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Date : 20020131

Dossier : T-1114-96

Référence neutre :2002 CFP1 123

Ottawa (Ontario), le jeudi 31 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

BATES ENTERPRISE LIMITED et 3426106 MANITOBA LTD.

et NORMAN ANDREW faisant affaire sous le nom de LONE TREE FARM

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                          - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                        défenderesse

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 La défenderesse porte en appel, en vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), une ordonnance rendue par le protonotaire adjoint selon laquelle, si nécessaire, tout ce qui touche la question des dommages-intérêts devrait être reporté pour renvoi après l'instruction.


[2]                 L'action principale est une action en responsabilité contre Agriculture Canada fondée sur sa négligence relativement à la réglementation et à l'inspection de porcs exotiques chinois « Shar-pei » importés des États-Unis par les demanderesses. Ces dernières allèguent que n'eût été la négligence d'Agriculture Canada lors de la certification de ce type de porcs importés, elles n'auraient pas payé le vendeur pour lesdits porcs. Elles disent qu'elles auraient plutôt investi leur argent dans l'élevage d'élans qui, soutiennent-elles, leur aurait rapporté plus d'un million de dollars de profits.

[3]                 Les motifs qui sous-tendent l'ordonnance du protonotaire adjoint ont été consignés comme suit :

[traduction] Les demanderesses ont proposé un renvoi après l'instruction, si nécessaire, afin de décider de la question des dommages-intérêts, mais la défenderesse s'y est opposée. La question litigieuse concernait le forum approprié pour examiner l'utilisation des fonds perdus à cause des porcs aux fins de l'élevage d'élans. Étant donné que cette question exigera le témoignage d'un expert en évaluation, une ordonnance de disjonction est prononcée.

[4]                 La défenderesse fait valoir que le protonotaire adjoint :

i)           en l'absence d'un avis de requête, a commis une erreur en ordonnant la disjonction de la question des dommages-intérêts lors d'une conférence de gestion de l'instance;


ii)          a outrepassé sa compétence en prononçant une ordonnance de disjonction dans une réclamation de plus d'un million de dollars, alors qu'un protonotaire n'a pas compétence pour procéder à l'instruction de l'action;

iii)          a commis une erreur en ordonnant que les questions de responsabilité et de dommages-intérêts soient décidées séparément.

[5]                 Quant à l'absence d'un avis de requête, l'article 47 des Règles énonce que, sauf disposition contraire des Règles, la Cour peut exercer ses pouvoirs discrétionnaires de sa propre initiative. Selon la définition de l'article 2 des Règles, est assimilé à la Cour le protonotaire qui agit dans les limites de la compétence que lui confèrent les Règles. Le paragraphe 107(1) permet à la Cour d'ordonner à tout moment que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément. L'article 107 des Règles n'exige pas que ce pouvoir ne soit exercé que sur requête.

[6]                 En conséquence, j'ai la conviction que le protonotaire adjoint n'a pas commis d'erreur de droit en ordonnant la disjonction en l'absence d'un avis de requête. L'avocat de la défenderesse a confirmé pendant les plaidoiries qu'il savait que cette question serait soulevée lors de la conférence de gestion de l'instance puisque les demanderesses cherchaient à obtenir de la défenderesse son consentement à la disjonction.


[7]                 Quant à la compétence du protonotaire pour rendre une ordonnance de disjonction dans un contexte de gestion de l'instance, la défenderesse s'appuie sur l'article 383 des Règles pour soutenir que lorsque la somme réclamée par une partie excède 50 000 $, le protonotaire peut seulement aider à la gestion de l'instance et que, dans une telle circonstance, il n'a pas compétence pour prononcer une ordonnance de disjonction.

[8]                 Les dispositions pertinentes des Règles sont l'article 383, le paragraphe 385(1) et l'article 50 qui sont respectivement rédigés comme suit :



50. (1) Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles -- à l'exception des requêtes suivantes -- et rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant :

a) une requête pour laquelle un juge a compétence expresse en vertu des présentes règles ou d'une loi fédérale;

b) une requête devant la Cour d'appel;

c) une requête pour obtenir un jugement sommaire dans une instance autre que celle visée au paragraphe (2);

d) une requête pour obtenir une condamnation pour outrage au tribunal à la suite d'une citation pour comparaître ordonnée en vertu de l'alinéa 467(1)a);

e) une requête pour obtenir une injonction;

f) une requête concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne;

g) une requête pour annuler ou modifier l'ordonnance d'un juge ou pour y surseoir, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c);

h) une requête pour surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'un juge;

i) une requête visant la nomination d'un séquestre judiciaire;

j) une requête pour obtenir des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 de la Loi;

k) une requête pour en appeler des conclusions du rapport d'un arbitre visée à la règle 163.

Actions d'au plus 50 000_$

50.(2) Le protonotaire peut entendre toute action visant exclusivement une réparation pécuniaire ou toute action réelle visant en outre une réparation pécuniaire dans lesquelles chaque réclamation s'élève à au plus 50 000_$, à l'exclusion des intérêts et des dépens.

[...]

383. Le juge en chef peut :

a) affecter un ou plusieurs juges à titre de juge responsable de la gestion d'une instance;

b) affecter un protonotaire à titre de juge responsable de la gestion d'une instance dans le cas d'une instance qui est de son ressort selon le paragraphe 50(2);

c) affecter un protonotaire pour aider à la gestion de l'instance, dans le cas d'une instance qui n'est pas de son ressort selon le paragraphe 50(2).

[...]

385. (1) Le juge responsable de la gestion de l'instance ou le protonotaire visé à l'alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l'instruction de l'instance à gestion spéciale et peut :

a) donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

b) sans égard aux délais prévus par les présentes règles, fixer les délais applicables aux mesures à entreprendre subséquemment dans l'instance;

c) organiser et tenir les conférences de règlement des litiges et les conférences préparatoires à l'instruction qu'il estime nécessaires;

d) sous réserve du paragraphe 50(1), entendre les requêtes présentées avant que la date d'instruction soit fixée et statuer sur celles-ci.

50. (1) A prothonotary may hear, and make any necessary orders relating to, any motion under these Rules other than a motion

(a) in respect of which these Rules or an Act of Parliament has expressly conferred jurisdiction on a judge;

(b) in the Court of Appeal;

(c) for summary judgment in a proceeding other than an action referred to in subsection (2);

(d) to hold a person in contempt at a hearing referred to in paragraph 467(1)(a);

(e) for an injunction;

(f) relating to the liberty of a person;

(g) to stay, set aside or vary an order of a judge, other than an order made under paragraph 385(a), (b) or (c);

(h) to stay execution of an order of a judge;

(i) to appoint a receiver;

(j) for an interim order under section 18.2 of the Act; or

(k) to appeal the findings of a referee under rule 163.

Actions not over $50,000

50.(2) A prothonotary may hear an action exclusively for monetary relief, or an action in rem claiming monetary relief, in which no amount claimed by a party exceeds $50,000 exclusive of interest and costs.

[...]

383. The Chief Justice may assign

(a) one or more judges to act as a case management judge in a proceeding;

(b) a prothonotary to act as a case management judge in a proceeding referred to in subsection 50(2); or

(c) a prothonotary to assist in the management of a proceeding in the Trial Division other than a proceeding referred to in subsection 50(2).

[...]

385. (1) A case management judge or a prothonotary assigned under paragraph 383(c) shall deal with all matters that arise prior to the trial or hearing of a specially managed proceeding and may

(a) give any directions that are necessary for the just, most expeditious and least expensive determination of the proceeding on its merits;

(b) notwithstanding any period provided for in these Rules, fix the period for completion of subsequent steps in the proceeding;

(c) fix and conduct any dispute resolution or pre-trial conferences that he or she considers necessary; and

(d) subject to subsection 50(1), hear and determine all motions arising prior to the assignment of a hearing date.



[9]                 L'alinéa 385(1)a) prévoit que le protonotaire affecté en vertu de l'alinéa 383c) pour aider à la gestion d'une instance dans laquelle plus de 50 000 $ sont en jeu, peut donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. C'est précisément ce que la disjonction d'une question en litige vise à faire.

[10]            En conséquence, même lorsqu'un protonotaire a été affecté en vertu de l'alinéa 383c) des Règles pour aider à la gestion d'une instance, j'ai la conviction qu'il a, selon le paragraphe 385(1) des Règles, toute compétence pour prononcer une ordonnance de disjonction, que la procédure principale soit ou non l'une de celles visées au paragraphe 50(2) des Règles.

[11]            Cette conclusion est de plus confirmée par le fait que les ordonnances de disjonction ne sont pas mentionnées au paragraphe 50(1) des Règles qui restreint la compétence d'un protonotaire.

[12]            Je suis donc convaincue que le protonotaire adjoint a agi dans les limites de sa compétence en prononçant l'ordonnance de disjonction.

[13]            Quant à la question de savoir si le protonotaire adjoint a commis une erreur en rendant l'ordonnance, il est important d'examiner la norme de contrôle applicable aux appels interjetés en vertu de l'article 51 des Règles dans les cas où l'ordonnance visée par la demande de contrôle a été rendue dans le contexte de la gestion de l'instance.


[14]            Dans la décision Bande indienne de Sawridge c. Canada, 2001 CAF 338; [2001] A.C.F. no 1684, la Cour d'appel a écrit, au paragraphe 11 :

Nous tenons à profiter de l'occasion pour énoncer la position prise par la Cour dans les cas où une ordonnance rendue par le juge responsable de la gestion d'une instance a été portée en appel. Il faut donner au juge responsable une certaine latitude aux fins de la gestion de l'instance. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé.

[15]            Dans la décision Microfibres Inc. c. Annabel Canada Inc., 2001 CFP1 1336; [2001] A.C.F. no 1824, le juge Gibson a conclu que ces observations devraient s'appliquer par analogie aux décisions discrétionnaires que rend un protonotaire chargé de la gestion de l'instance dans une affaire complexe. Je suis d'accord et je fais respectueusement miens les motifs du juge Gibson.

[16]            J'ajouterais seulement à ces motifs que l'expression « juge responsable de la gestion de l'instance » est définie aux Règles comme comprenant à la fois un juge affecté en vertu de l'alinéa 383a) et un protonotaire affecté en vertu de l'alinéa 383b).

Étant donné que la définition de « juge responsable de la gestion de l'instance » comprend à la fois juges et protonotaires, et étant donné que les pouvoirs octroyés par le paragraphe 385(1) des Règles au protonotaire qui aide à la gestion d'une instance sont les mêmes que ceux octroyés au « juge responsable de la gestion de l'instance » , je ne peux trouver aucun fondement valable permettant de conclure que la norme de contrôle utilisée dans le cas d'ordonnances de disjonction rendues dans le cadre d'une procédure de gestion d'instance varie selon qu'une ordonnance a été rendue par un protonotaire ou par un juge.


[17]            Quant au fond même de la décision portée en appel, déterminer s'il y aurait lieu de séparer les questions en litige lors de l'instruction illustre le genre de problèmes que règlent les fonctionnaires responsables de la gestion de l'instance. Ceux-ci exercent leurs pouvoirs discrétionnaires forts de la connaissance de l'instance dont ils assurent la gestion.

[18]            La défenderesse n'a pas établi que l'ordonnance du protonotaire adjoint s'appuyait à ce point sur un principe erroné ou sur une mauvaise compréhension de tous les faits qu'il y avait manifestement usage abusif de la discrétion judiciaire.

[19]            Le protonotaire adjoint a indiqué qu'une preuve d'expert serait exigée pour la question des dommages-intérêts. Il lui était loisible de conclure qu'une instruction qui se limiterait en première instance à décider de l'existence de la responsabilité serait plus susceptible de permettre d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[20]            L'appel est par conséquent rejeté. Les demanderesses ont droit aux dépens de la présente requête suivant l'issue de la cause, lesquels dépens seront calculés de la manière habituelle.


ORDONNANCE

[21]            LA COUR ORDONNE QUE :

1.          L'appel contre l'ordonnance du protonotaire adjoint en date du 16 octobre 2001 soit rejeté.

2.          Les demanderesses aient droit aux dépens de la présente requête suivant l'issue de la cause et que ceux-ci soient calculés de la manière habituelle.

« Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                                                                      Juge                        

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-1114-96

INTITULÉ :                              Bates Enterprise Ltd. et al. c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :      Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 28 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :           le 31 janvier 2002

COMPARUTIONS:

Alan Semchuk                                        POUR LES DEMANDERESSES

Brian Hay                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Alan Semchuk                                        POUR LES DEMANDERESSES

Johnston & Company

Dauphin (Manitoba)

Morris Rosenberg                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

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