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Date : 20011219

Dossier : T-593-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1415

ENTRE :

                                                          ARJEN PELLIKAAN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]         Ces motifs découlent de directives que j'ai données en ma qualité de protonotaire responsable de la gestion de l'instance, lesquelles sont maintenant contestées par le demandeur.


[2]                 Les directives en question portaient sur diverses questions de procédure, y compris une requête que la défenderesse pourrait présenter en vue de faire radier certaines parties de la déclaration, selon ce qui était énoncé dans les précisions que le demandeur devait fournir et selon diverses mesures menant à la tenue d'une conférence préparatoire, au mois de juin 2002, au cours de laquelle les parties, qui seraient prêtes pour l'instruction, pourraient s'entendre sur la durée de l'instruction et fixer sa date.

[3]                 Les directives ne sont ni des ordonnances ni des jugements : voir Drapeau c. Canada (1997) 119 F.T.R. 146, à la page 149. Il s'agit plutôt d'instructions données à titre d'indication, faisant toutefois autorité, portant sur des mesures procédurales interlocutoires. Les directives ne peuvent pas être portées en appel, car il n'existe aucune règle qui le prévoit et, à ma connaissance, aucune compétence implicite permettant l'audition d'un appel relatif à une directive; de plus, un mécanisme d'appel serait inutile, et ce, parce que la Cour peut modifier ou révoquer une directive. Je crois que c'est ce à quoi Monsieur le juge Richard (tel était alors son titre) songeait lorsqu'il a noté, dans la décision Drapeau, l'avis exprimé par Monsieur le juge Wetston, aux pages 148 et 149, selon lequel les avocats qui ne souscrivent pas à une directive devraient présenter une requête. C'est ce qui est arrivé en l'espèce.

[4]                 La requête du demandeur, qui a été présentée le 12 décembre 2001, vise l'obtention d'une ordonnance :

a)          fixant la date de l'instruction;

b)          renvoyant à un juge toute requête visant à faire restreindre la déclaration;


c)          enjoignant à la défenderesse de fournir une copie des précisions relatives à une demande de permis fédéral autorisant la fabrication de fromage dans les provinces canadiennes et, en particulier, en Colombie-Britannique.

Avec la requête susmentionnée, on a présenté une requête orale visant à autoriser un profane, M. Stromotich, à agir comme mandataire ou comme représentant du demandeur pour présenter le cas échéant la preuve du demandeur à la Cour comme le ferait un avocat agissant comme conseil. Cette dernière requête a été entendue en premier lieu. J'ai rejeté les deux requêtes. Toutefois, avant d'examiner le bien-fondé des requêtes et d'effectuer mon analyse, il convient de faire l'historique de l'affaire.

HISTORIQUE

[5]                 Pour faire l'historique, je me suis fondé sur ce que les parties ont dit, sur la déclaration et sur l'affidavit de M. Pellikaan en date du 12 décembre 2001 ainsi que sur les pièces qui y étaient jointes, y compris une lettre datée du 10 décembre 2001 adressée à la Cour.


[6]                 Si je comprends bien, pendant une partie de l'année 1990 et auparavant, pendant un certain temps, M. Pellikaan exploitait une grosse ferme laitière; il avait environ 400 vaches laitières et fabriquait du fromage, produisant des produits destinés au marché des personnes d'origine indienne. La ferme et l'entreprise de fabrication de fromage, qui étaient exploitées sur un terrain loué, près de Chilliwack, étaient connues sous le nom de Khalistan Dairy Cooperative of British Columbia et de Meadow Lea Farms.

[7]                 Il semble que le procureur général et le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique aient engagé des procédures contre M. Pellikaan avant le 25 juillet 1990 puisque, à cette date, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une ordonnance provisoire empêchant M. Pellikaan de vendre du lait et d'autres produits laitiers qui n'avaient pas été pasteurisés. Le 19 octobre 1990, Monsieur le juge Collver, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a rendu sur consentement une ordonnance empêchant de façon permanente M. Pellikaan et son entreprise de vendre, de distribuer ou de fournir des produits laitiers qui n'avaient pas été transformés et pasteurisés conformément à la Milk Industry Act R.S.B.C. 1979 ch. 258 et à son règlement d'application.


[8]                 Le demandeur, M. Pellikaan, a intenté la présente action le 23 mars 2000. Cette action est semblable à une action antérieure intentée par le demandeur dans le dossier T-1283-97, laquelle a été rejetée pour cause de retard il y a un certain temps. La déclaration qui a été déposée dans la présente instance, laquelle est rédigée à simple interligne, est plutôt difficile à lire et à comprendre, mais il y est essentiellement allégué que la Commission canadienne du lait et le Milk Marketing Board de la Colombie-Britannique ont agi d'une façon discriminatoire envers le demandeur, en violation de la Charte canadienne des droits et libertés, en fermant son entreprise, dont le chiffre d'affaires mensuel était de plus de cinq millions de dollars. La déclaration renferme également des allégations à l'encontre du procureur général de la Colombie-Britannique, du ministère provincial de la Santé, de la ville de Vancouver, du service de police de la ville de Vancouver, de l'East Chilliwack Coop Association, d'un cabinet d'avocats de Vancouver, de la Law Society of British Columbia et d'un laboratoire d'essai, un lien étant établi entre un grand nombre de ces entités au moyen d'allégations de complot. Toutefois, la déclaration renferme beaucoup plus d'allégations et comme je l'ai dit, elle est difficile à lire et à comprendre : elle est également difficile à résumer. La Couronne a déposé une défense pro forma le 13 avril 2000.


[9]                 L'action a fait l'objet d'un examen de l'état de l'instance au mois d'avril de l'année en cours. M. Pellikaan a écrit à la Cour pour l'informer qu'il avait récemment eu un accident cérébrovasculaire, mais qu'il était presque rétabli et qu'il pourrait signifier un avis de demande de conférence préparatoire dans les 45 jours qui suivraient la date à laquelle la Cour l'informerait qu'il pouvait poursuivre l'affaire.

[10]            Par une ordonnance rendue le 5 juillet 2001 à l'égard de la gestion de l'instance, la Cour fédérale a demandé aux avocats de déposer conjointement ou séparément un calendrier indiquant les mesures qu'il restait à prendre avant la fin de ce mois-là. Le demandeur n'a rien déposé, mais l'avocate de la défenderesse a soumis un calendrier qui a abouti à la présentation d'une demande en vue de la tenue d'une conférence préparatoire au plus tard le 21 septembre 2001. Le demandeur n'a pas tenu compte du calendrier; j'ai donc fixé la date de la conférence préparatoire au 6 décembre 2001, en donnant une directive sur la gestion de l'instance. Cette directive a été envoyée par télécopie et M. Pellikaan y a immédiatement répondu, en disant qu'il estimait qu'il ne pourrait pas [TRADUCTION] « finir de rédiger [s]es arguments » avant le 21 novembre 2001 environ.

[11]            Lors de la conférence préparatoire du 6 décembre 2001, il est vite devenu évident qu'il était prématuré de fixer la date de l'instruction, car les documents n'avaient pas été produits et les interrogatoires préalables n'avaient pas eu lieu. En outre, la défenderesse avait récemment reçu signification d'une demande de précisions à laquelle le demandeur, au moyen d'une lettre, avait refusé de répondre. Les deux parties en étaient encore aux requêtes procédurales. La conférence préparatoire a donc été ajournée au 18 juin 2002, un calendrier étant établi sur consentement, calendrier dont fait état la lettre que j'ai envoyée à l'avocate et à M. Pellikaan le 6 décembre 2001 :

1.          Le demandeur devait signifier et déposer des précisions, en réponse à la demande de précisions du 7 novembre 2001, avant la fermeture des bureaux du greffe, le 11 janvier 2002;

2.          La défenderesse devait signifier et déposer tout dossier de requête portant sur les précisions, la compétence, l'absence de cause d'action ou des questions procédurales similaires avant la fermeture des bureaux du greffe, le 8 février 2002;

3.          Le dossier de requête du demandeur, en réponse, devait être signifié et déposé avant la fermeture des bureaux du greffe, le 20 février 2002;


4.          La requête ou les requêtes de la défenderesse seraient entendues dans le cadre d'une séance spéciale le 26 février 2002 à 10 h 30. Pendant la réunion, j'avais peut-être mentionné que l'audience commencerait à 9 h 30, mais je me suis rendu compte qu'une conférence relative à la gestion d'une instance devait avoir lieu à 9 h, le 26 février, de sorte que la requête ici en cause serait entendue à 10 h 30;

5.          Les parties devaient produire leurs documents avant la fermeture des bureaux du greffe, le 29 mars 2002, mais elles avaient la faculté de présenter une demande;

6.          Toute requête présentée par le demandeur en vue de l'obtention de documents de tiers devait être signifiée et déposée au plus tard le 31 mai 2002;

7.          Les interrogatoires préalables devaient être terminés avant la fermeture des bureaux, le 31 mai 2002;

8.          Les engagements devaient être pris avant la fermeture des bureaux, le 14 juin 2002.


Comme je l'ai dit, M. Pellikaan, M. Stromotich, ami et porte-parole de M. Pellikaan, et l'avocate de la Couronne ont convenu de ce calendrier. Toutefois, il y avait un sujet sérieux de mésentente dont il n'a pas été fait mention dans les directives. Le demandeur croyait que l'instruction devait avoir lieu sans délai et qu'elle durerait sept jours. De son côté, l'avocate de la défenderesse croyait qu'il était prématuré de fixer la date de l'instruction et elle estimait que l'instruction durerait cinq jours. Toutefois, les Règles de la Cour fédérale prévoient d'une façon passablement rigoureuse que les parties doivent être prêtes pour l'instruction et que la date de l'instruction est ensuite fixée, lorsque la conférence préparatoire a lieu : voir les articles 258 à 264 des Règles.

[12]            Pendant la conférence relative à la gestion de l'instance, j'ai permis à M. Stromotich d'agir en fait comme porte-parole de M. Pellikaan. Cette approche semblait logique en ce sens que M. Stromotich était en mesure d'aider la Cour à établir un calendrier réaliste.

[13]            Le 10 décembre 2001, la Cour a reçu une lettre de six pages signée par M. Pellikaan en sa qualité de demandeur et par M. Stromotich en sa qualité de mandataire, mais cette lettre avait clairement été rédigée par M. Stromotich.

[14]            La lettre du 10 décembre 2001 était dans son ensemble non pertinente, mais elle était également répréhensible et de mauvais goût. Les points qui y étaient soulevés et les remarques qui y étaient faites étaient plutôt injurieux : [TRADUCTION] « Monsieur le juge Colver [...] a agi comme un psychopathe [...] Que Dieu lui donne sa malédiction! » Certaines remarques étaient même abusives, puisqu'il était fait mention des tactiques fascites adoptées par le ministère de la Justice; elles étaient aussi de mauvais goût, la Gendarmerie royale du Canada étant qualifiée de [TRADUCTION] « SS canadienne » et les tactiques employées à l'égard de M. Pellikaan par [TRADUCTION] « la cabale des " fonctionnaires de la Cour " et de leurs agents » , étant assimilées à la Kristallnacht. Comme je l'ai dit, la lettre était répréhensible et de mauvais goût, mais fait plus important, elle n'était pas pertinente, de sorte que, par une directive écrite en date du 12 décembre 2001, j'ai exigé qu'elle soit renvoyée :

[TRADUCTION]

DIRECTIVE

[1]            On m'a référé à une lettre en date du 10 décembre 2001, signée par M. Stromotich, en sa qualité de mandataire de M. Pellikaan, et par M. Pellikaan lui-même, dont une copie a été transmise à l'avocate du ministère de la Justice. La lettre, du fait qu'il y est fait mention de M. Pellikaan à la troisième personne, a été rédigée par M. Stromotich pour le compte de M. Pellikaan.

[2]            Dans l'ensemble, la lettre n'est à mon avis absolument pas pertinente, à moins qu'il ne s'agisse d'une tentative pour revoir la conférence du 6 décembre 2001 qui, de conférence préparatoire menant à la détermination de la date de l'instruction, est devenue une simple conférence relative à la gestion de l'instance, ni l'une ni l'autre partie n'en étant à un stade procédural lui permettant de passer directement à l'instruction.


[3]            Plus précisément, la lettre, qui renferme des éléments abusifs, qui est de nature en partie argumentative et dans laquelle figurent des remarques qui sont particulièrement de mauvais goût et injurieuses, est dans l'ensemble non pertinente. En outre, les personnes qui cherchent à agir comme conseil devraient se rendre compte qu'un conseil ne devrait pas s'en prendre à un autre conseil sur le plan personnel.

[4]            La lettre doit être renvoyée à M. Pellikaan à la nouvelle adresse donnée aux fins de la signification.

[5]            Comme je l'ai dit, la lettre a été rédigée par M. Stromotich, « en sa qualité de mandataire » . Les Règles de la Cour fédérale reconnaissent que les particuliers peuvent comparaître en personne et agir pour leur propre compte ou que des avocats peuvent comparaître à titre de conseil. Les mandataires, qui ne sont pas des avocats, ne peuvent en général pas comparaître devant la Cour. De temps en temps, lorsque les avocats de la partie adverse n'ont pas soulevé d'objections, la Cour a autorisé des mandataires à comparaître dans des circonstances spéciales si la chose était raisonnable et utile pour toutes les personnes concernées.

[6]            En l'espèce, lors de la conférence relative à la gestion de l'instance du 6 décembre 2001, après avoir obtenu le consentement de l'avocate de la défenderesse, après avoir tenu compte de la situation et des aptitudes de M. Pellikaan et après avoir entendu les remarques préliminaires de M. Stromotich, ce qui dans l'ensemble m'a amené à croire qu'il était bon que M. Stromotich participe à l'instance, j'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et j'ai autorisé M. Stromotich à aider M. Pellikaan et à le représenter. Pendant l'instance, M. Pellikaan a de son côté fait d'autres remarques et observations. Ces dispositions se sont avérées fructueuses en ce sens que les parties se sont entendues sur un calendrier en vue de ramener dans la bonne voie l'instance engagée par M. Pellikaan, qui avait été retardée et qui avait fait l'objet d'une ordonnance relative à la gestion de l'instance en raison du retard du demandeur.

[7]            En raison de la lettre du 10 décembre 2001, je ne crois plus que M. Stromotich puisse agir d'une façon raisonnable et qu'il puisse aider la Cour. M. Stromotich a agi de façon à semer le désordre.

[8]            Comme tout autre membre du public qui n'est ni partie ni avocat dans l'instance, M. Stromotich pourra assister à l'audition des requêtes à titre de spectateur. Toutefois, pour éviter le désordre, M. Stromotich ne pourra pas dans l'avenir assister aux conférences de gestion de l'instance ou aux conférences préparatoires.

[9]            Veuillez transmettre une copie de cette directive à M. Pellikaan à la nouvelle adresse qui a été donnée aux fins de la signification ainsi qu'à l'avocate de la Couronne.


C'est cette directive qui a entraîné la présentation de la requête du demandeur, le 12 décembre, ainsi que de la requête orale connexe visant à autoriser M. Stromotich, un profane, à représenter M. Pellikaan. Cela nous amène à fixer la date d'audition de la requête.

[15]            Les requêtes présentées devant la Cour fédérale sont entendues dans le cadre de séances spéciales ou au cours d'une journée régulière consacrée à l'audition des requêtes dans une salle d'audience. Le 17 décembre au matin, tout était prêt dans une salle d'audience; or, le greffier a été informé que M. Stromotich ne craignait pas d'aller au greffe même, au troisième étage, mais que sa crainte des hauteurs l'empêchait d'aller au septième étage, où était située la salle d'audience. J'ai alors demandé que l'audition des requêtes ait lieu dans une salle de conférence au troisième étage. C'était une erreur de ma part, car cela a eu pour effet d'exposer l'avocate de la Couronne à des injures inutiles à faible distance et de placer les avocats, le sténographe, le greffier et les huissiers audienciers dans une situation désagréable et stressante, ce qui n'aurait pas dû se produire.


EXAMEN

[16]            Malheureusement, la lettre répréhensible non pertinente du 10 décembre 2001 s'est retrouvée dans le dossier du greffe à titre de pièce à l'appui de la requête de M. Pellikaan. Après que la requête eut été annoncée, voici ce que j'ai dit à M. Pellikaan :

[TRADUCTION] Je constate, Monsieur, que vous êtes accompagné de M. Stromotich. Or, il n'est ni partie ni avocat. Comme je l'ai dit dans ma directive du 12 décembre, M. Stromotich peut, comme tout autre membre du public, prendre place avec le public à titre de spectateur. Toutefois, M. Stromotich s'est conduit de façon à semer le désordre et à discréditer la justice. Cela étant, M. Stromotich ne peut pas prendre place à la table des avocats, et il ne peut pas présenter d'observations à l'égard de la requête.

Toutefois, une directive ne peut pas être portée en appel; or, le 12 décembre, j'ai donné une directive. Je vais donc permettre à M. Stromotich, s'il le désire, de présenter oralement une requête pour qu'il soit autorisé à vous représenter et à soumettre des observations au sujet de la requête. Me Parks aura ensuite la possibilité de répondre, et je rendrai ensuite une décision.

J'ai adopté cette approche parce que je croyais que M. Pellikaan était incapable d'agir pour son propre compte et parce que je voulais voir si M. Stromotich pouvait se racheter. En outre, en ce qui concerne les questions de représentation et de date de l'instruction, qui sont de toute évidence importantes pour le demandeur, je voulais donner au demandeur la possibilité de présenter sa preuve et, au besoin, d'obtenir une ordonnance, par opposition à une directive, pareille ordonnance pouvant, si elle lui semblait irrégulière, être portée en appel.

[17]            Malheureusement, le demandeur, M. Stromotich et le fils du demandeur ont quitté la salle d'audience avant la fin de l'audition de la requête et avant que l'avocate de la défenderesse ait achevé son exposé. Ils sont partis même si on les avait avertis que cela pourrait nuire à la position que M. Pellikaan avait prise.

Permission accordée à un profane d'agir comme porte-parole


[18]            À l'appui de la requête qu'il a présentée oralement afin d'être autorisé à défendre les intérêts de M. Pellikaan, M. Stromotich a mentionné une lettre qui devait être préparée par le médecin de M. Pellikaan; il a soutenu que M. Pellikaan ne pouvait pas agir pour son propre compte parce qu'il avait eu un grave accident cérébrovasculaire. M. David Pellikaan, fils du demandeur, a fait savoir que son père ne pouvait pas se procurer les fonds nécessaires pour payer un avocat et que, de fait, il ne pouvait pas retenir les services d'un avocat. M. Pellikaan a fait savoir qu'il avait eu recours à trois avocats, mais qu'il avait contacté d'autres avocats et que personne ne voulait s'occuper du dossier. En se fondant sur une preuve plutôt faible, M. Stromotich a affirmé que je faisais peut-être preuve de partialité, que je devrais me récuser et, de fait, que je ne devrais pas siéger en vue d'entendre une requête visant le réexamen ou la modification de la directive que j'avais donnée. Les autres remarques de M. Stromotich étaient également en bonne partie non pertinentes en ce qui concerne la question de savoir s'il pouvait défendre les intérêts de M. Pellikaan.

[19]            En ce qui concerne l'allégation de partialité, la preuve par affidavit qui a été présentée en l'espèce et dans laquelle un préjugé est allégué est bien faible. La partialité est définie comme étant [TRADUCTION] « une tendance à trancher une question en se laissant influencer par des considérations autres que le bien-fondé » : The Oxford Companion to Law, D.M. Walker, Clarendon Press, 1980; voir également Franklin c. Minister of Town and Country Planning [1948] A.C. 87, à la page 103 et aux pages suivantes (C.L.). Lorsque la partialité est alléguée, il n'est généralement pas nécessaire d'établir l'existence d'une partialité réelle. Toutefois, le simple fait qu'une partie n'a pas eu gain de cause dans une requête, ou qu'une directive a été donnée à son encontre, n'indique pas que le tribunal est partial ou qu'il fait preuve de favoritisme envers une partie. En l'espèce, les éléments soumis par M. Pellikaan sont bien loin de satisfaire au critère reconnu qui s'applique en matière de partialité, lequel a été énoncé un certain nombre de fois par la Cour suprême du Canada, notamment dans l'arrêt Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Public Utilities Board) [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636, et d'une façon plus détaillée dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :


La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. [...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Monsieur le juge DeGrandpré a prononcé ses motifs au nom de trois des juges seulement, mais ce critère a en fait été adopté par la majorité dans l'affaire et a été utilisé dans les arrêts Newfoundland Telephone Company et Baker c. Canada (1999) 174 D.L.R. (4th) 193, à la page 221 (C.S.C.). À coup sûr, nous avons tous des idées préconçues, ou des préférences, qui peuvent nous obliger à faire preuve de discipline afin de veiller à ce que cela ne devienne pas de la partialité nuisant à la capacité d'exercer des fonctions judiciaires; je citerai ici la décision Beno c. Létourneau (1997) 126 F.T.R. 241, à la page 266, où Monsieur le juge Campbell mentionne une remarque que Monsieur le juge en chef Bayda, de la Cour d'appel de la Saskatchewan, a récemment faite :

Tous les juges savent, et toutes les personnes raisonnablement bien renseignées qui ne sont pas juges et qui abordent la question de façon objective doivent savoir, que les juges ont, comme tous les autres êtres humains, certaines idées préconçues. Les juges ne sont pas -- et la société ne veut pas qu'ils soient -- des eunuques intellectuels dénués de toute conception philosophique de la vie, de la société, du gouvernement ou du droit et le monde dans lequel vivent les juges est le même que celui dans lequel vit la population -- c'est-à -dire un monde réel, plutôt qu'un monde idéal. La question cruciale n'est donc pas celle de savoir si le juge a une idée préconçue, mais plutôt celle de savoir si le juge est apte et disposé à faire abstraction de cette idée préconçue et à ne pas la laisser l'influencer dans l'exercice de ses fonctions judiciaires.

La décision Beno a été infirmée en appel, (1997) 212 N.R. 357, mais la remarque précitée est encore valable.


[20]            M. Pellikaan est bien loin de satisfaire au critère applicable à la partialité et il est loin d'établir que je ne puis mettre de côté toute idée préconçue que je pourrais avoir, par suite de la conduite de M. Stromotich ou pour quelque autre raison, et que je ne puis exercer ma fonction judiciaire comme il convient de le faire.

[21]            J'examinerai maintenant la question de savoir si M. Stromotich peut défendre les intérêts de M. Pellikaan. Comme je l'ai dit à l'audience, il faut louer M. Stromotich pour avoir voulu aider M. Pellikaan. Toutefois, l'article 119 des Règles prévoit que « [s]ous réserve de la règle 121, une personne physique peut agir seule ou se faire représenter par un avocat, dans toute instance » . L'article 121 des Règles exige qu'une personne qui est atteinte d'une incapacité juridique soit représentée par un avocat. La jurisprudence montre clairement qu'il n'existe aucune solution de rechange autorisant quelqu'un qui n'est pas avocat à être représenté par un particulier. Je mentionnerai ici deux décisions. En premier lieu, dans l'arrêt Giagnocavo c. ministre du Revenu national (1996) 189 N.R. 225, Monsieur le juge en chef Isaac, au nom de la Cour d'appel, a refusé à l'appelant l'autorisation de représenter sa conjointe en se fondant sur la règle qui s'appliquait avant que l'article 119 actuel des Règles entre en vigueur, ces deux dispositions étant similaires.

[22]            Madame le juge Reed a donné des précisions sur ce point dans la décision Morrisroe c. Canada (1997) 119 F.T.R. 276, aux pages 276 et 277 :

[2]      Malheureusement, les Règles de la Cour fédérale ne permettent pas la « représentation par un non-juriste » . La règle 300 prévoit qu'un particulier peut agir seul ou se faire représenter par un avocat. Il existe une jurisprudence établissant clairement qu'une personne ne peut pas être représentée par un non-juriste; voir de façon générale : Giagnocavo c. Canada (1995), 189 N.R. 225 (C.A.F.); Vojic c. M.R.N. (C.A.F., A-252-86, 31 mars 1987).

[3]      Je reconnais que cette règle n'a pas toujours été respectée. Parfois, notamment dans des cas où la partie adverse consent à la représentation par un non-juriste, les procédures se sont déroulées, de façon informelle, en présence d'un représentant qui ntait pas avocat. Voir, par exemple, l'arrêt Vojic mentionné ci-dessus et la décision Bishay c. Ministre du Revenu national, [1996] 1 C.T.C. 2286; 103 F.T.R. 6 (C.F. 1re inst.). Il ne s'agit pas cependant de précédents en faveur de la délivrance d'une ordonnance autorisant formellement un non-juriste à représenter une partie devant notre Cour.

[23]            Il est utile, dans des circonstances spéciales, de reconnaître officieusement la représentation par un profane. Dans ce cas-ci, j'espérais que M. Stromotich soit à la hauteur de la situation et que, sur consentement de l'avocate de la Couronne, l'action puisse se poursuivre sur une base moins formelle avec l'aide d'un représentant profane, car M. Pellikaan a clairement besoin d'aide lorsqu'il s'agit de soumettre sa preuve. Toutefois, étant donné ses loufoqueries, son attitude et l'absence de toute approche raisonnable de sa part, M. Stromotich n'est pas la personne appropriée pour défendre les intérêts de M. Pellikaan. M. Stromotich ne peut pas agir comme mandataire et il ne peut pas comparaître pour défendre les intérêts de M. Pellikaan. J'examinerai maintenant le deuxième point soulevé dans la requête du demandeur, à savoir que seul un juge devrait être saisi des requêtes.


Question de savoir qui peut entendre les requêtes

[24]            M. Pellikaan demande que toute requête visant à restreindre la portée de sa déclaration soit présentée devant un juge. Je crois que M. Pellikaan parle de la possibilité que la défenderesse présente une requête visant à faire radier la déclaration, ou du moins certaines parties de la déclaration. L'avocate de la défenderesse affirme avec raison que les mesures qu'elle prendra dépendront de ce qu'elle apprendra par suite des précisions qui doivent maintenant être fournies.

[25]            Si une requête est présentée en vue de faire radier la déclaration, et en fait si une requête, quelle qu'elle soit, est présentée en l'espèce, il appartient à la Cour d'assigner pareille requête à un protonotaire ou à un juge plutôt qu'à un plaideur d'exiger que l'affaire soit entendue par quelqu'un d'autre, en l'absence d'un motif convaincant. Je suppose ici qu'il peut exister trois raisons à l'appui de la demande.


[26]            Premièrement, je me contenterai de faire de brèves remarques en examinant l'argument selon lequel les protonotaires n'ont pas compétence pour entendre des requêtes dans des actions se rapportant à des sommes supérieures à 50 000 $. Selon l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 50 des Règles de la Cour fédérale, il est clair que le plafond de 50 000 $ s'applique uniquement à l'audition d'une action plutôt qu'à une requête entendue dans le cadre de la conduite d'une action se rapportant à une somme de plus de 50 000 $. Dans le premier cas, le protonotaire n'a pas la compétence voulue alors que, dans le dernier cas, il a compétence.

[27]            J'ai déjà examiné la question de la partialité. À coup sûr, dans la preuve par affidavit qu'il a présentée et dans sa lettre du 10 décembre 2001, M. Pellikaan fait de nombreuses allégations, à tort et à travers, au sujet de la question de la partialité. Ces allégations ne sont pas fondées et elles ne satisfont pas au critère susmentionné qui s'applique à la question de la partialité, tel qu'il a été énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty.


[28]            M. Pellikaan et M. Stromotich semblaient avoir l'impression qu'une partie avait le droit, et peut-être même un droit constitutionnel, de faire entendre sa cause par un juge. À ma connaissance, il n'existe aucun droit de ce genre. La compétence des protonotaires et des juges est plutôt énoncée dans la Loi sur la Cour fédérale et dans les Règles de la Cour fédérale. Comme je l'ai déjà dit, il appartient à la Cour d'assigner les différentes affaires aux juges et aux protonotaires, en tenant toujours compte de la compétence de ces derniers et des ressources restreintes de la Cour. Je rejette la demande visant l'obtention d'une ordonnance selon laquelle les requêtes qui sont susceptibles de restreindre la portée de la déclaration devraient être présentées à un juge.

Précisions sollicitées par le demandeur

[29]            Le demandeur demande également que la défenderesse fournisse des précisions énonçant ce qu'il faut faire pour obtenir un permis fédéral de production de fromage en Colombie-Britannique. Je ne vois pas quel est le rapport avec les actes de procédure tels qu'ils sont libellés à l'heure actuelle. En outre, il n'y a rien dans la preuve de M. Pellikaan ou dans les observations que M. Pellikaan a soumises ou qui ont été soumises pour le compte de celui-ci qui indique que pareilles précisions sont nécessaires, et ce, que ce soit aux fins des plaidoiries ou aux fins de l'instruction. Je songe ici à divers principes tirés de la jurisprudence établie.


[30]            En général, les précisions visent à permettre à une partie de connaître la nature des arguments auxquels elle devra faire face, à empêcher toute surprise à l'instruction, à faciliter le rassemblement des éléments de preuve appropriés, à limiter la portée générale des actes de procédure, à déterminer les points à instruire ainsi qu'à empêcher une partie, sans autorisation, d'examiner des questions qui n'ont pas été plaidées ou qui n'ont pas été incluses dans les précisions : voir par exemple Gulf Canada Ltd. c. le « Mary Mackin » [1984] 1 C.F. 884, à la page 889. En outre, il ne sera pas ordonné que des précisions soient fournies à moins que la partie qui les demande n'établisse que ces précisions sont nécessaires aux fins des plaidoiries et qu'elle n'est pas au courant de la situation et à moins que les actes de procédure ne soient manifestement inadéquats : voir Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc. (1987) 15 F.T.R. 302, à la page 308. En l'espèce, les actes de procédure sont pour le moment clos, mais si, après les interrogatoires préalables et avant l'instruction, le demandeur ne connaît toujours pas la défense à laquelle il doit répondre, une autre demande en vue de l'obtention de précisions pourra alors être présentée : voir par exemple Smith Kline & French Laboratories Ltd. c. Lek Trovarna Farmacevtskih in Kemichnih Izdelkov M. Sol O. (1985) 4 C.P.R. (3d) 257 (C.F. 1re inst.). Cependant, il n'est pas fait droit à la demande de précisions lorsqu'elle ne vise pas à délimiter une question, mais qu'elle se rapporte plutôt à la nature de la preuve relative à la façon dont une question en litige peut être établie : McMillan c. Canada (1996) 108 F.T.R. 32, à la page 39 (C.F. 1re inst.), approuvé (1999) 237 N.R. 8, à la page 10 (C.A.F.) : tel est le principal obstacle à l'obtention des précisions sollicitées par le demandeur, car elles n'ajoutent rien à la défense et n'éclaircissent pas la défense, mais elles visent tout au plus à indiquer ce que le demandeur pourrait avoir à démontrer pour établir sa preuve. La demande de précisions est donc rejetée.


CONCLUSION

[31]            La requête orale que M. Stromotich a présentée afin d'être autorisé à défendre les intérêts de M. Pellikaan ou à agir en quelque sorte comme mandataire de M. Pellikaan et la requête qui a été présentée le 12 décembre 2001 sont toutes les deux rejetées.

[32]            Étant donné que M. Pellikaan n'était pas dans la salle d'audience lorsque j'ai rejeté les deux requêtes, je n'ai pas examiné la question des dépens. L'avocate de la défenderesse pourra prendre des dispositions aux fins de l'examen de cette question si sa cliente le veut.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 19 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-593-00

INTITULÉ :                                                 Arjen Pellikaan

c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 17 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Monsieur le protonotaire

P. Hargrave

DATE DES MOTIFS :                               le 19 décembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Arjen Pellikaan                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

Mme Shirley Parks                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Arjen Pellikaan                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                                 

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