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Date : 20040130

Dossier : IMM-1947-02

Référence : 2004 CF 165

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                      SHAMSUN NAHER BEGUM

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Lors de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, l'avocat du ministre a admis que l'agent des visas avait manqué à l'obligation d'équité procédurale en omettant, au cours de l'entrevue de la demanderesse et de son fils, de leur faire part de ses réserves au sujet des documents scolaires et universitaires que ces derniers avaient déjà versés au dossier. La demanderesse et son fils n'avaient donc pas eu l'occasion d'expliquer ces documents. Par la suite, l'agent des visas n'a accordé aucun poids aux documents car il s'agissait de copies certifiées conformes d'originaux, qui avaient été authentifiées après la date de la décision d'immigrer, et, parce que, d'après lui, on peut [traduction] « facilement acheter des attestations de notaires ou de fonctionnaires corrompus » . (Se reporter à l'affidavit du 15 juillet 2002 de l'agent des visas).

[2]                À mon avis, l'avocat du ministre a eu raison de faire cette admission à la lumière de la décision Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 919, prononcée par le juge Rothstein siégeant en tant que juge à la Section de première instance d'alors.

[3]                La décision que l'agent des visas devait prendre était de savoir si le fils de la demanderesse était un enfant à charge qu'elle pouvait inclure dans sa demande de résidence permanente au Canada.

[4]                Il avait plus de dix-neuf ans et, pour cette raison, il devait convaincre l'agent des visas qu'il avait été inscrit à une université, un collège ou un autre établissement d'enseignement et qu'il y avait suivi sans interruption des cours à temps plein.


[5]                Après avoir reçu la demande de résidence permanente, le Haut-commissariat du Canada à Singapour (le Haut-commissariat ) s'est posé des questions au sujet de l'interruption des études du fils de la demanderesse entre 1996 et 1998 et, le 25 mai 2001, il a demandé à M. Amzadur Rahman Chowdhury (le fils à charge) de lui envoyer des pièces justificatives supplémentaires, y compris une explication écrite de ses activités pour la période entre décembre 1996 et janvier 1998.

[6]                L'avocat de la demanderesse a envoyé les pièces justificatives requises au Haut-commissariat, le 8 août 2001.

[7]                Tel qu'indiqué, l'agent des visas a interviewé la demanderesse et son fils à Dhaka, le 20 février 2002. Pour les fins de la présente décision, il ne m'est pas nécessaire d'en dire davantage ou de me prononcer sur les versions contradictoires des événements qui se sont produits pendant l'entrevue.

[8]                Le 26 février 2002, l'agent des visas a envoyé une lettre à la demanderesse l'informant que son fils ne répondait pas aux critères énoncés dans la définition de fils à charge et qu'il ne pouvait donc pas être inclus dans la demande de résidence permanente. Il a écrit : [traduction] « votre fils ne répond pas aux critères de la définition car il a admis devant moi qu'il n'avait rien fait entre 1996 et 1998. Il a dit qu'il était simplement resté à la maison » .


[9]                À mon avis, l'agent des visas en est arrivé à la conclusion que M. Chowdhury ne répondait pas aux critères énoncés dans la définition de fils à charge en partie à cause des résultats de l'entrevue qu'il avait eue avec lui et en partie parce qu'il n'avait accordé aucun poids ni aux documents personnels de M. Chowdhury concernant l'université ni à la déclaration écrite de ce dernier.

[10]            La décision du juge Rothstein dans Tran est convaincante. Dans cette affaire, il s'agit également d'un agent des visas qui a rejeté des documents personnels, notamment des certificats scolaires au motif que [traduction] « bon nombre de documents vietnamiens, comme les registres familiaux et les certificats scolaires sont frauduleux, inexacts et, en général, peu fiables » . De plus, dans cette affaire, il n'y a eu aucune entrevue. Voici ce que le juge Rothstein a écrit :

¶ 6      Quant à l'authenticité de la preuve documentaire présentée, il n'est pas déraisonnable qu'un agent des visas s'appuie sur l'expérience d'un haut niveau de fraude à un bureau des visas pour soulever des soupçons sur l'authenticité des documents. En général, cela semble indiquer qu'il convient d'examiner les documents avec beaucoup plus de soin que cela ne serait autrement le cas. Voir, par exemple, Mina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n E 1735, le juge Dawson. Dans l'affaire Mina, l'agent des visas a rejeté l'authenticité des documents parce que les documents soumis n'étaient pas des originaux et qu'ils avaient été délivrés plusieurs années plus tard.

¶ 7       Je ne suis pas d'avis que l'agent des visas puisse tout simplement rejeter l'authenticité de documents particuliers à cause du niveau élevé de fraude constaté au bureau des visas. Il faut qu'au moins un certain examen soit fait des documents effectivement soumis.

¶ 8       Rien n'indique que cela se soit produit en l'espèce. L'agent des visas n'a donné aucune indication comme quoi il aurait examiné les documents soumis pour déterminer leur authenticité. L'examen du dossier ne montre pas si les documents vietnamiens soumis étaient des originaux ou des copies, et il n'est pas non plus facile de voir à quel moment les documents ont été délivrés.


[11]            L'avocat du défendeur a reconnu qu'il y avait eu manquement à l'équité procédurale, mais il a néanmoins insisté pour que la Cour maintienne la décision de l'agent des visas aux motifs qu'un examen du dossier démontrait clairement que les documents fournis par le fils de la demanderesse n'étaient pas fiables et que la déclaration écrite de ce dernier concernant la période entre décembre 1996 et janvier 1998 contredisait les propos qu'il avait tenus à l'agent des visas pendant son entrevue. Il a invoqué l'arrêt Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282, rendu par la Cour d'appel fédérale.

[12]            Dans les circonstances en l'espèce, je ne pense pas que l'arrêt Stelco soit pertinent. Stelco défend la règle selon laquelle même si le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle à l'égard de certaines de ses conclusions de fait, sa décision sera maintenue s'il y a d'autres faits sur lesquels le tribunal pouvait raisonnablement fonder sa conclusion finale. Dans l'affaire Stelco, le Tribunal canadien du commerce extérieur avait tiré des conclusions de fait; en l'espèce, l'avocat du défendeur me demande de tirer de nouvelles conclusions de fait. Accéder à cette demande, serait, à mon avis, écarter la règle énoncée par la Cour en matière de contrôle judiciaire.

[13]            Toutefois, la décision de la Cour suprême du Canada dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, est plus pertinente. Selon cet arrêt, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.

[14]            Je ne pense pas que l'arrêt Mobil Oil, précité, appuie la demande du ministre selon laquelle je ne devrais pas toucher à la décision de l'agent des visas. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a refusé d'annuler une décision rendue contrairement à l'équité procédurale au motif que la décision sur le pourvoi incident rendait le certiorari sans objet. Ce pourvoi incident a été tranché selon le droit et n'a pas conduit la Cour suprême du Canada à tirer des conclusions de fait.

                                   O R D O N N A N C E

[15]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 26 février 2002 de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour un réexamen fondé sur une évaluation plus complète des documents qui sont versés au dossier et des autres documents que pourra soumettre la demanderesse et, si un agent des visas la juge nécessaire ou souhaitable, une entrevue avec la demanderesse et son fils. Il n'y a aucune question certifiée.

                                                                             « François Lemieux »              

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   IMM-1947-02

INTITULÉ :                                  SHAMSUN NAHER BEGUM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 22 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                  LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                 LE 30 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Ian R. J. Wong                                POUR LA DEMANDERESSE

Robert Bafaro                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian R. J. Wong                               POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

6, rue Adelaide Est, pièce 710

Toronto (Ontario) M5C 1H6

Morris Rosenberg                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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