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Date : 20040521

Dossier : T-309-02

Référence : 2004 CF 749

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 MAI 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                   LA Dre MARGARET HAYDON

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                   REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 25 janvier 2002 par Joseph W. Potter, vice-président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, siégeant à titre d'arbitre. La décision se rapportait au grief déposé par la Dre Haydon par suite d'une suspension disciplinaire de dix jours, imposée après la publication, dans l'édition du Globe and Mail du 9 février 2001, de remarques qu'elle avait faites, à savoir que l'interdiction d'importer du boeuf brésilien [traduction] « pour le gouvernement du Canada, c'était plus une manoeuvre politique qu'une intervention en matière de santé » et qu'elle ne [traduction] « cro[yait] pas qu'il y ait une différence quelconque [du risque] entre le boeuf brésilien et le boeuf canadien » . L'arbitre a conclu à l'existence d'un fondement justifiant une sanction disciplinaire, mais il a réduit la durée de la suspension à cinq jours.

HISTORIQUE

[2]                La demanderesse est évaluateure des médicaments au Bureau des médicaments vétérinaires (le BMV), à Santé Canada, poste qu'elle occupe depuis 1983. Elle est titulaire d'un doctorat en médecine vétérinaire du Western College of Veterinary Medicine, université de la Saskatchewan. Avant de travailler comme évaluateure des médicaments, elle avait exercé sa profession de vétérinaire en Alberta, en Saskatchewan et en Ontario. Pendant les dix années où elle a exercé sa profession avant de commencer à travailler à Santé Canada, elle s'occupait directement d'animaux destinés à l'alimentation, en particulier les vaches. Dans le cadre de sa formation continue en sa qualité de vétérinaire et à cause de son travail précis au sein du BMV, elle a continué à s'intéresser à l'encéphalopathie spongiforme bovine (l'ESB), communément connue sous le nom de la maladie de la vache folle et, d'une façon plus générale, aux encéphalopathies spongiformes transmissibles (les EST).


[3]                En 1998, le Canada a élaboré une politique d'interdiction de l'entrée au Canada d'animaux vivants venant d'un pays où l'on avait constaté des cas de maladie de la vache folle ou encore d'un pays où l'on avait déterminé qu'il existait des facteurs de risque de cette maladie. Le Brésil était l'un de six pays auxquels le Canada avait demandé, par l'entremise du Dr Evans, vétérinaire en chef et directeur exécutif de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'ACIA), de fournir des renseignements qui lui permettraient d'évaluer les risques. Au mois de décembre 2000, le Brésil avait produit une partie des renseignements, mais pas tous les renseignements, que le Dr Evans jugeait nécessaires. Par la suite, le 26 janvier 2001, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (l'OAA) a publié un communiqué de presse, à Rome, conseillant à tous les pays d'être vigilants pour éviter d'importer des animaux atteints de la maladie de la vache folle. Le 30 janvier 2001, en réponse à ce communiqué de l'OAA, le Brésil a publié lui aussi un communiqué de presse contredisant sur certains points les renseignements que le Dr Evans avait obtenus en réponse au questionnaire d'évaluation des risques.


[4]                Fondamentalement, pour le Dr Evans, cela signifiait que le Brésil n'avait pas de mécanismes de contrôle suffisants des animaux importés d'autres pays. Or, comme le Brésil avait importé des animaux de pays où la maladie de la vache folle sévissait et qu'il ne pouvait pas préciser où ces animaux se trouvaient, le Dr Evans a conclu qu'il fallait prendre des mesures immédiates. Il a consulté des collègues européens, qui ont exprimé des préoccupations au sujet du fait que le bétail importé au Brésil provenait peut-être d'exploitations agricoles contaminées; il a également consulté des collègues américains et mexicains, qui ont exprimé des préoccupations similaires et qui voulaient agir de concert avec le Canada pour protéger le public nord-américain. Le 1er février 2001, le Dr Evans a recommandé au ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire de suspendre l'importation de produits à risque, y compris le boeuf en boîte et l'extrait de boeuf, provenant du Brésil.

[5]                À la suite de la mesure prise par le Canada, 32 autres pays ont adopté la même approche.

[6]                Une décision telle que l'interdiction nécessitait des rencontres avec des représentants d'un certain nombre d'autres ministères ayant des intérêts connexes, et notamment des discussions avec le ministère des Affaires étrangères, qui avait exprimé des réserves quant au choix du moment d'annoncer l'interdiction. En effet, à ce moment-là, des discussions étaient en cours avec l'Organisation mondiale du commerce (l'OMC) au sujet du différend commercial mettant aux prises le Canada et le Brésil au sujet de deux avionneurs. Les deux sociétés en cause étaient Bombardier, au Canada, et Embraer SA, au Brésil.


[7]                Le fait que le moment auquel l'interdiction avait été imposée coïncidait avec le différend commercial était reconnu par le gouvernement, qui n'a pas du tout ignoré la chose. De fait, dans un document secret intitulé [traduction] « Approche à adopter à l'égard des communications relatives à la suspension de l'importation des produits d'animaux du Brésil et rappel possible des produits brésiliens importés » , on reconnaît que des motifs convaincants devraient être fournis pour expliquer le moment où ces mesures avaient été prises. Ce document est libellé comme suit :

[traduction]

[...]

Questions commerciales

Il s'avère nécessaire de suspendre maintenant l'importation de produits d'origine animale du Brésil, mais malheureusement la chose peut être perçue comme une mesure de représailles résultant du différend qui oppose le Canada et le Brésil sur des questions concernant l'industrie aérospatiale.

Considération stratégique : Il importe, à l'échelle internationale, de définir la question comme étant une mesure prise par le Canada pour des raisons de santé publique plutôt que pour des raisons d'ordre commercial. Il faut souligner que le Brésil n'est pas pris à partie, mais qu'en fait, il est le seul pays qui ne s'est pas conformé aux demandes que le Canada a faites pour obtenir des renseignements en vue de déterminer quelle est la situation pour ce qui est de l'ESB. Il faut signaler que le Canada a accordé au Brésil amplement de temps pour répondre à la demande, mais que compte tenu de nouveaux éléments de preuve récemment obtenus au sujet de l'ESB, le Canada doit prendre immédiatement des mesures réfléchies et prudentes.

Les partenaires de l'ALENA devraient être informés de la situation, de façon à faciliter une approche uniforme sur la question. Leurs positions devraient être surveillées et des mesures additionnelles devraient au besoin être prises.

[...]

[8]                Santé Canada participait à la décision de suspendre l'importation du boeuf brésilien puisque c'est ce ministère qui établit les politiques et normes appliquées par l'ACIA. La politique élaborée à cet égard l'a été par des experts à Santé Canada de concert avec des employés de l'ACIA. Toutefois, la demanderesse ne faisait pas partie du groupe consulté. Il a été confirmé devant l'arbitre que la décision de suspendre l'importation de boeuf brésilien a été prise par l'ACIA et non par Santé Canada.


[9]                Le 7 février 2001, le Dr Evans a parlé à son homologue brésilien; il a décidé qu'il fallait aller au Brésil pour procéder à une évaluation sur place. Il a ensuite été décidé qu'une équipe multidisciplinaire composée de représentants du Canada, des États-Unis et du Mexique se rendrait au Brésil. L'équipe devait quitter le Canada le 13 février 2001.

[10]            Le 8 février 2001, la demanderesse a reçu chez elle un appel téléphonique de Mark MacKinnon, un reporter au Globe and Mail, qui voulait lui poser des questions au sujet de l'interdiction imposée à l'égard du boeuf brésilien. Une conversation a eu lieu entre M. MacKinnon et la demanderesse, qui a alors informé celui-ci des préoccupations qu'elle avait sur le plan de la santé et de la sécurité au sujet de l'ESB. Toutefois, comme nous le verrons, il n'était pas fait état de ces préoccupations dans l'article publié le lendemain matin, soit le 9 février 2001.

[11]            Ce jour-là, on pouvait lire à la une du Globe and Mail que [traduction] « [s]elon les scientifiques, l'interdiction imposée au Brésil par suite de la maladie de la vache folle est un "stratagème" » . L'article en question disait ce qui suit :

[traduction] Les experts fédéraux affirment que des questions politiques, plutôt que des questions de sécurité, ont amené Ottawa à mettre fin aux importations de boeuf

MARK MacKINNON, OTTAWA

L'interdiction prêtant à controverse imposée par le Canada à l'égard du boeuf brésilien est un stratagème fondé sur des faux-fuyants politiques et sur une guerre commerciale plutôt que sur des préoccupations liées à la santé, selon deux scientifiques de haut niveau à Santé Canada.


Au cours d'interviews avec le Globe and Mail, ces scientifiques ont affirmé qu'il n'existe aucun argument soutenable permettant de s'en prendre aux produits du boeuf brésilien plutôt qu'à ceux qui sont importés d'autres pays. L'un de ces scientifiques a ajouté que des gestionnaires avaient décidé de l'interdiction sans consulter les scientifiques qui étudient en fait la question.

« Nous, les scientifiques, n'avons pas été consultés » a affirmé un scientifique de haut niveau qui connaissait le dossier et qui a demandé à ne pas être nommé. « Le boeuf brésilien ne présente à notre connaissance aucun danger, pas plus que celui provenant d'un autre pays. Pourquoi pas l'Australie, l'Argentine, l'Inde ou un autre pays d'où nous importons du boeuf? Pourquoi le Brésil? Il s'agit d'une guerre commerciale. »

La semaine dernière, le Canada a interdit les produits du boeuf brésilien, en invoquant le « risque théorique » que ces produits soient contaminés par la maladie de la vache folle. Or, il n'y a jamais eu de cas de cette maladie au Brésil alors qu'il y en a eu un au Canada en 1993.

En fait, certains experts disent que le boeuf brésilien est parmi les plus sûrs au monde, parce que depuis 1983, un grand nombre de troupeaux sont nourris à l'herbe. Or, la maladie de la vache folle, connue sous le nom scientifique d'encéphalopathie spongiforme bovine, se propage chez des animaux qui reçoivent comme aliments des parties d'animaux morts. Cette pratique était légale au Canada jusqu'en 1997.

Le scientifique de haut niveau a affirmé qu'à son avis, ce qui était arrivé au boeuf brésilien était un stratagème.

« Ils faisaient déjà face à une querelle avec le Brésil à cause de l'affaire des avions et de l'OMC. Ils croyaient pouvoir frapper le Brésil, étant donné que le Canada n'importe de toute façon pas beaucoup de boeuf de ce pays. »

Le scientifique affirme que Santé Canada bénéficie également de la perception selon laquelle des mesures sont prises pour contrer la propagation de la maladie de la vache folle.

Margaret Haydon, scientifique à Santé Canada, qui a déjà été réprimandée pour s'être élevée contre les pressions internes qui étaient exercées pour que l'on approuve une hormone de croissance bovine controversée, a également dit qu'elle croit que l'interdiction n'a rien à voir avec des préoccupations liées à la santé.

« À mon avis, je ne crois pas qu'il y ait une différence quelconque [du risque] entre le boeuf brésilien et le boeuf canadien. Avec le différend sur les avions, pour le gouvernement du Canada, c'est plus une manoeuvre politique qu'une intervention en matière de santé. »

L'interdiction a suscité beaucoup de tumulte au Brésil, où l'on croit que cette action est liée à un différend commercial continu entre les deux pays au sujet d'un avionneur établi à Montréal, Bombardier Inc., qui s'est vu accorder des subventions, et de sa rivale brésilienne, Embraer SA.


Par suite de cette affaire, le Canada a suscité du ressentiment dans ce pays d'Amérique du Sud. Les propriétaires de restaurants ont commencé à afficher des avis indiquant qu'ils ne vendaient pas de produits alimentaires canadiens et ils ont jeté le contenu de bouteilles de whisky canadien.

Les politiciens brésiliens envisagent de bloquer l'importation de produits canadiens et parlent de se retirer d'un accord de libre-échange proposé entre les Amériques à cause de l'interdiction et du différend relatif aux avions. Le Brésil envisage également de poursuivre le Canada devant la Cour internationale de Justice, à La Haye.

Les manifestants à Brasilia ont livré hier une vache à l'ambassade du Canada et ont proposé de faire un barbecue pour prouver qu'il n'y avait pas de danger. L'attaché commercial de l'ambassade, Jose Herran-Lima, a déclaré qu'il attendrait que le Canada soit certain qu'il n'y a pas de maladie de la vache folle au Brésil pour faire le barbecue.

Le ministre de l'Industrie, Brian Tobin, qui est aux prises avec le dossier brésilien depuis qu'il a annoncé le mois dernier que de nouvelles subventions de 2 milliards de dollars seraient accordées à Bombardier, a nié hier l'existence de quelque lien que ce soit entre le différend commercial et l'interdiction imposée sur le boeuf.

« Je crois qu'il est important que la population brésilienne se rende compte de la chose. Il s'agit purement d'une question alimentaire, purement d'une question de sécurité. »

Le Canada importe chaque année du boeuf brésilien représentant uniquement environ 10 millions de dollars, en général du boeuf en boîte, mais l'interdiction a été préjudiciable. En effet, les États-Unis et le Mexique, qui ont conclu l'accord de libre-échange avec le Canada, se sont vus obligés de suivre même s'ils ont depuis lors annoncé que l'interdiction était à l'étude.

Micheal McBain, coordonnateur national pour la Coalition canadienne de la santé, a dit que si le Canada avait vraiment voulu réprimer l'ESB, il aurait pris des mesures beaucoup plus générales et ne se serait pas contenté de cibler le boeuf brésilien. Il a signalé que, selon Statistique Canada, le Canada a importé, entre 1996 et l'an 2000, 2,8 millions de kilogrammes de produits de viande de pays européens où l'on sait qu'il y a eu des poussées de la maladie de la vache folle.

« Cette action contre le Brésil n'a absolument aucune crédibilité en tant que mesure sanitaire. Ils ont choisi un pays qui était au bas de la liste de risques - il ne peut pas y avoir de viande plus sûre » , a-t-il dit. « Tout semble indiquer qu'il s'agit d'un prétexte inventé de toutes pièces. »

Avec un compte rendu d'Agence France Presse

[Non souligné dans l'original.]


[12]            Comme nous pouvons le constater, la demanderesse est désignée comme étant une [traduction] « scientifique à Santé Canada qui a déjà été réprimandée pour s'être élevée contre les pressions internes qui étaient exercées pour que l'on approuve une hormone de croissance bovine controversée » , mais cet article ne traite pas directement des préoccupations de la demanderesse au sujet de l'EST. L'article met l'accent sur le différend commercial avec le Brésil et sur la question de savoir si l'interdiction est un prétexte. Ceci dit, la demanderesse admet que l'article précité faisait avec exactitude état des deux remarques qu'elle avait faites en réponse aux questions de M. MacKinnon. Devant l'arbitre, la demanderesse a expliqué que l'article en question ne faisait pas mention des commentaires beaucoup plus longs qu'elle avait formulés au sujet des questions de santé et de sécurité. De fait, la demanderesse a soutenu que ses déclarations avaient été prises hors contexte. Elle ne voulait pas parler du bétail brésilien avec M. MacKinnon. Elle voulait plutôt exprimer son inquiétude au sujet des nombreux produits qui sont importés au Canada, qui contiennent des produits d'origine animale, et qui sont difficiles à déceler, ou dont la provenance n'est pas bien connue. Ainsi, la demanderesse a expliqué qu'elle avait dit à M. MacKinnon que la gélatine provenant du bétail peut être utilisée dans des produits médicaux, dans des comprimés médicamenteux enrobés de gélatine et dans la fabrication de bonbons et d'aliments. Les vaccins, le bouillon de boeuf, le sérum embryonnaire de veau, les saucisses de spécialité utilisant du tissu cérébral comme substance agglutinante et de nombreux autres produits peuvent à l'insu du public contenir des produits de boeuf. Or, il arrive souvent que l'origine de ce boeuf ne soit pas connue.


[13]            Il n'est pas surprenant que, dans l'article en question, il n'ait pas été fait état des préoccupations que la demanderesse avait au sujet de l'ESB et de l'EST. Au moment où cet article a été publié, la question du boeuf brésilien était devenue une question d'actualité parce que, quelques jours plus tôt, il avait été décidé de suspendre l'importation de boeuf brésilien. Ceci dit, la demanderesse n'était pas membre de l'équipe scientifique que Santé Canada avait constituée pour apprécier les répercussions des maladies infectieuses en question et la section pour laquelle la demanderesse travaillait n'était pas chargée de pareille appréciation. Or, la demanderesse a néanmoins convenu de formuler en public des commentaires sur le bien-fondé de l'interdiction.


[14]            Compte tenu des commentaires de la Dre Haydon dont il a ci-dessus été question, lesquels ont été publiés le 9 février 2001, le vétérinaire en chef aux États-Unis a appelé le Dr Evans et a remis en question la position initiale de Santé Canada et ce nouveau point de vue. Le Dr Evans a indiqué qu'il n'avait rien reçu de Santé Canada qui montre que le ministère retirait son appui; par conséquent, la position officielle n'avait pas changé. De plus, le vétérinaire en chef auprès du gouvernement brésilien a communiqué avec le Dr Evans et a tenté de faire annuler un voyage qui devait bientôt être effectué parce que les préoccupations exprimées ne semblaient pas être liées à la santé. Le Dr Evans a expliqué à son homologue brésilien que le voyage était essentiel afin de mener à bonne fin une évaluation sur place et de déterminer si le Canada devait revenir sur sa décision. Devant l'arbitre, le Dr Evans a témoigné qu'un certain nombre de membres du personnel technique, qui se seraient par ailleurs préparés pour le voyage à venir du 13 février 2001, ont dû être réaffectés afin de s'occuper de la multitude de notes d'information préparées pour le ministre à la suite des commentaires de la demanderesse qui avaient été publiés dans le Globe and Mail. Lorsque l'équipe multidisciplinaire est arrivée au Brésil, il a fallu prendre des dispositions pour assurer la sécurité; le Dr Evans lui-même s'est vu offrir les services d'un gardien de sécurité pour son hôtel. Il a dû changer d'hôtel pour des raisons de sécurité.

[15]            Le 12 février 2001, par suite des commentaires attribués à la Dre Haydon dans l'article du Globe and Mail, Diane Kirkpatrick, responsable de la section où travaillait la demanderesse, a demandé à cette dernière d'assister à une rencontre qui visait à permettre de déterminer si les propos qui lui avaient été attribués dans le Globe and Mail étaient exacts et à entendre les explications de la demanderesse. Ce n'était pas la première fois que les commentaires formulés par la demanderesse avaient été relatés par la presse ou que la demanderesse avait fait l'objet de mesures disciplinaires par suite de positions qu'elle avait publiquement prises.


[16]            Le 11 juin 1998, la demanderesse et l'un de ses collègues, Shiv Chopra, ont été interviewés à Canada AM, une émission nationale de télévision qui est diffusée le matin sur le réseau CTV. Pendant l'interview, ils ont exprimé de sérieuses préoccupations au sujet de la procédure d'examen des médicaments et des répercussions que ces problèmes pouvaient avoir sur la santé des Canadiens. Environ deux semaines après l'interview, M. Chopra a été réprimandé et la demanderesse a reçu une lettre de directive lui demandant de respecter la politique et les procédures ministérielles concernant les contacts avec les médias. Il semble qu'à ce moment-là, la demanderesse ait indiqué à son employeur que c'étaient les réalisateurs de l'émission de télévision qui avaient communiqué avec elle et qu'elle n'était pas au courant de la politique et des procédures du gouvernement relativement aux contacts avec les médias. Les deux employés ont déposé un grief. La demanderesse a soutenu que la lettre de directive constituait une réprimande écrite et une mesure de représailles à l'égard des droits et obligations qu'elle avait en sa qualité de fonctionnaire. Les deux griefs ont été rejetés par le sous-ministre délégué qui a décidé que, même si les fonctionnaires jouissent de la liberté d'expression, ils n'ont pas la faculté de critiquer en public et d'une façon déraisonnable la façon dont les ministères du gouvernement s'acquittent de leurs responsabilités. Le 5 septembre 2000, la présente cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire qu'ils avaient déposée. La décision du sous-ministre délégué a été annulée et l'affaire a été renvoyée à celui-ci avec la directive selon laquelle il devait examiner les griefs conformément aux motifs prononcés par la Cour (Haydon c. Canada, [2000] A.C.F. no 1368 (C.F. 1re inst.) (QL), (2000), 192 F.T.R. 161). Je ferai ci-dessous des remarques au sujet de cette décision dans la section des présents motifs où figure l'analyse.


[17]            Après l'interview à Canada AM au mois de juin 1998, la demanderesse a continué à exprimer publiquement ses inquiétudes sur des questions de santé et de sécurité liées à l'utilisation d'hormones de croissance et à l'inspection des produits du boeuf. Quelques mois à peine avant la publication de l'article du Globe and Mail, dans un article du quotidien La Presse en date du 23 novembre 2000, il était mentionné que la demanderesse était un expert et qu'elle maintenait que des pressions étaient exercées sur les scientifiques pour qu'ils approuvent des produits et affirmait ne consommer que du boeuf provenant de petites exploitations biologiques. Dans l'édition du 24 novembre 2000 du quotidien Le Devoir, la demanderesse a exprimé des préoccupations au sujet de l'utilisation au Canada d'hormones de croissance qui sont prohibées en Europe. La demanderesse affirmait également que Santé Canada ne faisait aucun cas de l'avis de ses experts. Dans un reportage daté du 7 janvier 2001, la demanderesse se demandait pourquoi il devrait y avoir des substances carcinogènes dans les aliments alors que ces substances ne comportent aucun avantage. Le reportage soulevait des questions au sujet du fait que, dans certains cas, le boeuf est assujetti à une interdiction en Europe, mais pas au Canada. Apparemment, aucune de ces déclarations publiées plus récemment n'a entraîné de sanctions disciplinaires contre la demanderesse. Devant l'arbitre, la demanderesse a témoigné que le fait qu'elle n'avait pas subi de mesures disciplinaires dans ces cas-là l'avait amenée à croire que l'employeur n'aurait pas d'objections aux déclarations qu'elle avait faites au Globe and Mail au mois de février 2001.

[18]            Pour revenir à la rencontre du 12 février 2001, Mme Kirkpatrick a indiqué à la fin de la rencontre qu'elle examinerait les renseignements et qu'elle informerait la demanderesse de ce qui allait se passer. Madame Kirkpatrick a initialement suspendu la demanderesse pour une période de dix jours. La lettre de suspension datée du 20 février 2001 est en partie ainsi libellée :

[traduction]

[...]

Dans cet article, vous êtes citée ainsi : « À mon avis, je ne crois pas qu'il y ait une différence quelconque [du risque] entre le boeuf brésilien et le boeuf canadien. Avec le différend sur les avions, pour le gouvernement du Canada, c'est plus une manoeuvre politique qu'une intervention en matière de santé. »


Le 12 février 2001, on vous a offert la possibilité d'expliquer les circonstances qui avaient entouré votre décision de parler aux médias. On vous a donné l'occasion de présenter des renseignements ou des éléments de preuve à ce sujet. Vous avez confirmé avoir fait cette déclaration, sans donner de renseignements ou de preuves pour l'étayer. En fait, durant cette rencontre, vous avez refusé de répondre à plusieurs questions directes sur la possibilité que des craintes scientifiques aient inspiré la décision du gouvernement de suspendre l'importation du boeuf et des produits du boeuf brésilien. Quand je vous ai demandé comment votre déclaration était liée à la santé et à la sécurité du public, vous avez répondu que « ... rien n'a été fait à l'égard d'autres produits » , en disant que vous aviez de nombreuses craintes en matière de sécurité, sans toutefois donner d'exemple ni de précisions.

[...]

Vous n'avez donné aucun renseignement ni preuve démontrant que vous vous étiez exprimée sur une question susceptible de constituer un danger pour la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens. D'ailleurs, votre déclaration à la presse précise qu'il ne s'agissait pas d'une question de santé. Vous ne m'avez rien dit qui me permette de conclure que vos propos étaient acceptables pour une fonctionnaire au sens où l'entend la loi. Vous êtes une scientifique de Santé Canada. La nature de votre poste d'évaluateure des médicaments à la Division de l'évaluation clinique des médicaments du Bureau des médicaments vétérinaires vous fait travailler à des dossiers importants et délicats. C'est votre poste qui donnait un intérêt médiatique à vos remarques. Même si vous n'étiez pas partie à la décision du gouvernement et que vous parliez sur un sujet débordant votre champ de compétence comme évaluateure des médicaments, votre déclaration à la presse a donné au public l'impression que vous aviez des connaissances particulières grâce à votre poste. Votre geste compromet votre capacité de vous acquitter impartialement et efficacement des fonctions d'une évaluateure des médicaments dans la fonction publique, ainsi que sa perception aux yeux du public.

[...]

Comme vous le savez, l'obligation de loyauté des fonctionnaires à l'endroit de leur employeur a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Fraser c. CRTFP et récemment confirmée par la Cour fédérale dans Chopra c. Canada/Haydon c. Canada. Ces jugements portent sur l'équilibre à respecter entre le maintien d'une fonction publique impartiale et efficace et la liberté d'expression des fonctionnaires, en précisant les circonstances dans lesquelles il pourrait être acceptable qu'ils critiquent publiquement l'employeur. Vous n'avez pas démontré que vos remarques à la presse ont été faites dans des circonstances exceptionnelles quelconques.

[...]

Après avoir analysé la question et pris compte de ce que vous avez déclaré le 12 février, je juge inacceptable ce genre d'inconduite délibérée. C'était une critique très médiatisée d'une décision gouvernementale ayant des implications tant intérieures qu'internationales. Votre geste était incompatible avec votre responsabilité de fonctionnaire de l'État, et il sape la relation employeur/employé indispensable, en faisant fi de votre obligation de loyauté.


[19]            Devant l'arbitre, la demanderesse a demandé que la suspension soit annulée, qu'elle soit dédommagée de la perte de son salaire et des avantages avec intérêts, que tous les documents connexes soient détruits et enfin, qu'elle soit indemnisée des frais engagés.

LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[20]            L'arbitre a en partie fait droit au grief. Après avoir exposé les faits et cité les positions des parties, il a fourni ses motifs. Son raisonnement pour ce faire est résumé ci-dessous.

[21]            Premièrement, l'arbitre estimait qu'avant de soulever en public une question cruciale concernant la politique du gouvernement, la demanderesse aurait dû soulever la question à l'interne; il se fondait sur les remarques que la juge Tremblay-Lamer avait faites dans la décision Haydon, précitée. Aux paragraphes 74, 78 et 79 de sa décision, l'arbitre a tiré les conclusions ci-après énoncées :

À mon avis, la Cour [dans Haydon, précité] a souligné qu'un fonctionnaire devrait d'abord se servir des mécanismes internes avant d'envisager de critiquer publiquement la politique du gouvernement. En d'autres termes, la première façon pour un fonctionnaire de soulever une question qui critique la politique du gouvernement consiste à en parler à l'interne.

[...]

L'avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée déclare aussi que « rien de ce que Santé Canada aurait pu faire à l'interne ne lui aurait permis de résoudre ses problèmes » . Malheureusement, nous ne saurons jamais si c'est vrai ou faux, parce que la Dre Haydon a décidé de ne pas soulever la question à l'interne. Pourtant, je ne pense pas que ce soit au fonctionnaire de décider si l'employeur est capable de s'occuper de son problème ou pas. C'est plutôt au fonctionnaire de faire connaître ses préoccupations à l'interne, puis d'avoir une discussion exhaustive avec l'employeur à ce sujet.


Par conséquent, la question de savoir si le commentaire de la fonctionnaire s'estimant lésée correspondait aux exceptions décrites par les tribunaux et autorisant des commentaires publics n'a pas besoin d'être tranchée ici, à mon avis, parce que la première condition posée dans le jugement de Madame la juge Tremblay-Lamer, une tentative de résoudre le problème à l'interne, n'a pas été respectée.

[22]            Deuxièmement, l'arbitre estimait que les propos relatés ne se rapportaient pas à la santé et à la sécurité étant donné qu'au contraire, la demanderesse avait mentionné que l'interdiction imposée était plutôt une manoeuvre politique. L'arbitre a donc conclu que les propos relatés n'étaient pas visés par l'exception à la règle d'obligation de loyauté énoncée par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455 (C.S.C.), au paragraphe 41. L'arbitre a donc conclu qu'il y avait eu inconduite coupable et que, cela étant, il convenait d'imposer une sanction disciplinaire.

[23]            Aux paragraphes 80, 81, 82, 83 et 87, l'arbitre a dit ce qui suit :

Toutefois, si je me trompe en arrivant à [la] conclusion [qu'il fallait en premier lieu avoir recours aux mécanismes internes], j'aurais conclu que les déclarations que la Dre Haydon a faites ne correspondaient pas à l'exception à l'obligation de loyauté décrite par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Fraser c. CRTFP, [1985] 2 R.C.S. 455, à la page 470, à savoir :

En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement.


Les déclarations de la Dre Haydon dans la présente affaire révèlent en fait qu'elle estimait qu'il n'était pas question de santé et de sécurité, mais plutôt d'une manoeuvre politique du gouvernement fédéral pour interdire le boeuf brésilien. En réalité, comme le témoignage du Dr Evans l'a démontré, il s'agissait bel et bien d'une question de santé et de sécurité. Par conséquent, les déclarations du Dr Evans portaient sur de telles questions, alors que celles de la Dre Haydon ne portaient fondamentalement pas là-dessus.

Cela dit, je conclus que la Dre Haydon a commis un acte d'inconduite coupable et que, par conséquent, une sanction disciplinaire s'imposait.

L'avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée invoque la défense de tolérance de déclarations analogues. Il prétend que, comme il n'y avait pas eu de sanctions dans des cas de déclarations publiques antérieures, il ne devrait pas y en avoir non plus dans ce cas-ci. Très franchement, je ne vois pas de ressemblance entre les faits en l'espèce et les exemples cités d'autres scientifiques de Santé Canada qui s'étaient exprimés sur différentes questions. En l'occurrence, il s'agit d'une fonctionnaire qui ne s'est pas prévalue du moindre mécanisme interne pour faire valoir ses préoccupations. En outre, il ne s'agissait pas non plus d'une déclaration qui, selon moi, correspond à l'exception établie dans l'arrêt Fraser (supra). D'ailleurs, la Dre Haydon a bel et bien déclaré qu'il ne s'agissait pas d'une question de santé. Les exemples avancés par son avocat pour invoquer une défense de tolérance portent tous sur des questions de santé.

[...]

La preuve a révélé que les commentaires de la Dre Haydon et du scientifique anonyme avaient nui à la décision d'interdire le boeuf brésilien. À mon avis, quelqu'un qui met son nom sur une déclaration publique court le risque qu'on lui attribuera plus ou moins de poids en fonction de la compétence de la personne à qui la déclaration est attribuée. J'estime que le nom de la Dre Haydon avait beaucoup de poids dans ces circonstances. Selon moi, il avait plus de poids qu'une « source anonyme » . Elle était une scientifique de Santé Canada qui déclarait qu'il ne s'agissait pas d'une question de santé. À tout le moins, cela aurait causé de la confusion dans le public, et cela a certainement causé des perturbations au ministère. Les membres de l'équipe multidisciplinaire ont dû cesser de planifier leur voyage au Brésil pour se consacrer plutôt à la préparation de notes d'information pour le Ministre. En outre, l'équipe multidisciplinaire s'est beaucoup inquiétée de sa sécurité pendant son voyage au Brésil.


[24]            Troisièmement, l'arbitre a conclu que, compte tenu des circonstances dans lesquelles les renseignements avaient été divulgués à la presse, la mesure disciplinaire imposée était excessive. La demanderesse n'aurait pas dû formuler en public des critiques au sujet de la politique d'interdiction du boeuf brésilien, mais ce n'était pas elle qui était entrée en contact avec les médias. C'étaient plutôt les médias qui avaient communiqué avec elle. Il s'agissait donc dans une certaine mesure d'une circonstance atténuante. À la lumière de l'ensemble de la preuve qui lui avait été présentée, l'arbitre a conclu que, eu égard aux circonstances, il était plus approprié d'imposer une mesure disciplinaire de cinq jours sans rémunération étant donné qu'une telle mesure montrerait bien qu'il n'était pas acceptable de critiquer en public la politique gouvernementale dans ces conditions et qu'il était à espérer que cette mesure corrective serait suffisante. Cela étant, la demanderesse a été dédommagée des cinq journées de salaire perdu.

MOTIFS DE CONTRÔLE

[25]            La demanderesse demande maintenant à la Cour d'examiner la décision rendue par l'arbitre; elle invoque à cette fin un certain nombre de motifs :

a)          l'arbitre a commis une erreur de droit et a omis à tort d'exercer sa compétence lorsqu'il a conclu que la demanderesse aurait dû épuiser les voies de recours internes sans statuer sur la position prise par cette dernière, à savoir qu'il n'existait aucun recours interne permettant de répondre à ses préoccupations;

b)         l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que les commentaires de la demanderesse ne faisaient pas partie de la catégorie de propos qu'un fonctionnaire peut tenir en public;


c)          l'arbitre a commis une erreur de droit et a omis à tort d'exercer sa compétence en ne traitant pas de la position prise par la demanderesse, selon laquelle la mesure disciplinaire imposée n'était pas appropriée étant donné qu'un autre employé avait pris la parole en public sur la même question sans que des mesures disciplinaires soient prises contre lui;

d)          l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant que l'employeur n'avait pas condamné des déclarations similaires, ce qui aurait amené la demanderesse à croire que ses actions étaient acceptables;

e)          l'arbitre a commis une erreur de droit et a omis à tort d'exercer sa compétence en n'examinant pas carrément les motifs mêmes sur lesquels l'employeur se fondait pour justifier la mesure disciplinaire et en ne se prononçant pas sur ce point;

f)           l'arbitre a commis une erreur de droit et a exercé à tort sa compétence en ne tenant pas dûment compte de la protection de la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne de droits et libertés et en accordant et appliquant à la liberté d'expression, dans le cas de fonctionnaires comme la demanderesse, une portée beaucoup trop stricte;


g)          l'arbitre a commis une erreur de droit et a fondé sa décision sur des facteurs non pertinents, en particulier dans la mesure où il s'est appuyé sur le fait que la demanderesse avait eu gain de cause dans une affaire de liberté de parole dont la Cour fédérale avait été saisie, sur les actions de la demanderesse lors de la rencontre que sa superviseure avait eue avec elle afin de se renseigner sur les faits et sur le fait que la demanderesse n'avait pas le droit d'exprimer une opinion personnelle en public;

h)          l'arbitre a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'il a tirées sans tenir compte des éléments dont il disposait puisqu'il n'a fait aucun cas d'éléments de preuve pertinents, en particulier la preuve concernant l'absence de préjudice causé par la déclaration de la demanderesse et l'opinion publique générale sur la même question, opinion que le public s'était faite avant que la demanderesse fasse sa déclaration;


i)           l'arbitre a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'il a tirées d'une façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, en particulier dans la mesure où il considérait que les commentaires de la demanderesse ne se rapportaient pas à une question de santé alors que la preuve soumise par la demanderesse indiquait le contraire, dans la mesure où il a fait une distinction entre les commentaires de la Dre Haydon et les autres commentaires qui avaient été faits par des employés de Santé Canada en se fondant sur le fait que ces derniers commentaires se rapportaient à des questions de santé, dans la mesure où il n'a fait aucun cas de la preuve montrant que le « préjudice » identifié par l'employeur existait avant que la Dre Haydon ait fait sa déclaration et que ce préjudice s'était atténué à la suite de la déclaration de la demanderesse et, d'une façon générale, dans la mesure où il a conclu que la déclaration de la demanderesse n'était pas acceptable compte tenu du poste qu'elle occupait et de la nature du débat public sur ce point.

NORME DE CONTRÔLE

[26]            Afin d'examiner comme il se doit la décision de l'arbitre, il faut d'abord déterminer la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer. Il existe une certaine controverse à ce sujet étant donné que le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, énonce les motifs précis que le demandeur doit établir pour avoir gain de cause dans une demande de contrôle judiciaire. Cette disposition est libellée comme suit :


(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;


b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(f) acted in any other way that was contrary to law.


[27]            En décidant d'énumérer six motifs distincts de contrôle, le législateur semble avoir délibérément choisi une approche plutôt formaliste à l'égard du contrôle judiciaire, l'accent étant principalement mis sur la nature particulière ou sur la gravité de l'erreur alléguée par le demandeur.

[28]            Une conclusion de fait erronée tirée par un tribunal n'est pas en soi exclue de l'examen judiciaire, mais elle ne devient une erreur susceptible de révision au sens de l'alinéa 18.1(4)d) que si le demandeur est en mesure de convaincre la Cour que l'erreur a été commise « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [le tribunal] dispos[ait] » . Dans l'arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 108, au paragraphe 14, (C.A.F.) (QL), le juge Décary fait les remarques suivantes :


Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait (c'est l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit cette norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression « manifestement déraisonnable » ). Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d'exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées.

[29]            La demanderesse a demandé à la Cour d'autoriser le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. Lorsqu'une demande d'examen soulève des motifs précis d'examen fondés sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, on peut se demander si la Cour doit réellement toujours s'appuyer sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer la norme de contrôle pertinente. Il est bien connu que les tribunaux judiciaires canadiens adoptent maintenant une approche pragmatique et fonctionnelle à l'égard de l'examen d'une décision administrative. Il existe une multitude de décisions guidant la Cour lorsqu'elle examine la décision d'un tribunal administratif. Le juge Iacobucci a résumé avec justesse le droit comme suit dans la décision que la Cour suprême du Canada vient de rendre dans l'affaire Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 (C.S.C.), au paragraphe 1 :

Selon la jurisprudence applicable, une cour saisie en révision d'une décision rendue par un tribunal administratif doit déterminer par l'analyse pragmatique et fonctionnelle le degré de déférence requis à l'égard de cette décision. Le degré de déférence approprié lui permet ensuite de déterminer parmi les trois normes de contrôle celle qu'il doit appliquer à la décision : la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter ou la décision manifestement déraisonnable.

[Non souligné dans l'original.]


[30]            La déclaration qui fait autorité lorsqu'il s'agit de déterminer la norme de contrôle applicable conformément à l'analyse pragmatique et fonctionnelle est énoncée dans les motifs que le juge Bastarache a prononcés dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (C.S.C.); voir également Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 26 (C.S.C.), 2003 CSC 19, où il a été conclu que quatre facteurs doivent être pris en ligne de compte : (1) la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi; (2) l'expertise du tribunal par rapport à celle du juge de révision sur la question en litige; (3) l'objet de la législation et en particulier de la disposition; et (4) la nature du problème.

[31]            Conformément à l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la Loi), un employé peut présenter un grief à l'encontre de la décision de l'employeur à tous les paliers de la procédure de dépôt des griefs prévue par la Loi. Si le grief n'est toujours pas réglé, l'employé peut alors utiliser la procédure prévue à l'article 92 :


92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

[...]

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

(...)


b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(...)

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.


[32]        Dans l'arrêt Green c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 379 (C.A.F.) (QL), la juge Sharlow, au nom de la Cour d'appel fédérale, a dit ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 :

En cas de recours contre la décision rendue par un arbitre sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable; [...] Il échet d'examiner en l'espèce si le juge a correctement appliqué la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contrôle de la décision de l'arbitre.

[Non souligné dans l'original.]

[33]            La différence entre ce qui est « déraisonnable » et ce qui est « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut (Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57 (C.S.C.)). Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt Southam, précité, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a donné les explications suivantes :

Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable. Comme l'a fait observer le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963, « [d]ans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini : "Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente" » . Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu'il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d'être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. Voir National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la p. 1370, juge Gonthier; voir aussi Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 787, au par. 47, le juge Cory. Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira.


[34]            Une décision peut être manifestement déraisonnable si, par exemple, elle n'est pas étayée par la preuve ou si elle est fondée sur un raisonnement illogique. Ainsi, la décision du tribunal doit être maintenue à moins qu'elle ne soit clairement irrationnelle, c'est-à-dire de toute évidence non conforme à la raison (Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, au paragraphe 44 (C.S.C.)).

[35]            Dans l'arrêt Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 79 (S.C.F.P.), [2003] 3 R.C.S. no 77 (C.S.C.), la juge Arbour a confirmé, au paragraphe 14, que la norme de contrôle applicable à la décision d'un arbitre sur la question de savoir si l'employeur peut à juste titre prendre des mesures disciplinaires à l'encontre de l'employé ou congédier l'employé est en général celle de la décision manifestement déraisonnable :

Le juge Doherty a correctement déterminé que la norme de la décision manifestement déraisonnable est la norme générale de contrôle applicable à la décision d'un arbitre sur la question de savoir si l'existence d'un motif valable de congédiement a été établie. Comme il l'a signalé, toutefois, les décisions que les arbitres ont à rendre au cours d'un arbitrage n'appellent pas nécessairement toutes la même norme de contrôle. Cette remarque va dans le sens de la distinction établie par le juge Cory, s'exprimant au nom des juges majoritaires, dans l'arrêt Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, où il a dit, au par. 39 :

Il a été statué à plusieurs reprises que les connaissances et l'expertise que possède un conseil d'arbitrage en matière d'interprétation d'une convention collective ne s'étendent habituellement pas à l'interprétation de mesures législatives extrinsèques. Les conclusions d'un conseil sur l'interprétation d'une loi ou de la common law peuvent généralement faire l'objet d'un examen selon la norme de la décision correcte. [...] Il peut y avoir dérogation à cette règle dans des cas où la loi est intimement liée au mandat du tribunal et où celui-ci est souvent appelé à l'examiner. [Je souligne.]

[Non souligné dans l'original.]


[36]            Il est de droit constant que l'application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle à une question de droit constitutionnel déclenchera normalement l'application de la norme de la décision correcte (Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, au paragraphe 66 (C.S.C.); Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322, au paragraphe 40 (C.S.C.)). Toutefois, lorsque la question de droit relève de l'expertise particulière de l'arbitre, par exemple lorsqu'il s'agit d'interpréter une convention collective, comme c'était le cas dans l'arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General, Workers' Union, Local 92 Voice, [2004] A.C.S. no 2 (C.S.C.), la norme sera celle de la décision raisonnable simpliciter. Aux paragraphes 29 et 30, le juge Major indique ce qui suit :

Le problème qui se pose en l'espèce est une question de droit - en l'occurrence l'interprétation des clauses de la convention collective. Au par. 18 de sa décision, l'arbitre a écrit ceci :

[traduction] On me demande d'examiner les clauses du présent contrat et de décider si l'employeur a le droit de refuser d'embaucher des travailleurs qualifiés assignés par le syndicat. Dans l'examen de cette question, je suis tenue d'interpréter le texte du contrat négocié par les parties en appliquant les principes bien établis d'interprétation des contrats.

De façon générale, les questions de droit font l'objet d'un examen plus minutieux que les autres questions et elles commandent fréquemment l'application de la norme de la décision correcte. Néanmoins, l'interprétation des conventions collectives, comme je l'indique au par. 27, constitue un aspect central de l'expertise de l'arbitre du travail et suggère l'application d'une norme empreinte d'un certain degré de déférence.

Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, il y a lieu dans le présent pourvoi de faire preuve d'un certain degré de déférence envers la décision de l'arbitre, et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l'original.]


[37]            Ceci dit, même s'il y a des questions de droit constitutionnel, cela ne veut pas pour autant dire que la décision du tribunal dans son ensemble est susceptible de révision selon la norme de décision correcte. Dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, aux paragraphes 48 et 49 (C.S.C.), le juge Iacobucci, au nom de la majorité de la Cour (qui s'était prononcée à 4 juges contre un), a écrit ce qui suit :

D'une manière générale, je souscris à la proposition selon laquelle la retenue judiciaire ne s'impose pas à l'égard de l'interprétation, par un tribunal administratif, d'une loi générale d'intérêt public qui n'est pas sa loi constitutive, tout en reconnaissant qu'une certaine retenue peut être indiquée dans des cas où la loi non constitutive se rapporte au mandat du tribunal et où celui-ci est souvent appelé à l'examiner. Cependant, cela ne veut pas dire que chaque fois qu'un tribunal administratif examine une autre loi en rendant sa décision, celle-ci devient dans l'ensemble sujette à un contrôle fondé sur la norme du caractère correct. S'il en était ainsi, il y aurait un élargissement considérable et injustifié des possibilités de contrôler les décisions administratives. De plus, il y a lieu de souligner que la clause privative n'incluait pas les motifs fondés sur une erreur de droit, dont il est question à l'al. 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (modifiée par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). Cela tend à indiquer qu'il y a lieu de faire preuve d'une certaine retenue.

Bien que le Conseil puisse être soumis à la norme du caractère correct dans l'interprétation isolée d'une loi autre que sa loi constitutive, la norme de contrôle applicable à l'ensemble de la décision, à supposer que celle-ci soit par ailleurs conforme à la compétence du Conseil, sera celle du caractère manifestement déraisonnable. Évidemment, la justesse de l'interprétation de la loi non constitutive pourra influer sur le caractère raisonnable global de la décision, mais cela tiendra à l'effet de la disposition législative en question sur la décision dans son ensemble.

[Non souligné dans l'original.]


[38]            En l'espèce, il y a à la fois des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, comme la façon dont il convient de qualifier les commentaires attribués à la demanderesse et les répercussions que ces commentaires ont eues. L'affaire porte également sur l'interprétation qu'il convient de donner à divers prononcés judiciaires relatifs à la question du droit que possède un fonctionnaire de critiquer publiquement le gouvernement (et de la limite de ce droit). À la lumière des remarques susmentionnées et compte tenu de tous les facteurs pertinents, y compris la nature des questions et l'expertise relative de l'arbitre et de la Cour à cet égard, je conclus que la norme de contrôle à appliquer à l'ensemble de la décision rendue par l'arbitre est celle de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, en ce qui concerne plus particulièrement l'interprétation de la Charte, y compris l'étendue et les limites des droits constitutionnels de la demanderesse tels qu'ils ont été définis par les tribunaux judiciaires, la norme de contrôle doit être celle de la décision correcte.

ANALYSE

[39]            La principale question que l'arbitre devait trancher était de savoir s'il existait un motif juste et suffisant permettant de suspendre la demanderesse. Comme il a été dit dans l'arrêt Heustis c. Nouveau-Brunswick (Commission d'énergie électrique), [1979] 2 R.C.S. 768, à la page 772 (C.S.C.), l'arbitre était saisi de trois questions. Premièrement, la demanderesse a-t-elle eu la conduite reprochée? Deuxièmement, la conduite justifiait-elle la prise d'une mesure disciplinaire de la part de l'employeur? Troisièmement, dans l'affirmative, l'inconduite était-elle suffisamment sérieuse pour justifier la suspension de la demanderesse sans rémunération pour une période de dix jours?


[40]            Quant à la première question, la demanderesse ne conteste pas qu'elle a fait les déclarations relatées dans l'article publié dans le Globe and Mail du 9 février 2001. En ce qui concerne la troisième question, l'avocat de la demanderesse concède que l'arbitre possède une expertise particulière dans ce domaine et reconnaît que la demande de contrôle judiciaire vise avant tout à faire annuler la décision contestée, principalement parce que l'arbitre a commis une erreur de fait et de droit en concluant que la conduite de la demanderesse justifiait la prise d'une mesure disciplinaire.

[41]            Par conséquent, il s'agit en fait de savoir si la demanderesse pouvait faire l'objet de mesures disciplinaires parce qu'elle avait fait des déclarations publiques dans lesquelles elle critiquait l'employeur. La position de la demanderesse est qu'elle a le droit d'exprimer son opinion en public conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982 (R.-U.), ch. 11 (la Charte), qui protège son droit à la liberté d'expression. La défenderesse ne conteste pas que l'obligation de loyauté que la demanderesse a envers l'employeur, tel qu'il y a été donné effet par la lettre de suspension du 20 février 2001, limite la liberté d'expression reconnue à l'alinéa 2b) de la Charte. Je suis d'accord. Toutefois, la défenderesse affirme que la mesure disciplinaire est justifiée dans ce cas-ci afin de maintenir une fonction publique impartiale et efficace. À cet égard, la défenderesse soutient que la conduite de la demanderesse n'est pas visée par les exceptions reconnues dans l'arrêt Fraser, précité.


[42]            À mon avis, l'arbitre a abordé l'affaire comme il se doit en se fondant sur les principes directeurs et sur les motifs énoncés par les tribunaux judiciaires et par les arbitres dans un certain nombre de cas.

[43]            Selon un principe de common law bien établi, l'employé est tenu de servir son employeur en toute bonne foi et avec fidélité et il ne doit pas délibérément faire quelque chose qui risque de nuire aux activités de l'employeur (Re Regional Municipality of Hamilton-Wentworth and Canadian Union of Public Employees, Local 167 (1978), 18 L.A.C. (2d) 46; Re Ministry of Attorney General, Corrections Branch and British Columbia Government Employees' Union (1981), 3 L.A.C. (3d) 140, aux pages 158 et 159). Cela étant, le fonctionnaire est tenu de faire preuve de retenue dans ses actions lorsqu'il critique la politique gouvernementale et doit veiller à ce que la fonction publique soit perçue comme s'acquittant de ses fonctions d'une façon impartiale et efficace.

[44]            De fait, les arbitres ont statué que les fonctionnaires (ainsi que tous les employés) violent leur obligation de loyauté s'ils font en public des critiques qui nuisent aux intérêts commerciaux légitimes de leur employeur. Comme il a été indiqué dans l'édition la plus récente de Canadian Labour Arbitration (3e éd.), de Donald J. M. Brown, c.r., et David M. Beatty (Canada Law Book, Inc, Aurora, juillet 2002), à la page 7-117 :


[traduction] Indépendamment de ces conflits d'intérêts directs, les arbitres ont statué que les fonctionnaires et, de fait, tous les employés violent leur obligation de loyauté s'ils formulent en public des critiques qui nuisent aux intérêts commerciaux légitimes de leur employeur. En déterminant si un employé a agi d'une façon inappropriée, les arbitres ont tenu compte de facteurs tels que l'exactitude des critiques ou la véracité des renseignements, la confidentialité des renseignements, la façon dont les critiques ont été faites en public, la mesure dans laquelle la réputation de l'employeur et sa capacité d'exercer ses activités ont été compromises, l'intérêt du public à connaître les renseignements, et ainsi de suite. En appliquant ces facteurs, ils ont statué que les employés peuvent être assujettis à des mesures disciplinaires, et de fait être congédiés, s'ils critiquent en public l'administration de leur employeur lorsque ces attaques comportent un effort concerté pour provoquer l'employeur et gêner ses activités, une dénonciation virulente ou une déformation flagrante de la vérité et lorsque ces questions n'ont pas été acheminées au moyen de mécanismes internes conçus à ces fins. Lorsque les critiques compromettent leur crédibilité, les fonctionnaires peuvent être affectés à d'autres fonctions. Selon plusieurs arbitres, l'enchâssement de la Charte des droits n'influe pas sur ces principes généraux du droit arbitral.

[Renvois omis, non souligné dans l'original.]


[45]            Ceci dit, il faut établir l'équilibre entre la liberté d'expression de l'employé et le désir du gouvernement de maintenir une fonction publique impartiale et efficace. L'obligation de loyauté existant en common law est suffisamment précise pour constituer une limite prescrite « par une règle de droit » , en vertu de l'article premier de la Charte. L'obligation de loyauté qui incombe aux fonctionnaires vise à promouvoir une fonction publique impartiale et efficace, ce qui est essentiel au fonctionnement d'une société démocratique; il s'agit donc d'un objectif pressant et important. Toutefois, l'obligation de loyauté n'exige pas un silence absolu de la part des fonctionnaires; elle englobe des exceptions ou des réserves lorsque, par exemple, le gouvernement accomplit des actes illégaux ou lorsque les politiques du gouvernement mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité du fonctionnaire ou d'autres personnes, ou lorsque les critiques formulées par le fonctionnaire n'ont eu aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Les exceptions à l'obligation de loyauté sont établies afin d'englober des questions d'intérêt public et de faire en sorte que l'obligation de loyauté porte le moins possible atteinte à la liberté d'expression, afin d'atteindre l'objectif d'une fonction publique impartiale et efficace (Fraser, précité, au paragraphe 41; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, au paragraphe 43 (C.S.C.); Haydon, précité, au paragraphe 48).

[46]            Même avant l'adoption de la Charte, il était reconnu que l'obligation de fidélité ne pouvait pas être invoquée contre un employé qui exprimait en public son désaccord avec son employeur dans certaines circonstances. Dans la décision Re Ministry of Attorney General, Corrections Branch, précitée, aux pages 160 et 161, l'arbitre J.M. Weiler fait remarquer ce qui suit :

[traduction] [...] Une « règle du bâillon » absolue semblerait être contre-productive pour l'employeur, car elle empêcherait toute dissidence au sein de l'organisation. Or, les employés dissidents peuvent être une ressource précieuse pour les décideurs au sein de l'entreprise. Bien sûr, cette déclaration ne s'applique pas à ce que l'on pourrait appeler des « mesquineries » , c'est-à-dire les cas où un employé se querelle avec son patron sur des questions courantes de jugement sur le plan commercial, ou calomnie son superviseur ou dénigre l'entreprise. Les dissidents visés sont les employés qui sont mis au courant d'un méfait et qui cherchent à le corriger, qui constatent l'adoption de pratiques ou l'existence de produits susceptibles de mettre en danger la société et qui cherchent à remédier à la situation, ou à qui l'on demande d'accomplir des actes illégaux ou immoraux et qui refusent de les accomplir. S'il n'existe aucune autre voie de recours, il faudrait encourager ces employés à divulguer certains renseignements au public, même si cela constitue peut-être une critique à l'endroit de l'employeur, plutôt que de les dissuader de le faire de crainte de perdre leur emploi.

[...]

À mon avis, chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres, compte tenu entre autres du contenu de la critique, du point jusqu'auquel les renseignements en question sont confidentiels ou délicats, de la façon dont les critiques ont été faites en public, de la véracité ou de la fausseté des déclarations, de la mesure dans laquelle la réputation de l'employeur a été ternie ou compromise, des incidences des critiques sur la capacité de l'employeur d'exercer ses activités, de l'intérêt du public lorsqu'il s'agit d'être mis au courant de certains renseignements et ainsi de suite.


L'obligation de fidélité n'est pas destinée à protéger l'employeur contre toutes les critiques. L'obligation de loyauté de l'employé ne vise pas non plus les personnes notables qui peuvent occuper un poste particulier au sein de la société ou de la bureaucratie. L'obligation de fidélité de l'employé s'applique à l'entreprise plutôt qu'à la personne particulière qui gère l'entreprise. Du même coup, la loyauté d'un fonctionnaire s'applique au gouvernement plutôt qu'au parti politique qui s'adonne à être au pouvoir.

[Non souligné dans l'original.]

[47]            L'arbitre J.M. Weiler explique ensuite qu'il faut [traduction] « soupeser les divers intérêts en jeu » ; il énonce un certain nombre de facteurs qui peuvent être pris en considération à cet égard. Il précise également qu'avant de [traduction] « s'adresser au public » , l'employé doit en premier lieu porter l'affaire à l'attention de l'employeur et se prévaloir des ressources disponibles pour s'assurer de l'exactitude des faits. Aux pages 161 et 162, l'arbitre dit ce qui suit :

[traduction] En déterminant si l'employé qui critique l'employeur a manqué à son obligation de loyauté, de sorte que son employeur peut à juste titre lui imposer des mesures disciplinaires ou le congédier, l'arbitre doit soupeser les divers intérêts en jeu. Ainsi, l'arbitre peut tenir compte de la mesure dans laquelle les critiques formulées en public par l'employé au sujet de ses supérieurs influent sur la capacité de l'employeur de maintenir la crédibilité ou l'autorité en matière de discipline des superviseurs immédiats des employés, ou encore de maintenir la confiance en eux, et de la mesure dans laquelle les critiques créent de la mésentente entre les compagnons de travail. L'intérêt de l'employeur, lorsqu'il s'agit d'assurer un fonctionnement efficace, doit toujours être soupesé par rapport à l'intérêt des employés ou du grand public, lorsqu'il s'agit de promouvoir la libre discussion sur des questions d'intérêt public.


L'obligation de fidélité de l'employé envers l'employeur n'empêche pas l'employé dans tous les cas de critiquer en public l'employeur, mais il est reconnu que les critiques publiques ne constituent pas la première démarche qu'il faudrait faire pour porter le méfait commis au sein de l'entreprise à l'attention de ceux qui peuvent y remédier. En d'autres termes, l'employé peut, dans certains cas, se voir obligé de « s'adresser au public » , par exemple lorsque l'entreprise pour laquelle il travaille fabrique un produit chimique ou un appareil dangereux, mais il devrait auparavant essayer de connaître tous les faits et donner à son employeur la possibilité d'expliquer le problème ou de le corriger. La plupart des employeurs offrent divers mécanismes, formels ou informels, permettant à l'employé de porter plainte au sujet du fonctionnement de l'entreprise. Ce n'est que s'il n'obtient pas satisfaction au moyen de ces mécanismes, que l'employé peut « s'adresser au public » . Ce qui est clair, c'est que l'employé manquera à l'obligation de fidélité qu'il a envers son employeur s'il fait en public de fausses déclarations qu'il sait être fausses ou s'il fait preuve d'insouciance à l'égard de l'exactitude des déclarations. L'employé qui n'a pas recours aux ressources disponibles pour déterminer l'exactitude de commentaires critiques qu'il fait au sujet de l'employeur, ou qui refuse d'avoir recours à d'autres moyens pour porter les critiques qu'il a à faire au sujet de l'employeur à l'attention de ceux qui sont en mesure de corriger le problème manque à mon avis à l'obligation de loyauté qu'il a envers l'employeur.

[Non souligné dans l'original.]

[48]            Il importe de noter que les facteurs identifiés par l'arbitre J.M. Weiler ont été suivis dans de nombreuses décisions, notamment dans Fraser, précité; Alberta Union of Provincial Employees c. Alberta, [2002] A.J. no 1086, au paragraphe 31 (C.A.Alb.); Re Snow Lake School District No. 2309, [2001] M.G.A.D. no 66, au paragraphe 111. En outre, dans la décision Haydon, précitée, la juge Tremblay-Lamer a souligné qu'il est important d'épuiser les mécanismes internes. Et, dans l'arrêt Grahn c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 91 N.R. 394 (C.A.F.), il a été reconnu que le fonctionnaire qui critique l'employeur en public doit démontrer que les déclarations qu'il fait sont exactes et avec raison défendables.

[49]            Compte tenu des remarques qui précèdent, les facteurs suivants sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si un fonctionnaire qui fait en public des critiques manque à son obligation de loyauté envers l'employeur : le niveau du poste occupé par l'employé au sein de la hiérarchie gouvernementale; la nature et le contenu de l'expression; la visibilité de l'expression; le caractère délicat de la question; l'exactitude de la déclaration; les démarches que l'employé fait pour connaître les faits avant de prendre la parole; les efforts que l'employé fait pour informer l'employeur de ses préoccupations; la mesure dans laquelle la réputation de l'employeur est ternie et les incidences sur la capacité de l'employeur d'exercer ses activités.


[50]            Dans le jugement Fraser, précité, qui a été rendu avant que la Charte soit édictée, un superviseur à Revenu Canada avait ouvertement, et sans exprimer de remords, critiqué les politiques du gouvernement en matière de conversion au système métrique et au sujet de l'adoption de la nouvelle Constitution, et ce, même si ces critiques ne concernaient pas directement le ministère pour lequel il travaillait. L'employé avait été suspendu et il avait finalement été congédié. En confirmant la décision de l'arbitre, qui avait également été confirmée par la Cour d'appel fédérale, le juge en chef Dickson a dit ce qui suit, au paragraphe 30 :

L'arbitre a reconnu qu'il faut établir un équilibre entre la liberté d'expression de l'employé et le désir du gouvernement de maintenir une fonction publique impartiale et efficace. Il a dit :

[C']est qu'il incombe au fonctionnaire de faire preuve de modération dans ses déclarations contre la politique du gouvernement. Sous-jacente à cette idée est une préoccupation légitime, soit que la Fonction publique et ses membres administrent et appliquent les politiques et les programmes du gouvernement d'une manière impartiale et efficace. Toute personne qui entre dans la fonction publique est censée savoir qu'elle s'engage par le fait même à modérer ses paroles et ses actes contre la politique du gouvernement. De plus, il est reconnu qu'une telle modération peut très bien ne pas être exigée de l'employé qui travaille dans un secteur moins en vue de la société canadienne.

[Non souligné dans l'original.]

[51]            De fait, dans l'arrêt Fraser, précité, au paragraphe 41, le juge en chef Dickson reconnaît que, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement :


En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement.

[Non souligné dans l'original.]

[52]            Les exceptions énoncées dans l'arrêt Fraser, précité, n'entrent pas nécessairement en ligne de compte chaque fois qu'un fonctionnaire formule des critiques en public. L'arrêt Fraser, précité, indique également qu'entre autres choses, un fonctionnaire ne devrait pas être assujetti à des mesures disciplinaires lorsque les critiques n'ont aucun effet sur son aptitude à accomplir ses fonctions ou sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. À cet égard, je note que même si les commentaires formulés ou la position prise par l'employé n'ont pas eu d'effet sur son aptitude à s'acquitter de ses fonctions, il peut néanmoins être justifié de prendre des mesures disciplinaires si ces critiques ont eu un effet sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, même si le congédiement peut être justifié dans les cas où l'aptitude à s'acquitter de ses fonctions est compromise d'une façon irrémédiable, la suspension ou une mutation peuvent suffire dans les cas où les critiques ont jusqu'à un certain point influé, mais non d'une façon irrémédiable, sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Il s'agit d'une question qu'il incombe à l'arbitre de trancher en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.


[53]            Ceci dit, lorsqu'une mesure disciplinaire est prise contre un fonctionnaire, il incombe à l'employeur de démontrer que les commentaires étaient de fait inappropriés et dommageables : Re Canada (Conseil du Trésor - Santé Canada) et Chopra (2001), 96 L.A.C. (4th) 367). En règle générale, la preuve directe d'empêchement d'accomplir son travail est exigée, mais lorsque la nature du poste du fonctionnaire est à la fois importante et délicate et lorsque le fond, la forme et le contexte de la critique formulée par le fonctionnaire est extrême, une déduction d'empêchement peut être faite (Fraser, précité, au paragraphe 47). Les tribunaux judiciaires ne devraient pas intervenir à cet égard à moins que les conclusions de l'arbitre ne soient arbitraires et abusives.

[54]            Dans le jugement Haydon, précité, qui a été rendu en vertu de la Charte, on a demandé à la présente cour de déterminer si l'obligation de loyauté constitue une limite raisonnable et dont la justification puisse se démontrer de la liberté d'expression garantie à l'employé en vertu de l'article premier de la Charte (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 (C.S.C.); Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69 (C.S.C.)). La Cour a conclu que la possibilité qu'on recherche l'équilibre entre les intérêts divergents (savoir le maintien d'une fonction publique impartiale et efficace d'une part, et le droit de l'employé d'informer le public de tout méfait ainsi que le droit du public d'être mis au courant d'un méfait d'autre part) garantit la proportionnalité. Dans les cas qui tombent sous les exceptions (et la liste des exceptions n'est pas exhaustive) qui ont été faites dans l'arrêt Fraser, précité, l'intérêt public prime l'objectif d'une fonction publique impartiale et efficace (Haydon, précité, au paragraphe 120).


[55]            En particulier, la Cour a conclu, dans la décision Haydon, que les critiques formulées en public par la demanderesse et par un autre fonctionnaire, Shiv Chopra, étaient visées par la première exception énoncée dans l'arrêt Fraser, précité, à savoir une divulgation relative au danger présenté pour la vie, la santé ou la sécurité du public (Haydon, précité, au paragraphe 100). En exerçant leurs fonctions d'évaluateurs des médicaments, ces fonctionnaires ont commencé à s'inquiéter sérieusement au sujet de la procédure d'approbation des médicaments en général, et en particulier au sujet de la procédure d'approbation d'hormones de croissance pour la viande, la stimulation du lait et les antibiotiques. Un médicament en particulier qui inquiétait les demandeurs était une hormone de croissance recombinante bovine. La preuve versée au dossier révélait que les fonctionnaires avaient d'abord fait part de leurs inquiétudes au Bureau des médicaments vétérinaires (le BMV), à Santé Canada, dès le mois de décembre 1996 lorsque quatre évaluateurs des médicaments avaient déposé une plainte interne. Après avoir déployé maints efforts pour que l'on réponde à l'interne à leurs préoccupations, et notamment après avoir demandé la tenue d'une enquête externe et l'intervention du premier ministre et du ministre de la Santé, les fonctionnaires ont finalement décidé de se plaindre en public. Dans ce contexte particulier, la Cour a accueilli leur demande de contrôle judiciaire de la décision du sous-ministre délégué (le SMD) à Santé Canada, rejetant les griefs qu'ils avaient déposés à la suite des lettres de réprimande et de directive que leurs superviseurs leur avaient envoyées.

[56]            Aux paragraphes 100, 108, 109, 112 et 113 de la décision dans l'affaire Haydon, précitée, la juge Tremblay-Lamer note ce qui suit :


Selon moi, le dossier démontre qu'il y a une preuve suffisante permettant au SMD de conclure que la critique publique des demandeurs se situe sous la première exception du critère de l'arrêt Fraser, savoir la divulgation de politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité des membres du public. Un examen des circonstances qui ont mené à l'entrevue à l'émission Canada AM fait ressortir que les allégations portant sur les difficultés au sein du processus d'approbation des médicaments avaient déjà fait l'objet de plusieurs griefs au ministère.

[...]

Au vu de cette preuve, non seulement je considère sans fondement la prétention des défendeurs que les allégations des demandeurs sont trop vagues et imprécises pour qu'on les considère comme des allégations légitimes de l'existence d'un danger pour la santé selon la première exception à l'obligation de loyauté énoncée dans l'arrêt Fraser, mais je suis d'avis que le SMD a commis une erreur en déclarant que la conduite des demandeurs était une critique publique inappropriée de la direction. À mon avis, la conduite des demandeurs, lorsqu'elle est replacée dans le contexte des incidents antérieurs, constitue une exception à l'obligation de loyauté en common law telle que définie dans l'arrêt Fraser. Bien que les déclarations des demandeurs fassent ressortir leur frustration, elles soulèvent, ce qui est plus important, une préoccupation légitime d'intérêt public au sujet de l'efficacité de la procédure d'approbation des médicaments au sein du BMV.

De plus, la critique ouverte présentée à la télévision nationale n'a pas été la première démarche entreprise pour qu'on examine la question de la sécurité et de l'efficacité du processus d'approbation des médicaments. Les demandeurs avaient cherché de plusieurs façons à obtenir qu'on examine leurs préoccupations à l'interne, sans succès.

[...]

Cela indique que le SMD n'a pas envisagé la possibilité que les déclarations des demandeurs puissent constituer une question d'intérêt public. En mettant l'accent surtout sur l'obligation de loyauté des demandeurs envers leur employeur, le SMD n'a pas examiné quel était le droit d'expression des demandeurs sur une question d'intérêt public lorsque les recours internes n'avaient eu aucun résultat. En règle générale, je suis d'avis que la critique ouverte sera justifiée lorsqu'une tentative raisonnable de résoudre la question à l'interne n'a eu aucun résultat.

Les déclarations des demandeurs portent essentiellement sur leurs préoccupations au sujet du processus d'évaluation des médicaments au sein du BMV et sur la menace à la santé publique. Le mandat de la Direction générale de la protection de la santé est de protéger la santé et la sécurité des Canadiens en appliquant la Loi sur les aliments et drogues. Par conséquent, dans leur rôle d'évaluateurs les demandeurs sont responsables de conduire des évaluations objectives et scientifiques des nouvelles demandes d'approbation de médicaments vétérinaires, pour s'assurer que ces nouveaux médicaments répondent aux exigences de sécurité pour le public énoncées dans la législation.

[Non souligné dans l'original.]


[57]            En l'espèce, la demanderesse a critiqué en public la décision de suspendre l'importation de boeuf brésilien pour le motif : a) qu'il n'y avait pas de différence au point de vue du risque entre le boeuf brésilien et le boeuf canadien; et b) que la décision était fondée sur des raisons politiques et sur le différend commercial plutôt que sur des questions de santé et de sécurité. Ici, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Haydon, précitée, la preuve versée au dossier démontre clairement que la représentante de l'employeur, Mme Kirkpatrick, a de fait abordé la question des critiques formulées en public par la demanderesse à la lumière des principes directeurs mentionnés dans l'arrêt Fraser, précité, et dans la décision Haydon, précitée. Elle a conclu, pour les raisons énoncées dans la lettre de suspension en date du 20 février 2001, que les commentaires que la demanderesse avait faits aux médias n'étaient pas visés par les circonstances dans lesquelles il pouvait être acceptable de critiquer l'employeur en public. De son côté, dans une longue décision, l'arbitre a minutieusement examiné toutes les circonstances de l'affaire et a finalement conclu que la demanderesse était coupable d'inconduite, et ce, pour les motifs qu'il a également exprimés. Je ne puis constater, dans l'approche générale adoptée par l'arbitre, aucune erreur de droit qui aurait influé d'une façon sensible sur sa conclusion qui, dans l'ensemble, n'est pas manifestement déraisonnable.


[58]            Premièrement, il fallait qualifier la nature des déclarations attribuées à la demanderesse. Essayait-elle d'avertir le public d'un danger possible ou critiquait-elle simplement les actions du gouvernement ou de l'un de ses organismes? Dénonçait-elle un acte illégal? Exprimait-elle une opinion à titre de simple citoyenne? Parlait-elle à titre de scientifique? Il s'agit de questions de fait qui relèvent du mandat exclusif de l'arbitre. Les conclusions tirées par ce dernier à cet égard ne devraient pas être modifiées à moins d'être manifestement déraisonnables.

[59]            La réserve apportée dans l'arrêt Fraser, précité, à l'égard du « préjudice pour la santé et la sécurité » , permet la divulgation des pratiques et politiques du gouvernement, avec ou sans critiques, afin d'exposer au public le risque créé par ces pratiques et politiques (Kenneth P. Swan, « Whistleblowing, Employee Loyalty and the Right to Criticize: An Arbitrator's Viewpoint » cité dans la décision Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Health Care Corp. of St. John's (Poemeroy Grievance), [2001] Nfld. L.A.A. No. 1, au paragraphe 290). Les commentaires attribués à la demanderesse ne se rapportaient certes pas à des actes illégaux ou à des politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens. À coup sûr, il ne s'agit pas d'un cas de dénonciation, mais plutôt d'un cas dans lequel un fonctionnaire critique en public les actions du gouvernement à l'encontre d'un autre État souverain. De plus, les commentaires relatés se rapportent à une assertion non vérifiée faite par une scientifique travaillant à Santé Canada (qui a été consultée avant l'imposition de l'interdiction), à savoir qu'il n'y avait pas de différence, au point de vue du risque, entre le boeuf brésilien et le boeuf canadien.


[60]            Devant l'arbitre, la demanderesse a admis qu'elle ne connaissait pas bien les politiques de l'ACIA en matière d'importation; qu'elle ne savait pas qui était membre de l'équipe scientifique de Santé Canada chargée de l'EST; qu'elle n'était pas au courant de l'avis que l'équipe avait donné à l'ACIA au sujet de l'importation des produits du boeuf brésilien ou des renseignements qui avaient été rendus publics au sujet des raisons de la suspension (dossier de transcription de la demanderesse, volume V, aux pages 879 et 880). Il ressort également clairement de la preuve que la demanderesse ne participait pas au processus décisionnel qui a abouti à l'interdiction. En outre, la demanderesse n'a pas pris de mesures pour connaître les motifs à l'appui de la décision de l'ACIA avant de faire ses déclarations. Il n'était donc pas déraisonnable de conclure que la demanderesse était coupable d'inconduite.


[61]            Il était certes raisonnable pour l'arbitre d'inférer que l'opinion de la demanderesse était digne d'être publiée à cause du poste de scientifique qu'elle occupait à Santé Canada. Dans sa décision, l'arbitre note que la demanderesse « a insisté pour préciser qu'elle donnait sa propre opinion » , mais il ajoute que « [...] quelqu'un qui met son nom sur une déclaration publique court le risque qu'on lui attribuera plus ou moins de poids en fonction de la compétence de la personne à qui la déclaration est attribuée » (paragraphes 85 et 87). En fait, l'arbitre conclut que le nom de la demanderesse avait énormément d'importance, beaucoup plus d'importance qu'une « source anonyme » . Comme l'a dit l'arbitre, la demanderesse « [...] était une scientifique de Santé Canada qui déclarait qu'il ne s'agissait pas d'une question de santé [la décision d'interdire le boeuf brésilien]. À tout le moins, cela aurait causé de la confusion dans le public, et cela a certainement causé des perturbations au ministère. Les membres de l'équipe multidisciplinaire ont dû cesser de planifier leur voyage au Brésil pour se consacrer plutôt à la préparation de notes d'information pour le Ministre » (au paragraphe 87). Je conclus que, compte tenu de la preuve versée au dossier, il était avec raison loisible à l'arbitre de tirer ces conclusions de fait. À cet égard, la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que ces conclusions étaient arbitraires, abusives ou par ailleurs manifestement déraisonnables.

[62]            Toutefois, il reste qu'après avoir choisi la solution draconienne de laisser planer un doute sérieux sur le bien-fondé et la bonne foi du gouvernement lorsqu'il a imposé l'interdiction relative à l'importation du boeuf brésilien, il incombait alors à la demanderesse de prouver ses allégations si elle voulait éviter les conséquences par ailleurs naturelles de ses actions (Grahn c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 91 N.R. 394 (C.A.F.)). Ce n'était pas simplement une question d'exprimer une opinion; des déclarations de fait ont été faites et leur exactitude devait être prouvée. En l'espèce, la demanderesse a expliqué que ses déclarations, telles qu'elles avaient été relatées dans le Globe and Mail, avaient été prises hors contexte, puisque la conversation qu'elle avait eue avec M. MacKinnon portait principalement sur des questions de santé et de sécurité liées aux EST. La demanderesse ajoute qu'elle ne voulait pas discuter du bétail brésilien avec M. MacKinnon, mais qu'elle voulait plutôt parler des préoccupations qu'elle entretenait au sujet des nombreux produits contenant des produits d'origine animale qui sont importés au Canada et qui sont difficiles à déceler, ou dont l'origine n'est pas connue. La demanderesse a peut-être discuté d'autres questions avec le reporter, mais ce sont les commentaires qui ont été publiés qui sont pertinents dans la présente instance. En fait, même si les commentaires que la demanderesse a formulés reprenaient peut-être l'opinion d'une partie de la population, ils émanaient d'une scientifique travaillant à Santé Canada.


[63]            Comme l'arbitre l'a indiqué, la preuve démontre clairement que la demanderesse ne s'est pas prévalue des nombreuses ressources mises à sa disposition pour déterminer l'exactitude de sa déclaration. La défenderesse soutient que des mécanismes appropriés étaient en place pour répondre aux préoccupations de la demanderesse. Il n'est cependant pas certain que le problème aurait été réglé si la demanderesse avait soulevé le problème à l'interne, puisqu'elle ne l'a pas fait. La question a été minutieusement examinée par l'arbitre et je ne vois pas pourquoi il faudrait intervenir.


[64]            La demanderesse soutient également que l'arbitre ne s'est pas demandé si ses remarques avaient un effet sur l'accomplissement de ses fonctions ou sur la façon dont le public percevait son rendement. L'employeur a remis en question le jugement de la demanderesse, mais aucune preuve n'a été soumise pour démontrer comment cela avait influé sur l'accomplissement des fonctions de la demanderesse. Je note que l'arbitre ne fait pas expressément de remarques au sujet de l'effet des commentaires de la demanderesse sur l'accomplissement de ses fonctions. Cela n'est pas surprenant puisque, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Fraser, précitée, la demanderesse n'a pas été congédiée, mais qu'elle a simplement été suspendue pour une période de dix jours. Toutefois, l'arbitre a fait des remarques au sujet de la façon dont le grand public a perçu l'effet de sa déclaration sur l'accomplissement de ses fonctions, ainsi qu'au sujet des incidences que ces déclarations avaient eues au sein du gouvernement vis-à-vis de ses homologues à l'extérieur du Canada. Il ressort clairement de la preuve admise par l'arbitre que les commentaires de la demanderesse ont influé sur la perception de son aptitude à s'acquitter de ses fonctions d'une façon efficace et que ses critiques avaient également eu une incidence sur la perception des activités et de l'intégrité de l'ACIA et de Santé Canada. Les conclusions tirées par l'arbitre à cet égard ne sont pas manifestement déraisonnables. Je ne puis donc constater aucune erreur susceptible de révision.

[65]            Je conclus également que la conclusion que l'arbitre a tirée au sujet de la tolérance n'est pas manifestement déraisonnable. L'arbitre a dit ce qui suit :

L'avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée invoque la défense de tolérance de déclarations analogues. Il prétend que, comme il n'y avait pas eu de sanctions dans des cas de déclarations publiques antérieures, il ne devrait pas y en avoir non plus dans ce cas-ci. Très franchement, je ne vois pas de ressemblance entre les faits en l'espèce et les exemples cités d'autres scientifiques de Santé Canada qui s'étaient exprimés sur différentes questions. En l'occurrence, il s'agit d'une fonctionnaire qui ne s'est pas prévalue du moindre mécanisme interne pour faire valoir ses préoccupations. En outre, il ne s'agissait pas non plus d'une déclaration qui, selon moi, correspond à l'exception établie dans l'arrêt Fraser (supra). D'ailleurs, la Dre Haydon a bel et bien déclaré qu'il ne s'agissait pas d'une question de santé. Les exemples avancés par son avocat pour invoquer une défense de tolérance portent tous sur des questions de santé.


[66]            Je retiens l'argument avancé par la défenderesse, à savoir que la demanderesse n'a pas établi que le gouvernement avait toléré ses actions. Les exemples cités se rapportaient tous à des questions de santé et de sécurité. Comme il en a ci-dessus été question, il est clair que cette affaire n'est pas visée par la réserve concernant les questions de santé et de sécurité. Toute décision portant sur la question de savoir s'il faut imposer des mesures disciplinaires dépend des faits qui sont propres à l'affaire et des facteurs susmentionnés. En outre, je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que Santé Canada n'a pas toléré les déclarations que la demanderesse a faites à la télévision au mois de juin 1998 au sujet de la gestion de la procédure d'évaluation des médicaments vétérinaires. Ces déclarations ont fait l'objet de la décision rendue par la juge Tremblay-Lamer de la présente cour (Haydon, précitée). Il n'y a rien dans la décision rendue dans l'affaire Haydon, précitée, qui puisse avec raison avoir amené la demanderesse à croire que l'employeur ne s'opposerait pas aux déclarations qu'elle avait faites au Globe and Mail.

[67]            Comme il en a ci-dessus été question, toute décision portant sur la question de savoir s'il faut imposer une mesure disciplinaire dépend des faits de l'affaire et des facteurs identifiés tels que le niveau du poste occupé par l'employé au sein de la hiérarchie gouvernementale, la nature et le contenu de l'expression, la visibilité de l'expression, la nature délicate de la question, l'exactitude des déclarations qui ont été faites, les démarches que l'employé a faites en vue de connaître les faits avant de prendre la parole, les efforts que l'employé a déployés pour informer l'employeur de ses préoccupations, la mesure dans laquelle la réputation de l'employeur a été ternie et les incidences sur l'aptitude de l'employeur à exercer ses activités (Fraser, précité, à la page 468). Je conclus donc qu'il était avec raison loisible à l'arbitre de tirer la conclusion à laquelle il est arrivé et que c'était une conclusion qu'il pouvait tirer compte tenu de la preuve versée au dossier.


[68]            La demanderesse soutient en outre que l'arbitre a commis une erreur de droit et qu'il a omis à tort d'exercer sa compétence en ne traitant pas de la position qu'elle avait prise, à savoir que la sanction disciplinaire était inappropriée eu égard au fait qu'un autre employé avait parlé en public de la même question sans faire l'objet d'une mesure disciplinaire. Premièrement, je conclus que cet argument n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si la demanderesse était coupable d'inconduite parce qu'il ne porte pas sur la question, à savoir le contenu précis des remarques que la demanderesse avait faites. Deuxièmement, le fait qu'un autre employé non identifié avait parlé en public de la même question sans pour autant être assujetti à une mesure disciplinaire est un facteur parmi d'autres dont l'arbitre pouvait tenir compte en déterminant si une suspension de dix jours était excessive eu égard aux circonstances. Dans ce cas-ci, l'arbitre a décidé de réduire la mesure disciplinaire à une suspension de cinq jours. L'arbitre a expressément tenu compte du fait que les déclarations attribuées à la demanderesse avaient plus de poids qu'une « source anonyme » et il a examiné leur incidence. En même temps, l'arbitre a conclu que le fait que ce n'était pas la demanderesse qui avait communiqué avec les médias était une circonstance atténuante. À cet égard, la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que le raisonnement de l'arbitre comportait une lacune sérieuse, et encore une fois je ne puis conclure que son raisonnement était manifestement déraisonnable.

CONCLUSION



[69]            En résumé, la question dont l'arbitre était saisi était de savoir si la demanderesse avait manqué à son obligation de loyauté, de sorte que l'employeur était justifié à imposer une mesure disciplinaire. La demanderesse n'avait pas la faculté absolue, en sa qualité de fonctionnaire, de critiquer en public les politiques du gouvernement ou de laisser planer un doute sur leur bien-fondé. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, notamment du contexte, de la manière dont les déclarations ont été faites et du moment où elles ont été publiées, la décision de l'arbitre de conclure que la demanderesse était coupable d'inconduite était une décision qui aurait avec raison pu être rendue compte tenu de la preuve versée au dossier. L'arbitre n'a pas commis d'erreur de droit. Son interprétation était conforme à la Charte. L'obligation de loyauté constitue une limite raisonnable à la liberté d'expression. À coup sûr, on a soupesé les droits opposés. Il est possible de faire une distinction entre la présente affaire et l'affaire Haydon, précitée, ainsi que les autres affaires citées par la demanderesse. Une interprétation large et libérale devrait être donnée aux exceptions mentionnées dans l'arrêt Fraser, précité. Toutefois, en même temps, cette interprétation doit être conforme à l'objectif visé, à savoir le maintien d'une fonction publique impartiale et efficace. À coup sûr, il ne s'agit pas d'un cas où il y a eu dénonciation. À mon avis, les déclarations attribuées à la demanderesse ne comportent pas de questions d'intérêt public du genre de celles qui étaient en cause dans l'affaire Haydon, précitée. Elles ne portent pas sur des questions pressantes comme le fait que la santé et la sécurité publiques sont mises en danger (ou un acte illégal de la part du gouvernement). En outre, la preuve révèle que la demanderesse n'a pas vérifié les faits ou soulevé ses préoccupations à l'interne avant de parler au Globe and Mail. Il semble également que ses déclarations n'étaient pas exactes. Néanmoins, elles avaient énormément de poids parce que la demanderesse est une scientifique et elles ont eu une incidence défavorable sur les activités du gouvernement du Canada. L'arbitre a donc conclu que la demanderesse avait manqué à son obligation de loyauté et qu'il était justifié de prendre des mesures disciplinaires. À cet égard, je ne puis constater aucune erreur importante. Dans l'ensemble, la décision n'est pas manifestement déraisonnable et, de fait, elle satisfait à l'exigence relative au caractère raisonnable si une norme de contrôle plus stricte devait être adoptée. Par conséquent, la demande doit être rejetée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Joseph W. Potter, arbitre, est rejetée avec dépens.

                                                                                _ Luc Martineau _                   

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               T-309-02

INTITULÉ :               Dre MARGARET HAYDON

c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 24 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 MAI 2004

COMPARUTIONS :

ANDREW RAVEN                                          POUR LA DEMANDERESSE

J. SANDERSON GRAHAM                                        POUR LA DÉFENDERESSE

RICHARD FADER

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, ALLEN, CAMERON ET BALLANTYNE POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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