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Date : 20000525


Dossier : T-920-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 MAI 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :

     HAROLD BROOKMAN

demandeur

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, A. CASAVANT,

     C. DANYLUK et T. THOMPSON

défendeurs




     O R D O N N A N C E


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du président du Comité d'appel est annulée et l'affaire est renvoyée au Comité d'appel pour réexamen conformément aux présents motifs. Le tout avec dépens.


                             « Danièle Tremblay-Lamer »

                             JUGE

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.







Date : 20000525


Dossier : T-920-99



ENTRE :

     HAROLD BROOKMAN

demandeur

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, A. CASAVANT,

     C. DANYLUK et T. THOMPSON

défendeurs



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale d'une décision du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le Comité d'appel) datée du 20 avril 1999, qui rejette l'appel du demandeur interjeté au motif qu'il avait été éliminé injustement à titre de candidat lors d'un concours, contrairement au principe du mérite énoncé au paragraphe 10(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique1 (la Loi).

LES FAITS

[2]      Le 1er octobre 1998, le ministère du Développement des ressources humaines du Canada a publié un avis de concours2 pour le poste de chef d'équipe (PM-03) au sein du ministère à Edmonton (Alberta). L'avis de concours fournissait aux candidats éventuels les conseils suivants :

         [TRADUCTION] Si ce concours vous intéresse, vous devez fournir avec votre curriculum vitae un document qui explique en détails comment vous répondez au critère de l'expérience (Veuillez fournir des exemples concrets). Ce document sera examiné et sera utilisé dans le cadre de la présélection. Le défaut de satisfaire à cette exigence entraînera le rejet de votre candidature quant à ce concours.

[3]      Le demandeur a remis une lettre de présentation, à laquelle était joint un document intitulé [TRADUCTION] « complément à la note explicative » et un curriculum vitae3.

[4]      Une des exigences relatives à « l'expérience » précisées dans l'énoncé de qualités4 pour le poste était [TRADUCTION] « développer des programmes et assurer des services au public, obtenir et fournir des renseignements qui nécessitent des explications ou des éclaircissements » . La candidature du demandeur a été rejetée au motif qu'il ne satisfaisait pas à cette exigence relative à l'expérience pour le poste5.

[5]      Dans son curriculum vitae, le demandeur a fourni de l'information supplémentaire à celle contenue dans son document « complément à la note explicative » . Toutefois, le jury de sélection n'a pas fait référence au curriculum vitae pour évaluer l'expérience et s'est fié seulement au document « complément à la note explicative » demandé dans l'avis de concours.

[6]      Le demandeur a interjeté appel contre les résultats du concours devant le Comité d'appel conformément à l'article 21 de la Loi.

DÉCISION DU COMITÉ D'APPEL

[7]      Un des motifs sous-tendant l'appel du demandeur était qu'il était déraisonnable de rejeter de façon arbitraire sa candidature au concours en tenant seulement compte du document « complément à la note explicative » , particulièrement parce que l'avis de concours indiquait que le document « ferait partie » de la présélection, ce qui signifie que la présélection ne reposerait pas uniquement sur lui.

[8]      Et qui plus est, le demandeur a soutenu qu'une telle sélection arbitraire des candidats au stade de la présélection du concours ne pouvait constituer des sélections faites conformément au principe du mérite, vu le fait particulièrement que le document additionnel portait sur ses compétences pour le poste.

[9]      En ce qui concerne ce motif d'appel, le Comité d'appel a conclu que l'avis de concours n'induisait pas en erreur les candidats qui postulaient pour le poste et que le jury de sélection n'avait pas l'obligation de tenir compte de documents autres que le résumé de l'expérience demandé, au moment d'évaluer l'expérience des candidats :

         [TRADUCTION] [...] je ne suis pas persuadé que les candidats ont été induits en erreur ou que le jury de sélection avait l'obligation de tenir compte d'autres documents que celui qui avait été demandé, au moment d'évaluer l'expérience de chaque candidat. L'avis de concours prévoyait expressément que les candidats devaient fournir un document distinct qui décrivait en détails « comment vous répondez au critère de l'expérience » . Les candidats connaissent leur obligation. La référence au document en tant que « partie du processus de présélection » ne les dégageait pas de leur obligation d'expliquer en détail dans le document, l'expérience qu'ils entendaient faire valoir quant aux exigences relatives à l'expérience et elle n'obligeait pas non plus le jury de sélection à tenir compte d'autres documents6.

[10]      Par conséquent, le Comité d'appel a jugé qu'il n'avait pas de motif pour intervenir et a rejeté l'appel7.

ANALYSE

     (1)      Sélection selon le principe du mérite : défaut de pas tenir compte du          curriculum vitae.


[11]      Il est bien connu que le principe du mérite énoncé au paragraphe 10(1) de la Loi pose essentiellement l'exigence que l'on sélectionne les meilleures personnes pour les nominations à la fonction publique fédérale. Le paragraphe 10(1) de la Loi prévoit :

Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

[12]      Le paragraphe 21(1) de la Loi prévoit un droit d'appel contre les nominations ou les nominations proposées à la fonction publique fédérale :

Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

[13]      L'objet de ce droit d'appel en tant que mécanisme pour assurer que le principe du mérite, le principe directeur du processus de sélection, est en fait respecté est exprimé par la Cour d'appel fédérale dans Charest c. Procureur général du Canada8 :

         La tenue d'un concours est un des moyens que prévoit la loi pour atteindre cet objectif de la sélection au mérite. Or, il est important de voir que c'est également dans le but d'assurer le respect du principe de la sélection au mérite que l'article 21 accorde un droit d'appel aux candidats qui n'ont pas été reçus à un concours. Lorsqu'un candidat malheureux exerce ce droit, il n'attaque pas la décision qui l'a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l'article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d'être faite en conséquence du concours. Si l'article 21 prévoit un droit d'appel, ce n'est donc pas pour protéger les droits de l'appelant, c'est pour empêcher qu'une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite.

[14]      De plus, dans Canada (Procureur général) c. Bates9, le juge Campbell a souligné que la fonction du Comité d'appel est de révéler et de corriger les erreurs commises dans l'application de normes et de méthodes d'évaluation qui ont pour effet de saper le principe de la sélection au mérite.

[15]      La preuve présentée devant le Comité d'appel a révélé le fait que le jury de sélection, qui savait bien que le curriculum vitae du demandeur contenait de l'information supplémentaire à son « complément à la note explicative » ou résumé de l'expérience, a rejeté la candidature du demandeur au motif que le résumé de l'expérience ne démontrait pas à lui seul ses qualifications pour un des quatre critères relatifs à l'expérience pour le poste de chef d'équipe tel que définit dans l'énoncé de qualités.

[16]      De fait, M. Baril, un représentant du ministère, a indiqué qu'étant donné l'importante tâche que représente la présélection de candidats et l'obligation du jury de sélection d'examiner minutieusement les demandes « en pièces détachées » , le ministère a décidé qu'il serait plus efficace de demander aux candidats, directement sur l'avis de concours, de faire état de leur expérience et de fournir des exemples sur un document distinct. M. Baril a expliqué que ce document était utilisé pour des fins de présélection relativement à l'expérience, tandis que le curriculum vitae était utilisé pour confirmer que le candidat se trouvait dans la zone de sélection et pour des fins de présélection relativement aux études requises10.

[17]      Par conséquent, un curriculum vitae n'est pas utilisé pour des fins de présélection relativement à l'expérience même s'il contient de la preuve additionnelle pertinente quant à l'expérience d'un candidat. Manifestement, la commodité administrative que constitue pour le jury de sélection le fait d'exiger des candidats éventuels qu'ils soulignent ce qui, dans leurs antécédents de travail, a trait au critère de l'expérience pour le poste ne le dégage pas de son obligation statutaire de s'assurer que son évaluation portant sur les qualifications d'un candidat éventuel ait été conforme au principe du mérite. L'effet de la méthodologie de présélection du jury de sélection était d'écarter du concours des candidats sans avoir pris en considération toute l'information pertinente qu'il avait exigée pour étayer la demande de chacun des candidats.

[18]      L'application d'une méthode rigide et mécanique pour des fins de présélection relativement à l'expérience d'un candidat peut conduire à l'exclusion de candidats qualifiés du concours11. Ainsi, je souscris au point de vue de ma collègue le juge McGillis dans Hassall, je l'applique aux faits en l'espèce et je conclue que le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique a adopté la même méthodologie rigide et formaliste, dans le cadre de l'évaluation des qualifications de candidats éventuels, qu'avait adoptée le jury de sélection.

[19]      Le défendeur plaide que les causes auxquelles le demandeur a fait référence, au soutien de sa prétention selon laquelle la méthodologie de présélection rigide et mécanique du jury de sélection a un effet défavorable sur le principe du mérite, ne peuvent être appliquées aux faits en l'espèce. Je ne suis pas ce cet avis.

[20]      Dans Canada (Procureur général) c. Blashford12, l'imposition par le jury de sélection d'un critère arbitraire, rigide et temporel relativement à l'exigence de l'expérience pour un poste, a été jugée non conforme au principe du mérite vu le fait que les candidats possédant de l'expérience étaient automatiquement éliminés du concours. Dans Hofland c. Canada (Procureur général)13, un candidat a été reçu à un concours pour un poste d'opérateur de machine de traitement de textes en raison d'un certificat en dactylographie qui avait expiré (l'avis de concours énonçait « votre demande doit être accompagnée d'un certificat valide en dactylographie » ). Notre Cour, de même que la Cour d'appel fédérale, a conclu que le certificat en dactylographie était une « formalité » requise pour établir la vitesse minimale de frappe et que le fait de ne pas exiger le certificat ne contrevenait d'aucune façon au principe du mérite.

[21]      Je crois que toutes ces décisions témoignent de la notion enchâssée dans la sélection selon le principe du mérite du paragraphe 10(1) de la Loi, selon laquelle l'imposition par le jury de sélection d'une « formalité » lors du processus de présélection ne devrait pas avoir l'effet indésirable d'écarter de la présélection des candidats qui pourraient éventuellement être retenus.

[22]      Ainsi, je suis d'avis que la méthodologie utilisée par le jury de sélection lors de la sélection, et adoptée plus tard par le Comité d'appel, contrevient au principe du mérite.

[23]      Le défendeur allègue que la question de savoir si le principe du mérite a été atteint par le processus de sélection constitue une question de fait et que par conséquent, la norme de contrôle n'est pas celle de la décision correcte mais plutôt celle de la décision manifestement déraisonnable. Bien que je reconnaisse que dans Krawitz c. Canada (Procureur général)14 notre Cour a décidé que cela constitue une question de fait, la récente décision dans Catherine Louise Boucher et Karen McBride c. Procureur général du Canada15 semble indiquer qu'il s'agit d'une question de droit. Néanmoins, je suis d'avis que la décision du Comité d'appel selon laquelle le jury de sélection n'avait [TRADUCTION] « pas l'obligation de tenir compte d'autres documents que ceux dont il a fait la demande » entraîne l'exclusion de preuve pertinente, mine le principe du mérite et qu'elle était par conséquent manifestement déraisonnable.

     (2) Présélection : avis de concours trompeur

[24]      En ce qui a trait à cette question, je suis d'avis que le Comité d'appel a effectivement commis une erreur de fait en décidant que l'avis de concours n'induisait pas en erreur en ce qu'une personne raisonnable conclurait que le jury de sélection tiendrait compte du résumé de l'expérience ainsi que du curriculum vitae lors de la présélection des candidats.

[25]      Dans ses motifs, le Comité d'appel fait référence à la preuve présentée par M. Baril, le représentant du ministère, selon laquelle le résumé de l'expérience constituait le document utilisé dans le cadre de la présélection relativement à l'expérience, tandis que le curriculum vitae sert principalement à confirmer que le candidat se situe dans la zone de sélection et conclut ainsi que l'avis de concours n'est pas trompeur.

[26]      Manifestement, un candidat ne connaît pas cette « décision d'administration interne » qui consiste à ne pas tenir compte du curriculum vitae qui est habituellement le document principal dans lequel chacun fait valoir ses antécédents de travail.

[27]      De plus, l'avis de concours ne prévoit pas que le résumé de l'expérience est l'unique document qui sera utilisé lors de l'évaluation de l'expérience d'un candidat éventuel. De fait, la référence qui est faite dans l'avis de concours à un curriculum vitae et à un résumé de l'expérience qui ferait partie de la présélection conduirait raisonnablement à conclure que l'expérience d'un candidat sera évaluée en fonction des deux documents.

[28]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du président du Comité d'appel est annulée et l'affaire est renvoyée au Comité d'appel pour réexamen conformément aux présents motifs. Le tout avec dépens.

                             « Danièle Tremblay-Lamer »

                             JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 mai 2000.


Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-920-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Harold Brookman c. Le procureur général du Canada

                     et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 16 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY LAMER

EN DATE DU :              25 MAI 2000


ONT COMPARU :

David Yazbeck                          Pour le demandeur

Hana Gertler                              Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)                          Pour le demandeur

Morris Rosenberg                         

Sous-procureur général du Canada                  Pour le défendeur

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. P-33.

2      Dossier de demande du demandeur, volume 1, onglet 3, à la page 31.

3      Dossier de demande du demandeur, volume 1, aux pages 47 à 50.

4      Dossier de demande du demandeur, volume 1, à la page 32.

5      Dossier de demande du demandeur, volume 1, à la page 41.

6      Dossier de demande du demandeur, décision du Comité d'appel, volume 1, à la page 23.

7      Le demandeur a fait valoir d'autres motifs d'appel, cependant, la présente demande de contrôle judiciaire porte seulement sur le motif qui est débattu en l'espèce.

8      [1973] C.F. 1217 (C.A.F.), à la page 1221.

9      [1997] 3 C.F. 132. (C.F. 1re inst.)

10      Dossier de demande du demandeur, volume 1, décision du Comité d'appel, aux pages 19 et 20.

11      Hassall c. Canada (Procureur général) (4 février 1999), T-615-98 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 20.

12      [1991] 2 C.F. 44 (C.A.F.)

13      (1995) 92 F.T.R. 213 (C.F. 1re inst.), confirmé par (1996) 194 N.R. 51 (C.A.F.).

14      (1994) 86 F.T.R. 47.

15      (20 janvier 2000), A-699-98 (C.A.F.).

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