'ils pourraient n'être pertinents que de façon accessoire, et pour gagner du temps au procès. Là encore, il est important, pour fixer une date limite à la préparation au procès et pour passer rapidement au procès, de fixer un échéancier.

DISPOSITIF

31         La demanderesse peut modifier sa déclaration comme elle le demande. La demanderesse devra déposer la déclaration modifiée dans un délai de dix jours. Le défendeur et la demanderesse devront déposer leur défense et leur réponse dans les délais habituels, closant ainsi les actes de procédure.

32         Le défendeur devra, dans un délai de quinze jours, fournir une liste de toutes les demandes de bourse qu'il a présentées et de toutes les bourses qu'il a obtenues à compter de la date de publication des oeuvres intitulées Sand Scribble no 108 et Sand Scribble no 109. Dans les 30 jours de la production de la défense modifiée par le défendeur, l'avocate de la demanderesse pourra fournir à l'avocat du défendeur une liste des questions qu'elle se propose de poser lors de l'interrogatoire préalable écrit. Le défendeur aura dix jours pour contester l'une ou l'autre de ces questions en vertu du paragraphe 466.1(3) des Règles. Le défendeur devra, dans un délai de 30 jours, produire une réponse écrite aux questions posées dans le cadre de l'interrogatoire préalable.

33         Le défendeur pourra interroger à nouveau au préalable Mme McCutcheon à la suite de la modification de la déclaration et de la production des documents soumis depuis le premier interrogatoire. Ce nouvel interrogatoire préalable aura lieu dans les 30 jours de la clôture des actes de procédure.

34         Il y a lieu d'espérer que ces interrogatoires préalables complémentaires permettront de régler l'action. Si tel n'est pas le cas, les avocats devraient envisager la possibilité de tenir une conférence préalable au procès en vue d'en venir à une transaction, étant donné que l'autre solution, celle consistant à tenir un procès en bonne et due forme, risque, outre les incertitudes inhérentes à tout procès, d'entraîner des frais de justice totalement disproportionnés par rapport à toute somme que la demanderesse pourrait de façon réaliste espérer obtenir.

                                                                                                (Signature) « John A. Hargrave »

                                                                                                            Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

18 février 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :2 février 1998

No DU GREFFE :                               T-2398-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         IRENE McCUTCHEON

                                                            c.

                                                LUTZ HAUFSCHILD, MELANIE GOLD ARTADVISORY LIMITED et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

en date du 18 février 1998

ONT COMPARU :

            Me Diane Weinrath     pour la demanderesse

            Me Michael Manson pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

            Clark, Wilson

            Vancouver (C.-B.)       pour la demanderesse

            Smart & Biggar

            Vancouver (C.-B.)       pour le défendeur

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