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Date : 19971124


Dossier : IMM-4733-96

ENTRE


CARLOS FERNANDO JARRETT,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimée.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE J. GIBSON

[1]      Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue pour le compte de l'intimée aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration1, dans laquelle l'intimée exprime l'avis selon lequel le requérant constitue un danger pour le public du Canada. La décision est datée du 18 novembre 1996; elle a été communiquée au requérant le 2 décembre 1996.

[2]      La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire montre que le requérant sollicite également le contrôle judiciaire de la mesure de renvoi qui a été prise à son égard. Cependant, la mesure de renvoi n'y est pas identifiée d'une façon particulière. Quoi qu'il en soit, dans les documents qui ont été déposés et dans les arguments qui ont été présentés pour le compte du requérant, il n'était pas question du contrôle judiciaire de la mesure de renvoi. En outre, ce qui est peut-être encore plus important, l'ordonnance par laquelle la Cour a accordé l'autorisation se rapportait uniquement à la décision selon laquelle il y avait danger pour le public.

[3]      Les faits peuvent être résumés comme suit. Le requérant est un citoyen jamaïcain. Il est arrivé au Canada le 29 juin 1978, lorsqu'il avait trois ans, avec sa mère et deux frères. Il est résident permanent du Canada depuis lors. Il ne connaît plus aucun membre de sa famille en Jamaïque. Par contre, sa mère habite à Toronto et son père, son frère et ses deux demi-soeurs habitent à Calgary. Le requérant a une fille qui vit avec sa mère, à Calgary. Il visitait sa fille une fois par semaine jusqu'au moment où il a été renvoyé du Canada.

[4]      Le requérant avait un dossier chargé en tant que jeune contrevenant. Il avait notamment fait l'objet de déclarations de culpabilité pour introduction par effraction, pour voies de fait, pour voies de fait graves et pour agression armée. En tant qu'adulte, il a fait l'objet d'une déclaration de culpabilité, pour homicide involontaire coupable, à l'égard de laquelle il a été condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement.

[5]      Le 10 juin 1996 ou vers cette date, le requérant a été informé que l'intimée envisageait de rendre une décision selon laquelle il constituait un danger pour le public au Canada. Les documents sur lesquels la ministre envisageait de se fonder ont été fournis au requérant, qui a été invité à y répondre. Le requérant l'a fait personnellement et par l'entremise de son avocat. En septembre 1996, des renseignements additionnels sur lesquels l'intimée envisageait de se fonder ont été communiqués au requérant et à son avocat. Aucune observation n'a été présentée par le requérant ou pour son compte en réponse à ces renseignements additionnels.

[6]      La décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été rendue par un représentant pour le compte de l'intimée le 18 novembre 1996.

[7]      Le 2 décembre 1996, soit le jour où la décision de l'intimée a été communiquée au requérant, on a ordonné l'expulsion de ce dernier.

[8]      Dans l'affaire Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1, un appel avait été interjeté contre une décision que la Section de première instance avait rendue dans le cadre du contrôle judiciaire d'un avis du ministre selon lequel il y avait danger pour le public. Monsieur le juge Strayer a dit ceci :

         Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.                 
[J'ai omis les renvois.]                 

[9]      Le mot "comme" figurant dans le passage précité semblerait montrer que les motifs de révision énumérés ne sont pas exclusifs. Telle semble avoir été l'intention du juge Strayer lorsque, plus loin dans ses motifs, il a dit ce qui suit :

         Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier.                

Dans ce dernier passage, j'interprète les mots : "en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier" comme étant l'équivalent des mots : "la prise en considération de facteurs dénués de pertinence" figurant dans le passage antérieur. En outre, j'estime que le fait que l'erreur de droit n'est pas mentionnée comme motif de révision dans le second passage est simplement attribuable à ce que les faits dont disposait Monsieur le juge Strayer démontraient qu'aucune erreur de droit n'avait été commise.

[11]      En ce qui concerne la documentation dont disposait la Cour en l'espèce, l'avocat du requérant a soulevé une vaste gamme de questions à examiner. Il a été reconnu devant moi qu'un bon nombre de questions avaient été tranchées dans l'arrêt Williams, et ce, d'une façon qui me lie. En outre, des questions ont été soulevées au sujet de la validité constitutionnelle, de l'applicabilité ou de l'effet du paragraphe 70(5) de la Loi. En ce qui concerne ces questions, un avis devait être donné en vertu de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale1. Étant donné qu'aucun avis n'a été donné, l'avocat ne pouvait pas débattre ces questions devant moi. Par conséquent, l'avocat du requérant a limité son argumentation à cinq erreurs apparemment susceptibles de contrôle qui auraient été commises, à savoir :

     1.      Si l'intimée a omis de prendre en considération tous les éléments pertinents;         
     2.      Si l'intimée a limité son pouvoir discrétionnaire de façon telle qu'elle n'a plus compétence;         
     3.      Si l'intimée a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait;         
     4.      Si l'intimée a fondé la décision ici en cause sur une preuve extrinsèque non communiquée au requérant et à laquelle le requérant n'avait pas eu la possibilité de répondre;         
     5.      Si le processus par lequel la décision de l'intimée a été rendue en l'espèce donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.         

[12]      Dans le premier passage cité de l'arrêt Williams ci-dessus, Monsieur le juge Strayer a clairement fait savoir qu'en l'absence d'une preuve contraire, les tribunaux doivent supposer, dans une affaire comme celle-ci, que le décideur était de bonne foi en tenant compte des documents versés au dossier qu'il avait devant lui. Dans ce cas-ci, le dossier certifié comprenait les observations du requérant et celles que son avocat avait présentées pour son compte. Je ne dispose d'aucun élément de preuve qui pourrait m'amener à conclure que le décideur n'était pas de bonne foi lorsqu'il a tenu compte du dossier dans son ensemble, y compris des observations qui avaient été présentées par le requérant ou pour le compte de celui-ci. Par conséquent, j'estime que le premier argument qui a été avancé pour le compte du requérant n'est pas fondé.

[13]      De même, j'estime que l'argument concernant la restriction du pouvoir discrétionnaire n'est pas fondé. Dans le document intitulé : "Rapport sur l'avis du ministre selon lequel il y a danger pour le public", qui faisait partie du dossier, sous la rubrique "Fondement du danger", voici ce qui est dit :
     [TRADUCTION]          
     L'individu appartient à la catégorie de criminels établie par la ministre, en tant que cas type de la priorité 1.          

[14]      Ni l'un ni l'autre des avocats qui ont comparu devant moi n'ont pu expliquer le sens de cette remarque, mais l'avocat du requérant a soutenu que je devrais en déduire que cela avait pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire de l'intimée. Je ne fais pas d'inférence de ce genre. Le dossier montre que les documents versés au dossier ont été pleinement examinés et analysés. Une recommandation a été faite par un agent du ministère de l'intimée. Le directeur de l'agent a demandé des renseignements au sujet de la recommandation et a demandé d'autres documents. Ces documents ont été obtenus, à la suite de quoi le directeur a souscrit à la recommandation de l'agent. Un agent de réexamen de l'administration centrale du ministère a souscrit à la recommandation régionale. Le directeur, Examen des cas, souscrivait également à cet avis. Enfin, un représentant du ministre a rendu la décision. Il n'y a rien dans le dossier qui montre que l'une quelconque des personnes en cause dans le processus décisionnel ait limité son jugement en se fondant d'une façon non appropriée sur la déclaration selon laquelle le requérant appartenait à [TRADUCTION] "[...] la catégorie de criminels établie par la ministre, en tant que cas type de la priorité 1".

[15]      De même, rien ne me permet de conclure que la décision ici en cause était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte du dossier. Ici encore, dans l'arrêt Williams, Monsieur le juge Strayer a dit ceci :

     [...] je ne vois pas comment on peut considérer que le résultat est absurde : en d'autres termes, je ne vois pas comment on peut dire qu'il n'était pas loisible au délégué du ministre d'exprimer l'avis, sur le fondement des déclarations de culpabilité prononcées contre M. Williams, de leur nature et de leur nombre, et d'après les observations du juge qui a prononcé la sentence, que M. Williams constituait un danger pour le public au Canada.         

[16]      Compte tenu des faits de l'espèce, je conclus qu'il était loisible à l'intimée de décider que le requérant constituait un danger pour le public compte tenu des déclarations de culpabilité dont celui-ci avait fait l'objet, de leur nature et de leur fréquence, ainsi que des commentaires des agents de correction, et ce, malgré les observations présentées par le requérant et pour son compte.

[17]      L'avocat du requérant a soutenu que le "Rapport sur l'avis du ministre", ou du moins les recommandations qui y figurent et les commentaires du directeur, qui figurent également dans le rapport, constituaient une preuve extrinsèque sur laquelle l'intimée s'était fondée et que cette preuve aurait donc dû être communiquée au requérant et à son avocat, qui auraient alors dû avoir la possibilité de répondre avant qu'une décision soit rendue1. Le fait que pareil rapport, ou des parties de pareil rapport, pourraient constituer une preuve extrinsèque a été soulevé devant moi dans l'affaire Hinds c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration1, mais la question n'a pas été tranchée. Dans la mesure où pareils rapports constituent des sommaires du dossier qui est présenté à l'intimée ou à son représentant, je conclus qu'il ne s'agit pas d'une "preuve extrinsèque". Dans la mesure où le rapport sur l'avis du ministre renfermait en l'espèce des recommandations, qui dans un cas faisaient partie du formulaire imprimé et dans l'autre n'ajoutaient rien de vraiment fondamental, je conclus encore une fois que ces recommandations ne constituaient pas une "preuve extrinsèque" qui devait être communiquée au requérant en raison de l'obligation d'équité, avec la possibilité pour celui-ci d'y répondre.

[18]      Enfin, j'examinerai la dernière question soulevée pour le compte du requérant, à savoir celle de la crainte raisonnable de partialité. Le dossier en l'espèce renferme un exposé des faits et une recommandation fondés sur l'alinéa 27(1)d); il a été préparé par une certaine Tammy McKnight. Le document est daté du 4 mars 1996, c'est-à-dire qu'il est antérieur au moment où le processus en vue de la décision relative au danger pour le public a été entamé. Le document se termine ainsi :

     [TRADUCTION]         
     L'auteur du rapport estime que M. Jarrett [le requérant] constitue un danger pour le public et qu'une attestation de danger devrait être demandée dans ce cas-ci.         

[19]      Tammy McKnight a préparé le "Rapport sur l'avis du ministre" et a recommandé qu'une décision selon laquelle il y a danger soit rendue. L'avocat du requérant a soutenu que, dans ces conditions, la partialité avait été démontrée, ou du moins qu'il serait raisonnablement possible de craindre qu'il y ait partialité, étant donné que l'agent McKnight avait conclu qu'une décision selon laquelle il y avait danger devrait être demandée bien avant qu'un examen de la question de savoir si pareille décision devait être demandée ait été entrepris et, fait peut-être encore plus important, avant que le requérant et son avocat aient eu la possibilité de présenter des observations sur ce point. Ici encore, je conclus que cet argument ne peut pas être retenu. Il aurait certainement été préférable qu'un agent qui n'a pas fait preuve de préjugé prépare le rapport en question. Cependant, ce rapport ne constituait pas un facteur déterminant. L'agent McKnight ne prenait pas la décision pour le compte de l'intimée. La recommandation de l'agent McKnight a été transmise à trois autres personnes et dans chaque cas, on a souscrit à son avis avant que l'affaire parvienne au représentant de l'intimée, qui était le décideur. Ici encore, comme l'a dit Monsieur le juge Strayer dans l'arrêt Williams , la Cour doit présumer en l'absence d'une preuve contraire, que le décideur était de bonne foi en tenant compte de tous les documents dont il disposait. Dans ce cas-ci, il n'existait pas de preuve contraire. La recommandation de l'agent McKnight ne constituait qu'un élément peu important du dossier dont disposait le décideur. Rien ne me permet de conclure que le décideur était lui-même partial, et aucun élément de preuve ne justifiait une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur.

[20]      Compte tenu de l'analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[21]      La demande a été entendue devant moi à Calgary (Alberta) le 10 juin 1997. Les questions identifiées dans l'exposé des faits et du droit du requérant qui ont été examinées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Williams1 n'ont pas été débattues devant moi, mais étant donné qu'il était alors généralement reconnu que l'autorisation de se pourvoir en appel de la décision Williams devant la Cour suprême du Canada serait demandée, l'avocat du requérant a demandé que l'audience soit ajournée en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation. J'ai fait droit à sa demande. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la demande de pourvoi a été rejetée sans que des motifs soient donnés. On a depuis lors communiqué avec les avocats par l'entremise du greffe de Calgary; les avocats convenaient qu'il ne servirait à rien de reprendre l'audience. Par conséquent, j'ai considéré l'affaire comme close et j'ai rédigé les présents motifs.

[22]      Si l'avocat de l'une ou l'autre partie veut proposer la certification d'une question, il devrait la soumettre au greffe de Calgary dans les sept jours de la date des présents motifs. À ce moment-là, j'examinerai les observations et je rendrai mon ordonnance.

                                    Frederick E. Gibson          

                                 Juge

Ottawa (Ontario),

le 24 novembre 1997

Traduction certifiée conforme          ____________________________


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-4733-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CARLOS FERNANDO JARRETT

     c.

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 10 JUIN 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Gibson en date du 24 novembre 1997

ONT COMPARU :

PETER W. WONG ET TONY CLARK      POUR LE REQUÉRANT

(403) 262-3000

BILL BLAIN (403) 495-5895      POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

MAJOR CARON

PETER W. WONG     

     POUR LE REQUÉRANT

BRAD HARDSTAFF

George Thomson      POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

__________________

     L.R.C. (1985), ch. I-2.

     [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée (sans que des motifs soient donnés), 16 octobre 1997, [1997] A.C.S.C. no 332 (QL).

     L.R.C. (1985), ch. F-7.

     Voir Shah v. Minister of Employment and Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.)

     IMM-3549-95, 27 novembre 1996 (C.F. 1re inst.) (inédit)

     Ci-dessus, note 2

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