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Date : 20011109

Dossier : T-1228-99

Référence neutre : 2001 CFPI 1234

ENTRE :

                                                                    AHMED RABAH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 10 mai 1999 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique que le demandeur avait portée.

[2]                 Il s'agit de déterminer si la Commission a commis une erreur en rejetant la plainte du demandeur en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) alors qu'elle n'aurait pas mené une enquête adéquate sur cette plainte.


LES FAITS

[3]                 En septembre 1997, le demandeur a postulé à un poste d'adjoint aux programmes bilingue auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. Le demandeur a dû participer à un concours avec d'autres postulants. Il a suffisamment bien fait dans la partie écrite du concours pour être invité à une entrevue visant à évaluer son aptitude à communiquer oralement. Une partie de l'entrevue consistait en un jeu de rôles qui visait à déterminer sa capacité de traiter avec les personnes qui appellent en vue d'obtenir des renseignements. Le comité de trois personnes qui l'a reçu en entrevue lui a attribué une note inférieure à la note de passage, soit 14/35, en communication orale, écartant ainsi sa candidature.

[4]                 Le 7 novembre 1997, le demandeur a déposé une plainte auprès de la Commission contre le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration pour avoir refusé de l'embaucher en raison de son origine nationale ou ethnique, contrairement à l'article 7 de la LCDP. Il a prétendu avoir obtenu une note inférieure à la note de passage en communication orale en raison de son accent.

[5]                 Le rapport de l'enquêteur, préparé le 24 février 1999, recommandait que [Traduction] « la plainte soit rejetée parce que la preuve démontre que l'allégation de discrimination est mal fondée » . En particulier, le rapport déclarait que :

[Traduction] La preuve n'appuie pas l'allégation du plaignant selon laquelle le défendeur a écarté sa candidature au concours relatif au poste d'adjoint aux programmes bilingue CR-05 en raison de son accent.


La preuve démontre que soixante-neuf (69) candidats ont été référés par la Commission de la fonction publique pour le poste d'adjoint aux programmes bilingue. Le plaignant figurait parmi les trente-neuf (39) candidats ayant réussi la partie connaissances du concours. Ces candidats ont ensuite été convoqués à une entrevue visant à évaluer leurs aptitudes à communiquer. La preuve démontre que les 12 candidats ayant reçu une offre d'emploi ont obtenu des notes plus élevées dans la partie orale que le plaignant et que 26 autres candidats ont échoué.

Le rapport indiquait également que :

[Traduction] La représentante du défendeur nie l'allégation de discrimination. Elle soutient que l'accent du plaignant n'a joué aucun rôle dans le fait que celui-ci ait été jugé non qualifié pour un poste d'adjoint aux programmes bilingue CR-05 à durée déterminée. Elle déclare que c'est en raison de sa communication orale dans son ensemble que le plaignant a été jugé non qualifié. Elle fait valoir que d'autres candidats reçus en entrevue avaient un accent et que, sur les douze qui ont réussi, six avaient un accent.

[6]                 Aux paragraphes 14 à 18 de son rapport, l'enquêteur se penche expressément sur le « jeu de rôles » et sur l'allégation du demandeur selon laquelle un des trois responsables de l'entrevue, qui jouait le rôle [Traduction] « [d']un client ayant des problèmes psychologiques » , n'a pas compris l'accent du demandeur, s'est moqué de lui, a utilisé des termes vulgaires et était intimidant.

[7]                 Dans sa lettre du 21 mai 1999 par laquelle elle a avisé le demandeur de la décision, la Commission a déclaré :

[Traduction] En vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de rejeter la plainte parce que :

la preuve n'appuie pas l'allégation du plaignant selon laquelle le défendeur a écarté sa candidature à un concours en raison de son accent;

la preuve démontre que les candidats qui ont réussi le concours ont reçus des notes plus élevées que le plaignant;


la preuve n'appuie pas l'allégation selon laquelle le défendeur n'a pas fait réussir le plaignant dans le cadre du concours de CR-05 en raison de son origine nationale ou ethnique.

[8]                 Au début de l'audience, le demandeur a sollicité la présentation de documents dont ne disposait pas la CCDP. Cette demande a été rejetée. Le demandeur avait également obtenu des renseignements en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, et il a aussi sollicité leur production. Il a obtenu ces renseignements en mai 2000, mais il ne les a jamais fournis au défendeur. J'ai refusé sa requête visant l'admission de ces éléments de preuve.

ANALYSE

[9]                 La norme de contrôle applicable à la décision que la Commission rend lorsqu'elle reçoit un rapport d'enquête comporte un degré élevé de retenue. La Commission n'a aucune fonction décisionnelle, étant plutôt un organisme administratif d'examen préalable, dont le rôle consiste à déterminer si, suivant l'évaluation de la preuve dont elle est saisie, elle est justifiée de tenir une enquête. Voir : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 891, et Holmes c. Canada (Procureur général) (1999), 242 N.R. 148 (C.A.F.).


[10]            Je suis d'avis que la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en l'espèce. L'équité procédurale exige seulement que le rapport de l'enquêteur traite des aspects fondamentaux ou essentiels des incidents de discrimination allégués par le demandeur. Dans Robinson c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Monnaie royale canadienne) (1995), 90 F.T.R. 43 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal a déclaré à la page 49 que :

Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la Commission à préserver un système qui fonctionne sur le plan administratif. Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose.

Il n'y a aucune omission déraisonnable en l'espèce. Je souligne également que, dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F. 1re inst.), à la page 609, conf. par (1997), 205 N.R. 383 (C.A.F.), on a établi qu'un enquêteur n'était pas tenu de mentionner chaque incident de discrimination allégué. Dans la présente affaire, le rapport a abordé les aspects essentiels de la plainte du demandeur et a traité du « jeu de rôles » .

[11]            La Cour s'est également penché sur cette question dans Hedges-McKinnon c. Canada [2001] A.C.F. no 1353 (C.F. 1re inst.). Le juge Muldoon a déclaré à la page 7 :

Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour ne doit intervenir que lorsque la

décision est fondée sur des facteurs non pertinents ou étrangers, ou lorsque le

pouvoir discrétionnaire a été exercé d'une manière discriminatoire, inéquitable,

arbitraire ou déraisonnable.


[12]            Dans l'affaire dont je suis saisi, la décision n'était pas fondée sur des facteurs non pertinents ou étrangers et le pouvoir discrétionnaire n'a pas été exercé d'une manière discriminatoire, inéquitable, arbitraire ou déraisonnable. La preuve indiquait que le demandeur avait échoué l'entrevue, que seuls 12 des 39 candidats reçus en entrevue avaient eu une offre d'emploi et que six des candidats choisis avaient un accent. Le jeu de rôles est abordé dans le rapport de l'enquêteur, comme je l'ai mentionné précédemment.

[13]            Enfin, je souligne que dans une autre affaire touchant le Tribunal canadien des droits de la personne, la preuve nouvelle n'a pas été admise dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le juge Teitelbaum a déclaré ce qui suit dans Via Rail Canada Inc. c. Commission canadienne des droits de la personne et John Mills, [1998] 1 C.F. 376, à la page 389 :

Enfin, en tant que point de droit, je devrais dire que les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] ne prévoient pas la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire : Franz c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 80 F.T.R. 79, et ce, pour une bonne raison, parce que, comme l'a fait remarquer le juge Simpson, à la page 80, « [...] ce contrôle a pour but d'examiner les erreurs faites au cours des délibérations de la Commission » . De même, le juge Muldoon a fait la remarque suivante dans le jugement West Region Tribal Council v. Booth et al. (1992), 55 F.T.R. 28, à la page 35 : « il ne s'agit pas en l'espèce d'un appel formel, [...] mais d'un contrôle judiciaire laissé à la discrétion de la Cour saisie d'une demande avec affidavits à l'appui » .

[14]            En outre, comme l'a déclaré le protonotaire Aronovitch dans Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1999] A.C.F. no 1664, au paragraphe 6 :

Il est également important que tout affidavit complémentaire n'introduise pas des documents qui auraient pu être produits auparavant ou qu'il ne retarde indûment les procédures.

Le demandeur n'a pas respecté le critère de la décision Copello, précitée.

[15]          La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« W. P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

TORONTO (ONTARIO)

Le 9 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                           T-1228-99

INTITULÉ :                                                          AHMED RABAH

demandeur

-et-

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

                                                                       

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE JEUDI 25 OCTOBRE 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          LE JUGE MCKEOWN

EN DATE DU :                                                    VENDREDI 9 NOVEMBRE 2001

ONT COMPARU :                                            M. Ahmed Rabah

Pour le demandeur, pour son propre compte

Mme Lara Speirs

                                                                Pour le défendeur

                                                                                                                                                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Ahmed Rabah

291, rue George, suite 310

Toronto (Ontario)

M5A 2N2

Pour le demandeur, pour son propre compte

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada             

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                              Date : 20011109

                                                                                                     Dossier : T-1228-99

Entre :

AHMED RABAH

demandeur

-et-

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

                                                                       

                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                               


Date : 20011109

Dossier : T-1228-99

TORONTO (ONTARIO), LE 9 NOVEMBRE 2001

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE W.P. McKEOWN

ENTRE :

                                                          AHMED RABAH

                                                                                                                                  demandeur

                                                                      - et -

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                     défendeur

                                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« W. P. McKeown »

                                                                                                                                            JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.

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