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     Date : 19981221

     Dossier : T-1345-98

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     - et -

     HIN KEUNG HUNG,

     défendeur.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire est présentée par le ministre et vise l'annulation de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a décidé que M. Hung ne répondait pas aux critères de résidence énoncés au paragraphe 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

[2]      M. Hung, qui est né en Chine, est entré au Canada pour la première fois le 26 janvier 1993 en tant que visiteur. C'est à ce moment qu'il a décidé d'immigrer au Canada. Pour prendre cette décision, il s'est renseigné sur l'industrie de l'automobile et le marché des immeubles locatifs. En février 1994, M. Hung a acheté une maison à Vancouver Ouest. Il a également ouvert des comptes bancaires ce mois-là. Il est arrivé au Canada le 10 mai 1994 à titre d'investisseur, en compagnie de sa femme et de leurs deux enfants. Un troisième enfant est né au Canada en 1996. M. Hung a investi 250 000 $ dans la firme Capital City Opportunities Fund Inc. de l'Île-du-Prince-Édouard pour obtenir son visa d'immigrant. Il a également acheté des immeubles au centre-ville de Toronto en 1994, qu'il a par la suite vendus à perte (200 000 $) en décembre 1996.

[3]      M. Hung a demandé la citoyenneté le 16 juillet 1997.

[4]      Une fois arrivé au Canada, il a acheté des meubles, deux voitures, un système de son et un ordinateur. Il a obtenu un numéro d'assurance sociale et une protection médicale. Il a également obtenu un permis de conduire. Il possède des cartes de crédit et paie des impôts depuis 1994. Ses deux premiers enfants vont à l'école à Vancouver. Sa femme a de la famille à Hong Kong, mais la mère de M. Hung, ses trois frères et sa soeur sont des résidents permanents du Canada. M. Hung ne possède pas de maison à l'extérieur du Canada. À l'exception de deux brefs séjours à Hong Kong, la femme et les enfants de M. Hung n'ont pas quitté le Canada depuis leur arrivée et n'accompagnent pas M. Hung durant ses voyages d'affaires. M. Hung rentre toujours chez lui après ses voyages et l'a fait à au moins vingt reprises.

[5]      Après avoir rencontré M. Hung le 6 mai 1998, le juge de la citoyenneté a approuvé sa demande de citoyenneté. Il a déclaré que les absences de M. Hung étaient fréquentes mais brèves, et s'inscrivaient dans l'exploitation de son entreprise d'exportation canadienne. Le juge [traduction] " a estimé que M. Hung s'intégrait à la société canadienne ".

[6]      Le ministre a interjeté appel de la décision du juge de la citoyenneté le 29 juin 1998.

[7]      Le demandeur a exprimé la question litigieuse en ces termes :

     [traduction] Le défendeur a-t-il rempli la condition énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, c'est-à-dire a-t-il résidé pendant au moins trois ans, soit 1095 jours, au Canada dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté?         

[8]      En vertu des nouvelles Règles, les appels en matière de citoyenneté ne sont plus de nouveaux procès, mais doivent plutôt être interjetés au moyen d'une demande fondée sur le dossier soumis au juge de la citoyenneté : il n'est plus possible de présenter de nouveaux éléments de preuve à la Cour. Je me propose également d'examiner la question de la norme de contrôle appropriée, étant donné qu'il semble s'agir du premier appel en matière de citoyenneté depuis l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998). L'avocate du demandeur a semblé adopter le point de vue qu'il s'agissait d'un nouveau procès. Elle n'a pas soumis la moindre observation au sujet d'un erreur de fait ou de droit commise par le juge de la citoyenneté.

[9]      En vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut accorder réparation si le tribunal a) a outrepassé sa compétence ou refusé d'exercer sa compétence, b) n'a pas observé un principe de justice naturelle, c) a rendu une décision entachée d'une erreur de droit, ou d) a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive.

[10]      Les cours de justice ne modifieront presque jamais les conclusions de fait tirées par un décideur en fonction de la norme de la décision correcte. Le décideur est souvent mieux placé pour se prononcer sur des question de fait et de crédibilité puisqu'il a vu et entendu les témoins directement. Toutefois, si un tribunal fait complètement abstraction d'éléments de preuve importants sans fournir d'explications, sa décision peut être annulée.

[11]      L'alinéa 18.1(4)d) codifie la façon dont les cours de justice envisagent les conclusions de fait tirées par les tribunaux administratifs. Dans l'arrêt Kibale c. Transports Canada (1988), 90 N.R. 1 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée (1989), 101 N.R. 238 (C.S.C.)), le juge Pratte a déclaré, à la p. 4, que " même si la Cour est convaincue qu'une décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, elle ne peut intervenir à moins qu'elle ne soit également d'avis que le tribunal inférieur, en tirant cette conclusion, a agi de façon absurde, arbitraire ou sans égard à la preuve ". Non seulement la conclusion de fait doit avoir été tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans égard à la preuve soumise à l'arbitre, mais la Cour doit également tirer pareille conclusion pour pouvoir intervenir en vertu de l'alinéa 18.1(4)d ).

[12]      La question litigieuse en l'espèce est de savoir si M. Hung a centralisé son mode de vie au Canada de manière à y continuer sa résidence pour l'application de l'alinéa 5(1)c) pendant ses séjours à l'étranger; c'est une question mixte de fait et de droit. Il est certain que l'examen des facteurs qui se rapportent à la question de savoir si une personne a des liens importants avec le Canada relève des faits. Toutefois, la question de savoir si ces facteurs respectent le critère énoncé dans les affaires Papadogiogakis et Koo et dans des décisions subséquentes relatives à l'alinéa 5(1)c) relève du droit. Compte tenu du fait qu'une décision de justice est en cause, bien qu'il faille faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait du juge de la citoyenneté dans la présente affaire, le pouvoir discrétionnaire d'attribuer la citoyenneté à M. Hung dans la mesure où celui-ci est " réputé " avoir été physiquement présent pendant la période requise devrait être assujetti à la norme de la décision correcte.

[13]      La décision du juge de la citoyenneté n'est guère un exemple de précision et d'éloquence, mais il ne ressort pas des motifs que celui-ci a mal apprécié les faits ou a tenu compte de facteurs dénués de pertinence pour parvenir à sa décision.

[14]      En l'espèce, il existe suffisamment de facteurs qui permettent de conclure que M. Hung a des liens plus importants avec le Canada qu'avec n'importe quel autre pays et qu'il a centralisé son mode de vie au Canada. S'agissant des facteurs énoncés par Madame le juge Reed dans l'affaire Choi, la famille immédiate et élargie de M. Hung vit au Canada, ses enfants vont dans des écoles canadiennes à temps plein et sa famille ne l'accompagne pas pendant ses voyages d'affaires. La seule résidence que possède M. Hung est située au Canada et il en a fait l'acquisition avant de venir au Canada : pour une situation similaire où la citoyenneté a été attribuée, voir Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Liao, dossier de la Cour no T-716-98, 6 octobre 1998, le juge en chef adjoint Richard. L'entreprise d'exportation de M. Hung semble être plus qu'une entreprise de façade. M. Hung a fait des investissements importants au Canada et il est un membre actif de la B.C. Racing Commission, à la fois comme propriétaire de chevaux de course et comme initiateur d'un programme d'élevage de chevaux avec la Chine.

[15]      Le juge de la citoyenneté a conclu que M. Hung s'intègre à la société canadienne. Bien qu'il ait été décidé dans certaines décisions que les personnes qui demandent la citoyenneté sont tenues de respecter strictement la lettre de l'alinéa 5(1)c) même si les absences ont un caractère temporaire, il a été statué dans un nombre comparable sinon plus élevé de décisions que, dans certains cas en fonction de moins de critères que dans le cas de M. Hung, la citoyenneté devrait être attribuée si la qualité des liens avec le Canada est significative. À mon avis, la décision du juge de la citoyenneté est correcte et, par conséquent, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[16]      Par ces motifs, l'appel est rejeté.

                                 (S) " P. Rouleau "

                                         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 21 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE:                      Le 18 décembre 1998

NUMÉRO DU GREFFE :                      T-1345-98

INTITULÉ :                              Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Hin Keung Hung
LIEU DE L'AUDIENCE :                      Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

en date du 21 décembre 1998

COMPARUTIONS :

     Emilia Péch                          pour le demandeur

     Andrew Wlodyka                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Morris Rosenberg                      pour le demandeur

     Sous-procureur général             

     du Canada

     Andrew Wlodyka                      pour le défendeur

     Lawrence Wong & Associates

     Vancouver (C.-B.)

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