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                                                                                                                           IMM-533-96

 

 

Entre :

 

                                                      FRANCISCA RUSLI,

 

                                                                                                                              requérante,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                                MOTIFS DE LA DÉCISION

 

 

 

Le juge TEITELBAUM

 

 

            Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 1er février 1996 par laquelle un agent des visas en service au haut commissariat du Canada à Hong Kong, James Gill, a rejeté la demande de permis de travail temporaire qui aurait donné à la requérante le droit d'entrer au Canada.  Par lettre datée du 1er février 1996 et reçue le même jour par la requérante, l'agent des visas a rejeté sa demande par les motifs suivants :

 

            [TRADUCTION]

(1)elle avait précédemment prolongé son séjour au Canada sans autorisation, après l'expiration de sa qualité de visiteuse, ce qui constitue une infraction à l'alinéa 94(1)k) de la Loi sur l'immigration;

(2)elle ne justifie pas de liens suffisants avec son pays de nationalité ou de résidence pour garantir son retour dans ce pays;

(3)il est probable qu'elle reste au Canada de façon permanente au lieu de quitter le pays à l'expiration du séjour autorisé.

 

            Dans son avis de requête introductive d'instance, la requérante conclut à ce qui suit :

 

            [TRADUCTION]

(1)ordonnance portant annulation de la décision du 1er février 1996; et

(2)nouvelle entrevue avec un autre agent des visas.

 

LES FAITS DE LA CAUSE

            La requérante, originaire de l'Indonésie, est arrivée au Canada pour la première fois en mai 1992 avec un visa de visiteur.  Durant cette première visite, elle a donné naissance en décembre 1992 à un fils, qui réside actuellement au Canada avec son mari.  Après avoir quitté le Canada une première fois en avril 1993, elle y est revenue en septembre de la même année.  En avril 1994, elle a fait un bref séjour au Mexique pour y faire en vain une demande de résidence permanente au Canada.  Par la suite, elle s'est vu délivrer à diverses reprises un visa de visiteur, mais a prolongé son dernier séjour après l'expiration du visa.  C'est pourquoi le 23 juin 1995, elle a fait l'objet d'un avis d'interdiction de séjour, mais n'a pas quitté le Canada en attendant l'issue de sa demande d'autorisation d'appel contre cette décision.  Elle a aussi reçu une offre d'emploi validée par le Centre d'emploi du Canada en juillet 1995 pour un poste de démarcheuse d'un fonds fiduciaire de bourses d'études.  Le 30 janvier 1996, elle quitte le Canada pour Hong Kong en vue de son entrevue avec l'agent des visas au sujet de sa demande de permis de travail.  Le 1er février 1996, elle reçoit la décision en cause.  Elle demande un réexamen des résultats de son entrevue, mais cette demande est rejetée par lettre en date du 5 février 1996, par ce motif que la première entrevue était équitable et la décision de l'agent des visas, raisonnable.  Le 23 février 1996, dans le dossier IMM-1750-95 en Cour fédérale, le juge Denault a rejeté sa demande d'autorisation de recours contre l'avis d'interdiction de séjour du 23 juin 1995.

 

MOTIFS DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

A)L'agent des visas n'a pas observé les règles d'équité procédurale et de justice naturelle

 

            L'argumentation de la requérante

            La requérante soutient que l'agent des visas n'a pas observé les règles d'équité procédurale et de justice naturelle faute d'avoir instruit objectivement son cas.  En premier lieu, dit-elle, son entrevue avec cet agent n'a duré en tout et pour tout que dix minutes au comptoir du bureau de celui-ci.  La brièveté de cette entrevue signifie que l'agent avait déjà pris sa décision avant même l'entrevue.  En fait, la requérante fait savoir que l'agent des visas a rédigé la lettre de rejet de sa demande de visa durant l'entrevue même et la lui a remise à la fin de l'entrevue.  En second lieu, elle prétend qu'elle ne s'est pas vu donner la possibilité de réfuter les conclusions défavorables consignées dans la lettre du 1er février 1996.  Pour ce qui est de son séjour prolongé sans autorisation au Canada, elle dit qu'elle a cherché à montrer à l'agent des visas le dossier de son recours en contrôle judiciaire en Cour fédérale, mais que celui-ci ne lui en a pas donné l'occasion.

 

            L'argumentation de l'intimé

            L'intimé a produit un affidavit de James Gill, l'agent des visas, qui y affirme qu'il ne s'était pas déjà fait une opinion avant de procéder à l'entrevue de la façon habituelle et au lieu habituel.  Il a certes rempli certains blancs de la lettre en date du 1er février 1996 en présence de la requérante, mais à la fin de l'entrevue.  M. Gill déclare encore qu'il a fait part à la requérante de ses préoccupations quant à l'ambition manifestée par celle-ci de demeurer au Canada au-delà de la durée de son emploi d'un an, et que la réponse donnée à ce sujet n'était pas satisfaisante.  Il déclare enfin dans son affidavit qu'à l'époque, il était au courant de la demande pendante de la requérante d'autorisation d'appel contre l'avis d'interdiction de séjour, mais qu'il n'avait nullement besoin de prendre connaissance de son dossier en Cour fédérale.

 

B)L'agent des visas a commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire

 

            L'argumentation de la requérante

            La requérante soutient aussi que l'agent des visas a commis une erreur de droit pour avoir outrepassé ses pouvoirs.  Celui-ci a cité entre autres le fait qu'elle avait précédemment prolongé son séjour sans autorisation pour lui refuser son permis de travail.  Dans la lettre datée du 1er février 1996, il avait expressément fait référence à l'alinéa 94(1)k) de la Loi sur l'immigration, qui est la disposition relative aux infractions et aux sanctions y afférentes.  La requérante soutient qu'un agent des visas n'est pas habilité à poursuivre et à déclarer une personne coupable sous le régime de cette disposition.  En tirant une conclusion en application de l'alinéa 94(1)k), il a outrepassé sa compétence.

 

            L'argumentation de l'intimé

            L'intimé réfute les conclusions de la requérante en matière de compétence en faisant valoir que l'agent des visas n'a rendu aucun jugement.  Il devait tenir compte des visites précédentes de la requérante au Canada puisqu'il s'agissait là d'un facteur à prendre en considération pour décider s'il y avait lieu d'accorder un permis de travail.  L'intimé reconnaît que l'agent des visas a commis une erreur en citant l'alinéa 94(1)k), mais que cette erreur était bénigne et n'avait aucun effet sur la décision de ne pas accorder le visa de visiteur.

 

ANALYSE

A)L'agent des visas a-t-il manqué aux règles d'équité procédurale et de justice fondamentale?

            Je conclus que l'agent des visas n'a manqué ni aux règles d'équité procédurale ni aux règles de justice fondamentale.  La durée de l'entrevue est-elle un facteur crucial pour démontrer qu'il s'était déjà fait une opinion avant même que cette entrevue ne s'ouvrît?  M. Gill, l'agent des visas, ne conteste pas l'affirmation faite par la requérante que l'entrevue durait juste dix minutes.  Cependant, la règle audi alternam partem ne dit pas pendant combien de temps il faut laisser la parole à l'autre partie.  Le fait que cette entrevue était relativement brève pourrait indiquer à tout le moins un examen cursif du dossier de la requérante.  L'équité est bien affaire de perception.  Puisque l'agent des visas aurait commencé à remplir la formule en cours d'entrevue, il est peu probable qu'il ait longuement examiné le dossier de la requérante au fond.  Cependant, la lettre de rejet elle-même est un formulaire imprimé.  Voici ce que l'agent des visas déclare dans son affidavit : [TRADUCTION] «Je me souviens que j'ai rempli les blancs dans la lettre de rejet devant la requérante avant la fin de notre entrevue» (Dossier de l'intimé, page 6, par. 17).

 

            C'est la teneur, et non la durée, de l'entrevue qui permet de vérifier si les règles d'équité procédurale et de justice naturelle ont été respectées (Dossier de l'intimé, page 30, par. 12).  Les pages 19 à 23 du dossier de l'intimé représentent les notes qu'a prises M. Gill lors de l'entrevue, lesquelles notes, manuscrites, sont jointes à son affidavit.  M. Gill a pris note des questions qu'il posait ainsi que des réponses que faisait la requérante.  Il appert que l'entrevue couvrait une gamme relativement étendue de sujets, puisque les notes révèlent des questions sur la nature de l'emploi offert à la requérante au Canada et sur ses visites, départs et sources de revenu précédents au Canada.  En fait, le fait que la requérante avait auparavant demandé en vain la résidence permanente au Canada, qui est un point important qu'elle n'a pas révélé dans sa demande de permis de travail, a été évoqué durant l'entrevue.  Ce fait est révélateur du caractère minutieux de l'entrevue et réfute l'argument de la requérante que sa brièveté constitue un déni de justice naturelle.

 

            Les mêmes notes manuscrites réfutent aussi l'affirmation de la requérante qu'elle ne s'est pas vu donner la possibilité de répondre aux conclusions défavorables de l'agent des visas.  Dans Basco c. Canada (M.E.I.), 43 F.T.R. 233, il a été jugé que dans la mesure du possible, il faut donner au demandeur la possibilité de répondre aux conclusions défavorables de l'agent des visas.  Selon M. Gill, il a fait part à la requérante de ses appréhensions au sujet des visites précédentes de cette dernière au Canada, au cours desquelles elle avait prolongé son séjour après l'expiration du visa (Dossier de l'intimé, pages 3 à 5, par. 8, 10, 12).  En particulier, l'agent des visas affirme dans son affidavit : «J'ai dit à la demanderesse qu'elle n'était pas une visiteuse authentique.  En guise de réponse, elle a produit une copie des documents déposés en Cour fédérale» (Dossier de l'intimé, paragraphe 13).  Le fait que l'agent des visas n'a pas examiné le dossier de la Cour fédérale n'efface pas l'impression générale d'équité.  Il a donné à la requérante la possibilité de répondre à ses appréhensions.

 

B)L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire?

            La question d'erreur de droit n'est pas si simple, bien qu'à mon avis, il n'y ait aucune raison d'infirmer la décision attaquée sous ce chef.  Il est cependant indubitable que l'agent des visas a commis une erreur.  La question qui demande une réponse est de savoir si cette erreur suffit pour justifier le contrôle judiciaire de la décision.  Quelle en est la nature?  En prenant en compte les séjours précédents de la requérante au Canada, l'agent des visas a cité à tort une disposition spécifique de la Loi sur l'immigration.  On peut lire ce qui suit dans sa lettre du 1er février 1996 : «Vous avez séjourné au Canada alors que vous n'aviez plus la qualité de visiteuse, en contravention à l'alinéa 94(1)k) de la Loi sur l'immigration» [non souligné dans l'original].

 

            L'alinéa 94(1)k) prévoit ce qui suit :

 

Commet une infraction quiconque n'ayant plus la qualité de visiteur, demeure au Canada sans l'autorisation écrite d'un agent d'immigration;

 

            L'agent des visas n'a été saisi d'aucune preuve que la requérante eût jamais été poursuivie au pénal sous le régime de l'alinéa 94(1)k).  Il se peut qu'elle soit poursuivie à l'avenir sous ce chef, mais il n'appartenait à l'agent des visas de se prononcer sur sa responsabilité pénale au cours d'une entrevue sur la demande de permis de travail.  La question se pose toujours de savoir s'il a effectivement outrepassé sa compétence du seul fait qu'il a cité cette disposition de la Loi.  Il n'accusait pas la requérante mais présumait que par ses séjours prolongés sans autorisation, elle avait enfreint l'alinéa 94(1)k).  Cette présomption constitue-t-elle une erreur de compétence et, partant, une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire?  L'erreur n'est pas grave en soi et elle n'est pas un facteur déterminant de la décision.  Il serait parvenu à la même conclusion s'il n'avait pas cité cette disposition spécifique de la Loi.  Il aurait pu se contenter de noter : «Vous avez précédemment séjourné au Canada alors que vous n'aviez plus la qualité de visiteuse».  Il est important de se rappeler que son erreur ne consistait pas à prendre en compte les séjours précédents sans autorisation de la requérante au Canada alors qu'elle n'avait plus qualité de visiteuse, mais à citer expressément l'alinéa 94(1)k) comme étant l'article applicable de la Loi sur l'immigration.  Je note que sa décision était éminemment raisonnable.  Il a pris en considération des facteurs hautement pertinents comme les visites précédentes de la requérante au Canada pour décider si elle pourrait chercher à demeurer au Canada après l'expiration de son permis de travail.  Il ne trouvait pas satisfaisantes ses réponses sur ses sources de revenu antérieures au Canada et sur ses intentions en matière de résidence permanente.  En fait, comme noté supra, elle n'a pas mentionné dans la demande de permis de travail la demande de résidence permanente qu'elle avait faite en vain au Mexique.  Celle-ci n'a été révélée que dans le cours de l'entrevue.  L'agent des visas a pris note, dans son aide-mémoire manuscrit de l'entrevue, de cette demande antérieure de résidence permanente, qui n'avait pas été accueillie.  Par ce motif et par d'autres, y compris l'incertitude des liens entre la requérante et son pays d'origine ainsi que le séjour prolongé sans autorisation qu'elle avait précédemment fait au Canada, il était en droit de conclure des preuves produites par elle que la requérante n'était pas une visiteuse authentique.

 

CONCLUSION

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                                                                                     Signé : Max M. Teitelbaum      

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 27 février 1997

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Francisca Rusli

 

                                                            c.

 

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   IMM-533-96

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 26 février 1997

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

LE :                                                    27 février 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

Mme Nicola Linton                                          pour la requérante

 

 

M. David Hansen                                            pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Evans, Goldstein & Eadie                              pour la requérante

 

 

George Thomson                                             pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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