Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040514

Dossier : T-1943-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 701

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 MAI 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ENTRE :

                             PRECISION DRILLING INTERNATIONAL, B.V.

                                   et PRECISION LIMITED PARTNERSHIP                                               

                                                                                                                      demanderesses

                                                                    - et -

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE BBC JAPAN,

AQUARIUS SHIPPING CO. LTD.,

BRIESE SCHIFFAHRTS GMBH & CO. KG,

BBC CHARTERING & LOGISTIC GMBH & CO. KG,

ARGOSY SHIPPING (U.S.A.), LP, BBC (U.S.A.), LP,

et LOGISTEC STEVEDORING (ATLANTIC) INC.

                                                                                                                              défendeurs


                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Le 19 novembre 2002, les demanderesses ont déposé devant la Cour une déclaration concernant les avaries qu'aurait subies leur cargaison au cours du transport. Parmi les défendeurs nommément désignés, il y avait les affréteurs présumés (BBC Chartering & Logistic GmbH & Co. KG, Argosy Shipping (U.S.A.), LP, et BBC (U.S.A.), LP) et les propriétaires du navire (Aquarius Shipping Co. Ltd. et Briese Schiffahrts GmbH & Co. KG), ainsi que la compagnie d'acconage (Logistec Stevedoring (Atlantic) Inc.) qui auraient manutentionné la cargaison en question. En février 2003, des défenses ont été déposées. Les demanderesses se sont désistées de leur action contre Argosy Shipping (U.S.A.), LP. Aucune autre diligence n'a été accomplie depuis.


[2]         Les demanderesses ont reçu signification d'un avis d'examen de l'état de l'instance daté du 16 décembre 2003, alors que près de 360 jours s'étaient écoulés depuis le dépôt de leur déclaration. L'avis précisait que, lors de l'examen de l'état de l'instance, les demanderesses seraient tenues de justifier les raisons pour lesquelles leur action ne devrait pas être rejetée pour cause de retard. Les observations écrites rédigées par les demanderesses le 9 janvier 2004 consistaient en une courte lettre dans laquelle elles expliquaient que l'affaire n'avait pas été poursuivie parce qu'elles avaient entamé des pourparlers en vue d'une transaction avec les affréteurs du navire. Les demanderesses ont requis la Cour de suspendre l'affaire pour quelques mois pour leur permettre de mener ces pourparlers à terme. L'avocat des propriétaires et l'avocat de la compagnie d'acconage se sont tous les deux opposés à cette mesure au motif qu'ils n'avaient été mis au courant d'aucuns des présumés pourparlers, qu'ils n'avaient pas consenti à ce retard et qu'ils attendaient encore que les demanderesses répondent explicitement par lettre à leurs demandes de renseignements.

[3]         Par décision datée du 11 mars 2004, la protonotaire a rejeté l'action des demanderesses pour cause de retard. Elle a fondé son ordonnance sur sa conclusion que les demanderesses ne satisfaisaient à aucun des deux volets du critère posé dans le jugement Baroud c. Canada, (1998), 160 F.T.R. 91. Les demanderesses sollicitent une ordonnance de la Cour infirmant la décision de la protonotaire.

Questions en litige

[4]         Pour déterminer si la décision de la protonotaire doit être infirmée, je dois répondre aux deux questions suivantes :

1.         La question soulevée dans la présente requête a-t-elle une influence déterminante sur l'issue du principal et, partant, s'agit-il d'une question à l'égard de laquelle je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début?


2.          Dans l'affirmative, la présente action devrait-elle être rejetée pour cause de retard?

Analyse

[5]         Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue, en exerçant mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début, que la présente instance doit se poursuivre.

Première question : La question soulevée dans la présente requête a-t-elle une influence déterminante sur l'issue du principal et, partant, s'agit-il d'une question à l'égard de laquelle je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début?


[6]         L'article 51 des Règles de la Cour fédérale prévoit que l'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge. L'ordonnance dont il s'agit était discrétionnaire. Or, il est de jurisprudence constante que les ordonnances de ce type ne peuvent être annulées que si elles portent sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal ou si l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), Z.I. Pompey Industrie c. Ecu - Line N.V. [2003] 1 R.C.S. 450, (2003), 224 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.), Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925 (C.A.) (QL)). Pour reprendre la nouvelle formulation de ce critère proposée dans l'arrêt Merck, précité, le premier volet de l'analyse à laquelle se livre le juge saisi du recours consiste à se demander si l'ordonnance en question était déterminante pour l'issue du litige. Dans l'affirmative, le juge exerce son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[7]         La décision que la protonotaire a rendue en l'espèce était définitive. Ainsi que mon collègue le juge Harrington l'a dit récemment : [TRADUCTION] « Il n'y a rien de plus définitif que le rejet d'une action » (Interbox Promotion Corp. c. 9073-0433 Québec Inc. et autre (faisant affaires sous la raison sociale de Bar Café Goodfellas), [2004] A.C.F. no 151 (C.F.) (QL)). Il convient donc que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire en faisant abstraction de la décision de la protonotaire.


[8]         En réponse à la présente requête, les propriétaires et Logistec soutiennent que, même dans l'hypothèse où j'exercerais mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début, le dossier sur lequel je dois me fonder pour rendre ma décision est le même que celui dont disposait la protonotaire (Dawe c. Canada, (2002), 220 F.T.R. 91, James River Corp. c. Hallmark Cards, Inc., (1997), 126 F.T.R. 1). En conséquence, ces parties m'invitent à ne pas tenir compte d'une grande partie des pièces déposées par les demanderesses pour statuer sur le fond de la requête.


[9]         En principe, l'appelant n'est pas autorisé à verser de nouvelles pièces au dossier dont disposait le protonotaire qui a rendu la décision. Toutefois, après avoir lu les autorités que m'ont citées les propriétaires, j'estime qu'elles ne sont pas utiles pour mon analyse de la présente affaire. En ce qui concerne le jugement Dawe, précité, le juge ne mentionne ce principe que dans son résumé de la thèse des parties; ce jugement ne constitue pas un précédent qui appuie cette proposition. L'affaire James River, précitée, comporte quant à elle deux traits distinctifs importants. Premièrement, dans cette affaire, la décision du protonotaire n'était pas déterminante pour l'issue du litige; le juge se prononçait sur une série de décisions prises par un protonotaire relativement aux réponses données aux questions posées lors de l'interrogatoire préalable. En second lieu, l'on tentait de verser au dossier d'appel, non pas des documents, mais des éléments de preuve, dont l'insuffisance constituait le fondement même de la décision du protonotaire. En l'espèce, aucune des pièces ne constituait le fondement sur lequel la protonotaire s'est appuyée pour rendre son ordonnance. Plusieurs des pièces se rapportent à l'argument des demanderesses suivant lequel des pourparlers étaient en cours. Si la protonotaire avait fait reposer sa conclusion sur le fait que les demanderesses n'avaient pas fourni d'éléments de preuve démontrant que des pourparlers étaient en cours, les éléments de preuve supplémentaires auraient pu être visés par le raisonnement suivi dans le jugement James River, précité. Ce n'est cependant pas ce qui s'est passé dans le cas qui nous occupe. Certes, la protonotaire a remis en question l'ampleur des négociations et la communication aux autres parties de l'existence de ces négociations, mais elle a accepté que les pourparlers étaient en cours en vue d'une transaction entre au moins quelques-unes des parties au procès.

[10]       Les annexes de l'affidavit produit au soutien de la présente requête ne font rien de plus que de fournir des explications plus détaillées au sujet des communications dont les demanderesses ont brièvement fait état lors de l'examen de l'état de l'instance. Je suis disposée à les admettre en l'espèce.

Seconde question : La présente action devrait-elle être rejetée pour cause de retard?

[11]       Ainsi que la protonotaire l'a signalé à juste titre, l'arrêt Baroud, précité, nous enseigne que la Cour doit aborder les deux questions suivantes pour décider si une action doit être rejetée pour cause de retard :

1.                   Quelles sont les raisons pour lesquelles l'affaire n'a pas avancé plus vite et justifient-elles le retard qui a eu lieu?

2.                   Quelles mesures le demandeur propose-t-il maintenant pour faire avancer l'affaire?


[12]       Compte tenu des répercussions profondes que comporte le rejet d'une action pour cause de retard, j'estime qu'il y a lieu de s'en tenir à l'intérêt supérieur de la justice en l'espèce et de ne pas accorder trop d'importance aux omissions ou vices de procédure mineurs. La principale question devrait être celle de savoir si les demanderesses reconnaissent l'obligation qui leur incombe de voir à ce que l'action se déroule normalement et à faire le nécessaire en ce sens. À mon avis, les questions posées dans l'arrêt Baroud visent simplement à répondre à ces préoccupations et ne doivent pas être appliquées de manière à occulter la question plus globale. Ainsi, selon ma vision de ces deux questions eu égard aux faits de l'espèce, je suis portée à adopter une approche libérale en ce qui concerne cette analyse.

Motifs du retard

[13]       Dans la réponse initiale à l'avis d'examen de l'état de l'instance, l'avocat des demanderesses a expliqué que les demanderesses [TRADUCTION] « ont entamé des pourparlers avec des représentants des affréteurs et elles sont confiantes que la présente affaire sera réglée sans qu'il soit nécessaire de poursuivre le procès » . C'est la seule raison qui a été avancée pour expliquer le retard. Je suis convaincue que les demanderesses ont effectivement entamé des pourparlers en vue de conclure une transaction avec à tout le moins certains des défendeurs.


[14]       La présente action compte plusieurs défendeurs, ce qui rend plus ardues les démarches visant à en arriver à une transaction. Par contraste, il y avait seulement un demandeur et un défendeur dans l'affaire Baroud, précitée. En l'espèce, les demanderesses ont choisi de concentrer leurs efforts sur un groupe de défendeurs. Bien que ce choix n'excuse pas la négligence dont les demanderesses ont fait preuve dans leurs communications avec les autres parties et avec tous les avocats en cause, la méthode qu'elles ont privilégiée pour éviter le procès ne saurait être qualifiée de déraisonnable.

[15]     En conséquence, bien que j'eusse préféré que les demanderesses offrent une meilleure explication pour expliquer le retard et bien qu'elles auraient pu être davantage professionnelles dans leur comportement envers les parties au présent litige, je suis persuadée, au vu du dossier qui m'a été soumis, qu'il y a des raisons pour lesquelles la présente action n'a pas avancé plus vite et j'estime que ces raisons justifient le retard.


[16]       Je signale également que le retard qu'accuse la demande d'indemnité pour avaries de marchandises n'est que de quelques mois et non de quelques années comme c'était le cas dans plusieurs des affaires citées par les intimés. Ainsi, dans l'affaire Baroud, précitée, le retard était de presque deux ans et pratiquement aucune démarche n'avait été faite durant cette période. Dans l'affaire Alza Corp. c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 962 (C.F. 1re inst.) (QL), le retard était de deux ans et la Cour était intervenue à plusieurs reprises pour tenter de faire avancer la cause. Dans les autres affaires qui ont été mentionnées, les retards étaient encore plus longs (Jazz Inspiration Ltd. c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1134 (C.F. 1re inst.) (QL), (deux ans); Ahmad c. Canada, [1994] A.C.F. no 1734 (C.F. 1re inst.) (QL) (deux ans et demi); Mutlibond Inc. c. Durocoat Powder Manufacturing Inc., (1999), 177 F.T.R. 226 (quatre ans); Transalta Utilities Corp. c. Canada, (2000), 180 F.T.R. 303 (neuf ans)).

[17]       Les parties intimées à la présente requête n'ont pas été en mesure de me citer une seule décision dans laquelle notre Cour aurait, lors de l'examen de l'état de l'instance, rejeté l'action en raison d'un retard aussi bref que celui-ci, sauf lorsque le demandeur n'avait produit aucune réponse ou lorsque la Cour avait dû intervenir à plusieurs reprises dans le dossier.

Mesures proposées pour faire avancer l'action


[18]       Les demanderesses n'ont pas proposé d'échéancier ou de mesures concrètes en vue de faire avancer la présente action. Elles ont toutefois demandé à la Cour de [TRADUCTION] « suspendre la présente affaire pour quelques mois pour nous permettre d'arrêter définitivement les mesures que nous entendons prendre » . Certes, il s'agit là d'une déclaration plutôt vague, mais elle constitue une réponse acceptable compte tenu de l'état d'avancement du procès. Pourquoi la Cour devrait-elle insister pour que les plaideurs fixent une série de dates artificielles alors que les principaux intéressés ont entamé des négociations sérieuses qui risquent de rendre inutiles toute mesure ultérieure?

Dispositif

[19]       J'estime que les demanderesses ont démontré qu'elles reconnaissent l'obligation qui leur incombe de voir à ce que l'action se déroule normalement. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu pour la Cour de rejeter la demande.

[20]       Je tiens toutefois à signaler que la Cour ne se montrera peut-être pas aussi bienveillante si un autre examen de l'état de l'instance devait avoir lieu. Il incombe aux demanderesses d'accomplir toutes les diligences nécessaires et de prendre toutes les mesures qui s'imposent, en stricte conformité avec les Règles de la Cour fédérale et en tenant dûment compte de toutes les parties au procès, pour assurer le bon déroulement de la présente action.

[21]       Conformément à l'article 382 des Règles, l'action devrait être poursuivie à titre d'instance à gestion spéciale devant le juge ou le protonotaire qui sera désigné par le juge en chef.


[22]       Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, je ne suis pas disposée à adjuger de dépens.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La décision de la protonotaire est annulée;

2.         La présente action est poursuivie à titre d'instance à gestion spéciale;

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

       « Judith A. Snider »       

       Juge              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                          COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1943-02

INTITULÉ :                                        Precision Drilling International, B.V.

et autres c. Le BBC Japan et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 10 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        la juge Snider

DATE DES MOTIFS :                       le 14 mai 2004

COMPARUTIONS :

Christopher Stewart                                                     pour les demanderesses

David Hashey

Thomas McGloan                                                        pour les défendeurs,

Le BBC Japan et son propriétaire Aquarius Shipping Co. Ltd. et autres

Isabelle Pillet                                                               pour la défenderesse, Logistec Stevedoring (Atlantic) Inc.

Avocats inscrits au dossier :

Stewart McKelvey Stirling Scales pour les demanderesses

Moncton (Nouveau-Brunswick)

Gilbert, McGloan, Gillis                                                pour les défendeurs,

le BBC Japan et son propriétaire Aquarius Shipping Co. Ltd. et autres

De man, Pilotte                                                            pour la défenderesse

Montréal (Québec)                                                      Logistec Stevedoring (Atlantic) Inc.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.