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                                                                                                                                  Date: 19990426

                                                                                                                          Dossier : T-1107-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                            JAMES LAIDLAW, GERRIE IRWIN, JEAN MAITLAND,

                                          BETTY MATHESON et DEBBIE TOWER,

                                                                                                                                      demandeurs,

                                                                          - et -

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                                         CHERYL MACLELLAN,

                                                                                                                                       défendeurs.

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision rendue le 29 avril 1998 par laquelle un enquêteur chargé des mutations a rejeté les plaintes des demandeurs en rapport avec la mutation de Mme Cheryl MacLellan.

[2]         Les faits à l'origine de la présente action sont survenus au bureau de Revenu Canada à Halifax. Mme MacLellan était une employée de ce ministère nommée pour une période indéterminée, qui avait suivi le Programme des stagiaires en gestion au début de 1997. Avant cette date, les dispositions de dotation relatives aux diplômés du Programme avaient changé, de sorte qu'après avoir obtenu son diplôme Mme MacLellan a été confrontée à la perspective de trouver un emploi qui concordait avec son statut d'employée nommée pour une période indéterminée, à défaut de quoi elle courait le risque d'être considérée comme excédentaire ou d'être mise à pied.


[3]         Mme MacLellan remplissait les conditions requises pour être placée au Bureau de services fiscaux de Halifax (BSFH) à un poste de groupe et de niveau PM-04. Le salaire de Mme MacLellan à titre de stagiaire en gestion (SG) équivalait à l'échelon supérieur de la grille salariale des PM-04. M. Lee, le fonctionnaire de Revenu Canada qui était chargé de prendre les décisions à cet égard, était conscient que le Ministère se trouvait dans l'obligation de servir le public dans les deux langues officielles. Il savait que Mme MacLellan était parfaitement bilingue et qu'il n'y avait pas de chef d'équipe intérimaire ou en poste qui satisfaisait aux exigences linguistiques. Il a jugé qu'il serait avisé et utile pour son organisation d'engager Mme MacLellan.

[4]         M. Lee était également conscient que Mme MacLellan pourrait être une employée excédentaire si elle n'était pas placée, et qu'il faudrait dans ce cas prendre des mesures pour lui offrir un autre emploi convenable. Au lieu de laisser les choses évoluer dans ce sens, il a pensé qu'il convenait mieux de la muter.

[5]         M. Lee a donc fait à Mme MacLellan une offre de mutation au poste de chef d'équipe PM-04, Recouvrement (bilingue, nomination impérative), dans une lettre datée du 7 novembre 1997 qu'il a adressée à Mme MacLellan. Cette dernière a accepté l'offre le 15 novembre 1997. Cependant, le 7 novembre précédent, on a aussi présenté à Mme MacLellan un contrat d'affectation selon lequel elle serait affectée au poste de chef d'équipe, Économie souterraine (PM-04) du 7 novembre 1997 au 30 septembre 1999. Son salaire demeurerait au même niveau qu'auparavant. L'ancien titulaire du poste était rémunéré selon la grille des PM-06. Mme MacLellan a signé le contrat le 4 décembre 1997. Il est établi que Mme MacLellan a accédé directement au poste de chef d'équipe, Économie souterraine, et n'a pas, à la date de l'audience, travaillé comme chef d'équipe, Recouvrement.

[6]         Les mutations sont régies par la partie III.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique L.R.C. (1985), ch. P-33 (la « Loi » ). Aux termes du paragraphe 34.2(1), les mutations sont effectuées selon les modalités que fixe le Conseil du Trésor. Ce dernier a publié une politique régissant les mutations et qui exige que les ministères établissent des politiques de mutation qui sont compatibles avec celles du Conseil du Trésor :

Les ministères sont tenus d'élaborer des politiques et procédures concernant les mutations qui respectent les directives établies par le Conseil du Trésor conformément aux paragraphes 34.2(1), 34.3(1) et 34.3(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ... de même que tout règlement pris en conformité du paragraphe 37.1(1), et qui :

                                ....

                -prévoient que les avis de possibilités de mutation doivent être adressés au moins aux employés des unités de travail dans lesquelles des mutations ont lieu...

            Selon la Politique de mutation de Revenu Canada :

                [TRADUCTION]

Les gestionnaires délégués doivent s'assurer que:

                9. Tous les employés de l'unité de travail sont informés à l'avance de toute possibilité de mutation, et ce, au moyen de l'avis que le gestionnaire juge approprié (note de service, courrier électronique, annonce lors d'une réunion du personnel, avis affiché, etc.).

                10. Dans les dix (10) jours ouvrables, au plus tard, qui suivent la date d'entrée en vigueur de la mutation, les gestionnaires délégués informent les employés de l'unité de travail ainsi que l'employé muté de leur droit de recours. Cela consiste à informer les employés:

                        [...]

                        - du nom de la personne ainsi que de son groupe et de son niveau.

[7]         Pour se conformer à l'obligation de fournir un avis préalable, il a été annoncé à une réunion des chefs d'équipe tenue le 31 octobre 1997 que Mme Cheryl MacLellan serait mutée au Recouvrement, au poste de chef d'équipe PM-04. Le procès-verbal de cette réunion a été fourni à la Cour avec le consentement des deux parties. Voici ce qu'indique ce document sur ce point :

                [TRADUCTION]

7. Mutation/Affectation - Jack Lee

                                Mme Cheryl MacLellan est mutée au Recouvrement, au poste de chef d'équipe PM-4. Mme MacLellan sera affectée à l'unité de l'Économie souterraine pendant une période d'environ 2 ans.

[8]         À la suite de la mutation de Mme MacLellan, un avis écrit de cette mesure a été diffusé. Le texte de l'avis est le suivant :

                [TRADUCTION]

                12 novembre 1997

                                                                                    AVIS DE MUTATION

À : Revenu Canada

                                Division du recouvrement des recettes

                                Services fiscaux de Halifax

                                Halifax (N.-É.)

Nous vous informons que Mme Cheryl MacLellan sera mutée au poste de chef d'équipe PM-04, Recouvrement, Division du recouvrement des recettes, Services fiscaux de Halifax, à compter du 7 novembre 1997.

L'employé muté et/ou le ou les employés de l'unité de travail dans laquelle la mutation en question a lieu dispose de droits de recours concernant ce processus. Les plaintes doivent être formulées par écrit dans les 14 jours suivant la date du présent avis, et transmises directement à :

                                                                D.B. Gibson

                                                                Directeur, Services fiscaux de Halifax

                                                                Revenu Canada

                                                                C.P. 638

                                                                1256, rue Barrington

                                                                Halifax (N.-É.) B3J 2T5

Les motifs de plainte doivent être l'un ou l'autre des deux suivants :

                - la mutation n'a pas été autorisée ou effectuée en accord avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ou

- la mutation constitue un abus de pouvoir. L'abus de pouvoir comprend le harcèlement, la coercition, l'intimidation, le népotisme ou le favoritisme.

Pour plus de renseignements sur le processus de plainte, prière de communiquer avec Heather Nicks, consultante en ressources humaines, au numéro (902) 426-6889.

[1]         Un avis supplémentaire a été publié plus tard le même jour afin de corriger un oubli concernant la désignation linguistique du poste :

                [TRADUCTION]

                12 novembre 1998

                                                                                    AVIS DE MUTATION

                                                                     INFORMATION SUPPLÉMENTAIRE*

                À : Revenu Canada

                                Division du recouvrement des recettes

                                Services fiscaux de Halifax

                                Halifax (N.-É.)

Nous vous informons que Mme Cheryl MacLellan sera mutée au poste de chef d'équipe PM-04, Recouvrement, Division du recouvrement des recettes, Services fiscaux de Halifax, à compter du 7 novembre 1997. * Le profil linguistique du poste est bilingue, nomination impérative (BBB/BBB).

Pour plus de renseignements sur le processus de plainte, prière de communiquer avec Heather Nicks, consultante en ressources humaines, au numéro (902) 426-6889.

Il est à noter qu'aucun des deux avis ne précisait quels étaient le groupe et le niveau de Mme MacLellan avant qu'elle soit mutée.

[2]         L'article 34.3 de la Loi dispose que les employés qui le désirent peuvent déposer une plainte auprès de l'administrateur général compétent au motif que la mutation n'est pas autorisée par la Loi ou n'a pas été effectuée conformément à celle-ci, ou qu'elle constitue un abus de pouvoir. Le demandeur Laidlaw et quatre autres collègues de travail se sont plaints de la mutation de Mme MacLellan. Ils ont adressé leur plainte à M. D.B. Gibson à titre de délégué de l'administrateur général de Revenu Canada. M. Gibson a répondu à la plainte au moyen d'un rapport de décision concernant une plainte de mutation, joint à une lettre datée du 20 février 1998. M. Gibson a répondu à la plainte des demandeurs, selon qui la mutation constituait un abus de pouvoir, y compris un cas de harcèlement et de favoritisme, en indiquant, dans son rapport, que [TRADUCTION] « cette mutation ne constitue pas un cas d'abus de pouvoir de la part du gestionnaire délégué et est conforme à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Aucune preuve n'a été produite à l'appui de ces allégations » .

[3]         Insatisfaits de cette réponse, les demandeurs ont exercé le droit que leur confère l'article 34.4 pour soumettre l'affaire à la Commission de la fonction publique. Chacun d'eux a rempli un formulaire de demande d'enquête sur la mutation de Mme MacLellan. Dans ce document, il est demandé au plaignant d'indiquer la nature de l'irrégularité dont il se plaint. Le formulaire comporte deux cases, dont l'une, ou les deux, doivent être cochées :

            [TRADUCTION]

            La mutation était irrégulière parce que :

                        __

            /_/ elle n'est pas autorisée par la LEFP ou n'a pas été effectuée conformément à celle-ci

                        __

            /_/ elle constitue un abus de pouvoir, tel que prévu au paragraphe 34.3(1) de la LEFP.

[4]         Chacun des demandeurs a coché la seconde case, et non la première.

[5]         La Commission a nommé M. Robert Vaison pour faire enquête sur la mutation et rédiger un rapport. M. Vaison a tenu une audience le 15 avril 1998 et, le 29 avril suivant, il a signé un rapport où il concluait que les plaintes des demandeurs étaient sans fondement.

[6]         Devant l'enquêteur, les demandeurs ont fait valoir que l'avis de mutation diffusé après la mutation de Mme MacLellan était lacunaire, en ce sens qu'il n'indiquait pas le groupe et le niveau de cette dernière, comme l'exigeait la politique régissant les mutations de Revenu Canada. M. Vaison a rejeté l'argument des demandeurs sur ce point. Il était d'avis que l'exigence de la politique était ambiguë mais, en tout état de cause, il a conclu qu'en l'occurrence, l'omission de cette information n'avait porté préjudice à personne car tous les intéressés étaient parfaitement au courant du groupe et du niveau de Mme MacLellan.

[7]         Les demandeurs ont mis en doute la bonne foi de la mutation au poste de chef d'équipe, car, depuis sa mutation, Mme MacLellan n'avait pas effectué un jour de travail à ce poste. Les demandeurs ont souligné aussi que la création d'un poste de chef d'équipe était une preuve supplémentaire de mauvaise foi, vu l'incertitude qui régnait chez les employés à la suite d'une autre initiative ministérielle qui était en cours à ce moment là. Le fait de n'avoir pas annoncé la mutation au préalable était une preuve de manque de bonne foi à cet égard. Les demandeurs se demandaient aussi si la mutation n'équivalait pas à une promotion, puisque le titulaire précédent était rémunéré au niveau PM-06.

[8]         M. Vaison n'a rien trouvé de répréhensible à la mutation et à l'affectation subséquente. Il a conclu que la mutation et l'affectation étaient conformes aux besoins du Ministère et, aussi, qu'étant donné que Mme MacLellan continuait d'être rémunérée à l'échelon supérieur de l'échelle PM-04, il n'y a avait pas eu de promotion.

[9]         M. Vaison a conclu que, dans le contexte de l'examen de tous ces postes qui se déroulait à ce moment-là, on déterminerait le numéro et les classifications ultimes des postes de chef d'équipe. Il a souscrit à l'explication de M. Lee à propos des exigences linguistiques du bureau de Halifax, et conclu que la création du poste de chef d'équipe bilingue n'aurait pas d'incidence sur l'examen en cours.

[10]       En définitive, M. Vaison n'avait rien trouvé d'irrégulier dans la mutation et n'était donc pas en mesure de soumettre à la Commission une recommandation négative à l'égard de la mutation.

[11]       Une demande de contrôle judiciaire des conclusions de M. Vaison a été déposée par la voie d'un avis daté du 1er juin 1998, par lequel les demandeurs cherchent à faire annuler le rapport de M. Vaison et à renvoyer l'affaire à l'enquêteur chargé des mutations pour qu'il la règle d'une manière conforme à la loi. Les motifs de la demande sont les suivants :

[TRADUCTION]

a)l'enquêteur chargé des mutations a commis une erreur de droit et omis d'exercer sa compétence en concluant que la mutation de Mme Cheryl MacLellan n'était pas irrégulière, et ce, même si le Ministère n'avait pas signalé à l'avance qu'il y aurait une possibilité de mutation;

b)l'enquêteur chargé des mutations a commis une erreur de droit et omis d'exercer sa compétence en concluant que le fait de ne pas préciser sur l'avis de mutation le groupe et le niveau de Mme Cheryl MacLellan n'était pas une lacune qui rendait la mutation illégale;

c)l'enquêteur chargé des mutations a commis une erreur de droit et omis d'exercer sa compétence en concluant que la mutation en litige n'était pas un abus de pouvoir ou autrement illégale;

                d)l'enquêteur chargé des mutations a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de manière inique ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve dont il disposait;

e)tout autre motif que l'avocat peut indiquer et que la Cour peut autoriser.

[12]       En ce qui concerne le premier motif - le fait de ne pas signaler à l'avance la mutation - le demandeur estime qu'un avis selon lequel une personne sera mutée ultérieurement à un poste particulier ne constitue pas un avis préalable comme l'exigent les politiques applicables. Le défendeur déclare que l'avis donné en l'espèce est conforme à la politique du Conseil du Trésor ainsi qu'à celle de Revenu Canada. Les demandeurs, ajoute-t-il, ne peuvent soulever la question maintenant car le seul motif de contrôle qu'ils ont spécifié dans leur formulaire de demande d'enquête est l'abus de pouvoir. Il ne leur est pas loisible de soulever un motif différent devant la Cour.

[13]       Dans l'affaire A.G.T. Ltd. c. Graham [1997] F.C.J. No. 1679 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a décrété que, bien qu'un nouvel argument ne puisse être entendu au stade du contrôle judiciaire à moins qu'il porte sur la compétence du tribunal administratif, il demeure loisible à la Cour d'examiner les arguments qui découlent d'une décision d'un tribunal au sujet de l'applicabilité d'une disposition législative. Dans cette affaire, les employés intimés avaient porté plainte contre l'employeur requérant, alléguant que ce dernier n'avait pas payé les heures supplémentaires effectuées comme l'exigeait le Code canadien du travail. Un inspecteur avait conclu que l'exception prévue à l'alinéa 7a) du Règlement s'appliquait et que, de ce fait, aucune heure supplémentaire n'était à payer. Les intimés avaient interjeté appel de cette conclusion auprès de l'arbitre, lequel avait conclu que l'alinéa 7a) du Règlement ne s'appliquait pas. L'arbitre avait qualifié la question qui lui était soumise de [TRADUCTION] « interprétation des mots "changement de quarts" à l'alinéa 7a) du Règlement » , mais dans ses motifs il a fait référence aux articles 170 et 172 du Code canadien du travail :

Les articles 170 et 172 du Code ont été invoqués par les deux avocats dans le cadre de l'argumentation, mais à mon avis, ces dispositions ne sont pas pertinentes parce qu'elles s'appliqueraient uniquement si l'employeur s'était entendu par écrit avec le syndicat pour fixer un horaire de travail dont la durée est supérieure à la durée normale du travail. Il semble que cela n'ait pas été fait dans ce cas-ci.

[14]       L'employeur demandeur a ensuite tenté de soulever la question de l'applicabilité de l'article 170 au stade du contrôle judiciaire. Les intimés s'y sont opposés parce qu'il s'agissait selon eux d'un motif nouveau non mentionné dans le document initial et ont indiqué que la Cour était donc incompétente pour entendre l'argument. Le juge en chef adjoint a conclu que l'argument fondé sur l'article 170 ne constituait pas un motif nouveau, en ce sens qu'il avait été soulevé devant l'arbitre, lequel avait conclu qu'il était peu pertinent. Le juge a décrété qu'il approuverait l'invocation de l'argument et que, s'il le fallait, il autoriserait l'employeur demandeur à modifier son document initial.

[15]       En l'espèce, la question de la validité de l'avis préalable a été soulevée devant l'enquêteur chargé des mutations, encore que ce soit dans le contexte de la question d'abus de pouvoir. Il a été dit que le fait de ne pas signifier l'avis d'une manière conforme à la Loi était une preuve de plus que la mutation avait été faite pour des motifs non valables. L'enquêteur chargé des mutations n'a pas traité expressément de la validité de l'avis préalable. Le fait qu'il n'ait pas choisi de trancher précisément la question ne laisse pas les demandeurs dans une situation pire que s'il l'avait fait et que s'il s'était prononcé contre eux, comme cela avait eu lieu dans l'affaire A.G.T. Ltd., précitée. En outre, la question de la pertinence de l'avis préalable a été manifestement soulevée dans les motifs relatifs à la présente demande. Je conclus donc que la question a été suffisamment soulevée devant l'enquêteur chargé des mutations pour que les demandeurs puissent me soumettre l'argument. J'ajoute que le défendeur avait envisagé la possibilité qu'une conclusion négative soit tirée sur la question, et était prêt à débattre du bien-fondé de l'allégation.

[16]       La nécessité d'annoncer au préalable une possibilité de mutation est une question qui a été soulevée dans un certain nombre d'affaires, qui concluent toutes qu'un avis préalable doit être donné. Voir Nieboer et al. c. Canada (1996), 121 F.T.R. 29 (1re inst.), ainsi que Vavrecka c. Canada (1996), 110 F.T.R. 115 (1re inst.). Dans toutes ces affaires, aucun avis préalable de la possibilité d'une mutation n'avait été donné. En l'espèce, il a été annoncé au préalable qu'un candidat particulier serait muté à un poste particulier. La question qui se pose est de savoir si cette mesure est conforme aux exigences de la politique du Conseil du Trésor et de celle de Revenu Canada.

[17]       La politique du Conseil du Trésor ainsi que celle de Revenu Canada exigent toutes deux que les « possibilités de mutation » soient annoncées à l'avance. L'emploi du mot « possibilités » dénote que lesdites mutations sont des placements éventuels destinés aux employés de l'unité de travail concernée. L'avis préalable permet à ceux qui désirent être pris en considération de faire part de leur intérêt au décisionnaire, qui conserve néanmoins la latitude de choisir la personne qu'il préfère pour le poste. Cependant, le fait que l'employeur ne soit pas limité par ses expressions d'intérêt ne veut pas dire que l'on s'acquitte de l'obligation de donner un avis préalable en annonçant aux employés de l'unité de travail la mutation d'une personne particulière à un poste particulier avant la date du début de la période de mutation. Un tel avis n'est pas un avis de possibilité. C'est un avis de fait accompli. Il est irréaliste de prétendre que, dans un tel cas, l'employé a eu la possibilité de convaincre le décisionnaire de changer d'idée en faveur de l'employé qui se dit intéressé au poste. Je conclus que l'on acquitte pas l'obligation de signaler au préalable les possibilités de mutation en faisant part au préalable de la décision de muter une personne particulière à un poste particulier. En définitive, je conclus que l'enquêteur chargé des mutations a soit négligé d'exercer sa compétence en ne traitant pas de la question de la validité de l'avis préalable, soit, subsidiairement, commis une erreur de droit en décidant implicitement que l'avis préalable donné en l'espèce était conforme aux exigences de la politique du Conseil du Trésor ainsi qu'à celles de Revenu Canada en matière de mutations.

[18]       L'argument suivant que les demandeurs ont invoqué est que l'avis postérieur à la mutation n'était pas légitime, en ce sens qu'il n'indiquait pas le groupe et le niveau de l'employé. Les deux avis dont le texte est reproduit plus tôt indiquent que Mme Cheryl MacLellan était mutée au poste de chef d'équipe PM-04. Vraisemblablement, l'argument soulevé est que le groupe et le niveau de Mme MacLellan étaient MM et que l'on ne satisfaisait pas à l'exigence de la politique en indiquant le groupe et le niveau du poste auquel elle était mutée, soit PM-04. L'enquêteur chargé des mutations pensait que la politique était peut-être ambiguë mais il quand même décidé que le fait de n'avoir pas rempli cette exigence ne donnerait lieu à aucun recours car tous les intéressés étaient bien au courant du groupe et du niveau de Mme MacLellan. L'obligation d'indiquer le groupe et le niveau de l'employé muté a pour but de permettre aux employés de l'unité de travail concernée d'évaluer si la mutation équivaut à une promotion ou à un changement de la durée des fonctions. Cette mesure vise, par ricochet, à fournir aux employés les renseignements voulus pour décider s'ils exerceront ou non les recours que leur procure la Loi. En l'espèce, les demandeurs ont fait valoir que les exigences procédurales n'avaient pas été remplies, c'est-à-dire les exigences relatives à l'avis, ainsi que le fait de présenter l'argument de fond, savoir que l'affectation subséquente constituait une promotion car le titulaire précédent était rémunéré au niveau PM-06. Dans cette mesure, les objectifs que vise l'obligation de donner un avis ont été atteints. Je conclus qu'il y a eu manquement aux exigences de la politique de Revenu Canada mais, à l'instar de l'enquêteur chargé des mutations, je n'annulerai pas son rapport pour ce seul motif.

[19]       Le motif suivant qu'invoquent les demandeurs est que la mutation constitue un abus de pouvoir. Bien des choses ont été dites devant l'enquêteur chargé des mutations et, dans une moindre mesure, devant moi à propos de la relation entre cette mutation avec les procédures qui sont en cours entre les parties quant à la situation des postes de chef d'équipe et de leurs titulaires, une question qui a déjà été soumise à la Cour d'appel fédérale. Je conclus qu'il n'est pas nécessaire d'en traiter car je crois que la mutation de Mme MacLellan n'est pas valide pour une raison plus simple.

[20]       L'abus de pouvoir est un motif de contrôle qui vise la légitimité d'une mutation particulière, par opposition à sa conformité à la loi habilitante. Mais qu'est-ce qui fait qu'une mutation constitue un abus de pouvoir? Pour les besoins de la présente demande, l'argument qui suit s'impose de lui-même : comme le pouvoir d'effectuer des mutations n'est pas soumis aux contrôles qui s'appliquent à d'autres mesures de dotation au sein de la fonction publique [par exemple, l'application du principe du mérite [article 10, Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33) ou le droit d'appel (art. 21)], le fait de recourir à une mutation pour contourner ces mesures de contrôle et de protection constitue un abus de pouvoir. Une mutation ne devrait pas servir à obtenir indirectement ce que le gestionnaire délégué ne peut faire directement. C'est la notion de transparence qu'exige la politique du Conseil du Trésor sur les mutations qui décrit peut-être le mieux la situation :

Les mutations doivent être faites de manière juste, raisonnable, transparente, et qui tienne compte tant des besoins de l'organisation et des intérêts et aspirations professionnels légitimes des fonctionnaires.

[21]       La transparence signifie que la justification donnée pour la mutation et la situation qui existe au moment où la mutation a lieu sont compatibles. Dans ce contexte, les propos de l'enquêteur Lee dans l'affaire Smith et al in Re Deployment of Francis Pimentel [1993], décision non publiée, sont fort pertinents :

[TRADUCTION]

La Loi sur l'emploi dans la fonction publique emploie des mots comme mérite, poste,

                                fonctions à accomplir, qualifié. Il y est dit qu'une mutation doit se faire à un poste

                                faisant partie du même groupe professionnel, ou entre deux groupes selon ce qu'autorise

                                la Commission.

Les dispositions de la Loi - et les mots comme ceux qui sont indiqués ci-dessus - ne peuvent avoir une fin positive que si l'on considère qu'elles nécessitent que l'on fasse preuve de jugement à propos du caractère approprié de certaines personnes pour ce qui est d'exécuter certaines fonctions et certains travaux, et qu'elles exigent que ces personnes soient engagées pour effectuer ces fonctions et ces travaux. Je pense qu'il est raisonnable de déduire de ce qui précède qu'une mutation a pour but de permettre à une personne mutée à un « poste » d'accomplir le travail, les fonctions et les tâches de ce poste-là. Ni plus, ni moins.

[22]       Dans l'affaire soumise à l'enquêteur Lee, un employé avait été muté d'Ottawa au bureau d'impôt du district de Vancouver pour des raisons de compassion. Il devait être à un poste PM-03 (chef de l'Unité d'examen du bureau) mais, à son arrivée, il avait été détaché à un poste AS-03 ou AS-04 au sein de la Section de vérification interne. D'après la décision de l'enquêteur, cet employé n'aurait jamais occupé le poste de chef de l'Unité d'examen du bureau. Dans les circonstances, l'enquêteur a conclu que la mutation constituait un abus de pouvoir.

[23]       La mutation dont il est question en l'espèce n'était pas transparente. Malgré les explications avancées, il n'est pas évident pour quelle raison il devait y avoir un poste de chef d'équipe (bilingue, nomination impérative) au Bureau des services fiscaux de Halifax si la personne mutée pour combler ce poste n'y avait jamais servi. S'il y avait un besoin, le poste aurait dû être occupé. S'il n'y en avait pas, il n'est donc pas évident pour quelle raison le poste a été créé. Si l'organisation avait besoin d'une personne à l'Unité de l'économie souterraine, il n'est pas évident pour quelle raison la mutation a été faite au poste de chef d'équipe - Recouvrement (bilingue, nomination impérative). Je ne tire aucune conclusion au sujet du fait de savoir si la mutation de Mme MacLellan au poste de chef d'équipe - Unité de l'économie souterraine était une promotion ou un changement de la durée des fonctions. Si la mutation au poste de chef d'équipe - Recouvrement (bilingue, nomination impérative) visait à éviter des différends au sujet de ces deux questions en donnant l'impression que la mesure était conforme au paragraphe 34.2(2) (lequel interdit les mutations qui donnent lieu à une promotion ou à un changement de la durée des fonctions), cela signifie qu'elle n'a pas été effectuée pour les motifs invoqués dans sa défense. Si la mutation a été effectuée en vue de pouvoir dispenser des services de recouvrement dans les deux langues officielles, il s'ensuit que le placement ultime de Mme MacLellan à l'Unité de l'économie souterraine ne cadre pas avec cette justification.

[24]       Le fait de procéder à une mutation pour donner l'impression que l'on se conforme à la Loi afin de pouvoir ensuite affecter l'employé à un autre poste par voie d'affectation ou de détachement, en étant libre des contraintes qu'imposent la Loi et d'autres conditions limitatives, constitue un abus du droit de mutation et, dans cette mesure, un abus de pouvoir. En l'occurrence, l'enquêteur chargé des mutations n'a pas examiné cet aspect et, dans cette mesure, a refusé d'exercer sa compétence ou, subsidiairement, a commis une erreur de droit en concluant que la mutation de Mme MacLellan ne constituait pas un abus de pouvoir.

[25]       Vu ma conclusion, point n'est besoin d'examiner les deux autres motifs qu'invoquent les demandeurs, car il est évident que le rapport de l'enquêteur doit être annulé.

[26]       Il est donc ordonné que le rapport de l'enquêteur Vaison soit annulé et l'affaire renvoyée à la Commission de la fonction publique pour qu'elle rende une nouvelle décision qui cadre avec les présents motifs.

                                                                                                                       « J.D. Denis Pelletier »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NEDU GREFFE :T-1107-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :James Laidlaw, Gerrie Irwin, Jean Maitland, Betty Matheson et Debbie Tower c. Procureur général du Canada et Cheryl MacLellan

LIEU DE L'AUDIENCE :Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :29 mars 1999

                                  MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                           DU JUGE PELLETIER

                                                    EN DATE DU 26 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

M. Andrew J. Ravenpour les demandeurs

M. J Sanderson Grahampour le défendeur

Procureur général du Canada

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)pour les demandeurs

Morris Rosenbergpour le défendeur

Sous-procureur général du CanadaProcureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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