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Date : 19991109


Dossier : T-1296-97

ENTRE :


SYDNEY JEAN SMITH

demanderesse


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DU TRÉSOR

ET LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

défendeurs




MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Cette demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de Lise Guevremont, du ministère de la Défense nationale, datée du 15 mai 1997, dans laquelle elle rejetait la demande de partage des prestations de retraite présentée par la demanderesse.

[2]      La demanderesse, Sydney Jean Smith, a épousé Garnet William Smith, un membre des forces armées canadiennes, en 1963. En 1989, la demanderesse a signé un accord par lequel elle renonçait à ses droits aux prestations de retraite ainsi qu"à l"indemnité de cessation d"emploi de son mari, et à toute réclamation de soutien alimentaire, en échange d"un versement forfaitaire de 14 000 $.

[3]      M. Smith est décédé en 1993, sans avoir pris sa retraite ou fait valoir ses droits à une pension. La prestation de décès minimum a été versée à son fils, Duane Smith.

[4]      La demanderesse étant dans une très mauvaise situation financière, elle a présenté une demande en vertu de la Succession Law Reform Act afin d"obtenir le partage des prestations de retraite.

[5]      Le 19 mars 1996, l"avocate de la demanderesse a écrit à Mme Guevremont, responsable du Service de la paye, lui demandant qu"on cesse tout versement de prestations de retraite jusqu"à ce qu"on ait statué sur la demande de sa cliente. La demanderesse a été informée alors qu"il n"y avait plus de prestations payables, puisqu"elles avaient déjà été versées à Duane Smith au début de 1996.

[6]      Le formulaire de demande de partage des prestations de retraite est parvenu à la demanderesse le 27 mars 1996 et elle l"a retourné le 2 avril 1996. Le défendeur soutient que la demande était incomplète. Dans une lettre du 26 juillet 1996 adressée à la demanderesse, Mme Guevremont l"informe qu"on ne pouvait donner suite à sa demande de partage des prestations de retraite parce qu"elle était hors délai, la date limite étant le 31 mars 1996.

[7]      Le 3 octobre 1996, le juge Sirois a ordonné le partage des prestations de retraite.

[8]      Le 13 janvier 1997, la demanderesse a écrit à Mme Guevremont pour lui demander de réexaminer sa décision. Dans une lettre datée du 15 mai 1997, Mme Guevremont refuse la demande.

LES ALLÉGATIONS DE LA DEMANDERESSE

[9]      La demanderesse soutient que l"objet de la Loi sur le partage des prestations de retraite (LPPR) est de faciliter le partage des prestations de retraite ordonné par un tribunal ou convenu dans le cadre d"une entente sur le partage des biens. Elle soutient que l"article 6 du Règlement sur le partage des prestations de retraite (RPPR) est contraire à l"objet et aux dispositions de la LPPR et, de ce fait, ultra vires.

[10]      Elle soutient que rien dans la LPPR n"autorise un refus de partager les prestations de retraite du fait que la demande a été reçue après le 31 mars 1996.

LES ALLÉGATIONS DES DÉFENDEURS

[11]      Les défendeurs soutiennent que le paragraphe 16m) de la LPPR autorise le gouverneur en conseil à fixer le délai prévu à l"article 6 du RPPR .

[12]      Ils expliquent qu"en ce moment-ci, ainsi qu"au moment où la demanderesse a réclamé le partage, la règle générale d"évaluation prévue au paragraphe 14(1) fait qu"il n"y avait pas de prestations de retraite à évaluer. Par conséquent, il ne pouvait pas y avoir de partage en vertu de la LPPR . Après le versement aux enfants, la valeur des prestations de retraite était nulle.

[13]      Toutefois, le paragraphe 14(3) du RPPR constitue une exception, en ce qu"il crée une valeur résiduelle pour les prestations de retraite du participant alors que celles-ci ont été intégralement payées et que, normalement, leur valeur serait nulle. Cette valeur constitue un bénéfice imprévu qui s"ajoute au passif du régime de pension.

[14]      Le défendeur soutient que le délai prévu permet de fixer un terme aux prestations de retraite versées au titre de participants décédés, puisque le partage des prestations de retraite a un impact sur la valeur et sur le paiement d"autres prestations en vertu des divers régimes de pensions. La fixation d"un délai n"est pas une mesure arbitraire. Il s"agit plutôt d"un aspect raisonnable et nécessaire de la législation en cause, qui porte essentiellement sur la procédure administrative.

[15]      Ils soulèvent aussi le fait que la demande n"était pas complète. Ce n"est qu"après l"ordonnance de la Cour, le 15 avril 1997, soit une année après que la période de 18 mois prescrite par le RPPR , que la demande était conforme à la LPPR.

QUESTION EN LITIGE

[16]      L"alinéa 6(1)b ) du RPPR est-il ultra vires?

ANALYSE

[17]      La demanderesse est une veuve qui s"est vu refuser le partage d"une pension après 26 ans de mariage, en vertu d"un règlement adopté en 1994.

[18]      Dans Steve Dart Co. c. Canada (Commission d"arbitrage), [1974] 2 F.C. 215, la Cour a conclu que :

         Cet article accorde le droit supplémentaire d"édicter des règlements pour la réalisation des fins de la Loi et la mise en oeuvre de ses dispositions, mais ces questions doivent être clairement exprimées ou renfermées dans les autres articles de la Loi ou nécessairement en découler. Cela permet d"édicter des Règlements ejusdem generis par rapport à ceux qui sont autorisés dans les autres articles de la Loi prévoyant l"adoption de Règlements. Cela permet également d"édicter un Règlement nécessaire pour mettre effectivement en application une disposition clairement exprimée de la Loi ne relevant d"aucun de ses autres articles de réglementation; cela ne confère pas pour autant le droit d"édicter des Règlements touchant à une question qui n"est même pas abordée dans la Loi.

[19]      Afin de déterminer si le Règlement est conforme à la Loi, il faut absolument examiner l"objet de la Loi.

[20]      L"objet de la Loi est décrit de la façon suivante dans le résumé de l"étude d"impact de la réglementation : de fournir un mécanisme permettant d"effectuer des paiements à même le fonds de pension, et non de fixer la valeur de la pension revenant à chaque époux dans le cas d"entente sur le partage des biens par suite de la rupture de leur relation.

[21]      Par conséquent, l"objet premier de la Loi, et le seul, est de fournir un mécanisme de partage des prestations de retraite. Comme un participant contribue toute sa vie, la Loi a été adoptée pour faciliter le partage des prestations de retraite entre les intéressés.

[22]      Dans Dubé c. Canada (Direction des pensions de retraite), [1996] A.C.F. no 341, le juge Nadon conclut que :

         À mon avis, le but d"une demande déposée sous le paragraphe 4(1) n"est pas de demander au ministre de partager les prestations de retraite mais plutôt de lui demander d"approuver le partage qui a été ordonné, en l"instance, par la Cour supérieure du Québec.

[23]      En l"instance, le partage des prestations de retraite a reçu l"approbation du juge Sirois, mais le ministre a refusé d"y donner suite en s"appuyant sur le Règlement.

[24]      Le défendeur cite les affaires CKOY Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 2, et Re Westinghouse Electric and Duquesne Light Company et al (1977), 16 O.R. (2d) 273, à l"appui de sa conclusion que le Règlement a été adopté en conformité de la Loi. Toutefois, on peut distinguer ces affaires de la présente, puisque les règlements en cause avaient été adoptés conformément à l"objectif de la Loi, ce qui n"est pas le cas ici.

[25]      Je suis d"avis que l"alinéa 6(1)b ) du RPPR a pour conséquence de mettre en échec l"objet de la Loi, puisqu"il vise à empêcher le partage des prestations de retraite prévu par la Loi.

[26]      De plus, la Loi prévoit certains délais comme celui qu"on trouve au paragraphe 5(3), portant sur la présomption de réception de l"avis, ou celui qu"on trouve au paragraphe 6(1), qui porte que l"intéressé qui s"oppose à la demande de partage doit adresser un avis d"opposition dans les 60 jours. Ces délais ne font aucunement obstacle au droit d"obtenir le partage des prestations de retraite.

[27]      Si le législateur avait voulu prévoir un délai, il l"aurait inscrit dans la Loi comme il l"a fait aux articles 5 et 6.

[28]      Dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique ), [1977] 2 C.F. 663 (C.R.T.F.P.), le juge Le Dain conclut que :

         À mon avis, l"imposition, par règlement, d"un délai à l"intérieur duquel un droit conféré par une loi peut être exercé, doit s"appuyer sur une disposition statutaire expresse.


[29]      Dans Alvarez c. Ministre de la Main-d"oeuvre et de l"Immigration, [1979] 1 C.F. 149, la Cour d"appel fédérale a conclu que :

         La Règle 19 ... a été établie en vertu de cette autorisation. Il faut admettre que, généralement parlant, il s"agit là d"une règle concernant l" " activité [de la Commission] et la pratique et la procédure relatives aux appels ". J"estime cependant qu"elle est incompatible avec l"article 7(3) de la Loi dans la mesure où elle fixe un délai pour le dépôt d"une demande de communication des motifs et qu"à ce titre, elle est ultra vires . Elle limite un droit qui a été accordé sans restriction par l"article 7(3). Elle implique qu"une demande de communication des motifs ne peut être faite qu"à l"issue de l"appel. Dans cet ordre d"idées, elle est manifestement incompatible avec l"article 7(3) qui n"impose pas une telle restriction. Si le législateur avait voulu fixer un délai pour le dépôt des demandes de communication des motifs, il aurait expressément habilité la Commission à fixer un tel délai, comme il l"a fait à l"article 19 de la Loi en ce qui concerne le délai d"appel. Sur le plan pratique, un tel délai eût été souhaitable mais le pouvoir d"en fixer un ne peut, à mon avis, se fonder sur l"article 8(1).


[30]      Les défendeurs soutiennent d"abord que la portée de la législation en cause dans les arrêts C.R.T.F.P. et Alvarez est différente, et qu"on ne tient pas compte du fait que la Loi est schématique et que les détails devaient être le fait du gouverneur en conseil.

[31]      Je ne peux me ranger à ce point de vue. La Loi n"est pas schématique. Elle prévoit de façon spécifique la demande de partage, qui peut faire la demande, les circonstances où on peut faire la demande, le calcul de la période de séparation, la forme de la demande, et ainsi de suite. Elle fournit des détails spécifiques au sujet du partage, comme l"approbation du partage, les cas où une demande ne peut être approuvée, le montant du partage, la révision, la détermination de la période visée par le partage, et ainsi de suite.

[32]      Elle prévoit aussi que le règlement peut déterminer les circonstances dans lesquelles une personne peut présenter une demande ou procéder à titre de mandataire, prévoir les modalités de retraite d"une demande, déterminer les formes d"épargnes-retraite acceptables, et prévoir les adaptations requises au régime de pensions suite à un partage.

[33]      Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que contrairement à C.R.T.F.P. et Alvarez, où un droit créé par une loi était restreint par le délai prévu dans le Règlement, en l"instance le délai prévu dans le Règlement restreint un droit prévu par le Règlement.

[34]      À mon avis, les défendeurs n"apportent pas la distinction requise entre le droit au partage des prestations de retraite, prévu aux articles 4, 7 et 8 de la Loi, et la valeur de la pension telle que précisée au Règlement. Le droit qui est nié en l"instance, savoir celui d"obtenir le partage des prestations de retraite, a été créé par la loi.

[35]      Troisièmement, les défendeurs soutiennent que la disposition prévue au paragraphe 16m) en l"instance a une application beaucoup plus large que celle qu"on trouve dans C.R.T.F.P. et Alvarez. Ils soutiennent que les mots utilisés en l"instance, savoir " qu"il estime nécessaire ", doivent recevoir une interprétation plus large que les termes utilisés à l"article 19 de l"affaire C.R.T.F.P. et à l"article 8 de l"affaire Alvarez .

[36]      Le fait qu"une disposition soit susceptible d"une interprétation plus large qu"une autre ne vient aucunement corriger le fait que le Règlement adopté en l"instance est contraire à l"objet de la Loi.

[37]      Je conclus que l"alinéa 6(1)b ) du RPPR est ultra vires.

[38]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question renvoyée pour nouvel examen.

                             Pierre Blais

                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 novembre 1999


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :              T-1296-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SYDNEY JEAN SMITH c. PGC ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le lundi 4 octobre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :              9 novembre 1999




ONT COMPARU

Mme Lucie Laliberté                 

                                     pour la demanderesse

M. Brian Saunders

                                     pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gahrns Laliberté

Ottawa (Ontario)

                                     pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                         
                                     pour le défendeur
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